ADLC, 18 mars 2014, n° 14-DCC-36
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe Carrefour d'un portefeuille de 57 galeries commerciales auprès la société Klépierre
L'Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 11 février 2014, relatif à la prise de contrôle exclusif par le groupe Carrefour d'un portefeuille de 57 galeries commerciales auprès de la société Klépierre, formalisée par un protocole d'accord en date du 24 janvier 2014 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. La société anonyme Carrefour est la société holding du groupe Carrefour, actif dans la distribution à dominante alimentaire (ci-après " Carrefour "). En France, le groupe Carrefour exploite des hypermarchés, des supermarchés et des magasins de proximité sous différentes enseignes. Carrefour est également actif dans la détention et la gestion d'actifs immobiliers pour compte propre, en exploitant dans le monde, à fin décembre 2012, 11,7 millions de mètres carrés grâce à ses magasins intégrés et 15,9 millions de mètres carrés en incluant les franchisés (1). Une large majorité de ses points de vente est détenue par Carrefour. Le patrimoine immobilier de Carrefour en France, en Espagne et en Italie est géré par sa filiale Carrefour Property.
2. Les actifs cibles sont actuellement détenus par la société foncière Klépierre (ci-après " Klépierre "), spécialisée dans la gestion immobilière de centres commerciaux, et correspondent à tout ou partie de 57 galeries commerciales en France (ci-après les " actifs ou galeries commerciales cibles ") (2). L'ensemble des galeries commerciales cibles est adossé à des hypermarchés sous enseigne Carrefour détenus par le groupe Carrefour. Ce dernier détient en outre une minorité des surfaces de vente dans 41 des galeries commerciales cibles aux côtés de Klépierre. En outre, un ou plusieurs autres propriétaires détiennent une partie des surfaces de vente dans 10 galeries commerciales dans lesquelles Carrefour est également propriétaire d'une partie de la galerie.
3. Aux termes du protocole d'accord signé le 24 janvier 2014, la société immobilière Covicar 23 SAS (ci-après " Covicar 23 "), créée pour les besoins de l'opération, acquerra la pleine propriété des actifs cibles. Le capital de Covicar 23 sera indirectement détenu par [...] actionnaires, parmi lesquels Carrefour qui en sera le principal actionnaire avec 42,22 % du capital, les autres actionnaires détenant individuellement moins de [...] % du capital (3). En vertu de la composition du Conseil d'administration et des règles de prise de décisions qui le gouvernent, prévues par le projet de pacte d'associés de Covicar 23, Carrefour sera seul en mesure de bloquer l'adoption d'un certain nombre de décisions stratégiques, incluant la révision, l'actualisation ou le renouvellement du plan d'affaires ainsi que l'approbation du budget annuel de la société.
4. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif par Carrefour de Covicar 23, propriétaire des actifs cibles cédés par Klépierre, l'opération constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
5. Les entreprises concernées ont réalisé ensemble un chiffre d'affaires hors taxes consolidé sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros au cours du dernier exercice clos (Carrefour : [...] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2012 ; actifs cibles : [...] d'euros pour le même exercice). Chacune d'entre elles a réalisé en France un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (Carrefour : [...] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2012 ; actifs cibles : [...] d'euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatives à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
6. L'opération envisagée concerne le secteur de la gestion immobilière pour compte propre de centres commerciaux.
A. DÉLIMITATION DES MARCHÉS DE PRODUITS ET DE SERVICES
7. Les autorités de concurrence nationale et communautaire ont envisagé, tout en laissant la question ouverte, différentes segmentations dans le secteur des services immobiliers (4) selon (i) les destinataires des services (particuliers ou entreprises), (ii) le mode de fixation des prix (immobilier résidentiel libre et logements sociaux ou intermédiaires aidés (5)), (iii) le type d'activité exercée dans les locaux (bureaux, locaux commerciaux et autres locaux d'activités (6)) et (iv) la nature des services ou biens offerts (7).
8. Concernant la segmentation selon la nature des services ou des biens offerts, la pratique décisionnelle a envisagé la distinction entre :
(i) la promotion immobilière qui comprend les activités de construction et de vente de biens immobiliers ;
(ii) la gestion d'actifs immobiliers pour compte propre ;
(iii) la gestion d'actifs immobiliers pour compte de tiers ;
(iv) l'administration de biens immobiliers qui recouvre les activités de gestion des immeubles pour le compte de propriétaires et qui peut être segmentée entre la gestion locative et la gestion de copropriété ;
(v) l'expertise immobilière ;
(vi) le conseil immobilier ;
(vii) l'intermédiation dans les transactions immobilières, activité au sein de laquelle il peut être distingué entre la vente et la location d'immeubles (8).
