CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 5 juin 2014, n° 12-15844
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Descamps (SAS)
Défendeur :
Clauzel
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur
Avocats :
Mes Fichot, Estournet, Messica Sitbon
FAITS ET PROCÉDURE
Le 1er janvier 2007, un contrat d'agent commercial à durée indéterminée a été conclu entre M. Clauzel et la société Descamps. Ce contrat prévoyait, à titre de rémunération, le versement à M. Clauzel d'une commission hors taxes de 10 % du chiffre d'affaires réalisé par la société Descamps.
Le 23 juin 2009, par lettre recommandée avec avis de réception, celle-ci a signifié à M. Clauzel la cessation de ce contrat, pour des motifs dont celui-ci a contesté le bien-fondé.
Le 29 juin 2010, le Tribunal de commerce de Paris a ordonné l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Descamps et un plan de continuation a été arrêté par le Tribunal de commerce de Bobigny le 4 février 2011.
Le 12 janvier 2012, M. Clauzel a fait assigner la société Descamps afin qu'elle soit condamnée à lui payer 85 000 euros à titre d'indemnité de clientèle et 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'il soutenait avoir subi.
La société Descamps n'était pas représentée en première instance.
Par jugement en date du 5 juillet 2012, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de grande instance de Paris a :
- condamné la société Descamps à payer à M. Clauzel la somme de 85 000 euros,
- condamné la société Descamps à payer à M. Clauzel la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- rejeté toute autre demande
Vu l'appel interjeté le 24 août 2012 par la société Descamps contre cette décision,
Vu les dernières conclusions, signifiées le 12 février 2014, par lesquelles la société Descamps demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
A titre principal,
- dire et juger qu'une faute grave est caractérisée justifiant l'absence d'indemnisation de M. Clauzel,
- débouter M. Clauzel de l'ensemble de ses demandes,
A titre subsidiaire,
- réformer le jugement,
- dire et juger que l'indemnisation de M. Clauzel doit être minorée au regard de ses manquements,
- en conséquence, condamner la société Descamps au versement de la somme de 42 117,96 euros,
En tout état de cause,
- condamner M. Clauzel à payer à la société Descamps la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
La société Descamps soutient que M. Clauzel a commis de nombreux manquements contractuels, constitutifs d'une faute grave qui, en application de l'article L. 134-13 du Code de commerce, le prive de son droit à indemnisation. Les fautes qu'elle invoque à ce titre consistent, notamment, en un défaut de développement commercial et en une diminution de son chiffre d'affaires.
À titre subsidiaire, la société appelante conteste le montant de l'indemnisation fixée par le tribunal au titre de la perte de clientèle et fait valoir que ce montant doit être minoré du fait de l'inexécution par l'agent de son obligation contractuelle d'établir des rapports d'activité.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 18 février 2014 par lesquelles M. Clauzel demande à la cour de :
- débouter la société Descamps de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- condamner la société Descamps à payer à Monsieur Clauzel la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
M. Clauzel soutient avoir développé la clientèle et permis au chiffre d'affaires de progresser entre 2007 et 2008. Il fait valoir que la société Descamps n'apporte pas la preuve des manquements contractuels qu'elle lui impute et ajoute qu'en tout état de cause, les manquements qui lui sont reprochés ne sont pas constitutifs d'une faute grave.
L'intimé indique par ailleurs que la diminution de son chiffre d'affaires en 2009 est due aux difficultés rencontrées par la société Descamps elle-même. Il précise qu'en raison de la rupture de son contrat, il n'a pu travailler que pendant les six premiers mois de l'année.
M. Clauzel soutient encore que le véritable motif de la rupture de son contrat d'agent commercial consiste dans l'impossibilité pour la société Descamps de faire face à ses obligations financières.
S'agissant du montant de l'indemnité de résiliation qu'il réclame, il soutient que celle-ci doit être calculée sur la base de deux années de commissions et il affirme avoir pleinement rempli son obligation relative à l'envoi de rapports d'analyse des ventes.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée, ainsi qu'aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
La société Descamps n'a présenté en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué lequel repose sur des motifs pertinents résultant d'une exacte analyse des éléments du dossier et d'une juste application des règles de droit applicables à l'espèce.
