CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 11 avril 2014, n° 13-17087
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Guess' IP Holder LP (Sté), Guess Europe (SAGL), Guess France (SASU)
Défendeur :
ETNR (EURL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Aimar
Conseillers :
Mmes Nerot, Renard
Avocat :
Me Hoffman-Attias
Vu le jugement réputé contradictoire en date du 6 juin 2013 du Tribunal de grande instance de Paris 1re section,
Vu l'appel en date du 21 août 2013 des sociétés de droit américain Guess' IP Holder, de la société de droit suisse Guess Europe et de la SASU Guess France,
Vu les dernières conclusions des sociétés Guess précitées appelantes signifiées à l'EURL ETNR, intimée défaillante, le 3 février 2014,
Vu l'ordonnance de clôture en date du 27 février 2014,
Sur ce, LA COUR,
Il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures des parties,
Il sera simplement rappelé que :
La société Guess' IP Holder LP, la SAGL Guess Europe et la SASU Guess France appartiennent au groupe Guess qui exerce une activité de conception, de fabrication et de commercialisation de vêtements de prêt à porter et d'accessoires de mode sous différentes marques Guess.
La société Guess' IP Holder se présente comme étant titulaire des marques suivantes :
- la marque verbale communautaire Guess n° 135681 déposée le 1er avril 1996 dans les classes 3, 9, 14, 18, 24 et 25,
- la marque communautaire semi figurative Guess n° 135640 déposée le 1er avril 1996 pour les classes 3, 9, 14, 18, 24, et 25,
- la marque française semi figurative Guess enregistrée sous le n° 1361412 déposée le 2 mai 1986 pour les classes 3, 8, 9, 14, 21, 22, 24 et 24,
- la marque communautaire verbale Guess By Marciano déposée le 8 février 2002 enregistrée sous le n° 2569069 pour la classe 25.
La société Guess Europe a pour activité la conception, la fabrication, la distribution et la promotion de vêtements et des accessoires de la marque Guess sur le territoire de l'Union européenne et notamment la France.
La société Guess France commercialise les produits Guess dans différents magasins intitulés Guess Stores à Paris.
Les sociétés Guess ont été alertées par le service des douanes d'une mise en retenue douanière le 9 octobre 2012 portant sur des tee-shirts susceptibles de contrefaire les marques Guess.
Le service des Douanes a indiqué que 192 articles étaient en cause, que le détenteur des marchandises litigieuses était monsieur Le Maghnouji Tophique, gérant de la société ETNR
Estimant pourvoir reprocher des faits de contrefaçon à cette dernière, les sociétés Guess ont, selon acte d'huissier du 19 octobre 2012 fait assigner celle-ci devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de marques et en concurrence déloyale et parasitaire.
Suivant jugement dont appel, le tribunal a essentiellement :
- déclaré la société Guess' IP Holder irrecevable à agir en contrefaçon de la marque communautaire verbale Guess déposée le 1er avril 1996 sous le n° 135681, de la marque communautaire semi figurative Guess déposée le 1er avril 1996 sous le n° 135640, de la marque communautaire verbale Guess By Marciano déposée le 8 février 2002 sous le n° 2569069 pour la classe 25,
- débouté la société Guess' IP Holder de sa demande en contrefaçon de la marque semi-figurative française Guess' Déposée le 2 mai 1986 sous le n° 1361412 pour les classes 3, 8, 9, 14, 21, 22 24 et 25,
- débouté les sociétés Guess Europe et Guess France de leur demande au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaire,
- débouté les sociétés Guess de leur demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile,
- dit n'y avoir à exécution provisoire du jugement,
- condamné les sociétés Guess aux dépens.