9. En l'espèce, les parties sont simultanément présentes sur le marché de la détention et de la gestion d'actifs immobiliers pour compte propre de locaux commerciaux.
10. La pratique décisionnelle française, tout en laissant la question ouverte, a envisagé une segmentation entre centres commerciaux et locaux commerciaux en pied d'immeuble (9), ainsi qu'une segmentation des centres commerciaux selon leur taille, à savoir :
(i) les petits centres commerciaux (" PCC "), dont la surface commerciale utile est comprise entre 5000 et 20 000 m² et qui contiennent entre 20 et 40 boutiques (magasins et services) ;
(ii) les grands centres commerciaux (" GCC "), dont la surface commerciale utile est comprise entre 20 000 et 40 000 m² et qui contiennent entre 40 et 80 boutiques ;
(iii) les centres commerciaux régionaux (" CCR "), dont la surface commerciale utile est supérieure à 40 000 m² et dont le nombre de boutiques est supérieur à 80 ; et
(iv) les centres à thèmes spécialisés (" CCT "), par exemple, dans l'équipement de la maison et les boutiques de fabriquant.
11. Les réponses au test de marché confirment très largement cette approche.
12. La partie notifiante considère cependant que la délimitation des centres commerciaux peut présenter un caractère arbitraire. Elle indique ainsi que certaines petites galeries marchandes attenantes à de grands magasins de distribution, dont la surface commerciale utile et/ou le nombre de boutiques est inférieur aux seuils des PCC, peuvent entrer en concurrence avec les centres commerciaux de dimension supérieure. Elle considère également que des configurations de boutiques de centre-ville peuvent être intégrées dans les marchés des centres commerciaux.
13. Une très large majorité des répondants considère que les galeries marchandes de moins de 20 boutiques et de moins de 5 000 m² peuvent exercer une pression concurrentielle sur les PCC. Cette pression concurrentielle ne peut toutefois qu'être limitée compte tenu de la composition de ces galeries marchandes qui regroupent surtout, pour les plus petites d'entres elles, des boutiques de service (fleuriste, pressing, etc.) et non des enseignes nationales, sauf lorsqu'elles sont situées en centre-ville. L'existence d'une pression concurrentielle exercée par ce type de galeries marchandes sur les GCC et CCR a, en toute hypothèse, été exclue par la majorité des répondants.
14. Par ailleurs, les réponses au test de marché ont également relevé l'existence d'une certaine pression concurrentielle entre les boutiques en centre commercial et les boutiques de certains centres villes. L'existence d'une telle pression concurrentielle est cependant facteur de l'attractivité des centres villes (qualité de son offre commerciale) et de la distance qui séparent ces derniers des centres commerciaux. Une majorité de répondants a en effet indiqué qu'une telle pression concurrentielle entre boutiques en centre commercial et boutiques en centre-ville ne pouvait être constatée au-delà d'une distance de 10 km.
15. En l'espèce, les actifs repris concernent principalement des surfaces destinées aux boutiques de PCC. Plus marginalement, un certain nombre de galeries inférieures aux seuils des PCC ainsi que des GCC seront également repris par Carrefour.
B. DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE DES MARCHÉS
16. La pratique décisionnelle française a considéré que les marchés de la gestion pour compte propre de centres commerciaux pouvaient être de dimension nationale ou infranationale, tout en laissant la question ouverte.
17. Au niveau national, la pratique décisionnelle a déjà relevé qu'une partie de la demande provient de groupes d'envergure nationale suivant une stratégie d'implantation dans des centres commerciaux selon une logique de maillage du territoire. En outre, elle a considéré, tout en laissant la question ouverte, que le marché des services immobiliers est de dimension nationale lorsque les investissements sont réalisés par de gros investisseurs professionnels (10).
18. Au niveau infranational, deux niveaux d'analyse ont jusqu'à présent été retenus : la région et l'agglomération, l'analyse étant généralement menée au niveau régional lorsque la taille de l'aire urbaine est trop réduite pour permettre une véritable analyse concurrentielle. Une large majorité des répondants au test de marché ont confirmé la pertinence de cette segmentation.
