CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 10 avril 2014, n° 12-06757
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ginger (SAS)
Défendeur :
Orient Bay (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur
Avocats :
Me Olivier, Astruc, Grappotte-Benetreau, Jeffroy
FAITS ET PROCÉDURE
Le 12 septembre 2000, la société Orient Bay a conclu avec la société Ginger un contrat de commission-affiliation lui permettant d'utiliser la marque Sud Express à titre d'enseigne et de disposer d'un stock de marchandises défini et financé par la société Ginger. Ce contrat a pris effet le 1er octobre 2000 et comprenait une clause d'exclusivité. Son terme prévu au 30 septembre 2004 a été prorogé par accord des parties.
Le 21 juin 2011, la société Ginger a mis un terme au contrat en notifiant à la société Orient Bay la rupture de leurs relations commerciales avec effet au 30 septembre 2011. Estimant être victime d'une rupture brutale, la société Orient Bay a fait assigner la société Ginger en paiement de dommages-intérêts.
Par jugement rendu le 8 mars 2012, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Rennes a :
- dit et jugé que la société Ginger a rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société Orient Bay ;
- dit et jugé qu'un préavis d'un an aurait dû être observé ;
- condamné la société Ginger à verser à la société Orient Bay les sommes de :
. 80 603,24 à titre de dommages et intérêts correspondant à la marge brute perdue pendant la durée manquante du préavis dont elle aurait dû bénéficier, en l'occurrence 9 mois ;
. pour mémoire : dommages et intérêts correspondant au coût des licenciements qu'elle est contrainte d'engager ;
- condamné la société Ginger à payer à la société Orient Bay, la somme de 1 500 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs plus amples demandes.
Vu l'appel interjeté le 11 avril 2012 par la société Ginger contre cette décision.
Vu les dernières conclusions de la société Ginger, signifiées le 6 janvier 2014, par lesquelles il demandé à la cour de :
- recevoir la société Ginger " Sud Express " en ses demandes, fins et conclusions d'appel,
Y faisant droit,
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 8 mars 2012 par le Tribunal de commerce de Rennes,
Statuant à nouveau,
A titre liminaire,
- statuer ce que de droit sur la demande de révocation de la clôture prononcée le 19 décembre 2013 et l'admission aux débats des conclusions et pièces signifiées par la société Orient Bay le 6 janvier 2014,
- débouter la société Orient Bay de sa demande tendant à voir rejetées des débats les conclusions et pièces signifiées par la société Ginger avant clôture du 19 décembre 2013,
Sur le fond :
- voir sommer la société Orient Bay de produire aux débats les pièces justificatives de rupture ou de cession de son droit au bail afférent à la boutique 10 rue Nationale à Rennes, ainsi que les conditions de sa nouvelle activité sur Lorient depuis le 1er janvier 2012,
- débouter la société Orient Bay de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, que ce soit à titre principal sur le principe d'un préavis excédant le préavis contractuel, ou quant à celui du quantum de l'indemnisation sollicitée de ce chef par la société Orient Bay sur le terrain de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce,
- débouter la société Orient Bay de sa nouvelle demande de dommages et intérêts pour " perte de chance " comme irrecevable en vertu de l'article 565 du Code de procédure civile, subsidiairement non fondée ni justifiée,
- condamner la société Orient Bay au remboursement des sommes réglées au titre de l'exécution provisoire avec intérêts à compter de l'arrêt à intervenir,
- condamner la société Orient Bay au paiement de la somme de 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Ginger fait valoir qu'elle a respecté un préavis de trois mois prévu par les dispositions du contrat de commission affiliation conclu le 30 septembre 2001 et dans l'acte de prorogation du 30 septembre 2004. Elle ajoute que le contrat stipulait que sa durée ne pourrait excéder dix ans et qu'en conséquence, la société Orient Bay ne pouvait ignorer la précarité de leurs relations commerciales.
Elle expose que le quantum des dommages-intérêts retenu par le tribunal de commerce n'est pas justifié au regard, d'une part, de l'absence de la totalité des bilans comptables de la société Orient Bay ce qui rend impossible de chiffrer le préjudice allégué, d'autre part, de l'absence de preuve de ce que le préjudice invoqué par l'intimée au titre des licenciements est seul imputable à la rupture brutale des relations commerciales.
L'appelante soutient enfin que la demande de dommages-intérêts pour perte de chance sérieuse de poursuivre son activité est nouvelle, qu'elle n'a pas de fondement légal et qu'elle ne saurait lui être imputée.
Vu les dernières conclusions de la société Orient Bay, signifiées le 6 janvier 2014, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- révoquer l'ordonnance de clôture prononcée le 19 décembre 2013,
Et si par extraordinaire la cour ne fait pas droit à cette demande:
- rejeter des débats les conclusions signifiées le 19 décembre 2013 dans l'intérêt de la société Ginger.
