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Décisions

CA Aix-en-Provence, 10e ch., 30 janvier 2014, n° 12-02969

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Boston Scientific International (SA)

Défendeur :

Centre hospitalier priv2 Beauregard, CPAM du Var

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Belieres

Conseillers :

Mmes Faure, Leroy-Gissinger

TGI Marseille, du 22 sept. 2011

22 septembre 2011

Le 10 juillet 2000 une angioplastie par l'utilisation d'un Rotablator ('Rotablator, Rotalink Plus'), a été pratiquée par le Dr B., au sein du centre hospitalier privé Beauregard (la clinique), sur M. R., né en juin 1923, afin de prévenir chez celui-ci la survenue d'un infarctus. Le Rotablator est un matériel d'arthéresectomie rotative fondé sur l'utilisation d'un cathéter à l'extrémité duquel une fraise de forme elliptique, couverte de particules de diamants, est entraînée par l'intermédiaire d'un flexible relié à un moteur. Au cours de cette intervention, la turbine du Rotablator s'est bloquée dans une plaque calcaire sans que le Dr B. parvienne à retirer la fraise et la sonde de l'appareil, qui ont donc été laissées dans l'artère (coronaire droite), ce qui a induit un infarctus, immédiatement pris en charge.

M. R. est resté en réanimation du 10 au 13 juillet 2000 puis a été transféré aux soins intensifs du 14 au 15 juillet 2000, avant de sortir le 17 juillet 2000.

Un autre médecin consulté par M. R., le Dr Z., proposera une nouvelle intervention qui sera pratiquée le 24 octobre 2000 (revascularisation coronaire par double pontage) permettant également l'exérèse de l'essentiel de la sonde laissée en place. Une petite partie de la sonde ne pourra cependant être enlevée.

Une ordonnance de référé en date du 4 mai 2007, a confié au Dr O. une expertise médicale de M. R., dont le rapport a été déposé le 6 février 2008.

Par assignation des 19 et 24 février 2009 et du 11 mars 2009, M. et Mme R. ont assigné la clinique, le Dr B. et la société Boston, fabricant du Rotablator, en présence de la CPAM du Var devant le Tribunal de grande instance de Marseille.

Par jugement du 22 septembre 2011, ce tribunal a, avec exécution provisoire:

- dit que le Dr B. et la clinique étaient contractuellement tenus d'indemniser M. et Mme R. des conséquences dommageables liées au dysfonctionnement de l'appareil,

- fixé le préjudice de M. R. à la somme de 2 000 euros au titre de son préjudice fonctionnel, 3 000 euros au titre des souffrances endurées et 5 000 euros au titre d'un préjudice psychique et le préjudice de Mme R. à la somme de 2 000 euros (préjudice psychique),

- condamné le Dr B. et la clinique à leur payer ces sommes ainsi que celle de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile du Code de procédure civile, in solidum, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- condamné la société Boston à garantir le Dr B. et la clinique de l'intégralité des condamnations prononcées à leur encontre,

- condamné la société Boston à verser au centre hospitalier la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile du Code de procédure civile,

- condamné cette société aux dépens.

Le tribunal a retenu que le Dr B. et la clinique, en qualité d'utilisateurs de matériel médical, étaient tenus d'une obligation de sécurité résultat en ce qui concerne ce matériel et que la preuve était rapportée du lien de causalité direct entre l'infarctus intervenu le 10 juillet 2000 et le matériel.

Il a retenu que le Dr B. et la clinique étaient recevables à agir en garantie contre le fabricant du Rotablator, dès lors qu'ils avaient agi dans l'année de la date de la citation en justice par la victime conformément à l'article 1386-7 du Code civil.

Par déclaration du 20 février 2012 la société Boston a interjeté appel de ce jugement en intimant M. Et Mme R. ainsi que la clinique et le Dr B., et a conclu le 11 mai 2012. La clinique a formé un appel incident par conclusions du 9 juillet 2012. Mme R., qui a constitué avocat le 26 juillet 2012, a formé un appel incident par conclusions du 21 septembre 2012, tendant à l'infirmation du jugement, seulement en ce qui concerne l'évaluation du préjudice.

