Cass. 1re civ., 27 novembre 2013, n° 12-24.651
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Charruault
Rapporteur :
Mme Verdun
Avocat général :
M. Pagès
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel, SCP Thouin-Palat, Boucard
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X qui, agent général des sociétés Allianz IARD et Allianz vie (les sociétés Allianz) depuis le 1er janvier 1991, en charge de deux agences depuis le 29 juin 2006, avait manifesté l'intention de démissionner de ses fonctions à compter du 31 mars 2009 pour en transmettre l'exercice à ses deux fils, qu'il employait comme collaborateurs, a, après que ses mandantes eurent refusé d'agréer la candidature de ses enfants, revendiqué le maintien de ses mandats ; que les sociétés d'assurances tenant sa démission pour définitive et souhaitant confier la gestion des portefeuilles à d'autres intermédiaires, ont interrompu les connexions informatiques de ses agences à compter du 1er avril 2009, situation que l'agent général a dénoncée au moyen d'un "blog", d'affiches ou d'articles de presse et de lettres circulaires adressées à la clientèle ; que déplorant cette publicité négative, les sociétés Allianz lui ont notifié sa révocation avec effet immédiat, le 30 avril 2009 ; qu'assignées en dommages-intérêts pour révocation abusive ainsi qu'en paiement des indemnités compensatrices de fin de mandat, les sociétés Allianz ont opposé à M. X la déchéance du droit à l'indemnité compensatrice dans la branche IARD, sollicitant, à titre reconventionnel, la réparation de faits de concurrence déloyale et de dénigrement, ainsi que le paiement du solde débiteur des comptes de fin de gestion des deux agences ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses trois premières branches : - Attendu que M. X fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes d'indemnités au titre de la rupture de ses mandats, autres que l'indemnité dans la branche assurance-vie, alors, selon le moyen : 1°) qu'en retenant que M. X aurait commis un dénigrement par divulgation d'informations inexactes ou trompeuses et tronquées quant à la volonté des sociétés d'assurances de le spolier de ses droits puisqu'elles lui offraient une indemnité dans le cadre de ce qu'elles interprétaient comme une démission, tout en relevant qu'elles avaient commis un abus de pouvoir par leur rupture brutale et illégitime des mandats le 1er avril 2009 et que c'était indéniablement à tort qu'elles présentaient les courriers de M. X comme une démission cependant que ce dernier avait toujours subordonné la cessation de son activité à la transmission de ses fonctions à ses fils en des termes non équivoques, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à établir la faute grave de M. X et privé sa décision de base légale au regard de l'article 19 du décret du 5 mars 1949 ; 2°) que la liberté d'expression est un droit fondamental ; que le seul fait que l'agent général d'assurance use de cette liberté en portant une appréciation sur son mandant n'est pas une faute, et moins encore une faute grave justifiant la rupture immédiate et sans indemnités du contrat ; qu'en retenant que M. X aurait commis un dénigrement en portant des appréciations, étrangères au litige qui l'opposait aux sociétés d'assurances, sur la politique de l'entreprise et la rémunération des dirigeants, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à établir la faute grave de M. X et privé sa décision de base légale au regard de l'article 19 du décret du 5 mars 1949 ; 3°) qu'en retenant la faute grave de M. X sans rechercher, comme elle y était invitée, si ce n'étaient pas les sociétés d'assurance qui avaient pris l'initiative de saisir la justice du conflit les opposant à M. X et de l'exposer sur la place publique et si ce dernier n'avait pas fait que répondre à cette attitude, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 19 du décret du 5 mars 1949 ;
Mais attendu que, si l'exercice de la liberté d'expression ne constitue pas une faute professionnelle justifiant la révocation d'un agent général d'assurances, c'est sous réserve que cet exercice n'excède pas les limites du droit de critique admissible en regard du devoir de loyauté découlant du mandat d'intérêt commun qui le lie à l'entreprise d'assurances ; qu'après avoir constaté, par motifs propres et adoptés, qu'au cours d'une bruyante campagne de médiatisation, en réaction à l'interruption des connexions informatiques de ses agences réalisée le 1er avril 2009, M. X avait diffusé des informations inexactes, trompeuses ou tronquées sur la réalité de sa situation professionnelle, en se prévalant du droit de transmettre son outil de travail à ses enfants dans un domaine qui n'est pas celui de la transmission d'une entreprise individuelle, et en évoquant les intentions spoliatrices des sociétés d'assurances qui lui avaient pourtant annoncé le versement des indemnités compensatrices statutairement dues, l'arrêt retient que l'abus de pouvoir commis par les sociétés Allianz le 1er avril 2009 en déconnectant les agences de leur serveur, que l'agent général avait les moyens légaux de faire cesser en exigeant le