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Rennes en toutes ses dispositions,
En conséquence,
- dire et juger que la société Ginger a brutalement rompu les relations commerciales établies avec la société Orient Bay,
- dire et juger qu'un préavis d'un an aurait dû être observé.
- condamner en conséquence la société Ginger à verser à la société Orient Bay la somme de 80 603,24 à titre de dommages et intérêts correspondant à la marge brute perdue pendant la durée manquante du préavis dont elle aurait dû bénéficier, en l'occurrence 9 mois avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive du 14 décembre 2011 et capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil
- condamner la société Ginger à verser à la société Orient Bay la somme de 18 820 à titre de dommages et intérêts correspondant au coût des licenciements qu'elle a été contrainte de supporter
Et y additant,
- condamner la société Ginger à payer à la société Orient Bay la somme de 50 000 au titre de dommages et intérêts en réparation de la perte d'une chance sérieuse de continuer l'exploitation du magasin,
- condamner la société Ginger à payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Orient Bay soutient que la société Ginger a rompu brutalement les relations commerciales établies entre elles et qu'elle aurait dû lui accorder un préavis d'un an puisque le contrat stipulant une clause d'exclusivité, ses relations avec cette société représentaient 100 % de son chiffre d'affaires.
Elle fait valoir que sa demande en réparation du préjudice subi est justifiée au regard de son manque de temps pour reconstituer son chiffre d'affaires et du fait que ne pouvant assumer ses charges d'exploitation, elle a dû quitter ses locaux et licencier deux de ses employés.
L'intimée ajoute que la société Ginger l'a manifestement privée d'une chance sérieuse de poursuivre son activité, d'abord en lui imposant des travaux dans un délai de 8 jours, puis, en la déréférençant de la liste des magasins du catalogue Sud Express dès le printemps 2011 et enfin, par l'acquisition d'un magasin Sud Express à proximité de celui de la société Orient Bay.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée, ainsi qu'aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la rupture et le délai de préavis
Il n'est pas contesté que les sociétés Ginger et Orient Bay ont été liées par une relation commerciale établie qui a débuté le 1er octobre 2000 et pris fin le 30 septembre 2011 avec un préavis de trois mois.
Dans la mesure où les dispositions de responsabilité spécifique prévues par l'article L. 442-6, I, 5°) du Code de commerce précisent que le préavis doit être déterminé au regard de la durée de la relation des parties, il n'est pas déterminant que le préavis accordé ait été conforme aux stipulations contractuelles conclues entre elles. En l'espèce, la relation s'est déroulée pendant onze ans et le contrat imposait une exclusivité à la société Orient Bay. En conséquence, la rupture rendait nécessaire pour celle-ci de rechercher une solution lui permettant de trouver un, ou des, nouveaux partenaires d'affaires avec lesquels elle devrait, autant que faire se peut, reconstituer son chiffre d'affaires.
Par ailleurs, si le contrat précisait que les relations contractuelles ne pourraient, quels que soient les renouvellements tacites, durer plus de 10 ans, force est de constater que la société Ginger ne démontre pas qu'en octobre 2010, à l'échéance de cette période de temps, elle aurait prévenu la société Orient Bay de ce qu'elle souhaitait ou envisageait de ne plus reconduire leurs relations commerciales. Cette société était alors fondée, compte tenu de la durée de ces relations, à penser que celles-ci pourraient encore perdurer. Le fait que la société Orient Bay ait sollicité, dans une lettre du 19 mai 2011, un délai supplémentaire devant courir jusqu'au mois de septembre suivant pour prendre parti sur la possibilité d'adhérer au nouveau concept et de faire réaliser les travaux nécessaires, ne saurait constituer une reconnaissance par celle-ci de ce qu'elle n'aurait pas eu besoin de davantage de temps pour organiser sa reconversion, ni de ce qu'elle estimait que le délai de préavis contractuel de trois mois était suffisant. En outre, les difficultés de renouvellement de son bail évoquées par elle dans sa lettre du 13 juin 2011 n'emportent aucune conséquence sur le délai de préavis qui devait lui être accordé, puisqu'elle aurait parfaitement pu continuer à distribuer la marque Sud Express dans un autre lieu, comme cela a d'ailleurs été envisagé par les parties, ainsi que le démontre cette correspondance.
Enfin, l'existence de pourparlers entre les deux partenaires qui ont débuté par une lettre du 12 mai 2011, par laquelle la société Ginger demandait au dirigeant de la société Orient Bay de préciser, sous huitaine, la date à laquelle il envisageait de faire effectuer des travaux d'aménagement de sa boutique pour répondre au nouveau concept de l'enseigne Sud Express, ne constitue pas une lettre de rupture faisant courir le délai de préavis et la société Ginger ne saurait prétendre qu'elle a accordé en réalité à la société Orient Bay un préavis de six mois.