Une ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 4 décembre 2012, devenue irrévocable, a déclaré l'appel de la société Boston caduc à l'égard de M. et Mme R..

M. R. est décédé le 27 avril 2012 et la procédure s'est poursuivie vis à vis de Mme R., prise en qualité de seule héritière de celui-ci.

Prétentions et moyens des parties :

Par dernières conclusions du 11 mai 2012, la société Boston a conclu à l'infirmation du jugement et à ce qu'il soit jugé

- que l'action de M. et Mme R. est irrecevable à l'encontre du Dr B. et de la clinique sur le fondement de l'article 1147 du Code civil,

- que l'action fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux était prescrite à la date de l'assignation en référé délivrée par M. et Mme R. à l'encontre du Dr B. et de la clinique,

- que l'appel en garantie formé par ces derniers contre elle est prescrit,

- que la preuve d'un défaut du Rotablator n'est pas rapportée.

Elle a sollicité la condamnation du Dr B. et de la clinique à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile du Code de procédure civile.

Soulignant que M. et Mme R. ont engagé leur action sept années après les faits, la société invoque en premier lieu la prescription de leur action dirigée contre le médecin et la clinique.

Elle soutient que cette action ne pouvait être fondée que sur la responsabilité contractuelle pour faute, en raison de l'interprétation donnée de l'article 13 de la directive sur la responsabilité des produits défectueux par la Cour de justice de l'Union européenne, de sorte qu'en l'absence de faute prouvée contre eux, leur responsabilité ne pouvait être engagée que sur le fondement de la responsabilité pour les produits défectueux. A cet égard, elle fait valoir que, selon l'article 1386-7 du Code civil, leur action devait être engagée dans les trois ans de la date à laquelle ils ont eu connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur, ce qui n'a pas été le cas.

S'agissant de l'appel en garantie, la société soutient que le tribunal se serait contredit en ce que le délai d'un an, visé par le jugement, ne s'applique que dans l'hypothèse où la responsabilité du fournisseur est recherchée sur le fondement de l'article 1386-1 du Code civil et non dans celui où, comme en l'espèce, la responsabilité contractuelle de droit commun était retenue.

S'agissant de la défectuosité du produit, la société Boston fait valoir que bien qu'aucune analyse du matériel n'ait pu être pratiquée, ni par elle-même ni par l'expert judiciaire puisque le Rotablator a été jeté après l'intervention, ce dont elle n'est pas responsable, elle a diligenté une procédure d'enquête interne, sous le contrôle de l'AFSSAPS, qui a conclu à l'absence de défaut du matériel (rapport final de médico-vigilance du 20 septembre 2000). Elle conteste que des incidents se soient multipliés avec le Rotablator, comme le prétendent M. et Mme R. et considère que ces incidents ne peuvent résulter que des conditions extrêmes d'utilisation et éventuellement d'un manque d'expérience des praticiens.

Par ses dernières conclusions du 19 novembre 2012, le Dr B. a conclu à

- l'irrecevabilité des conclusions au fond déposées par Mme R. contenant appel incident, dès lors qu'elles ont été déposées plus de deux mois après que le Dr B. lui a signifié le jugement le 23 janvier 2012, et qu'elle a sollicité l'irrecevabilité de l'appel principal à son égard,

- la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Boston à le relever et garantir des condamnations prononcées à son encontre,

- à titre subsidiaire, à la confirmation du jugement en ce qu'il a fixé les préjudices des 'époux R.' à la somme de 12 000 euros.

Il a sollicité la condamnation de la société Boston à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile du Code de procédure civile.

Il fait valoir que le fondement juridique de son appel en garantie dépend de la date de mise en circulation du Rotablator, date que devra indiquer la société Boston : mis en circulation avant le 21 mai 1998, l'action en garantie ne pourrait être fondée que sur le droit commun de la responsabilité délictuelle, se prescrivant par dix ans, de sorte que son action serait recevable ; mis en circulation postérieurement au 21 mai 1998, l'action en garantie serait fondée sur le régime mis en place par les articles 1386-1 et suivants du Code civil dans lequel l'action doit être engagée dans les trois ans à compter de laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur. A cet égard, il soutient qu'il n'a eu connaissance du dommage qu'il subissait lui-même qu'à compter de la délivrance de l'assignation au fond à la requête des consorts R., le 19 février 2009, de sorte que son appel en garantie du 2 septembre 2009 est recevable.

