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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 15 avril 2014, n° 13-00619

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Albi Camping Cars (SARL)

Défendeur :

Dinter (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chassery

Conseillers :

M. Prouzat, Mme Olive

Avocats :

Mes Couturier, Servieres, Pepratx Negre, Randavel

T. com. Rodez, du 18 déc. 2012

18 décembre 2012

Faits et procédure - moyens et prétentions des parties :

La SARL Albi Camping Cars, qui a son siège social à Puygouzon (81) et un établissement secondaire à la Primaube (12), a pour activité l'achat, la vente, la réparation et la location de camping-cars.

Elle a embauché, par contrat de travail à durée indéterminée du 19 juillet 2006, Philippe Dintillac en qualité de vendeur, affecté à l'établissement secondaire de la Primaube ; par lettre recommandée du 7 janvier 2011, celui-ci a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

Le 25 mars 2011, M. Dintillac a créé avec un associé, M. Terrié, une SARL Dinter, dont il est le gérant, ayant son siège à Luc la Primaube (12) et pour objet l'achat, la vente, la réparation, la location, la maintenance et l'installation de tous véhicules de loisirs terrestres ou non, à moteur ou non, véhicules automobiles immatriculés ou non, remorques, camping cars, bateaux, motocyclettes, caravanes, mobil home et chalets, sous l'enseigne " Aveyron Camping Car ".

Reprochant à la société Dinter divers agissements de concurrence déloyale et de parasitisme, la société Albi Camping Cars l'a faite assigner, par acte du 8 novembre 2011, en responsabilité et indemnisation de son préjudice devant le tribunal de commerce de Rodez.

Par jugement du 18 décembre 2012, le tribunal a débouté la société Albi Camping Cars de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Dinter la somme de 3500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Albi Camping Cars a régulièrement relevé appel de ce jugement en vue de sa réformation.

Elle demande à la cour (conclusions reçues par le RPVA le 19 avril 2013) de condamner la société Dinter à lui payer la somme provisoire de 150 000 euro à valoir sur l'indemnisation de son préjudice et d'ordonner une expertise afin d'examiner les documents financiers et comptables des deux sociétés, d'analyser l'évolution des chiffres d'affaires et activités respectives et d'évaluer le préjudice et le manque à gagner subis par elle ; elle sollicite que l'expertise s'effectue aux frais avancés de la société Dinter et que celle-ci soit condamnée à lui régler la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :

- si la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail de M. Dintillac n'intégrait pas le département de l'Aveyron, l'intéressé était néanmoins tenu à une obligation de discrétion et au secret professionnel, tels qu'exprimés à l'article 7 du contrat,

- la société Dinter a non seulement plagié sa dénomination commerciale, mais s'est établie sur la même avenue ([...]), à 800 m à vol d'oiseau,

- elle a désorganisé son activité en provoquant la démission à 24 heures d'intervalle, les 15 et 16 avril 2011, d'un chef d'atelier (M. Gaubert), qu'elle a immédiatement embauché, et d'un technicien (M. Patel), auquel elle a recours en qualité d'auto entrepreneur, ces deux démissions s'étant produites, alors que l'activité de l'atelier était optimale,

- lors de sa création, la société Dinter a fait paraître deux articles dans les journaux " Midi-Libre " et " Centre Presse " des 5 et 11 mai 2011 citant sa présence sous l'enseigne " Aveyron Camping Cars " avec pour photo d'illustration celle de son propre parc d'exposition,

- elle a également fait publier, comme elle, des annonces de vente de camping cars sur le site Internet " Le bon coin " et M. Dintillac s'est livré à une captation de sa clientèle, qu'il connaissait, grâce notamment à son téléphone portable personnel, dont il se servait pour les besoins de son activité lorsqu'il était à son service,

- sur son parc d'exposition, la société Dinter utilise des drapeaux de marques " Challenger " et " Font Vendôme ", en dépit de l'exclusivité, dont elle-même bénéficie,

- les constructeurs de camping cars, comme la société France Burstner, ont été démarchés par elle, ce qui a entraîné une confusion au sein du réseau de distribution,

- dans le courant des mois de septembre et octobre 2010, M. Dintillac, qui projetait déjà la constitution d'une société avec M. Terrié, a pris contact avec M. Costes en vue du rachat de son entreprise de location et vente de camping cars exploitée à Luc la Primaube, ce qui traduit, de sa part, des manœuvres préparatoires, antérieures à son départ,

- la société Dinter a démarché la société Dethleffs, dont elle était elle-même le distributeur exclusif pour l'Aveyron, laquelle a résilié son contrat de concession sans préavis par lettre du 22 juillet 2011,

- alors qu'elle bénéficiait de contrats de distribution exclusive de diverses marques (Pilote, Chausson, Challenger, Mac Louis), la société Dinter a, enfin, communiqué auprès de la clientèle via Internet pour proposer la vente et la réparation de véhicules " toutes marques ",

- l'ensemble de ces procédés caractérise l'existence d'actes de concurrence déloyale ou, à tout le moins, d'actes de concurrence parasitaires,

- ils ont eu pour effet un effondrement de plus de 40 % du chiffre d'affaires au cours de la période du 15 avril 2011 au 16 juin 2012.