En cause d'appel les sociétés Guess appelantes demandent essentiellement dans leurs dernières écritures signifiées à l'intimée défaillante le 3 février 2014 de :
- infirmer le jugement déféré,
- statuant à nouveau,
- dire recevables et bien fondées l'ensemble des demandes des sociétés Guess et notamment déclarer recevables à agir en contrefaçon des marques n° 135681, 135640, 1361412 et 2569069,
- dire que la société ETNR s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon de marques au préjudice de la société Guess' IP Holder LP,
- dire que la société ETNR s'est rendu coupable d'actes de parasitisme au préjudice des sociétés Guess Europe SAGL et Guess France,
- en conséquence,
- condamner la société ETNR à verser à :
* la société Guess' IP Holder LP la somme de 11 520 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la contrefaçon de marque,
* aux sociétés Guess Europe et Guess France la somme de 50 000 euros à titre de dommages en réparation du préjudice né des actes de parasitisme,
- ordonner des mesures d'interdiction sous astreinte, sur l'ensemble du territoire de la Communauté européenne,
- ordonner la publication de la décision à intervenir,
- condamner la société ETNR à leur verser la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile..
La société ETNR n'a pas comparu.
Sur la recevabilité des demandes en contrefaçon de la marque communautaire verbale Guess déposée le 1er avril 1996 sous le n° 135681 et de la marque communautaire semi figurative Guess' déposée le 1er avril 1996 sous le numéro 135640 et de la marque Guess BY MARCIANO déposée le 8 février 2002 sous le n° 2569069,
La société Guess' IP Holder LP justifie être titulaire des marques précitées suite à une cession intervenue à son bénéfice par la société Guess' Inc comme cela résulte des deux notifications émises par l'OHMI.
Il convient en conséquence, réformant le jugement de ce chef, de déclarer la société Guess' IP Holder LP recevable à agir en contrefaçon de ces marques.
Il convient par ailleurs de confirmer le tribunal en ce qu'il a déclaré cette même société recevable à agir en contrefaçon de la marque semi figurative française Guess' déposée à son nom le 2 mai 1986 sous le n° 1361412 pour les classes 3, 8, 9, 14, 21, 22, 24 et 25.
Sur les demandes en contrefaçon des marques communautaires verbales Guess déposée le 1er avril 1996 sous le n° 135681 dans les classes 3, 9, 14, 18, 24 et 25, de la marque communautaire semi figurative Guess' déposée le 1er avril 1996 sous le numéro 135640 dans les classes 3, 9, 14, 18, 24 et 25, de la marque Guess By Marciano déposée le 8 février 2002 sous le n° 2569069 dans la classe 25 et de la marque semi figurative française Guess' déposée le 2 mai 1986 sous le n° 1361412 pour les classes 3, 8, 9, 14, 21, 22, 24 et 25
Le service des douanes a indiqué au conseil en propriété industrielle de la société Guess' IP Holder par Email du 18 octobre 2012 que la personne détentrice des tee-shirts litigieux était monsieur El Maghnouji gérant de la société ETNR dont la boutique est située [...].
Ces éléments sont confirmés par les termes du procès-verbal de constat établi le 12 août 2013 par le service des Douanes des Ulis.
Ces éléments ont été certifiés par monsieur El Maghnouji.
Il ressort de l'extrait K-Bis de la société ETNR que celle-ci a désormais son siège au [...].
Il en résulte que la société ETNR est incriminée dans les faits litigieux.
En application de l'article 9 du Règlement CE 207-2009 du 26 février 2009 la marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires : ...b) d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque communautaire et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque communautaire et le signe, il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque.
Selon l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle sont interdits, sauf autorisation du propriétaire s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public :
a) la reproduction, l'usage, ou l'apposition d'une marque ainsi que l'usage d'une marque reproduite pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement.
B) l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement.
Dans le cadre de la retenue douanière opérée le 9 octobre 2012 deux articles ont été prélevés et sont présentement versés aux débats, ainsi qu'un modèle authentique de la marque Guess.
L'examen comparatif du modèle authentique et du tee-shirt litigieux blanc fait apparaître que sur ce dernier est apposé le logo triangulaire de la marque Guess comportant le signe Guess dans une couleur différente et qu'il est doté d'une étiquette d'entretien non conforme à celle du produit authentique en ce que le liseré de sécurité n'est pas conforme, qu'elle comporte des fautes d'orthographe et présente un format et une taille différente. L'encolure est de taille et de montage différents du modèle original.
Concernant le tee-shirt noir, le logo qui y est apposé reproduit la marque Guess dans une couleur différente de celle du modèle authentique, le liseré n'est pas conforme, l'étiquette d'entretien comporte des fautes d'orthographe et son format et sa taille sont différents de celle du modèle authentique. La référence de l'article est différente sur l'étiquette volante et sur l'étiquette d'entretien.