Sur le fondement délictuel, il fait valoir que la société Boston a commis une faute en mettant sur le marché un produit n'offrant pas la sécurité à laquelle les utilisateurs pouvaient légitimement s'attendre, même si le risque n'était alors pas décelable.

Sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil, il fait valoir que la défectuosité du produit est établie par le fait qu'il se soit bloqué alors que l'expert n'a relevé aucune faute du praticien dans son utilisation et la grande expérience de celui-ci.

Par conclusions du 3 octobre 2012, la clinique a conclu que l'incident du 10 juillet 2000 a constitué un aléa thérapeutique, et sollicité en conséquence la réformation du jugement, le débouté des demandes de Mme R., et sa condamnation à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

A titre subsidiaire, sur le fondement de l'article 1386-7 du Code civil, elle a conclu à l'irrecevabilité des demandes de Mme R. formulées à son encontre et sa condamnation à la même somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

A titre très subsidiaire, elle a conclu à la confirmation partielle du jugement en ce qu'il a condamné la société Boston à la relever et garantir de toutes condamnations et à ce que ses offres d'indemnisation soient déclarées satisfactoires. Elle a conclu à la condamnation de la société Boston à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile du Code de procédure civile.

La clinique soutient que les époux R. ne pouvaient connaître la défectuosité du matériel qu'au dépôt du rapport d'expertise et que le Dr B. et elle-même ont formulé leur demande de garantie contre la société Boston dans l'année contre le producteur.

Elle souligne que si sa responsabilité peut être recherchée sur la base d'une obligation de sécurité résultat, encore faut-il que les époux R. démontrent l'existence d'une défectuosité du produit et d'un dommage en lien de causalité avec cette défectuosité, alors qu'en l'espèce, l'accident survenu n'avait jamais été répertorié, que l'AFSSAPS, a classé l'incident après la déclaration d'accident faite par le Dr B. et qu'il s'agit d'une complication exceptionnelle. Elle fait encore valoir que l'infarctus qui s'est produit aurait de toutes façons eu lieu dans les semaines suivantes, si l'intervention n'avait pas été entreprise.

A titre subsidiaire, au soutien de l'irrecevabilité des demandes de Mme R. à son égard, elle fait valoir que celle-ci connaissait l'identité du fabricant et ne pouvait agir que contre ce dernier.

Par conclusions du 17 octobre 2012, Mme R., agissant en réparation de son propre préjudice et en tant qu'héritière de son mari décédé, après avoir soulevé l'irrecevabilité de l'appel dirigé contre elle, a conclu au fond à la confirmation du jugement, en ce qu'il a dit le Dr B. et la Clinique tenus des conséquences dommageables de l'intervention subie par son mari et à son infirmation en ce qui concerne la liquidation des préjudices.

Elle a sollicité la condamnation un solidum de la société Boston, du Dr B. et de la clinique à lui verser la somme de 39 080 euros en réparation des préjudices subis par son mari et celle de 15 000 euros en réparation de ses préjudices propres, outre les frais médicaux.

Elle a enfin conclu à la condamnation des mêmes à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile du Code de procédure civile.

Sur la prescription de son action, elle soutient que compte tenu du fait qu'il convient, faute de preuve contraire, de considérer que le Rotablator a été mis en circulation avant le 21 mai 1998, son action pouvait donc être fondée sur l'article 1147 du Code civil ; que si tel ne devait pas être le cas, elle soutient que l'identité du fabricant n'est pas connue dès lors que le Kbis de la société Boston fait apparaître qu'elle n'est que le distributeur, assimilable au producteur et que le délai de trois n'a pas commencé à courir .

S'agissant du caractère défectueux du produit, se fondant sur l'article 1147 du Code civil, elle fait valoir que le Dr B. et la clinique sont tenus d'une obligation de sécurité résultat dont ils ne peuvent s'exonérer qu'en rapportant la preuve d'une cause étrangère, la notion d'aléa thérapeutique n'ayant aucune incidence sur la responsabilité encourue. Elle estime que le fait que l'engin ait été jeté ne lui est pas opposable et que le fait qu'il soit resté bloqué établit sa défaillance mécanique et que les conditions de l'article 1386-9 du Code civil sont également remplies.

