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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 9 mai 2014, n° 12-05565

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Télévision sur lieu de vente (SA)

Défendeur :

Pétroles Shell (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jacomet (faisant fonction)

Conseillers :

M. Richard, Mme Prigent

Avocats :

Mes Lesenechal, Forget, Georges, Fourgoux

T. com. Paris, du 13 févr. 2012

13 février 2012

Vu le jugement du Tribunal de commerce de Paris, du 13 février 2012, ayant :

- condamné la SAS société des pétroles Shell à payer à la SA Télévision sur lieu de vente la somme de 85 000 euro,

- pris acte de ce que la SAS société des pétroles Shell s'est engagée à l'audience du juge rapporteur de régler la facture de 24 219 euro au fur et à mesure des paiements effectués par la SA Télévision sur lieu de vente "TLV" auprès d'Infotrafic,

- débouté la SA Télévision sur lieu de vente de toutes ses autres demandes,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- condamné la SAS société des pétroles Shell à payer à la SA Télévision sur lieu de vente 10 000 euro au titre de l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté par la société la SA Télévision sur lieu de vente.

Vu les dernières conclusions signifiées le 29 janvier 2014 par la SA Télévision sur lieu de vente demandant à la cour sur le fondement des articles L. 442-6 du Code de commerce, 1382 et suivants du Code civil, de :

- débouter la société des pétroles Shell de son appel incident et de toutes les demandes y afférentes,

- confirmer le jugement en ce qu'il a arrêté sa perte d'exploitation au titre de la rupture du contrat avec la Société des Pétroles Shell à la somme de 17 000 euro par mois,

- infirmer en toutes ses autres dispositions, le jugement,

- condamner la Société des pétroles Shell à lui payer la somme de 561 123,70 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la rupture brutale de sa relation commerciale établie avec la Société des Pétroles Shell, somme ramenée à 476 123,70 euro après déduction des dommages et intérêts d'ores et déjà versés à hauteur de 85 000 euro en exécution du jugement du 13 février 2012,

- condamner la Société des pétroles Shell à lui payer la somme de 150 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait de l'atteinte à son image et à sa réputation commerciale par la Société des pétroles Shell postérieurement à la rupture de leur relation commerciale et la somme de 56 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 25 février 2014 par la Société des pétroles Shell demandant à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de réparation des prétendus préjudices liés aux agissements fautifs de la Société des pétroles Shell dans le projet de sous-traitance avec Medialandscape évaluée à 32 019 euro et en ce qu'il a rejeté toute demande de dommages et intérêts pour atteinte à l'image et à la notoriété de TLV évaluée à 150 000 euro,

- infirmer le jugement dans toutes ses autres dispositions et infirmer la société TLV de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société TLV à lui payer de la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 27 février 2014.

Sur ce

Considérant que la société Télévision sur lieu de vente a pour activité l'installation, la maintenance et la fourniture de contenu sur des écrans d'affichage dynamiques ; que la Société des pétroles Shell, exploite un réseau de stations-services en France ; que le 15 janvier 1999, un premier contrat d'une durée de 3 ans avec effet rétroactif au 1er juillet 1998, a été conclu entre la Société des pétroles Shell et la société Télévision sur lieu de vente ayant pour objet la fourniture par celle-ci de services relatifs au fonctionnement d'une chaîne Shell Info TV dans les stations-services Shell ; que ce contrat a été prorogé pour des périodes successives à durée déterminée jusqu'au 30 juin 2011 ; qu'en 2008, la Société des pétroles Shell a lancé un appel d'offres portant sur les services de la chaine Shell Info TV, souhaitant, dans le cadre d'un nouveau contrat, s'orienter vers la promotion de la publicité sur les affichages dynamiques installés dans ses stations-services et pour objectif de faire fonctionner à terme le service Shell Info TV selon la formule de régie dénommée "No Capex - No Opex" : le prestataire de service qui fait fonctionner le service Shell Info TV est uniquement rémunéré par les annonceurs en fonction du volume de publicité diffusée ; que la Société des pétroles Shell et la société Télévision sur lieu de vente ont conclu, le 2 juin 2008, un contrat pour une durée déterminée de trois ans à compter du 1er juillet 2008 jusqu'au 30 juin 2011 ; qu'il était prévu que les parties s'informeraient six mois avant la fin du contrat de leur volonté de le renouveler ; que la Société des pétroles Shell a adressé à la société Télévision sur lieu de vente une lettre simple datée du 22 décembre 2010, intitulée "lettre avenant" aux termes de laquelle elle demandait :