19. En ce qui concerne spécifiquement l'Ile-de-France, la pratique décisionnelle française retient que " la région parisienne possède des propriétés particulières de continuité des zones urbaines. En effet, il existe une vaste zone très urbanisée et homogène recouvrant la majeure partie de l'Île-de-France, desservie par un réseau global de transport ; les habitants sont toujours en mesure d'arbitrer entre différentes parties de la région. Cette substituabilité entraîne une convergence au niveau des prix. Dès lors le niveau régional est le plus approprié pour l'analyse concurrentielle " (11).
20. Au cas d'espèce, l'analyse sera menée au niveau national, régional et local.
III. Analyse concurrentielle
21. La partie notifiante présente les parts de marché de la nouvelle entité exprimées en surface de vente. La partie notifiante n'ayant pas été en mesure de fournir les parts de marché de la nouvelle entité selon la taille des centres commerciaux au niveau national et régional, cette segmentation sera présentée pour l'analyse au niveau local uniquement (12).
A. ANALYSE CONCURRENTIELLE AUX NIVEAUX NATIONAL ET RÉGIONAL
22. Au niveau national, la part de marché de la nouvelle entité sur le marché de la gestion pour compte propre des centres commerciaux (13), tous types de centres commerciaux confondus, sera de l'ordre de [10-20] %, avec un incrément limité de [0-5] %.
23. Au niveau régional, la partie notifiante a estimé que les parts de marché (14) étaient les suivantes :
<emplacement tableau>
24. Il ressort de ce tableau que les parts de marché de la nouvelle entité seront inférieures à 25 % dans 16 des 17 régions concernées par l'opération envisagées, avec des incréments limités compris entre [0-5] % et [5-10] %. L'opération conduira à un marché affecté en région Champagne-Ardenne, avec une part de marché cumulée de l'ordre de [20-30] %. Avec un incrément inférieur à [0-5] %, l'opération envisagée n'est toutefois pas de nature à modifier significativement la structure concurrentielle du marché de la gestion pour compte propre de centres commerciaux dans cette région.
B. ANALYSE CONCURRENTIELLE AU NIVEAU LOCAL
25. Une analyse locale des actifs repris et de l'implantation de Carrefour dans les agglomérations concernées montre que l'opération envisagée ne conduira pas à une modification significative de la structure concurrentielle dans la plupart de ces zones. L'opération consiste en effet quasi systématiquement en l'acquisition par Carrefour des surfaces de galeries commerciales détenues par Klépierre, qui sont attenantes à un de ses hypermarchés, dans des agglomérations où Carrefour ne détient pas ou très peu de surfaces commerciales disponibles à la location. Dès lors, l'opération envisagée conduit le plus souvent à des additions de parts de marché inexistantes ou très faibles au niveau local, à l'exception toutefois de l'agglomération de Draguignan, qui fera l'objet d'un examen spécifique.
1. ANALYSE DES AGGLOMÉRATIONS CONCERNÉES HORS DRAGUIGNAN
26. L'opération envisagée ne conduit à aucun chevauchement d'activités, sur le marché de la gestion pour compte propre de centres commerciaux segmenté par type de centre commercial, dans les agglomérations d'Amiens, Calais, Montpellier (15), Charleville-Mézières, Châteauroux (16), Château-Thierry, Evreux, Lorient, Nevers, Quimper, Vannes, Hazebrouck (17), Chambéry, Chartres, Fourmies, Laon, La Rochelle et Saint-Omer (18).
27. Par ailleurs, sur les marchés de la gestion des centres commerciaux pour compte propre, quelle que soit la segmentation envisagée, l'opération conduit à des parts de marché cumulées inférieures à 25 % dans les agglomérations d'Alençon, Béthune, Bourg-en-Bresse, Caen, Cholet, Grenoble (19), Lyon, Marseille, Nice (20), Nîmes, Saint-Brieuc, Toulouse, et Valencienne. Dans ces agglomérations, les chevauchements d'activités sont en outre d'ampleur limitée, comprise entre moins de [0-5] % et [5-10] %.
28. En considérant les différentes segmentations du marché de la gestion des centres commerciaux pour compte propre, l'opération conduit à une part de marché cumulée supérieure à 25 % et à un chevauchement d'activités dans les agglomérations suivantes (21) :
<emplacement tableau>
29. Il ressort de ce tableau que Carrefour disposera dans certaines agglomérations de parts de marché élevées sur certains segments de marché.