S'agissant du préjudice, elle critique principalement l'évaluation par l'expert des souffrances endurées et du préjudice psychologique de son mari et elle-même.

Sur le premier point, insistant sur le fait que M. R. est resté en soins intensifs une semaine et hospitalisé en convalescence jusqu'au 24 novembre 2000, soumis au traitement lourd attaché aux accidents cardiaques. Elle estime donc que la fixation à 1/7 de ce poste de préjudice est inadaptée et sollicite la somme de 20 000 euros.

Sur le second point, elle considère que l'expert n'avait pas à s'interroger sur la légitimité de leurs inquiétudes et souffrances psychiques mais de dire si celles-ci étaient en lien avec l'échec de l'intervention. Elle sollicite de ce chef, en s'appuyant sur les constatations d'autres experts qu'elle a consultés, la somme de 15 000 euros pour elle-même et la même somme concernant le préjudice subi par son mari.

La CPAM du Var, assignée le 22 mai 2012 à personne habilitée n'a pas constitué avocat mais a fait connaître qu'elle avait supporté des dépenses de santé à hauteur de 611,88 euros.

L'arrêt sera réputé contradictoire par application de l'article 474 du Code de procédure civile.

Mme R. s'estimant " hors de cause " à la suite de l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 4 décembre 2012, a indiqué à la cour d'appel par lettre du 22 novembre 2013 qu'elle n'entendait pas déposer de dossier et a demandé à la cour la restitution de celui qu'elle avait déposé en application de l'article 912 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la situation procédurale :

La société Boston a formé un appel général du jugement, intimant l'ensemble des parties et a conclu le 11 mai 2012.

Par conclusions du 9 juillet, la clinique a conclu, en formant un appel incident et a signifié ses conclusions le 25 juillet 2012 à Mme R., qui n'avait pas constitué avocat, puis à l'avocat de celle-ci constitué le 26 juillet, le 31 juillet.

Cet appel incident, fait dans les deux mois des conclusions de la société Boston, est recevable, y inclus à l'égard de Mme R., à laquelle il a été signifié dans le mois suivant conformément à l'article 911 du Code de procédure civile.

Mme R. a conclu le 21 septembre 2012 et formé un appel incident portant sur le montant du préjudice. Cet appel formé dans les deux mois de la signification qui lui a été faite le 25 juillet 2012 est recevable à l'égard de la clinique, en application de l'article 910 du Code de procédure civile.

Le Dr B. soutient qu'ayant signifié le jugement à Mme R. le 23 janvier 2012, celle-ci devait en faire appel avant le 23 février, de sorte que son appel par voie de conclusions du 21 septembre est irrecevable. Cependant, l'appel formé par Mme R. n'est pas un appel principal mais un appel incident, qui est recevable, pour autant qu'il soit fait dans les deux mois des conclusions de l'appelant principal ou de l'appelant incident. En l'espèce, l'appel de la société Boston étant caduc à l'égard de Mme R., l'appel incident de celle-ci devait être fait dans les deux mois de l'appel incident formé vis à vis d'elle par la clinique, ce qui est le cas. Son appel est donc recevable y compris à l'égard du Dr B..

Malgré le courrier du conseil de Mme R. susmentionné, qui a estimé que celle-ci était hors de cause, aucune conclusions tendant à voir ordonner sa mise hors de cause ou le désistement de son appel incident n'ont été prises, de sorte que Mme R. est toujours dans la cause et que la cour se trouve encore saisie des conclusions qu'elle a déposées le 17 octobre 2012.

Le cour se trouve donc saisie

- de la demande de la clinique tendant à ce qu'il soit jugé que l'accident survenu constitue un aléa thérapeutique devant conduire à la réformation totale du jugement et au débouté des demandes de Mme R.,

- de celle du Dr B. tendant à la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Boston à le garantir,

- de la demande de la société Boston, tendant à voir juger qu'elle ne soit pas déclarée tenue de garantir la clinique et le Dr B. et

- de la demande d'infirmation du jugement en ce qui concerne l'évaluation du préjudice formulée par Mme R..