- d'une part de proroger le contrat en cours jusqu'au 30 septembre 2011,

- d'autre part, de renoncer à toute indemnité pour rupture de la relation commerciale établie ; que la société Télévision sur lieu de vente a refusé cette proposition et a, par acte d'huissier du 8 novembre 2011, fait assigner la Société des pétroles Shell devant le Tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir l'indemnisation du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales ce qui a donné lieu au jugement déféré ;

Considérant que la SA Télévision sur lieu de vente fait valoir que :

- la Société des pétroles Shell a rompu brutalement sa relation commerciale établie alors qu'elle même était dans une situation de dépendance économique sur un marché de niche,

- le préavis qui lui a été accordé n'a pas tenu compte de la durée de sa relation commerciale avec la Société des pétroles Shell, et à ce titre n'a pas été raisonnable ; elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 36 mois,

- la Société des pétroles Shell a également eu un comportement fautif et préjudiciable postérieurement à la rupture de la relation commerciale ayant porté atteinte à son image et à sa réputation,

Considérant que la société des pétroles Shell réplique que :

- la société TLV a reçu le courrier le 7 décembre 2010 qui, en manifestant sa volonté de ne pas poursuivre leurs relations commerciales sur la base des mêmes conditions à l'issue du terme du contrat de 2008, par le lancement d'un appel d'offres, a fait courir le délai de préavis de 10 mois,

- la société TLV a refusé de participer à l'appel d'offres, directement ou à travers un partenariat avec la société Medialandscape, et a été à l'origine de la fin de la relation commerciale,

- la société TLV ne démontre aucunement une quelconque situation de dépendance économique vis-à-vis de la Société des pétroles Shell,

- la société TLV ne justifie ni de l'existence ni du quantum du préjudice invoqué ; le calcul de sa marge brute ne correspond pas aux exigences jurisprudentielles les plus récentes ;

Considérant que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dispose : "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels" ;

Considérant que les relations entre la SA Télévision sur lieu de vente et la société des pétroles Shell ont débuté le 1er juillet 1998 jusqu'au 30 juin 2011, soit durant 13 ans et que cette durée caractérise une relation commerciale établie ;

Considérant que la société des pétroles Shell indique avoir notifié à la SA Télévision sur lieu de vente la procédure d'appels d'offres ce qui a fait partir le point de départ du préavis au 7 décembre 2010 pour une fin de relations le 30 septembre 2011 soit d'une durée de 9 mois et 21 jours ; que la SA Télévision sur lieu de vente soutient qu'en réalité, la société des pétroles Shell a accepté une prorogation du contrat jusqu'au 30 juin 2012 et que le délai de préavis a couru à compter du 10 mars 2011, date à laquelle elle lui a notifié de nouvelles conditions contractuelles devant entrer en vigueur le 1er juillet 2011, soit un délai de préavis de 3 mois et 20 jours ;