La lettre de résiliation du contrat adressée le 23 juin 2009 à M. Clauzel lui reprochait de nombreux manquements dont l'absence de prospection, l'absence de comptes rendus écrits d'entretien avec les responsables de magasins et d'établissement de plans d'affaires, l'absence d'information sur les besoins de la clientèle et sur la progression de la concurrence. Il était précisé que le portefeuille de M. Clauzel ne s'était pas développé, qu'il avait subi une baisse notable de 18 % de son chiffre d'affaires sur les cinq derniers mois et qu'il avait contrevenu au champ de clientèle en vendant les collections à un site Internet, et encore qu'il avait consenti des conditions commerciales à des clients sans validation de la direction commerciale compromettant la sauvegarde de la relation client, qu'il n'avait pas respecté les zones d'exclusivité, ni renseigné le planning de rendez-vous, ni informé la société Descamps de la fin de son activité pour deux autres cartes, qu'il n'avait pas coopéré sur les récupérations de créances impayées et enfin qu'il n'avait pas relayé d'informations sur les actions commerciales organisées par l'entreprise.
Si un cumul de fautes peut, dans certaines circonstances, aboutir à la constitution d'une faute grave justifiant que l'agent soit privé d'indemnité, il n'en demeure pas moins que cette privation n'est justifiée que dans le cas où est établie la faute grave de l'agent. Or la société Descamps ne rapporte aucune preuve de la réalité des reproches formulés à l'encontre de M. Clauzel. Au contraire, il ressort des pièces produites par celui-ci que le montant des commissions qui lui ont été versées a progressé entre 2007 et 2008 et que, si pour les mois de janvier à juin 2009 les commandes pour un total de 152 000 euros ont donné droit à un montant de commissions de 15 200 euros, en baisse par rapport au total de commissions de 18 587 euros, versés pour les mêmes mois de l'année précédente, il n'est pas démontré que cette diminution relative a été causée par une baisse d'activité de la part de M. Clauzel. Les deux seuls messages électroniques adressés à celui-ci par le directeur des ventes multimarques de la société Descamps lui demandant d'aller voir les responsables de certains magasins les 1er août et 18 septembre 2008, ainsi que le courrier électronique d'une commerciale indiquant qu'il n'avait pas rappelé le responsable d'un magasin qui lui aurait laissé un message sans obtenir de réponse, sont insuffisants à rapporter la preuve de sa négligence dans sa prospection de la clientèle. Il n'est, au surplus, pas démontré que M. Clauzel aurait vendu des articles à des exploitants de sites de vente par Internet, ni que la société Descamps lui ait demandé des rapports qu'il n'aurait pas adressés, ou de coopérer au recouvrement d'impayés sans qu'il apporte son aide. Le seul fait d'avoir, en juin 2009, soit après la lettre de rupture, accordé des articles gratuits en nombre trop important à l'un des clients sans validation de la direction est insusceptible de rapporter la preuve qu'une quelconque faute grave justifiant que M. Clauzel soit privé de l'indemnité de rupture prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce.
La société Descamps fait valoir que le fait pour un agent de ne pas envoyer de rapports d'activité s'il est insuffisant à justifier à lui seul la rupture du contrat, est de nature à minorer l'indemnité générée par celle-ci, en ce que ce manquement a privé le mandant d'une source régulière d'informations propres à l'éclairer dans ses choix stratégiques. L'article 6 du contrat d'agent commercial, qui détaille les obligations de ce dernier vis-à-vis de son mandant, précise en effet qu'il doit adresser un compte rendu écrit de ses entretiens avec les responsables de magasins et établir régulièrement des plans d'affaires. Cependant, la société Descamps ne démontre pas qu'elle aurait, préalablement à la rupture, reproché à M. Clauzel l'absence de ces rapports, alors que c'est à elle qu'incombe la charge de la preuve du non-respect par l'agent de ses obligations. Dans ces conditions, il n'existe pas de motifs justifiant la réduction du montant de l'indemnisation fixée par le tribunal et le fait que M. Clauzel ait proposé, dans le cadre de la recherche d'un arrangement amiable, de réduire le montant de l'indemnité à vingt mois au lieu de vingt-quatre, ne saurait être retenu comme démontrant qu'il aurait considéré un tel montant comme indemnisant l'intégralité de son préjudice, alors même que cette offre était formulée par lui au titre d'une concession pour éviter une procédure judiciaire qu'il a finalement dû supporter.
Sur les frais irrépétibles
Il est justifié au regard de l'ensemble de ce qui précède de ne pas laisser à la charge de M. Clauzel l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'il a dû engager pour faire valoir ses droits. La société Descamps sera, dans ces conditions et compte tenu de sa situation de redressement judiciaire, condamnée à lui verser la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne la société Descamps à verser à M. Clauzel la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes demandes autres, plus amples ou contraires des parties ; Condamne la société Descamps aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions énoncées par l'article 699 du Code de procédure civile.