La cour n'est en revanche pas saisie de la demande de la société Boston de réformer ce qui a été jugé sur l'action de Mme R. vis à vis de la clinique et du médecin, l'appel de la société Boston à l'égard de Mme R. étant irrecevable.

L'expertise:

M. R. était âgé de 77 ans au moment de l'intervention. Il était diabétique, hypertendu et avait fait un infarctus en 1980. Il était par ailleurs, porteur du virus de l'hépatite C. En mai 2000, le Dr C., qui le suivait, l'a adressé au Dr B., chirurgien cardiologue, en vue de la réalisation d'une angioplastie qui fut effectuée le 25 mai (au cours d'un séjour à la clinique du 20 au 26 mai). Cette intervention a partiellement échoué en raison de la rupture du ballon contre des calcifications importantes. Le Dr B. a alors proposé au Dr C. de " laisser reposer les choses avant une nouvelle angioplastie par rotablator ".

Le 9 juin 2000, le Dr C. a adressé à nouveau M. R. au Dr B. en vue d'une procédure par Rotablator, l'indication étant faite de façon collégiale, selon l'expert.

Le 9 juillet 2000, M. R. est hospitalisé à nouveau à la clinique et l'opération réalisée le 10 juillet. L'expert indique qu'une première lésion est franchie par le Rotablator et que 'la deuxième lésion est traitée classiquement, fraisage à 5 secondes, vitesse 180 000 tours par minute et aboutit à un arrêt brutal de la turbine, l'olive et la sonde restant bloquées dans la coronaire droite au sein de la plaque calcaire'. Les tentatives pour désincarcérer l'olive ayant échoué, la fraise reste bloquée, ce qui, selon l'expert, 'occasionne immédiatement un infarctus, ce que l'on comprend bien car sa présence dans la petite lumière résiduelle finit par bloquer complètement le flux coronaire'. La sonde bloquée est coupée, " laissant en place un segment avec une extrémité proximale dans la coronaire droite et une extrémité distale flottante dans l'aorte descendante ".

M. R. est resté en réanimation du 10 au 13 juillet 2000 avant d'être transféré aux soins intensifs du 14 au 15 juillet 2000. Il sort de la clinique le 17 juillet 2000.

La famille s'est alors adressée à un autre cardiologue, le Dr Z., qui réalisa une scintigraphie myocardiaque le 20 octobre 2000. Devant la persistance de troubles angineux, ce médecin proposa une revascularisation chirurgicale qui sera réalisée par 24 octobre 2000 et qui permettra également l'exérèse de l'essentiel de la sonde laissée sur place. Les suites de l'intervention seront favorables et la rééducation sera poursuivie jusqu'au 24 novembre 2000.

Sur l'information donnée au patient : l'expert n'a pas trouvé d'information écrite en particulier sur les risques spécifiques de la procédure rotablator. Il note qu'entre les premiers symptômes à la mi-mai 2000 et l'intervention, un délai de réflexion a eu lieu ainsi que de nombreux échanges de courriers entre les différents correspondants et estime que le patient a ainsi eu la possibilité de poser toutes les questions nécessaires.

Sur l'intervention : selon l'expert, l'intervention était nécessaire mais non indispensable, soulignant que lorsqu'un patient est à risque d'infarctus, il y a toujours un risque de décès par trouble du rythme. Il précise que " la seule alternative possible à l'intervention par rotablator était la revascularisation chirurgicale, mais compte tenu de l'absence d'indication sur l'IVA chez un patient bitronculaire le choix de l'angioplastie était logique et ce d'autant que nous étions en phase aigüe avec une seule lésion coupable ". " On ne peut pas (...) regretter l'absence de revascularisation chirurgicale plutôt que angioplastie. La chirurgie a aussi ses risques (...) ".

Selon lui, il existe un lien de causalité direct et certain entre l'infarctus inférieur dont a été victime M. R. et l'incident lié à la procédure de Rotablator, mais en l'absence de tentative d'angioplastie assistée par Rotablator, l'infarctus inférieur était inévitable à court terme compte tenu de l'angor instable. L'expert conclut que l'incident n'a fait que précipiter une évolution inéluctable à brève échéance.

