Cass. crim., 23 avril 2013, n° 12-81.830
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Avocats :
SCP Didier, Pinet, SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Hémery, Thomas-Raquin
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société Y, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, chambre 6-1, en date du 21 juin 2011, qui, dans la procédure suivie contre elle du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que la société Y a été poursuivie devant le tribunal correctionnel pour avoir involontairement causé des blessures à M. X suite à l'explosion d'un chalumeau commercialisé sous sa marque ; qu'après avoir relaxé la prévenue, les premiers juges ont débouté la victime, partie civile, de ses demandes ; que, saisie du seul appel de M. X, la cour d'appel, par arrêt du 21 juin 2011, a déclaré la société entièrement responsable du préjudice subi par la victime, reçu la constitution de partie civile de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Hauts-de-Seine et fait droit à sa demande de remboursement des frais engagés ;
En cet état ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 21 de la loi du 19 mai 1998, 1386-6 et 1386-9 du Code civil, 591 et 593 du Code de procédure pénale, contradiction de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société Y entièrement responsable de l'accident subi par M. X, a condamné la société Y à payer à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine la somme de 188 787,80 euros, a ordonné avant dire droit une expertise sur l'évaluation du préjudice personnel de M. X et a condamné la société Y à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de provision à valoir sur son préjudice ;
"aux motifs que le 21 août 2002, un accident du travail se produisait à Guyencourt sur un chantier au cours duquel M. X, plombier, salarié de la société Z, qui effectuait des travaux de soudure dans un appartement de la société W, a été brûlé à la suite de l'explosion du chalumeau qu'il utilisait ; considérant que, selon les déclarations de M. X, qui était seul au moment des faits, l'accident s'est produit alors qu'il devait effectuer une soudure sur la tuyauterie d'un évier à l'aide d'un chalumeau et qu'il avait, au préalable, dû procéder au remplacement de la cartouche de gaz de ce chalumeau ; considérant que le chalumeau dont s'agit est un chalumeau de type " Turbovax " que la société Z, l'employeur de M. X, avait acheté à une société R, grossiste, laquelle se fournissait elle-même auprès de la société Y ; considérant que M. Y..., directeur de la société Y a expliqué, au cours de la procédure, que le chalumeau litigieux était fabriqué par une société américaine T par le biais de la filiale italienne de cette société ; qu'il ajoutait avoir commercialisé 90 000 produits de ce type depuis 1996 sans aucun problème ; que dans le cadre de l'enquête M. Z..., expert auprès de la Cour de cassation, a été requis le 20 septembre 2002 avec pour mission de "déterminer si la conception ou le fonctionnement du chalumeau litigieux était susceptible d'être à l'origine des blessures de M. X" ; qu'il a déposé le 6 mars 2003 les conclusions de son rapport d'expertise ; que dans le cadre de son expertise il a été amené à comparer le chalumeau accidenté avec un chalumeau en bon état ; que cette comparaison l'a conduit à "envisager la nature de la liaison couvercle/collet de raccordement comme une cause probable de l'accident" ; que pour vérifier cette hypothèse il a fait procéder à un examen de laboratoire sur cette liaison confiée au laboratoire "Expertise" de l'Institut de soudure ; qu'en outre, la visite de l'appartement où travaillait M. X au moment de l'accident a permis de constater, en l'absence de trace marquée de chauffage par flamme sur le raccord en cuivre à braser, que l'accident s'était produit peu de temps après l'allumage du chalumeau, l'ouvrier n'ayant pas eu le temps de commencer à braser ; qu'après avoir fait ces constats, l'expert a confirmé sa première hypothèse pour conclure de manière "certaine" que "l'explosion dont M. X avait été victime résultait de la conjonction de 3 facteurs" à savoir :- 1°) la cartouche était défectueuse, en ce que la liaison entre l'embout et le corps de la cartouche était défectueuse et en tous cas "notablement insuffisante" eu égard aux efforts et/ou déformations qu'elle devait être capable de supporter ; - 2°) l'utilisation d'un métal inapproprié au métal de base pour exécuter la brasure (présence de phosphore constituant une faute technique grave dans la choix du produit d'apport), ce qui a provoqué, par diffusion, la formation de composés fragiles qui ont réduit la capacité du joint brasé ; que l'expert a par ailleurs expliqué que "l'effort exercé sur la base du chalumeau a engendré une amorce de rupture