C'est donc à juste titre au regard de ces éléments et de ceux qu'il a lui-même relevés que le tribunal a jugé que la société Orient Bay aurait dû accorder à la société Ginger un préavis de douze mois.
Sur le préjudice
Ainsi que le précise la société Ginger dans ses conclusions le préjudice indemnisable en application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5°) du Code de commerce consiste dans la perte de marge brute que la société victime de la rupture aurait pu réaliser pendant la période de préavis. Le tribunal a donc justement calculé le préjudice de la société Orient Bay au regard de la perte de marge brute pour neuf mois, puisqu'elle avait bénéficié d'un délai de trois mois. La cour relève à ce sujet que la marge brute, justifiée par la production des soldes intermédiaires de gestion et par une attestation de l'expert-comptable de la société Orient Bay, qui ne sont pas pertinemment contestés par la société Ginger, a permis une exacte appréciation du préjudice à la somme de 80 603,24 euros ([107 471 euros/ 12] X 9).
En outre, le fait que la société Orient Bay ait pu transférer son activité à Laval et qu'elle y ait exploité un autre magasin est sans portée sur l'évaluation du préjudice que lui a causé l'insuffisance de la période de préavis, de même que le fait qu'elle ait pu mettre fin au bail de la boutique dans laquelle elle exploitait la marque Sud Express ou en aurait cédé le droit.
En revanche, il n'est pas démontré que les licenciements auxquels la société Orient Bay a procédé ont été la conséquence de la seule brutalité de la rupture. Le jugement doit donc être réformé en ce qu'il a condamné la société Ginger, " pour mémoire " au paiement " des dommages-intérêts correspondant au coût des licenciements ".
Sur la demande de dommages-intérêts pour perte de chance
La société Orient Bay expose avoir signalé à la société Ginger, lors de leurs pourparlers au printemps 2011, plusieurs boutiques dans lesquelles elle aurait pu déménager pour exploiter le nouveau concept de la marque, puis avoir constaté, plusieurs mois plus tard, que la société Ginger avait acquis le droit au bail d'une de ces boutiques pour y installer un nouvel exploitant. Elle estime que son ancienne partenaire a ainsi agi en fraude de ses droits et en l'évinçant en un mois, l'a privée d'une chance sérieuse de poursuivre son activité pendant une certaine période. Elle demande à ce titre réparation du son préjudice qu'elle évalue à 50 000 euros.
Ainsi que le fait valoir la société Orient Bay, cette demande de réparation d'un préjudice complémentaire à celui qui résulte de la brutalité de la rupture sans préavis suffisant ne constitue pas une demande nouvelle au sens de l'article 566 du Code de procédure civile.
Cependant, le contrat conclu entre les parties était, à la suite de sa prorogation, devenu un accord à durée indéterminée. La société Ginger avait donc le droit de le rompre à tout moment à la seule condition de laisser à son partenaire un préavis suffisant. Il ne peut dans ces conditions lui être reproché d'avoir décidé d'installer, dans la ville de Rennes où était implantée la société Orient Bay, un autre revendeur de sa marque fût-ce dans une boutique dont la disponibilité lui aurait été indiquée par celle-ci. Il n'est donc pas établi que la société Ginger aurait privé la société Orient Bay d'une chance sérieuse de poursuivre son activité pendant une certaine période et la demande de dommages-intérêts présentée à ce titre doit donc être rejetée.
Sur les frais irrépétibles
Au regard de l'ensemble de ce qui précède, il est justifié de ne pas laisser à la charge de la société Orient Bay l'intégralité des frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager pour défendre ses droits. La société Ginger sera donc condamnée à lui verser la somme de 2 000 euros.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Confirme le jugement attaqué sauf en ce qu'il a condamné la société Ginger à verser à la société Orient Bay, pour mémoire des dommages-intérêts correspondant au coût des licenciements qu'elle a été contrainte d'engager ; Statuant à nouveau de ce chef, Rejette la demande de dommages-intérêts de la société Orient Bay au titre du coût des licenciements ; Y ajoutant, Rejette l'exception d'irrecevabilité pour nouveauté soulevée par la société Ginger concernant la demande de dommages-intérêts de la société Orient Bay pour perte de chance ; Rejette la demande de dommages-intérêts de la société Orient Bay au titre de la perte de chance ; Condamne la société Ginger à verser à la société Orient Bay la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toute demande autre, plus ample ou contraire des parties ; Condamne la société Ginger aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les conditions prévues par l'article 699 du Code de procédure civile.