S'agissant de l'utilisation du Rotablator, l'expert indique qu'il s'agit d'une procédure relativement délicate, tous les centres d'angioplastie n'y ayant pas recours en raison de la haute technicité de cette procédure. Il précise que le compte rendu opératoire décrit une technique de mise en place tout à fait conforme aux recommandations pour ce type de procédure et que M. B. avait une solide expérience en la matière, avec entre 400 et 500 procédures réalisées.

Selon les données transmises par la société Boston à l'expert, pour 2006 et 2007, plus de 10 000 procédures par an ont été réalisées, sans qu'un tel incident ait été rapporté. L'expert indique que la commission de Matériaux vigilance de l'AFSSAPS, dont il est membre, n'a pas connu de ce type d'incident sur ce matériel.

L'expert conclut qu'aucune imprudence, inattention, négligence ne peut être imputée au praticien et que les soins doivent être considérés comme consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science et qu'aucune défection concernant le matériel fourni par le laboratoire ne peut être retenue.

Sur l'origine du dommage :

Il résulte de l'expertise que l'infarctus qu'a subi M. R. au cours de l'angioplastie pratiquée par le Dr B. a trouvé sa cause directe et certaine dans le blocage de l'appareil utilisé pour pratiquer cet acte médical et l'impossibilité de retirer l'intégralité du dispositif. L'expert n'a relevé à la charge de l'établissement soins ou du médecin aucune faute ou négligence, dans l'utilisation du matériel, la procédure prescrite ayant, selon lui, été suivie.

Il a noté que l'appareil utilisé n'ayant pas été conservé par l'établissement, aucun examen de celui-ci n'avait pu être effectué pour déterminer l'origine du blocage de la fraise. Bien que l'expert conclut qu'aucune défection du matériel fourni par le laboratoire ne peut être retenue, il résulte des pièces versées au dossier que l'incident a bien été causé par une défaillance de l'appareil utilisé.

En effet, outre que l'expert a lui-même noté que la turbine s'était brutalement arrêtée, ce qu'un appareil fonctionnant correctement n'est pas supposer faire, lorsqu'il est utilisé dans les conditions prescrites, le compte rendu d'hospitalisation concernant M. R. indique que l'opération a été 'marquée par un incident pendant la procédure avec rupture du câble permettant d'entraîner la fraise et blocage de celle-ci au niveau du segment II de la coronaire droit'. De même, le compte rendu d'angioplastie établi par le Dr B. mentionne 'arrêt brutal de la turbine rendant impossible la poursuite du fraisage (...) La fraise est démontée au niveau de sa connexion avec la turbine et on note que le dispositif de connexion est rompu. Il s'avérera impossible de la reconnecter'.

L'infarctus a bien été causé par la présence d'élément du dispositif Rotablator dans l'aorte du patient, qui n'avaient pu être extraits après l'arrêt intempestif de la turbine alors que la fraise se trouvait dans une plaque calcaire.

Si la société Boston soutient que l'incident ne peut être causé que par une mauvaise utilisation du produit, elle ne rapporte pas la preuve que cela ait été le cas en l'espèce, alors même qu'elle a été en possession du film de l'intervention et qu'il n'est pas contesté que le Dr B. avait une grande expérience de son utilisation. De même, si elle considère que l'incident ne peut s'expliquer que par une utilisation du matériel dans des conditions extrêmes, il résulte des pièces qu'elle a produites (Pièce n° 5, lettre de sa responsable de pharmacovigilance) qu' 'une très forte calcification est l'une des indications de base de ce dispositif et ce pour quoi il est destiné'. Enfin, si le fait que l'appareil ait été jeté par la clinique n'a pas permis son analyse et a interdit la recherche de la cause exacte de la déficience de l'appareil, à supposer que cela ait été possible après les tentatives d'extraction de celui-ci ayant conduit l'équipe à intervenir sur lui, cette circonstance n'exclut pas que la défaillance du matériel puisse être retenue.