Considérant que si au cours de l'année 2009, la société des pétroles Shell a proposé à la SA Télévision sur lieu de vente une modification des stipulations contractuelles, celle-ci ne démontre pas l'accord de la société des pétroles Shell pour une prorogation du contrat jusqu'au 20 juin 2012 ; que par courrier du 22 décembre 2010, la société des pétroles Shell, en évoquant les échanges intervenus entre les deux sociétés dans le cadre de la préparation de l'appel d'offre 2011, a proposé la prorogation du contrat jusqu'au 30 septembre 2011 ; que par courrier du 25 février 2011, la SA Télévision sur lieu de vente a répondu qu'elle refusait la prorogation du contrat jusqu'au 30 septembre 2011 ainsi que de participer à l'appel d'offres portant sur une prestation identique mais selon des modalités financières différentes au motif qu'il ne lui paraissait pas viable au vu de sa connaissance du marché français ; que la SA Télévision sur lieu de vente a eu préalablement connaissance par mail du 7 décembre 2010 de la volonté de la société des pétroles Shell d'adopter désormais la procédure d'appel d'offres et de la possibilité de proroger le contrat au 30 septembre 2011, celui-ci n'étant pas reconduit ultérieurement ; que la SA Télévision sur lieu de vente a répondu par mail du 21 décembre 2010 ; qu'il importait que la SA Télévision sur lieu de vente connaisse la date de la rupture des relations commerciales pour faire démarrer le préavis ; que la SA Télévision sur lieu de vente ne peut invoquer ignorer les conditions de l'appel d'offres puisque par courrier du 25 février 2011, elle répond à la société des pétroles Shell à sa lettre datée du 22 décembre 2011 qu'elle dit avoir reçue le 6 janvier 2011 et évoque les multiples échanges relatifs au projet d'appel d'offres portant sur ses prestations ; qu'elle refuse la rupture des relations commerciales en estimant la durée du préavis insuffisante et les modalités de l'appel d'offres non acceptables ce qui implique qu'elle en a pris connaissance ; que ce courrier du 22 décembre 2010 adressé à la SA Télévision sur lieu de vente et reçu le 6 janvier 2011 constitue la notification par la société des pétroles Shell de la rupture avec un terme ferme fixé au 30 septembre 2011 et de sa volonté de désormais recourir à la procédure d'appel d'offres ; Que le point de départ du préavis doit donc être fixé au 6 janvier 2011, date de réception par la SA Télévision sur lieu de vente du courrier l'avisant de la fin des relations commerciales ;

Considérant que la SA Télévision sur lieu de vente fait valoir que l'appel d'offre proposé par la société des pétroles Shell entraînait pour elle un bouleversement économique contractuel lui imposant de se rémunérer exclusivement sur la vente d'espaces publicitaires, à des annonceurs qu'il lui appartenait de rechercher ; que la société des pétroles Shell réplique que la SA Télévision sur lieu de vente n'a pas à contester les modalités de l'appel d'offres qu'elle a lancé ;

Considérant que dans le cadre de l'appel d'offres, la SA Télévision sur lieu de vente se trouve en concurrence avec d'autres sociétés pour obtenir un marché ; que la société des pétroles Shell démontre que plusieurs sociétés ont répondu à l'appel d'offres ; que néanmoins, l'appel d'offres proposant des modalités contractuelles très différentes sur le plan financier de celles du contrat antérieur, il ne peut être reproché à la SA Télévision sur lieu de vente d'avoir refusé d'y participer ;

Considérant que la société des pétroles Shell a eu conscience que la durée du préavis était courte puisqu'elle a spontanément proposé une prolongation de trois mois tout en signifiant à la SA Télévision sur lieu de vente qu'elle devait accepter la rupture sans indemnisation ; que compte tenu de la durée de 13 ans des relations commerciales d'une durée de 13 ans et de l'état de dépendance relative puisque si la société des pétroles Shell représentante 50 % de son marché, cela résulte cependant du seul choix de la SA Télévision sur lieu de vente, la durée de préavis de 12 mois fixée par le tribunal était adaptée et celle proposée par La société des pétroles Shell trop brève ce qui caractérise la brutalité de la rupture et justifie une indemnisation ; que cette durée ne peut être augmentée comme le sollicite la SA Télévision sur lieu de vente car l'évolution des relations commerciales vers un appel d'offres auquel il a été procédé pour les prestations WIFI existait déjà dans le cadre du contrat conclu entre les deux sociétés en 2008, l'article 11 du contrat prévoyant que son renouvellement s'effectuerait dans le cadre d'un appel d'offres ; que si comme la SA Télévision sur lieu de vente le soutient, elle a avec la société des pétroles Shell été pionnière sur un marché de niche consistant en l'affichage dynamique au sein des stations-services sur le réseau routier français, ce marché a évolué très favorablement comme en justifient les articles de presse versés aux débats par la société des pétroles Shell démontrant que les prestations objet du contrat sont en pleine expansion et se sont étendues à d'autres lieux de vente que les stations-services ; que si la SA Télévision sur lieu de vente a nécessairement été contrainte de se positionner sur d'autres marchés que celui des stations-services, ceci résulte d'une évolution économique classique inhérente aux relations commerciales et à la concurrence ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu un préavis de 12 mois ;