La société Dinter conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de la société Albi Camping Cars à lui payer la somme de 6 000 euro en remboursement de ses frais irrépétibles (conclusions reçues par le RPVA le 12 juin 2013) ; elle soutient que M. Dintillac n'était pas lié, aux termes de son contrat de travail, par une obligation de non concurrence sur le département de l'Aveyron, que la démission des deux collaborateurs de la société Albi Camping Cars, à l'origine de la prétendue désorganisation de son entreprise, ne peut lui être imputée et que celle-ci ne justifie pas davantage d'actes parasitaires de nature à établir une concurrence déloyale de sa part ; elle ajoute que les contacts pris avec M. Costes au cours du premier semestre 2010 pour la reprise du fonds de commerce de celui-ci l'ont été avec M. Terrié seul et que M. Dintillac, qui n'était pas alors associé à ce projet de reprise, est intervenu auprès de la société Albi Camping Cars, son employeur, pour la constitution d'un dépôt-vente sur une partie du parc de M. Costes, aujourd'hui en liquidation judiciaire ; elle conteste, par ailleurs, l'illicéité de ses communications au public via Internet eu égard à l'exclusivité, dont bénéficierait la société Albi Camping Cars, dans la distribution des véhicules de certaines marques et fait valoir que celle-ci n'a pas contesté en justice la résiliation de son contrat de concession avec la société Dethleffs France en raison d'une absence de commandes pour les années 2009, 2010 et 2011 ; enfin, elle indique que la société Albi Camping Cars, qui ne saurait solliciter une expertise pour pallier sa carence dans l'administration de la preuve, n'établit l'existence d'aucun préjudice en rapport avec les agissements, qu'elle lui reproche.

C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 20 février 2014.

Motifs de la décision :

Force est de constater, en premier lieu, que M. Dintillac ne se trouvait pas assujetti à une obligation de non concurrence résultant de son contrat de travail, circonscrite au département de l'Aveyron, et que s'il était tenu, aux termes de l'article 7 de son contrat, par une obligation générale de réserve, de discrétion et de confidentialité sur toutes les informations d'ordre technique, commercial et social, qu'il aurait eu à connaître, rien ne permet d'affirmer qu'après la rupture de son contrat de travail, il ait utilisé, dans le cadre de l'exploitation de la société Dinter, des informations privilégiées, qu'il possédait, pour détourner la clientèle de son ancien employeur.

L'embauche de salariés du concurrent n'est pas en soi constitutif de concurrence déloyale, sauf s'il est établi que cette embauche procède, de la part du nouvel employeur, d'une incitation au départ des salariés, attirés par la promesse d'une rémunération plus élevée ou de conditions de travail plus favorables ; en l'occurrence, l'existence de manœuvres déloyales ne peut être déduite de la concomitance des démissions de MM. Patel et Gaubert, respectivement technicien et chef d'atelier au service de la société Albi Camping Cars, par lettres des 15 et 16 avril 2011, ni de l'embauche de M. Gaubert par la société Dinter à compter du 16 mai 2011, à l'issue de sa période de préavis.

Le fait pour M. Dintillac d'avoir continué à se servir, pour les besoins de son activité au sein de la société Dinter, de son téléphone portable personnel n'est pas davantage constitutif de concurrence déloyale, dès lors qu'il n'est résulté, dans l'esprit de la clientèle, aucune méprise quant à la nature de sa nouvelle activité ; il en est de même des contacts pris par l'intéressé auprès des divers constructeurs de camping cars en vue de la distribution, via la société Dinter, de leurs produits, aucun élément n'établissant que le démarchage de ces constructeurs, comme la société France Burstner ou la société Socanor diffusant la marque " Adria ", se soit accompagné de pratiques illicites, tel un dénigrement de la société Albi Camping Cars ou de ses méthodes de vente ; la résiliation par la société Dethleffs France, par courrier recommandé du 23 juillet 2011, du contrat de distribution la liant à la société Albi Camping Cars est motivée par l'absence de toute vente au cours des saisons 2009, 2010 et 2011, caractérisant, selon ce constructeur, un manque d'intérêt notoire de son cocontractant pour la marque, et la conclusion par celui-ci d'un nouveau contrat de distribution avec la société Dinter n'est en rien révélateur d'un agissement de concurrence déloyale.