Sur la responsabilité du Dr B. :

Mme R. a conclu à la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré M. B. et la clinique tenus d'indemniser son mari et elle des conséquences dommageables du dysfonctionnement de l'appareil rotablator au cours de l'intervention du 10 juillet 2000, et son infirmation pour la surplus.

M. B. n'ayant pas conclu à l'infirmation du jugement en ce qui concerne la demande principale de Mme R., il a accepté la décision en ce qui concerne sa condamnation à réparer les préjudices causés à M. R..

Sur la responsabilité de la clinique :

Il résulte de l'interprétation donnée par la Cour de justice de l'Union européenne de la directive 85-374-CEE du 25 juillet 1985, modifiée, que la responsabilité des prestataires de soins, n'est pas régie par ce texte, transposé aux articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil ; il s'en suit que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la responsabilité de ces professionnels, qui ne peuvent être assimilés à des distributeurs de produits ou dispositifs médicaux, ne peut être recherchée que pour faute lorsqu'ils ont recours aux matériels et dispositifs médicaux nécessaires à l'exercice de leur art ou à l'accomplissement d'un acte médical pourvu que soit préservée leur faculté et/ou celle de la victime de mettre en cause la responsabilité du producteur.

La responsabilité de la clinique ne peut donc être recherchée sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil et ne peut l'être que pour faute au regard des obligations qui sont les siennes de fournir aux praticiens exerçant à titre libéral en son sein, des personnels qualifiés en nombre suffisant et des locaux adaptés. Bien que la clinique et Mme R. n'aient pas conclu sur le fondement de la responsabilité pour faute de l'établissement de soins, celui-ci a soutenu ne pas avoir commis de faute (conclusions du 3 octobre 2012 p.18) et l'application de ce régime de responsabilité a été mis dans le débat par la société Boston (conclusions du 11 mai 2012 page 6, § 2, 3 et 4).

En l'espèce, comme il a été indiqué précédemment, aucune faute de l'établissement de soins n'a été identifiée par l'expert et la société Boston, qui soutient que l'appareil aurait été mal utilisé, ne met pas en évidence de défaillance de la clinique dans ses installations ou le personnel mis à disposition des praticiens.

En conséquence, la responsabilité de clinique n'est pas engagée dans l'accident subi par M. R., ce qui rend sans objet les moyens développés par la clinique quant à l'existence d'un aléa thérapeutique.

Sur l'action en garantie dirigée contre la société Boston :

La société Boston conteste sa condamnation par le jugement à garantir le Dr B. et la clinique des condamnations prononcées contre eux.

La responsabilité de la clinique étant écartée, l'action en garantie ne concerne que le Dr B.. La responsabilité du Dr B. ayant été retenue sur le fondement d'une obligation contractuelle de sécurité résultat par le tribunal, en raison de la défectuosité du matériel, il est recevable à solliciter la garantie du fabricant de ce produit.

La société Boston soutient que l'action en garantie du Dr B. serait, soit prescrite en ce qu'elle serait engagée sur le fondement de l'article 1386-1 et suivants, par application d'un délai de trois ans pour agir, soit irrecevable en ce qu'elle serait engagée sur le fondement délictuel, en raison du monopole du régime institué par la directive de 1985.

La mise en circulation du produit, au sens de la directive s'entend comme celle 'du produit même qui a causé le dommage', de sorte que la date de mise en circulation est celle de chaque exemplaire du produit.

Il n'est pas contesté par la société Boston, et cela résulte des pièces du dossier (notamment pièce 6 produite par la société Boston), que le " Rotablator, Rotalink Plus " en cause a été produit et mis en circulation postérieurement à 1998, de sorte que la responsabilité du fabricant est soumise au seul régime institué aux articles 1386-1 et suivants du Code civil. Or, en application de l'article 1386-17 du Code civil, l'action en réparation se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.

En l'espèce, étant observé que l'identité du producteur a été connue dès l'intervention, de même que l'existence du défaut, il doit être retenu, s'agissant d'une action récursoire, que le dommage consiste, non pas dans le dommage survenu à M. R., mais dans la condamnation ou dans la possibilité de condamnation de M. B. à indemniser le préjudice de la victime directe. C'est à compter, au plus tôt de l'assignation en référé expertise et provision, délivrée le 21 février 2007 par M. et Mme R. , ou à tout le moins de l'assignation au fond, délivrée le 19 février 2009, que le Dr B. a été en mesure de connaître le dommage et c'est par des conclusions déposées le 2 septembre 2009 qu'il a sollicité la garantie de cette société, soit dans les trois ans de ces assignations, de sorte que son appel en garantie est recevable.