30. Dans les agglomérations de Brest, Nantes, Reims, Avignon et Orléans, les chevauchements d'activités apparaissent très limités, dans la mesure où les parts de marché actuelles de Carrefour sont comprises entre [0-5] % (Orléans) et [0-5] % (Nantes). Dans l'agglomération de Troyes, où Carrefour détient avant l'opération une part de marché de l'ordre de [20-30] %, l'incrément sera également limité ([0-5] %). En tout état de cause, la part de marché de Carrefour dans l'ensemble de ces agglomérations sera inférieure à 35 % sur la segmentation la plus fine des PCC et elle fera face à la concurrence de PCC représentant des surfaces de vente importantes dans l'ensemble de ces zones.
31. Dans l'agglomération d'Angers, Carrefour détiendra environ [40-50] % des surfaces de galeries disponibles en PCC. L'opération envisagée n'est cependant pas de nature à porter atteinte à la concurrence eu égard aux faibles parts de marché actuelles de Carrefour, quelle que soit la segmentation envisagée, et à la présence de deux galeries commerciales en PCC, représentant respectivement [20-30] % et [20-30] % environ de ce marché.
32. Dans l'agglomération de Perpignan, Carrefour détiendra environ [20-30] % des surfaces situées en centres commerciaux et [40-50] % sur le segment des GCC. L'opération envisagée n'est toutefois pas davantage de nature à porter atteinte à la concurrence dans cette agglomération eu égard aux faibles parts de marché actuelles de Carrefour, quelle que soit la
segmentation envisagée, et à la présence de deux GCC représentant respectivement environ [30-40] % et [20-30] % des surfaces de galeries commerciales en GCC à Perpignan.
33. Dans l'agglomération d'Epinal, Carrefour détiendra [50-60] % de la surface de la galerie commerciale de l'unique PCC de l'agglomération. L'opération envisagée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, dans la mesure où Carrefour ne détient actuellement que [0-5] % de la surface de la galerie commerciale (soit une petite boutique de 6 m²). Le solde de [40-50] % restera détenu par le copropriétaire actuel de la galerie commercial. En outre, il ressort des informations communiquées par la partie notifiante qu'Epinal est située dans une zone à faible densité urbaine. Ce constat suggère que l'analyse concurrentielle doit être menée au niveau régional, ce que confirment les résultats du test de marché. Dès lors, les risques d'atteinte à la concurrence peuvent être écartés compte tenu de l'analyse régionale au niveau de la Lorraine.
34. Dans l'agglomération de Libourne, Carrefour détiendra [50-60] % de la surface de la galerie marchande de l'unique centre commercial de l'agglomération. L'opération envisagée n'est toutefois pas de nature à modifier de manière significative la structure de la concurrence dans cette agglomération, dans la mesure où Carrefour ne détient actuellement que [0-5] % de la surface de la galerie commerciale (soit deux boutiques sur les 46 que compte la galerie commerciale). Le solde de [40-50] % de la surface de la galerie commerciale restera en outre détenu par les copropriétaires actuels de la galerie commerciale.
35. Dans l'agglomération de Compiègne, Carrefour détiendra environ [40-50] % des surfaces situées en centres commerciaux. En considérant une segmentation par type de centre commercial, Carrefour détiendra l'intégralité de la galerie de l'unique GCC de l'agglomération, d'une dimension de 5 258 m². Les modifications de la structure concurrentielle apparaissent cependant limitées, dans la mesure où Carrefour ne détient actuellement que [0-5] % de la galerie commerciale cible (soit deux boutiques sur les 40 que compte la galerie commerciale). La nouvelle entité devra faire face à la concurrence de deux centres commerciaux contenant des galeries marchandes de tailles importantes, situés à proximité, disposant d'une part de marché respective sur le marché global de la gestion pour compte propre de centres commerciaux de l'ordre de [30-40] % et [20-30] %.
36. Il ressort de ce qui précède que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence dans les agglomérations concernées sur le marché de la gestion pour compte propre de centres commerciaux.