sur un petit défaut de solidification de la brasure, cette amorce s'est alors propagée suivant un processus de rupture fragile dans la brasure elle-même en suivant les défauts existants, puis dans l'enveloppe sous la brasure, dans la partie fragilisée par diffusion" ; qu'il s'en déduit, d'une manière certaine, que l'origine de l'accident est dû au caractère défectueux du chalumeau utilisé par M. X ; que M. X entend voir rechercher la responsabilité civile de la société Y sur le fondement des articles 1382, 1383 et 1386-1 et suivants du Code civil ; considérant qu'en vertu de l'article 1382 du Code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause un dommage à autrui oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que l'article 1383 précise que chacun est responsable de son fait, mais encore de sa négligence ou de son imprudence ; qu'enfin, sur le fondement de l'article 1386-1 du Code civil "le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime" ; que l'article 1386-6 du Code civil précise qu' "est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une composante et qu'est assimilée à un producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque, ou autre signe distinctif, 2° qui importe un produit dans la communauté Européenne en vue d'une vente, d'une location, ou de toute autre forme de distribution" ; que la société Y devenue Y est une société Française, spécialisée depuis 1953 dans la fabrication et la vente de produits et matériels de soudure ; que dans le cadre de son activité de Négoce, elle commercialise depuis 1996 "Turbovax" (chalumeaux manuels et cartouches de gaz MAPP), fabriqué par une société américaine V, par le biais d'une société T et plus particulièrement par l'intermédiaire de la filiale Italienne de cette société ; considérant toutefois qu'il n'est pas contesté que le chalumeau litigieux du type Torbovax portait la marque de la société Y ; que ce faisant la société Y doit être regardé comme "producteur" au sens des dispositions précitées de l'article 1386-6 du Code civil, peu important à cet égard qu'une entreprise italienne soit à l'origine de l'arrivée du produit en Europe ou qu'elle n'en soit pas le fabriquant ; qu'il lui appartenait en conséquence, en vertu de l'article L. 221-1 du Code de la consommation, de s'assurer, en sa qualité de "producteur" que les chalumeaux litigieux, présentaient, dans des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions normalement prévisibles par le professionnel, la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre pour ne pas porter atteinte à la santé des personnes ; qu'il est tout aussi constant que la société Y qui a commercialisé en France le chalumeau à l'origine de l'accident, ne justifie pas avoir procédé à une analyse de conformité du produit distribué sous sa marque au regard des exigences essentielles de sécurité, aucun contrôle de conformité n'ayant été réalisé directement par elle ; qu'à cet égard les justificatifs de conformité qu'elle produit et qui sont relatifs à des chalumeaux commercialisés postérieurement à l'accident sont inopérants ; que, de même, la circonstance que ce type de chalumeau a été commercialisé pour la première fois avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, n'exonère pas la société Y de son obligation de sécurité pour les chalumeaux commercialisés postérieurement à cette date ; considérant dès lors, que les agissements fautifs de la société Y devenue Y, sont la cause exclusive de l'accident subi par M. X et lui ont causé un préjudice personnel et direct dont il convient de lui accorder réparation ;
"1) alors que les dispositions des articles 1386-1 à 1386-8, issues de la loi du 19 mai 1998 sont applicables aux produits dont la mise en circulation est postérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi soit le mai 1998 ; que la cour d'appel qui a retenu la responsabilité de la société Y en raison du caractère défectueux d'un chalumeau commercialisé depuis 1996 par application de la loi du 19 mai 1998, a violé l'article 21 de cette loi ;
"2) alors que prive sa décision de base légale par contradiction de motifs la décision qui, s'appuyant sur une expertise, fonde sa décision sur une constatation qu'elle déclare puiser dans le rapport de l'expert et qui est contredite par les termes du rapport ; que l'expert, M. Z..., a conclu dans son rapport que " les différents examens auxquels ont été soumis les éléments qui nous ont été remis après l'accident survenu à M. X, permettent de retenir plusieurs facteurs comme causes probables de l'explosion " (cf. rapport p.11, 6 - souligné par nos soins) ; qu'en retenant que l'expert aurait conclu " de manière "certaine" que "l'explosion dont M. X avait été victime résultait de la conjonction de 3 facteurs" ", la cour d'appel a méconnu les textes susvisés" ;