Au fond, il résulte du régime institué par les articles 1386-1 et suivants du Code civil, que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, un produit étant défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. L'appréciation de ce critère, qui se fait in abstracto, doit tenir compte, selon l'article 1386-4 du même Code, notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation. Il appartient au demandeur de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

L'implication du produit et le simple fait qu'il ait causé un dommage ne suffisent pas à prouver son caractère défectueux et il faut démontrer qu'il était affecté d'un défaut de sécurité à l'origine du dommage. Cependant, doit être considéré comme défectueux le produit qui se révèle anormalement dangereux, même en l'absence d'un vice intrinsèque prouvé de fabrication ou de conception, lorsqu'il en est fait un usage normal ou un usage, qui sans être normal, était raisonnablement prévisible.

En l'espèce, il résulte de ce qui a été constaté sur l'origine du dommage que le Rotablator utilisé s'est brusquement arrêté en pleine intervention, de sorte qu'il s'est révélé anormalement dangereux et n'a pas présenté la sécurité à laquelle ses utilisateurs étaient en droit de s'attendre. Ainsi que l'a indiqué le jugement, l'impossibilité de déterminer la cause de la panne de la turbine ayant provoqué le blocage de la fraise ni l'affirmation du fabricant selon laquelle ce type d'incident n'aurait jamais été relevé par le passé sont sans incidence sur le caractère défectueux du produit en cause (étant observé que d'autres incidents mécaniques ont été répertoriés sur ce produit, notamment en août 1999 un incident relatif au système de freinage ayant entraîné le rappel de plusieurs modèles de rotablator).

Aucune des causes d'exonération de sa responsabilité, limitativement énumérées à l'article 1386-11 du Code civil n'étant invoquée ni établie, la responsabilité de la société Boston, fabricant, doit être retenue.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée à garantir le Dr B. des condamnations prononcées contre lui.

Sur le préjudice :

Si Mme R. sollicite la réformation du jugement en ce qui concerne l'évaluation de son préjudice direct et successoral, elle ne produit aucune pièce permettant de remettre en cause les montants alloués, étant observé que c'est par une juste appréciation, au regard de l'état antérieur de M. R. et des suites de l'infarctus décrites par l'expert, et que la quantification proposée par celui-ci ne lie pas la cour, que le tribunal a évalué le déficit fonctionnel temporaire sur la base de 500 euros par mois et les souffrances endurées à 3 000 euros. De même, en l'état de l'âge de M. R., de la gravité de son état de santé antérieur, l'angoisse supplémentaire légitimement suscitée par la connaissance de ce qu'il conservait un corps étranger dans l'organisme a été justement évaluée à la somme de 5 000 euros en ce qui le concerne et à 2 000 euros en ce qui concerne son épouse.

Sur les demandes annexes :

La société Boston, qui est tenue à réparation, sera condamnée à verser à Mme R. la somme de 2 500 euros, à la clinique celle de 1 500 euros et au Dr B. celle de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a condamné le centre hospitalier privé Beauregard à réparer le préjudice subi par M. et Mme R. au titre de leur dommage corporel et de l'article 700 du Code de procédure civile et condamné la société Boston Scientific International à garantir cet établissement de soins de l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre ; Statuant à nouveau, Dit que la responsabilité du centre hospitalier privé Beauregard n'est pas engagée ; Rejette la demande en paiement formée par Mme R. contre le centre hospitalier privé Beauregard ; Y ajoutant, Condamne la société Boston Scientific International à verser 2 500 euros à Mme R., 1 500 euros au centre hospitalier privé Beauregard et 1 500 euros au Dr B. sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile du Code de procédure civile ; Condamne la société Boston Scientific International aux dépens d'appel et dit qu'ils seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle en ce qui concerne Mme R. et conformément à l'article 699 du Code de procédure civile, en ce qui concerne les autres parties.