Il en résulte qu'en raison de l'identité des produits en cause, des tee-shirts, de la similarité des signes en présence il existe un risque de confusion dans l'esprit du public qui ne dispose pas simultanément des produits en cause, de sorte que l'importation par la société ETNR de ces produits est constitutive de contrefaçon.
Il y a lieu en conséquence de réformer le jugement de ce chef de dispositif.
Sur la demande en concurrence déloyale et parasitaire
La société Guess Europe est notamment chargée de la distribution des articles de prêt-à-porter et des accessoires de la marque Guess sur le territoire de l'Union européenne et la société Guess France est l'un des distributeurs des articles de la marque Guess notamment à Paris, de sorte que les faits de contrefaçon des marques Guess précitées sont constitutifs à leur égard, d'actes de concurrence déloyale car le risque d'association entre les produits en cause en raison de la contrefaçon de marque caractérise une atteinte à la commercialisation loyale de produits similaires.
De plus, la fourniture en vue de leur commercialisation de produits contrefaisants porte atteinte à l'image de la marque et à l'organisation de la distribution des produits authentiques.
Il convient en conséquence de réformer le jugement de ce chef de demande.
Sur les mesures réparatrices,
L'article L. 716-14 du Code de la propriété intellectuelle énonce que :
" Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l'atteinte.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. "
En l'espèce la détention en vue de leur commercialisation des 192 tee-shirts retenus par les Douanes aurait nécessairement constitué un bénéfice indu pour la société ETNR de 60 euros prix moyen d'un tee-shirt authentique x 192 : 11 520 euros.
Il convient en conséquence de condamner la société intimée à payer à la société Guess' IP Holder LP ladite somme.
Les faits de concurrence déloyale détournent la clientèle des sociétés distributrices liés à l'écoulement des produits contrefaisants en s'appropriant partie des investissements promotionnels et portent atteinte à leur image par la différence de qualité des produits ainsi diffusés.
Il convient en conséquence de condamner la société intimée à verser aux sociétés Guess Europe SAGL et Guess France la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice.
Il y a lieu pour faire cesser les faits délictueux d'interdire à la société ETNR de poursuivre l'importation, la détention et la commercialisation griffés des marques contrefaisantes Guess sous astreinte de 500 euros par modèle commercialisé et de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt, et ce, sur l'ensemble du territoire de la communauté européenne.
Il convient également, à titre de complément de réparation, de faire droit à la demande de publication de la présente décision selon les modalités prévues au dispositif.
L'équité commande d'allouer aux sociétés appelantes la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les dépens resteront à la charge de l'intimée qui succombe.
Par ces motifs : Réforme le jugement sauf en ce qu'il a déclaré la société Guess' IP Holder LP recevable à agir en contrefaçon de la marque semi figurative française Guess' n° 1361412, Déclare la société Guess' IP Holder LP recevable à agir en contrefaçon de LA marque communautaire verbale Guess déposée le 1er avril 1996 sous le n° 135681, de la marque communautaire semi figurative Guess' Déposée le 1er avril 1996 sous le n° 135640 et de la marque communautaire verbale Guess BY MARCIANO déposée le 8 février 2002 sous le n° 2569069 pour la classe 25, Dit que la société ETNR a commis des actes de contrefaçon des marques dont est titulaire la société Guess' IP Holder LP et des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à l'encontre des sociétés Guess Europe et Guess France, Condamne la société ETNR à payer à la société Guess' IP Holder LP la somme de 11 520 euros et aux sociétés Guess Europe SAGL et Guess France celle de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts, Ordonne l'insertion par extraits du présent arrêt dans trois publications (journal ou magazine) au choix des sociétés Guess, aux frais de la société ETNR, sans que le coût de chaque publication n'excède la somme de 3 500 euros HT. Interdit à la société ETNR de poursuivre l'importation, la détention et la commercialisation griffés des marques contrefaisantes Guess sous astreinte de 500 euros par modèle commercialisé et de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt, et ce, sur l'ensemble du territoire de la communauté européenne. Rejette le surplus des demandes des sociétés appelantes, Condamne la société intimée à payer aux sociétés appelantes la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société intimée aux dépens de première instance et d'appel.