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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 2 avril 2014, n° 13-08803

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Editions Jean-Claude Lattes (SNC)

Défendeur :

De Lis, EDI8 (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rajbaut

Conseillers :

Mmes Chokron, Gaber

Avocats :

Mes Veil, de Leusse, d'Antin

TGI Paris, du 28 mars 2013

28 mars 2013

Vu le jugement réputé contradictoire rendu le 28 mars 2013 par le Tribunal de grande instance de Paris.

Vu l'appel interjeté le 30 avril 2013 par la SNC Éditions Jean-Claude Lattes.

Vu la signification de déclaration d'appel notifiée à la requête de la SNC Éditions Jean-Claude Lattes le 14 juin 2013 à Mme Ana de Lis par dépôt de l'acte à l'étude de l'huissier.

Vu les dernières conclusions de la SNC Éditions Jean-Claude Lattes, signifiées le 8 novembre 2013.

Vu les dernières conclusions de la SA Éditions First Grund, devenue SA EDI8, signifiées le 18 septembre 2013.

Mme Ana de Lis n'a pas constitué avocat.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 10 décembre 2013.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Considérant que Mme Ana de Lis n'ayant pas été citée à sa personne, le présent arrêt sera rendu par défaut conformément aux dispositions de l'article 474, 2e alinéa du Code de procédure civile ;

Considérant que, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ;

Considérant qu'il suffit de rappeler que la SNC Éditions Jean-Claude Lattes a publié le 17 octobre 2012 le roman intitulé " Cinquante nuances de Grey " d'E.L. James dont elle a acquis les droits pour les pays de langue française ;

Que le 15 novembre 2012 la SA Éditions First Grund a publié un ouvrage signé par Mme Ana de Lis, intitulé " Le décodeur de Cinquante nuances de Grey " ;

Qu'après l'envoi le 14 décembre 2012 d'une mise en demeure restée infructueuse, la SA Éditions Jean-Claude Lattes a fait assigner à jour fixe devant le Tribunal de grande instance de Paris la SA Éditions First Grund et Mme Ana de Lis en contrefaçon de titre et en concurrence déloyale et parasitisme ;

Considérant que le jugement entrepris a, en substance rejeté l'ensemble des demandes de la SNC Éditions Jean-Claude Lattes et condamné celle-ci à payer à la SA Éditions First Grund la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

I : SUR LA CONTREFAÇON DE TITRE :

Considérant que la SNC Éditions Jean-Claude Lattes soutient que le titre anglais de l'ouvrage d'E.L. James (" Fifty shades of Grey ") présente un caractère original puisqu'il a un double sens en faisant référence à la fois au nom du personnage principal (Christian Grey) et à la couleur grise ;

Que c'est volontairement qu'elle n'a pas traduit en français le mot " Grey " pour souligner la complexité du caractère de l'un des personnages principaux et qu'ainsi le titre français " Cinquante nuances de Grey " présente une originalité certaine protégeable en vertu des dispositions de l'article L. 112-4 du Code de la propriété intellectuelle ;

Que la reproduction sans son autorisation de ce titre par la SA Éditions First Grund pour désigner son ouvrage " Le décodeur de Cinquantes nuances de Grey " constitue un acte de contrefaçon ;

Considérant que la SA Éditions First Grund, devenue SA EDI8, réplique que l'originalité du titre en langue anglaise est le fait d'E.L. James et que le titre français " Cinquante nuances de Grey " n'en est que la plate traduction ;

Qu'en outre les termes " Le décodeur de " ajoutés à " Cinquante nuances de Grey " confèrent au titre de l'ouvrage qu'elle a édité une originalité qui lui est propre, exclusive de toute contrefaçon ;

Qu'elle conclut à la confirmation du jugement entrepris qui a débouté la SNC Éditions Jean-Claude Lattes de ses demandes en contrefaçon de titre ;

Considérant ceci exposé, que l'article L. 112-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose que " le titre d'une œuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, est protégé comme l'œuvre elle-même " ;

Considérant que dans le cas de la traduction d'une œuvre littéraire écrite dans une langue étrangère, le titre français est protégeable pour autant qu'il s'agisse d'une interprétation originale et non pas d'une simple traduction littérale du titre étranger ;

Considérant qu'en l'espèce le titre de l'édition française du roman d'E.L. JAMES n'est que la traduction littérale du titre anglais (" Fifty shades of Grey ") ; qu'en effet le terme " Grey ", s'il peut désigner en langue anglaise la couleur grise, fait référence de par l'usage d'une majuscule, à l'un des deux personnages principaux du roman, Christian Grey, PDG de la société Grey Enterprises Holdings Inc. ;

Considérant en conséquence que le titre français " Cinquante nuances de Grey " ne présente aucune originalité par rapport au titre anglais de l'œuvre dont il n'est que la traduction littérale et ne peut dès lors bénéficier de la protection des droits d'auteur au titre de l'article L. 112-4 susvisé ;

Considérant que les faits de contrefaçon de titre ne sont donc pas établis et que c'est à juste titre que les premiers juges ont débouté la SNC Éditions Jean-Claude Lattes de ses demandes en contrefaçon ;

II : SUR LA CONCURRENCE DÉLOYALE ET LE PARASITISME :

