CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 15 mai 2014, n° 12-23358
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Galec
Défendeur :
Chepar (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur
Avocats :
Me Olivier, Janssens, Parleani, Bernabe, Itier
FAITS ET PROCÉDURE
Le 3 juin 1991, la société Chepar qui exploite un hypermarché à Cavaillon a conclu un contrat dit de panonceau avec l'association des centres distributeurs Edouard Leclerc (l'association ACD.Lec) et a adhéré à la société coopérative Groupements d'achats des Centres Leclerc-Galec (la société Galec) qui a pour activité le référencement des fournisseurs et la promotion des ventes ainsi qu'à la société Lecasud qui assure dans la région Paca la logistique et l'approvisionnement des centres E. Leclerc situés dans sa zone.
Le 16 septembre 2009, la société Chepar a dénoncé ses engagements tant auprès de l'association ACD.Lec que de la société Galec et celle-ci, par lettre du 18 janvier 2010, lui a demandé le paiement d'une somme de 298 647,23 euros pour retrait anticipé en application de l'article 12 de ses statuts, qui prévoient le paiement d'une telle indemnité dans le cas où un associé quitterait la coopérative avant trente années d'adhésion. La société Chepar a refusé ce paiement par une lettre du 7 avril 2010, au motif que la clause des statuts invoquée était contraire à l'article L. 330-1 du Code de commerce, qui précise que la durée de validité de toute clause d'exclusivité, par laquelle un acheteur de biens meubles s'engage vis-à-vis de son vendeur à ne pas faire usage d'objets semblables ou complémentaires en provenance d'un autre fournisseur, est limitée à 10 ans.
Faute d'obtenir le paiement de la pénalité revendiquée, la société Galec a fait assigner la société Chepar en paiement devant le Tribunal de commerce de Créteil le 18 novembre 2010.
Par jugement rendu le 5 décembre 2012, le Tribunal de commerce de Créteil a :
- rejeté l'exception d'incompétence soulevée,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,
- condamné la société Galec à payer à la société Chepar la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté par la société Galec le 21 décembre 2012 contre cette décision.
Vu les conclusions signifiées le 29 janvier 2014 par la société Galec, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et de
- condamner la société Chepar à payer à la société Galec la somme de 298 647,23 euro en application de l'article 12 de ses statuts,
- dire que cette somme produira intérêts de droit à compter du 18 janvier 2010, avec capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du Code civil,
- débouter la société Chepar de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Chepar à payer à la société Galec la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les conclusions signifiées le 29 janvier 2014 par la société Chepar par lesquelles il est demandé à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par la 5e chambre du Tribunal de commerce de Créteil en date du 5 décembre 2012.
- débouter la société Galec de l'ensemble de ses demandes
- condamner la société Galec à payer à la société Chepar la somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les parties s'opposent sur la question de l'applicabilité à l'article 12 des statuts de la société Galec de l'article L. 330-1 du Code de commerce qui limite la durée des clauses d'exclusivité à 10 ans.
La société Galec soutient que la jurisprudence a déjà validé la période de fidélité prévue par l'article 12 des statuts en raison des principes de l'exclusivisme coopératif qui est l'essence même du fonctionnement des sociétés coopératives. Elle explique les raisons d'être de la pénalité par les conséquences économiques qu'entraîne pour les coopérateurs le départ de l'un d'entre eux.
À cet argument, la société Chepar oppose que la Cour de cassation a validé l'analyse selon laquelle l'article L. 330-1 du Code de commerce est applicable aux coopératives de commerçants indépendants. Elle ajoute que l'Autorité de la concurrence a, dans un avis du 7 décembre 2010 sur les contrats d'affiliation de magasins indépendants dans le secteur de la distribution alimentaire, relevé le caractère anticoncurrentiel des dispositifs contractuels, mis en œuvre dans ce secteur, qui ont pour objet de dissuader les affiliés de sortir du réseau au moyen de pénalités et du cumul de contrats entre les affiliés et la tête des réseaux de distribution.
La société Galec soutient encore que les dispositions de l'article L. 330-1 du Code de commerce n'ont pas vocation à s'appliquer car elles ne concernent que les clauses d'achat exclusif, alors qu'aucune des dispositions critiquées par la société Chepar ne constitue une telle clause d'achat et qu'elle n'impose aucune obligation d'achat ou d'approvisionnement exclusif.
Elle ajoute qu'il n'existe dans le cadre de son système d'organisation aucune "chaîne de contrats" qui viendrait imposer une obligation d'achat exclusif et qu'à supposer même qu'une obligation d'achat exclusif ait été contractée, cela n'aurait aucune incidence sur les obligations de la société Chepar à l'égard de la durée d'adhésion.