Il importe peu que dans le courant du mois de septembre 2010, M. Dintillac, alors salarié de la société Albi Camping Cars, ait eu, avec M. Terrié, des contacts avec un certain Michel Costes, auquel ils ont fait part de leur projet de création d'une société au 1er trimestre 2011, en vue du rachat de son entreprise de location et vente de camping car exploitée à la Primaube ; en effet, il n'est pas résulté de ces contacts, qui n'ont pas abouti, une captation de la clientèle de la société Albi Camping Cars.

L'appelante reproche, par ailleurs, à la société Dinter divers agissements de concurrence parasitaire, tenant au plagia de sa dénomination sociale, à son installation sur la même avenue, à l'utilisation d'une photographie de son propre parc d'exposition pour illustrer des articles parus dans la presse locale, à l'imitation de ses procédés de ventes par annonces publiés sur le site " leboncoin.fr ", à l'emploi des mêmes drapeaux de marques sur son parc d'exposition et à sa communication sur Internet pour proposer à la clientèle la vente et la réparation de véhicules " toutes marques " sans être distributeur exclusif.

Le rapprochement, dans l'esprit du public, entre les deux sociétés en raison de la proximité de leurs lieux d'exploitation ([...]) aurait été réel si celles-ci avaient eu des enseignes commerciales similaires, ce qui n'est pas le cas puisque la société Albi Camping Cars exploite son établissement de la Primaube sous l'enseigne " Loisirs 12 ", tandis que la société Dinter exploite le sien sous l'enseigne " Aveyron Camping Car " ; en outre, l'inclusion du mot " Camping Car " dans la dénomination commerciale d'une société de négoce de véhicules de loisirs ne traduit pas un effort de création particulier de la part de son auteur, au point que la reproduction de ce mot dans l'enseigne d'un concurrent, associé au département dans lequel il exploite son activité, puisse être considérée comme fautive.

Il n'est pas établi que la publication, dans l'édition du 28 avril 2011 du journal " Centre Presse ", d'une photographie du parc d'exposition de la société Albi Camping Cars pour illustrer un article consacré au salon des loisirs et des véhicules de plein air organisé les 7 et 8 mai 2011 à Sébazac-Concourès, soit le fait de la société Dinter, plutôt que du journaliste, rédacteur de l'article ; au surplus, cette photographie banale, montant un alignement de camping cars sur un parking, figure dans un article où la participation de la société Dinter au salon n'est même pas mentionnée ; quant à l'article paru dans l'édition du " Midi-Libre " du 5 mai 2011, il ne comporte aucune photographie du parc d'exposition de la société Albi Camping Cars.

L'insertion d'annonces sur le site " leboncoin.fr ", proposant la vente ou le rachat de camping cars d'occasion, constitue un procédé commercial répandu, y compris chez les professionnels du secteur d'activité concerné, qui ne peut donc être regardée comme de nature à caractériser une concurrence parasitaire ; il n'est pas, non plus, justifié, au vu des pièces produites, que la société Dinter utilise, sur son parc d'exposition, des drapeaux de marque " Challenger " ou " Fort Vendôme ", bien que ne bénéficiant qu'aucune exclusivité pour la distribution des produits de ces marques ; enfin, le grief, qui lui est fait d'indiquer, dans ses communications au public, notamment sur Internet, " vente de véhicules neufs et d'occasion toutes marques ", n'apparaît pas fondé, dès lors que les contrats de distribution exclusive, dont la société Albi Camping Cars serait titulaire, se sont pas communiqués et qu'en toute hypothèse, la société Dinter ne se prévaut pas, dans ses communications, d'une qualité de distributeur exclusif de telle ou telle marque, qui serait usurpée.

Même appréciés de façon globale, les actes reprochés à la société Dinter ne peuvent ainsi être considérés comme constitutifs d'une concurrence déloyale ou parasitaire au préjudice de la société Albi Camping Cars ; c'est, en conséquence, à juste titre que le premier juge a débouté celle-ci de l'ensemble de ses demandes.

Succombant sur son appel, la société Albi Camping Cars doit être condamnée aux dépens, ainsi qu'à payer à la société Dinter la somme de 2000 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme dans toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Rodez en date du 18 décembre 2012, Condamne la société Albi Camping Cars aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Dinter la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code.