rétablissement des connexions en référé, ce qu'il a obtenu dès le 17 avril, ne légitimait pas de tels excès qui, à l'origine d'un mouvement massif de protestations au sein de la clientèle, avaient rendu la continuation des contrats d'agence impossible sans compromettre les intérêts des sociétés d'assurances ; que de ces constatations et énonciations, d'où il résulte que bien qu'émis dans un contexte polémique, les propos tenus par l'agent général portant atteinte à la réputation et à l'image de ses mandantes, contrevenaient à son engagement contractuel de s'abstenir de tous écrits ou propos de cette nature et caractérisaient une faute grave au sens de l'article 19 du décret n° 49-317 du 5 mars 1949, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision de rejeter la demande indemnitaire pour révocation abusive ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses trois dernières branches : - Attendu que M. X fait encore grief à l'arrêt de le déchoir de son droit à l'indemnité compensatrice de fin de mandat au titre de l'activité IARD, de le déclarer responsable d'actes de concurrence déloyale et d'actes de dénigrement, et de le condamner à payer aux sociétés Allianz une somme de 50 000 euros alors, selon le moyen : 1°) qu'en imputant à M. X un acte de concurrence déloyale au prétexte qu'il aurait commis un dénigrement en divulguant des informations inexactes ou trompeuses et tronquées quant à la volonté des sociétés d'assurances de le spolier de ses droits puisqu'elles lui offraient une indemnité dans le cadre de ce qu'elles interprétaient comme une démission, tout en relevant qu'elles avaient commis un abus de pouvoir par leur rupture brutale et illégitime des mandats le 1er avril 2009 et que c'était indéniablement à tort qu'elles présentaient les courriers de M. X comme une démission cependant que ce dernier avait toujours subordonné la cessation de son activité à la transmission de ses fonctions à ses fils en des termes non équivoques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 2°) que la liberté d'expression est un droit fondamental ; que le seul fait que l'agent général d'assurance use de cette liberté en portant une appréciation sur son mandant n'est pas une faute, et moins encore une faute grave justifiant la rupture immédiate et sans indemnisation du contrat ; qu'en imputant à M. X un acte de concurrence déloyale au prétexte qu'il aurait commis un dénigrement en portant des appréciations, étrangères au litige qui l'opposait aux sociétés d'assurances, sur la politique de l'entreprise et la rémunération des dirigeants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civile ; 3°) qu'en imputant à M. X un acte de concurrence déloyale, au prétexte qu'il aurait commis un dénigrement, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ce n'étaient pas les sociétés d'assurance qui avaient pris l'initiative de saisir la justice du conflit les opposant à M. X et de l'exposer sur la place publique et si ce dernier n'avait pas fait que répondre à cette attitude, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'en retenant qu'après sa révocation, M. X avait mené, au moyen d'affiches, de lettres circulaires adressées aux assurés et de messages publiés sur un blog, une campagne de dénigrement à l'encontre des sociétés Allianz, qui avait conduit une partie de leur clientèle, inexactement informée, à résilier ses contrats pour en souscrire d'autres auprès d'entreprises d'assurances concurrentes, par l'intermédiaire du cabinet de courtage géré par l'épouse de leur ancien agent général, la cour d'appel qui a caractérisé l'existence d'actes de concurrence déloyale et de dénigrement, a légalement justifié sa décision d'en accorder la réparation ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi incident : - Vu l'article 10 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, ensemble l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ; - Attendu que la liberté d'expression est un droit dont l'exercice revêt un caractère abusif dans les cas spécialement déterminés par la loi ;
Attendu que, pour exclure de la réparation des faits de dénigrement commis par M. X les conséquences dommageables des propos relatés par les quotidiens locaux, l'arrêt retient que ces faits s'analysant en un abus de la liberté d'expression commis par voie de presse, ne relèvent pas de la responsabilité civile de droit commun et ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Qu'en statuant ainsi, quand elle avait relevé que ces mêmes propos dénigrant l'activité des sociétés Allianz, avaient jeté le discrédit sur leurs produits en incitant une partie de leur clientèle à s'en détourner, ce dont il résultait un abus spécifique de la liberté d'expression, la cour d'appel a violé les textes susvisés, le premier par refus d'application, le second par fausse application ;
Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a débouté les sociétés Allianz IARD et Allianz vie de leur demande en réparation du dénigrement concurrentiel commis par voie de presse, l'arrêt rendu le 23 mai 2012, entre les parties, par la Cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Dijon.