Considérant que le préavis ayant débuté le 6 janvier 2011, et la société des pétroles Shell ayant proposé de mettre un terme aux relations en septembre 2011, l'indemnisation portera sur 3 mois et 6 jours ;

Considérant que la SA Télévision sur lieu de vente produit une analyse du cabinet Albergel & Associés qui conclut à une perte d'exploitation mensuelle de 16 890,21 euro par mois pour la SA Télévision sur lieu de vente liée à la rupture du contrat avec la société des pétroles Shell ce qui a conduit le tribunal a fixé à juste titre le montant de l'indemnisation à 17 000 euro par mois ; que le cabinet Albergel & Associés ayant calculé cette marge brute mensuelle sur les trois derniers exercices de l'appelante, la société des pétroles Shell n'est pas fondée à réduire celle-ci de moitié en tenant compte de la proposition de la SA Télévision sur lieu de vente pour la prorogation du contrat ; qu'en conséquence, le préjudice de la SA Télévision sur lieu de vente sera calculé ainsi : 17 000 euro X 3 mois et 6 jours = 51 000 euro + (17 000 : 30 X 6) = 51 000 euro + 3 400 euro = 54 400 euro ; que le montant de l'indemnité allouée par le tribunal sera réduit à cette somme ;

Considérant que la SA Télévision sur lieu de vente soutient que la présence d'un panneau en octobre 2011 se référant à des problèmes techniques supposés justifier l'absence de diffusion constitue une démarche de Shell destinée à lui imputer l'arrêt de diffusion Internet, ce qui porterait nécessairement atteinte à son image commerciale et ce que conteste la société des pétroles Shell dès lors que ces difficultés techniques ont existé et n'ont jamais été associées à la SA Télévision sur lieu de vente ;

Considérant qu'il est versé aux débats un constat en date du 20 octobre 2011 réalisé dans la station-service de l'aire d'Autoroute A6 de Macon-Saint-Albain aux termes duquel l'huissier de justice a relevé sur deux écrans de télévision l'inscription suivante : "pour des raisons techniques le WIFI est indisponible, nous mettons tout en œuvre pour le rétablir rapidement ; Merci de votre compréhension" ; que ce bandeau installé pour expliquer l'interruption du WIFI, ne contenant aucune référence à la SA Télévision sur lieu de vente et les usagers n'ayant pas connaissance de l'identité du cocontractant de la société des pétroles Shell, aucun acte de dénigrement n'est caractérisé quant aux termes utilisés pour diffuser l'information ; qu'aucune faute de la société des pétroles Shell n'étant établie, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la SA Télévision sur lieu de vente de sa demande de ce chef ;

Considérant qu'il y a, au stade de l'appel, de laisser à la charge de chaque partie leurs frais irrépétibles, le jugement étant confirmé quant aux dispositions relatives à l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens ;

Considérant que la société des pétroles Shell qui reste débitrice assumera la charge des dépens d'appel ;

Par ces motifs, Réforme le jugement sur le montant de la somme allouée à la SA Télévision sur lieu de vente en réparation du préjudice subi, Le confirme pour le surplus, Statuant à nouveau et y ajoutant, Condamne la société des pétroles Shell à payer à la société SA Télévision sur lieu de vente la somme de 54 400 euro en réparation du préjudice subi, Rejette toute autre demande, Condamne la société des pétroles Shell aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.