Considérant que la SNC Éditions Jean-Claude Lattes soutient que la SA Éditions First Grund tente de profiter à moindre coût du succès exceptionnel de l'œuvre " Cinquante nuances de Grey " en publiant dans les trois mois de la sortie de ce livre leur propre livre afin de profiter des retombées des investissements promotionnels réalisés ;

Qu'elle ajoute que le roman " Cinquante nuances de Grey " n'a nullement besoin d'être " décodé " et que l'ouvrage de la SA Éditions First Grund est essentiellement composé de descriptions de situations, de scènes, des personnages de l'ouvrage " Cinquante nuances de Grey " au point que la lecture de l'œuvre originale ne présente pratiquement plus d'intérêt ;

Qu'enfin, à l'instar des principaux sites de vente sur Internet, les libraires associent systématiquement dans leurs rayons, les deux ouvrages ; qu'ainsi une partie des lecteurs tentés d'acquérir l'ouvrage " Cinquante nuances de Grey " se tourneront vers l'ouvrage publié par la SA Éditions First Grund dont le coût est inférieur de moitié ;

Considérant que la SA Éditions First Grund, devenue SA EDI8, réplique que tous les ouvrages qui, à l'instar de " Cinquante nuances de Grey " ont connu un grand succès, ont connu leur " guide " dans des ouvrages de commentaires reprenant dans leur titre, le titre même de celui qu'ils commentent ;

Que le fait que l'analyse suive de près son objet n'est pas en soi fautif, alors surtout que l'œuvre de référence a été publiée en mai 2011 aux États-Unis alors que Mme Ana de Lis s'est mise au travail en juillet 2012 en disposant de l'ouvrage en langue anglaise ;

Que l'ouvrage " Le décodeur de Cinquante nuances de Grey " est un abécédaire commentant et décrivant l'œuvre initiale et appartient donc à un genre littéraire totalement différent ; qu'au surplus nombre des entrées de cet abécédaire sont sans référence directe avec l'œuvre d'E.L. James ;

Qu'elle conclut à la confirmation du jugement entrepris qui a débouté la SNC Éditions Jean-Claude Lattes de ses demandes en concurrence déloyale et en parasitisme ;

Considérant ceci exposé, que l'ouvrage litigieux a été commandé à Mme Ana de Lis par la SA Éditions First Grund le 24 juillet 2012 sous le titre provisoire de " Le décodeur des 50 nuances - Les dessous du monde de Grey ", étant rappelé que le roman d'E.L. James était déjà commercialisé aux États-Unis depuis le mois de mai 2011 et que le manuscrit définitif devait être remis le 27 septembre 2012, soit avant même la parution de la traduction française du roman d'E.L. James ;

Considérant que c'est à juste titre que les premiers juges ont débouté la SNC Éditions Jean-Claude Lattes de ses demandes en concurrence déloyale et parasitisme en relevant que le titre " Le décodeur de Cinquante nuances de Grey " et sa forme d'abécédaire permettent de distinguer ce livre de celui édité par la SNC Éditions Jean-Claude Lattes dont il se distingue également par le format et l'illustration de couverture, ne créant aucune confusion entre les deux ouvrages ;

Considérant de même que c'est à juste titre que les premiers juges ont relevé que l'ouvrage édité par la SA Éditions First Grund ne permet pas de suivre l'intrigue du roman édité par la SNC Éditions Jean-Claude Lattes et ne peut se substituer à lui ; qu'il s'agit d'un commentaire de ce roman pour lequel il est usuel que les libraires et autres distributeurs les associent, notamment en les rapprochant sur des présentoirs sans qu'il puisse en résulter un risque de confusion pour un lecteur moyennement attentif qui distinguera l'œuvre principale de ses commentaires, analyses ou décodeurs ;

Considérant enfin que c'est à juste titre que les premiers juges ont relevé que les investissements de la SNC Éditions Jean-Claude Lattes n'ont pas été détournés de leur objet par la SA Éditions First Grund d'autant plus qu'une analyse ou un commentaire contribue également à la renommée de l'œuvre première ; qu'au demeurant il n'est pas établi que la vente des 4 241 exemplaires du " décodeur de Cinquante nuances de Grey " ait pu détourner les lecteurs du roman d'E.L. James, vendu en France à 580 851 exemplaires ;

Considérant dès lors que le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions ;

III : SUR LES AUTRES DEMANDES :

Considérant qu'il est équitable d'allouer à la SA Éditions First Grund, devenue SA EDI8, la somme complémentaire de 5 000 euro au titre des frais par elle exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens, le jugement entrepris étant par ailleurs confirmé en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles de première instance ;

Considérant que la SNC Éditions Jean-Claude Lattes sera pour sa part, déboutée de sa demande en paiement au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant que la SNC Éditions Jean-Claude Lattes, partie perdante en son appel, sera condamnée au paiement des dépens d'appel, le jugement entrepris étant par ailleurs confirmé en ce qu'il a statué sur la charge des dépens de la procédure de première instance ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt de défaut ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ; Condamne la SNC Éditions Jean-Claude Lattes à payer à la SA Éditions First Grund, devenue SA EDI8, la somme complémentaire de cinq mille euros (5 000 euro) au titre des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens ; Déboute la SNC Éditions Jean-Claude Lattes de sa demande en paiement au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SNC Éditions Jean-Claude Lattes aux dépens de la procédure d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.