2. ANALYSE RELATIVE À L'AGGLOMÉRATION DE DRAGUIGNAN
37. L'opération envisagée conduit à une modification significative de la structure de la concurrence dans l'agglomération de Draguignan. La galerie commerciale cible, située à Trans en Provence en périphérie de Draguignan, représente en effet [20-30] % des surfaces de vente en centre commercial de l'agglomération, alors que Carrefour est propriétaire de l'intégralité des surfaces d'une autre galerie commerciale relevant de l'agglomération de Draguignan (Le Salamandrier), représentant [30-40] % des surfaces de vente en centre commercial de cette zone, soit une part de marché cumulée de [60-70] %. L'agglomération de Draguignan ne comportant aucun GCC et CCR, les parts de marchés des parties sont identiques en retenant une segmentation par type de centre commercial. De plus, l'opération envisagée conduirait à un IHH supérieur aux seuils de sécurité retenus par les lignes directrices de l'Autorité de la concurrence et de la Commission européenne. En effet, à l'issue de l'opération envisagée, l'IHH s'établirait à environ [...] dans l'agglomération de Draguignan, avec un delta supérieur à [...].
38. La partie notifiante présente en outre une analyse des conditions de concurrence dans une zone de chalandise de 30 minutes en voiture autour de l'hypermarché de Trans en Provence, qui inclut deux GCC situés à Puget-sur-Argens et à Fréjus. Selon la partie notifiante, l'extension de la zone géographique pertinente serait justifiée dans la mesure où ces deux centres commerciaux contiennent tous les deux un hypermarché (sous enseigne Carrefour et Géant) et une galerie commerciale de plus de 12 000 m². En retenant cette zone de chalandise, la part de marché cumulée de Carrefour à l'issue de l'opération serait de l'ordre de [20-30] %.
39. Toutefois, la quasi-totalité des répondants au test de marché, parmi lesquels notamment des gestionnaires pour compte propre de centre commerciaux et des commerçants locataires, ont indiqué que le niveau local (agglomération) constitue la zone géographique pertinente pour l'analyse des conditions de la concurrence sur le marché de la gestion pour compte propre des centres commerciaux, sauf dans les zones peu densément peuplées, ce qui n'est pas le cas du département du Var (23). Il ne ressort donc pas de l'instruction que les centres commerciaux situés à Puget-sur-Argens et à Fréjus proposent une offre substituable pour les demandeurs d'emplacements en centres commerciaux à Draguignan.
40. Outre les centres commerciaux Le Salamandrier et de Trans en Provence, il existe un autre centre commercial situé dans la commune des Arcs sur Argens (24), à environ 11 km du centre-ville de Draguignan (contre 3 km et 6 km pour les deux centres commerciaux concernés par l'opération). Ce centre commercial contient une galerie commerciale de plus de 5 000 m² avec 33 unités (hors un hypermarché sous enseigne Hyper U) et représente [30-40] % des surfaces de vente en centre commerciaux (marché global et PCC) dans l'agglomération. Le propriétaire de ce centre commercial indique ne pas disposer de capacités disponibles susceptibles d'absorber d'éventuels reports significatifs de demande en cas de hausse des prix dans les centres commerciaux détenus par Carrefour à l'issue de l'opération.
41. On relève en outre dans l'agglomération de Draguignan la présence de deux galeries marchandes de taille modeste et sans la présence de grandes enseignes nationales. Une première galerie d'une surface de 1 860 m² avec 5 unités (hors un supermarché sous enseigne Intermarché) est située dans la ville de Draguignan. Une seconde galerie, attenante à un petit hypermarché de 2 500 m² sous enseigne Casino, est située dans la commune du Muy, et représente une superficie de plus de 800 m² avec une dizaine d'unités. Eu égard à leur superficie réduite et à l'absence d'enseigne nationale et d'hypermarché de grande dimension de nature à attirer un flux de clientèle comparable à celui des centres commerciaux concernés, ces deux galeries ne semblent toutefois pas en mesure d'exercer une pression concurrentielle importante sur les centres commerciaux.
42. La partie notifiante indique que la Commission Nationale d'Aménagement du Territoire a récemment délivré une autorisation de création du " Pôle touristique de la mode " au Muy, d'une surface de vente de plus de 20 000 m² et devant accueillir plus d'une centaine de boutiques. Il ressort cependant de l'instruction que cette autorisation fait actuellement l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat. Eu égard à l'incertitude de sa réalisation, ce projet ne peut être analysé comme un contrepoids concurrentiel certain aux centres commerciaux de la zone. La partie notifiante n'indique pas d'autres projets qui seraient actuellement en cours d'analyse devant la Commission Départementale d'Aménagement du Territoire du Var.