La société Chepar précise qu'au contraire, par un jeu de dépendance entre les conventions d'adhésion aux différentes structures du groupement (statuts de la société d'approvisionnement Locasud, contrat d'adhésion à l'association ACD.Lec, adhésion à la centrale de référencement Galec), est instaurée une exclusivité d'approvisionnement et de distribution, dont la durée est contraire aux articles L. 330-1 et suivants du Code de commerce.
Dans cette discussion, les parties s'opposent sur le bien-fondé d'une distinction qu'il y aurait lieu de faire entre d'un côté, l'exclusivité d'adhésion au groupement, de l'autre l'obligation de s'approvisionner auprès des structures de référencement et de vendre ces seuls produits qui seule relèverait de l'article L. 330-1 du Code de commerce et qui n'existe pas en l'espèce. La société Galec fait valoir qu'en tout état de cause, la sanction du dépassement du délai légal de dix ans prévu à l'article L. 330-1 ne consiste pas dans l'annulation de l'obligation, mais seulement dans le fait que celle-ci ne produise plus effet au-delà de dix années, ce dont elle déduit que la société Chepar ne peut exciper de l'article L. 330-1 du Code de commerce pour prétendre ne pas être tenue par la période de fidélité figurant aux statuts.
La société Galec demande que le jugement soit infirmé en ce qu'il a retenu des motifs complémentaires reposant sur l'avis de l'Autorité de la concurrence précité qui sont inopérants.
Par ailleurs, la société Chepar demande à la cour de sanctionner la clause contestée des statuts de la société Galec comme étant contraire aux dispositions de la Communication de la Commission européenne du 5 mars 2005 (2005/C56/03) relative aux restrictions liées et nécessaires à la réalisation des opérations de concentration et qu'elle examine si la société Galec a commis un abus de position dominante.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée, ainsi qu'aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
L'article L. 330-1 du Code de commerce énonce qu'est limitée à un maximum de dix ans la durée de validité de toute clause d'exclusivité par laquelle l'acheteur, cessionnaire ou locataire de biens meubles s'engage vis-à-vis de son vendeur, cédant ou bailleur, à ne pas faire usage d'objets semblables ou complémentaires en provenance d'un autre fournisseur.
Se fondant sur cette disposition, la société Chepar soutient que la pénalité pour retrait anticipée, prévue par l'article 12 des statuts de la société coopérative Galec, ne peut être due par elle en raison de l'exclusivité ou quasi-exclusivité d'approvisionnement, qui découle de l'adhésion à cette coopérative, à l'association ACD.Lec et à la centrale Lecasud.
L'article 12 des statuts de la société coopérative Galec énonce qu'en contrepartie de la mise à disposition de ses adhérents de son expérience acquise et des services créés jour après jour pour améliorer les conditions dans lesquelles s'exerce leur profession commerciale " (...) le Galec attend de chacun d'eux un engagement de fidélité et un apport en industrie d'une durée et d'une qualité suffisantes pour assurer le maintien, le renouvellement et l'amélioration des services et des techniques qui constituent le savoir-faire de la société. De ce fait, tous les adhérents au 25 juin 1990 s'engagent à demeurer membres du Galec pour une durée égale à au moins 25 ans, durée qui sera égale à 30 ans pour les nouveaux adhérents. En cas de retrait, quelle qu'en soit la cause, l'associé retrayant est redevable à l'égard du Galec d'une indemnité forfaitaire (...)".
Cette disposition qui prévoit seulement une durée d'adhésion et non une exclusivité d'approvisionnement n'est pas en tant que telle prohibée par l'article L. 330-1 du Code de commerce, précité. Selon la société Chepar c'est la combinaison de cette clause avec l'exclusivité d'approvisionnement qui découle de l'adhésion à cette société coopérative, ainsi qu'à la centrale d'approvisionnement Locasud, qui impose dans les faits une exclusivité d'approvisionnement de 30 années.
Si l'article L. 330-1 du Code de commerce est applicable quelle que soit la nature juridique, commerciale ou coopérative, de la structure qui impose une exclusivité d'achat ou d'approvisionnement, cette disposition ne saurait toutefois être invoquée s'agissant de clauses qui n'imposent pas une telle exclusivité.
En l'espèce, l'article I des statuts de l'association ACD.Lec, énonce que l'adhérent s'engage à ne pas prélever sur les ventes une marge supérieure à celle pratiquée pour les ventes en gros et l'article III précise qu'il doit adhérer à la société coopérative Galec. Il résulte par ailleurs de l'article 5 des statuts de la société Galec que seules peuvent y être associées les personnes morales qui sont autorisées par l'association ACD.Lec à exploiter leur entreprise sous le panonceau " Centre distributeur Leclerc ".