Attendu que, pour dire la prévenue entièrement responsable des conséquences dommageables des blessures, l'arrêt énonce qu'en sa qualité de producteur du chalumeau, la société devait s'assurer qu'il présentait, dans des conditions normales d'utilisation ou dans des conditions normalement prévisibles par un professionnel, la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre pour ne pas porter atteinte à la santé des personnes ; que les juges constatent que la société n'a procédé à aucun contrôle de conformité du produit au regard des exigences essentielles de sécurité ; qu'ils en déduisent qu'elle a commis des agissements fautifs qui sont la cause exclusive de l'accident subi par M. X ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que la cour d'appel a relevé, dans les faits poursuivis, les éléments caractérisant l'existence d'une faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil, l'arrêt n'encourt pas les griefs allégués ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 421, 497 et 515 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué, statuant sur les intérêts civils, et déclarant recevable l'intervention de la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine, a condamné la société Y à payer à cette dernière la somme de 188 787,80 euros après l'avoir déclarée entièrement responsable de l'accident subi par M. X ;
"aux motifs qu'il ressort des pièces de la procédure que la caisse primaire d'assurance maladie, s'est, par courrier recommandé en date du 23 juillet 2009, constituée partie civile devant le Tribunal de grande instance de Créteil ; que c'est donc à la suite d'une omission de statuer que cette constitution n'a pas été prise en compte par les premiers juges, de sorte que la constitution de la caisse primaire d'assurance maladie, réitérée devant la cour par lettre du 10 mars 2011, tendant à obtenir la somme de 188 787,80 euros correspondant aux frais d'hospitalisation, aux frais médicaux et pharmaceutiques, aux frais de transports, aux arrérages échus (rentes) et au capital rente 2011, est parfaitement recevable, contrairement à ce que soutient la société Y devenue Y ; considérant que la caisse primaire d'assurance maladie est également bien fondée dans sa demande tendant au remboursement par la société Y, tiers responsable de l'accident du travail subi par M. X, des sommes qu'elle lui a allouées au titre des frais d'hospitalisation, frais médicaux et pharmaceutiques, frais de transports, rente, capital rente 2011, pour un total de 188 787,80 euros ;
"alors que le principe d'ordre public du double degré de juridiction rend irrecevable la constitution de partie civile présentée en cause d'appel par une partie présente en première instance et qui n'a pas fait appel de la décision ; qu'aussi, en accueillant la constitution de partie civile de la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine, par lettre recommandée du 10 mars 2011, soit au stade de l'appel, et en faisant droit à sa demande quand celle-ci s'était constituée partie civile en première instance mais n'avait pas interjeté appel de la décision de sorte qu'elle ne pouvait pas se constituer une nouvelle fois partie civile devant la cour d'appel, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées" ;
Vu les articles 509 et 515 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans les limites fixées par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant ; que l'appel d'une partie civile appelante ne saurait profiter à une autre partie civile ou intervenante, non appelante ;
Attendu que, pour déclarer recevable la constitution de partie civile de la CPAM des Hauts-de-Seine et faire droit à ses demandes de remboursement, l'arrêt retient qu'elle s'est constituée partie civile devant le tribunal de grande instance et que c'est à la suite d'une omission de statuer que cette constitution n'a pas été prise en compte, de sorte que sa constitution de partie civile, réitérée devant la cour d'appel, est recevable ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que la partie intervenante n'était pas appelante du jugement soumis à la cour d'appel par la partie civile, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ; d'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; que, n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du Code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs : casse et annule, en ses seules dispositions relatives à la recevabilité de la constitution de partie civile de la CPAM et ayant condamné la société Y, venant aux droits de la société Y, à lui payer la somme de 188 787,80 euros, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Paris, en date du 21 juin 2011 ; Dit n'y avoir lieu à renvoi ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.