43. Les centres commerciaux de Trans en Provence et Le Salamandrier sont situés à proximité immédiate du centre-ville de Draguignan (moins de 10 minutes en voiture). Il ressort de l'instruction que les commerces de détail situés en centre-ville de Draguignan sont variés et conservent une attractivité importante, même en dehors de la saison touristique. A cet égard, les données de la Chambre de commerce et d'industrie du Var communiquées par la partie notifiante montrent qu'entre 2007 et 2012, le nombre de commerces de détail " traditionnels " (inférieurs à 300 m²) en centre-ville de Draguignan a augmenté d'un peu moins de 4 % (passant de 241 à 250 commerces) et celui des locaux disponibles de près de 19 % (passant de 128 à 152). Une analyse de l'offre commerciale en centre-ville de Draguignan montre que toutes les activités proposées par les boutiques présentes dans les centres commerciaux concernés (équipement de la personne, beauté/santé, culture/loisirs, équipement du foyer) sont également disponibles en plus grande quantité dans le centre-ville de Draguignan. On peut estimer que le centre-ville de Draguignan est composé d'environ 300 boutiques alors que les centres commerciaux du Salamandrier et de Trans en Provence contiennent 55 unités. Toutefois, il ressort du test de marché que, du point de vue des consommateurs, les commerces de centre-ville et ceux présents en centres commerciaux sont imparfaitement substituables, les centres commerciaux captant majoritairement une clientèle habitant la périphérie de Draguignan et se déplaçant en voiture. En outre, du point de vue des enseignes preneuses à bail, l'offre du centre-ville de Draguignan et celle des centres commerciaux de périphérie apparaissent complémentaires, dans la mesure où les enseignes présentes dans ces derniers ne sont dans la plupart des cas pas présentes en centre-ville.
44. La capacité de Carrefour à augmenter le niveau des loyers dans les centres commerciaux qu'il contrôlera à Draguignan à l'issue de l'opération sera toutefois contrainte par trois facteurs, tenant aux incitations de la nouvelle entité, au contrepouvoir des preneurs à bail et de l'encadrement légal des prix.
45. Premièrement, les résultats du test de marché indiquent que l'incitation d'un propriétaire de centres commerciaux à augmenter les loyers des commerces locataires est limitée dans la mesure où il doit conserver un " mix " d'enseignes à même de préserver l'attractivité de ses centres commerciaux. Ce " mix " inclut des commerces n'ayant pas tous la même capacité à payer des loyers élevés (grandes enseignes nationales, services de proximité, etc.). Certains répondants ont souligné que Carrefour, qui détient les hypermarchés situés dans les centres commerciaux concernés par l'opération, est encore moins incité à pratiquer des loyers élevés, afin de conserver également l'attractivité et la rentabilité de ses hypermarchés. A cet égard, les données communiquées par la partie notifiante confirment l'existence d'un écart tarifaire entre le groupe Carrefour et des opérateurs immobiliers qui ne sont pas soumis à cet impératif. Il apparaît en effet que le taux d'effort moyen (25) du parc Carrefour ([5-10] %) est inférieur à celui constaté dans les parcs Mercialys ([5-10] %), Klépierre ([10-20] %) ou Unibail ([10-20] %).
46. Deuxièmement, la capacité d'une société foncière propriétaire de centres commerciaux à imposer des hausses de loyers apparaît limitée dans le cadre de ses négociations avec des enseignes nationales. Il ressort en effet du test de marché que celles-ci disposent d'un contrepouvoir face aux bailleurs résultant de leur attractivité et de leur capacité à s'engager sur plusieurs sites leur permettant de négocier plusieurs baux à la fois. La partie notifiante précise qu'au cas d'espèce la majorité des commerces implantés dans les centres commerciaux de Trans en Provence et du Salamandrier sont des enseignes disposant de plusieurs points de ventes, voire des grandes enseignes nationales.