Cette dernière disposition indique encore que les adhérents doivent, notamment, s'engager à n'effectuer des achats en produits d'épicerie que chez des producteurs à l'exclusion formelle des grossistes et organismes similaires, sauf accord écrit préalable de l'association et, s'agissant des autres produits, qu'ils ne peuvent se fournir auprès de grossistes que dans des cas " devant demeurer exceptionnels " et seulement si cela leur permet d'obtenir " une distribution au meilleur prix pour la consommation ".
Cependant, si, ainsi que le soutient la société Chepar, une obligation d'achat exclusif de trente ans peut dans la pratique résulter de l'application combinée des dispositions précitées, ce fait ne peut avoir pour conséquence l'application de l'article L. 330-1 du Code de commerce qu'à cette obligation d'achat exclusif, mais il ne saurait pour autant étendre le champ de cette disposition à l'obligation de demeurer adhérent aux structures du réseau de distribution E. Leclerc pendant trente ans et avoir pour conséquence la limitation de cette durée à dix ans.
La société Chepar fait encore valoir que la durée de l'engagement souscrit constitue une violation manifeste du droit communautaire. Elle précise à ce sujet que le secteur de la grande distribution alimentaire est " en état de concentration " et que dès lors " les dispositions notamment de l'article 81 du traité de Rome s'appliquent ". Elle invoque en l'espèce la violation de la communication de la Commission européenne sur les concentrations du 5 mars 2005.
Il convient à ce sujet de préciser que si le secteur de la grande distribution alimentaire est analysé, notamment, par l'Autorité de la concurrence (l'Adlc), comme étant un secteur " concentré " ou marqué par une " concentration excessive ", la réglementation interne et communautaire relative aux " concentrations économiques ", qui concerne les opérations juridiques de fusions, de prise de contrôle ou de création d'entreprises communes, n'est pas applicable au litige de l'espèce relatif à la conformité d'une clause de retrait anticipé d'un réseau de distribution aux principes du droit de la concurrence. En conséquence, la cour ne saurait retenir la violation des dispositions de la communication de la Commission relative aux restrictions directement liées et nécessaires à la réalisation des opérations de concentration du 5 mars 2005, ni les dispositions contenues dans une proposition de loi visant à renforcer le contrôle des concentrations dans le secteur de la distribution, déposé en 2008, qui, à supposer que ce projet ait été voté, ne saurait en tout état de cause s'appliquer en tant que tel.
Si, la société Chepar fait aussi valoir dans ce cadre, de manière confuse, que le fait que l'imbrication des contrats impose de fait de manière indirecte une quasi-exclusivité d'approvisionnement qui en tant que telle entraîne l'application des dispositions de l'article L. 330-1 du Code de commerce, elle ne précise toutefois pas les motifs pour lesquels la durée d'affiliation, seule en débat, puisqu'il a été retenu précédemment que l'article L. 330-1 n'était pas applicable en l'espèce, serait contraire aux dispositions du droit de la concurrence. Elle soutient seulement à ce sujet que la cour devra s'interroger " sur la question de savoir s'il n'y avait pas de l'abus du " Groupe Leclerc " par le truchement de différentes entités d'imposer ce qu'une seule de ces entités n'aurait pu imposer à ses cocontractants en position de dépendance et de faiblesse ", sans invoquer, ni davantage démontrer, que les sociétés du Groupe Leclerc, détiendraient une position dominante sur le marché pertinent, condition sans laquelle il ne saurait être considéré qu'un abus au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce ou 102 du TFUE est constitué.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande en paiement de la société Galec et de condamner la société Chepar à verser à la société Galec la somme de 298 647,23 euros représentant 0,5 % du chiffre d'affaires réalisé par la société Chepar en 2008 et dont elle ne conteste pas le montant.
Sur les frais irrépétibles
Il est justifié de ne pas laisser à la charge de la société Galec la totalité des frais irrépétibles qu'elle a dû engager pour défendre ses droits et en conséquence, la société Chepar doit être condamnée à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Infirme l'arrêt entrepris sauf en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence ; Statuant à nouveau, Condamne la société Chepar à payer à la société coopérative Groupements d'achats des Centres Leclerc-Galec la somme de 298 647,23 euros ; Dit que cette somme produira intérêts de droit à compter du 18 janvier 2010, avec capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1154 du Code civil, Condamne la société Chepar à payer à la société coopérative Groupements d'achats des Centres Leclerc-Galec la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toute demande autre, plus ample, ou contraire des parties ; Condamne la société Chepar aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 599 du Code de procédure civile.