47. Troisièmement, d'éventuelles augmentations de loyers seraient encadrées par le régime juridique des loyers des baux commerciaux. Le Code de commerce organise le plafonnement de la révision des loyers des baux commerciaux à renouveler d'une durée de neuf années par application d'indices de révision des loyers (26). Au cas d'espèce, Carrefour précise que [confidentiel] des baux conclus dans le centre commercial cible et [confidentiel] des baux du centre commercial Le Salamandrier, qui sont d'une durée supérieure à neuf ans, contiennent une clause prévoyant que le loyer du bail renouvelé sera fixé par référence aux prix pratiqués dans des locaux équivalents du centre commercial, sauf à être corrigé en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence. Pour les baux qui ne contiennent aucune clause spécifique et qui sont d'une durée supérieure à neuf ans, les règles de plafonnement ne s'appliquent pas mais les loyers ne peuvent être révisés lors du renouvellement qu'en application des critères de l'article L. 145-33 du Code de commerce, en vertu duquel les loyers des baux commerciaux à renouveler doivent correspondre à leur valeur locative (27). En outre, la révision triennale des loyers en cours de bail est plafonnée, en vertu du Code de commerce, par les indices de référence applicable (28). En cas de désaccord, le juge peut être saisi afin qu'il nomme un expert chargé de déterminer le montant du loyer en application des clauses contractuelles ou, à défaut, en application des critères de l'article L. 145-33 du Code de commerce. Enfin, le refus de renouvellement du bail d'un locataire peut représenter un coût important pour un propriétaire de centre commercial, dans la mesure où il doit lui payer une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement (29).
48. Il résulte de ce qui précède que, malgré la détention de la majorité des surfaces de centres commerciaux dans l'agglomération de Draguignan, le groupe Carrefour ne serait ni incité, ni capable d'imposer une augmentation significative des loyers du centre commercial à Trans en Provence à l'issue de l'opération, compte tenu de l'impact d'une telle politique sur la rentabilité de l'hypermarché sous enseigne Carrefour, du contrepouvoir des preneurs et de l'encadrement de son comportement tarifaire.
49. Il ressort de ce qui précède que l'opération envisagée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché de la gestion pour compte propre de centres commerciaux dans l'agglomération de Draguignan.
DECIDE
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 13-251 est autorisée.
Notes :
1 Document de Référence, Rapport Financier Annuel du groupe Carrefour, 2012.
2 Outre les actifs de Klépierre dans 57 galeries commerciales situées en France, Carrefour acquiert les actifs de Klépierre dans 63 galeries commerciales en Espagne et 7 en Italie, soit 127 galeries commerciales au total. La prise de contrôle des actifs en Espagne a fait l'objet d'une notification auprès de l'autorité espagnole de concurrence le 31 janvier 2014.
3 Les [...] autres actionnaires dans Covicar 23 sont [confidentiel].
4 Voir notamment les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 13-DCC-180 du 3 juillet 2013 relative à la prise de contrôle conjoint du pôle de compétences urbaines de Bordeaux par la société Midi Foncière 2 et la Caisse des Dépôts et Consignations ; n° 11-DCC-178 du 13 décembre 2011 relative à la prise de contrôle conjoint par la Caisse des Dépôts et Consignations et CNP Assurances de la société Althazar SAS ; n° 10-DCC-112 du 17 septembre 2010 relative à la prise de contrôle conjoint par Prédica et Altaréa de la société Alta Marigny Carré de Soie ; la décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-13 du 29 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif par Icade S.A. de la Compagnie la Lucette S.A ; la lettre du ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi C2008-79 du 22 août 2008, aux conseils des sociétés CDC et Eurosic, relative à une concentration dans le secteur de l'immobilier.
5 Voir la lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie C2002-112 du 8 novembre 2002 aux conseils de la société Gecina relative à une concentration dans le secteur des actifs immobiliers.
6 Voir la décision de l'Autorité de la concurrence n° 11-DCC-178 du 13 décembre 2011, précitée ; les lettres du ministre de l'économie C 2007-85 du 16 juillet 2007 aux conseils de la société Compagnie Altarea Habitation, relative à une concentration dans le secteur de la promotion immobilière résidentielle et C 2006-151 du 10 janvier 2007 au conseil du groupe Société Nationale Immobilière, relative à une concentration dans le secteur du développement et de la gestion de parc immobilier à vocation essentiellement résidentielle ; la décision de la Commission européenne COMP/M.3370 du 9 mars 2004, BNP Paribas/Ari.
7 Voir les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 11-DCC-178 du 13 décembre 2011 et n° 10-DCC-112 du 17 septembre 2010, précitées et la lettre du ministre de l'économie C2007-52 du 22 mai 2007 aux conseils de la société Unibail, relative à une concentration dans le secteur des services immobiliers.
8 Voir la lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie C2005-126 précitée.
9 Voir la décision de l'Autorité de la concurrence n° 11-DCC-178 du 13 décembre 2011 et la lettre du ministre de l'économie C2007-52 du 22 mai 2007, précitées.
10 Décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-112 du 17 septembre 2010 et les lettres du ministre de l'économie C2007-85 du 16 juillet 2007 et C2007-52 du 22 mai 2007, précitées.
11 Décision de l'Autorité de la concurrence n° 11-DCC-178 du 13 décembre 2011, précitée.
12 Aux fins de l'estimation des parts de marché de la nouvelle entité au niveau local, la partie notifiante a retiré les surfaces dites " auto-occupées " c'est-à-dire les surfaces commerciales détenues et exploitées par Carrefour et ses concurrents dans le cadre de leurs activités de distribution alimentaires, non susceptibles d'être louées à des tiers et non disponibles sur le marché. Aucune statistique ne permettant de distinguer entre les surfaces commerciales auto-occupées et les surfaces louées à des tiers, Carrefour a considéré que les surfaces des hypermarchés étaient toujours contrôlées et occupées par leur exploitant (sauf 5 exceptions).
13 Incluant les surfaces " auto-occupées ".
14 Incluant les surfaces " auto-occupées ".
15 Les actifs repris dans l'agglomération de Montpellier concernent les 2 231 m² de surfaces commerciales d'un PCC dans laquelle Carrefour ne détient aucune surface (hors la surface auto-contrôlée). En revanche, Carrefour détient dans cette agglomération cinq unités (représentant 406 m²) situées dans une galerie marchande inférieure aux seuils des PCC.
16 Les actifs repris dans l'agglomération de Châteauroux concernent les 3 580 m² de surfaces commerciales d'une galerie d'un PCC dans laquelle Carrefour ne détient aucune surface (hors la surface auto-contrôlée). En revanche, Carrefour détient dans cette agglomération neuf unités (représentant 939 m²) situés dans une galerie marchande inférieure aux seuils des PCC.
17 Les actifs repris à Hazebrouck concernent une galerie marchande de 1 295 m² avec 13 unités inférieure aux seuils des PCC.
18 Les actifs repris à Laon concernent une galerie marchande de 891 m² avec 9 unités inférieure aux seuils des PCC.
19 Les actifs repris à Grenoble concernent (i) une galerie commerciale inférieures aux seuils des PCC, (ii) une galerie commerciale dans un PCC et (iii) une galerie commerciale en GCC. Il n'existe de chevauchement d'activités entre Carrefour et Klépierre que pour la galerie commerciale inférieures aux seuils des PCC (Carrefour détient une seule unité sur les 14 qui la composent).
20 Les actifs repris à Nice concernent une galerie commerciale dans un PCC et une galerie commerciale en GCC. Il n'existe de chevauchement d'activités entre Carrefour et Klépierre que pour la galerie commerciale en GCC (Carrefour détient une seule unité sur les 50 qui la composent).
21 Carrefour acquiert également sept des dix unités d'une galerie marchande située à Paimpol, dont il détenait trois unités jusqu'à présent. La galerie est située à proximité du centre-ville qui contient un nombre important de boutiques proposant les mêmes services.
22 Sur l'agglomération de Nantes, Carrefour reprend également 666 m² d'une galerie marchande dont elle détenait déjà 800 m². Cette acquisition n'est pas de nature à modifier l'analyse concurrentielle.
23 La densité de population du département du Var est sensiblement supérieure à densité moyenne en France métropolitaine (168,7 dans le département du Var (année 2009) contre 117 en France métropolitaine (année 2013)), source INSEE.
24 Les Arcs sur Argens font partie de la Communauté d'agglomération dracénoise qui regroupe la municipalité de Draguignan ainsi que 18 autres communes adjacentes.
25 Le taux d'effort correspond au rapport entre le coût pour les commerçants locataires correspondant au paiement de leur loyer et de leurs charges par rapport à leur chiffre d'affaires annuel.
26 Article L. 145-34 du Code de commerce.
27 Cette valeur locative est déterminée en fonction (i) des caractéristiques du local, (ii) de la destination des lieux, (iii) des obligations respectives des parties, (iv) des facteurs de commercialité et (v) des prix couramment pratiqués dans le voisinage.
28 L. 145-38 du Code de commerce. Le propriétaire peut toutefois demander le déplafonnement " s'il rapporte la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative "
29 Article L. 145-14 du Code de commerce.