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Décisions

CA Aix-en-Provence, 10e ch., 20 novembre 2013, n° 12-01612

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Exel GSA (SAS)

Défendeur :

Maures, CPAM des Bouches du Rhône

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Belieres

Conseillers :

Mmes Faure, Leroy-Gissinger

Avocats :

Mes Hugues, Cherfils, Sallou

TGI Aix-en-Provence, du 15 déc. 2011

15 décembre 2011

Le 16 août 2006, alors que Mme Maures allait traiter des rosiers avec un pulvérisateur qu'elle avait rempli de produit phytosanitaire et qu'elle pompait pour mettre l'appareil sous pression, le bouchon de remplissage a été projeté en l'air et est venu la blesser au menton.

Prétendant que l'appareil, de marque " tecnoma " (Pulsar 7) à pression préalable (capacité 51) fabriqué par la société Exel GSA (la société Exel) était affecté d'un défaut, Mme Maures a assigné cette société, les 13 et 18 février 2008, en présence de la CPAM des Bouches du Rhône, aux fins de la voir déclarée responsable de ses blessures, sur le fondement des articles 1384, alinéa1, et 1386-1 et suivants du Code civil, et de désignation d'un médecin afin de déterminer l'étendue de son préjudice corporel.

Par jugement du 16 juillet 2009, le Tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a ordonné une expertise technique, confiée à M. Decaux, destinée à déterminer si le pulvérisateur utilisé par Mme Maures était défectueux.

M. Decaux a déposé son rapport le 14 février 2010, en l'état, après avoir estimé qu'une expertise complémentaire serait nécessaire pour déterminer les causes exactes de l'accident et constaté que Mme Maures s'opposait à une telle mesure, compte tenu de son coût estimé.

Par jugement du 15 décembre 2011, le Tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a :

- déclaré la société Exel entièrement responsable du dommage, par application de l'article 1386-11 du Code civil, en considération du fait qu'elle n'établissait l'existence d'aucune des causes possibles d'exonération de la responsabilité telles que prévues par cet article,

- ordonné une expertise médicale et désigné pour y procéder le Dr AArrouas,

L'expert a déposé son rapport le 7 mai 2012.

La société Exel par déclaration du 26 janvier 2012, dont la recevabilité et la régularité ne sont pas contestées, a formé un appel général contre ce jugement.

Prétentions et moyens des parties :

Par dernières conclusions du 13 août 3012, la société Exel sollicite la réformation du jugement en toutes ses dispositions et le débouté de toutes les demandes de Mme Maures, faute pour elle d'avoir rapporté la preuve du défaut dont serait affecté le Pulsar 7, et à titre subsidiaire, en raison des fautes commises par elle dans l'utilisation du matériel et de ce que le défaut n'existait pas au moment de la mise en circulation du produit.

A titre infiniment subsidiaire, elle demande que sa responsabilité soit réduite dans les plus larges proportions compte tenu des fautes avérées de Mme Maures dans l'utilisation et le stockage de l'appareil et la réduction des sommes réclamées par Mme Maures au titre de la liquidation de son préjudice.

Elle a enfin conclu à la condamnation de Mme Maures à lui verser la somme de 5 000 euros pour procédure abusive et celle de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir, sans contester la réalité de l'accident, que ni le défaut dont serait affecté le pulvérisateur ni son lien de causalité avec le dommage allégué ne sont prouvés par Mme Maures. Elle soutient que l'allégation selon laquelle la structure du pulvérisateur aurait dû être suffisamment solide afin d'éviter la survenance d'un tel sinistre n'est pas de nature à démontrer que le produit n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, que le rapport d'expertise ne contient que des hypothèses non vérifiées et que l'une des hypothèses est que l'expulsion du bouchon aurait une cause totalement étrangère à la prétendue défectuosité du produit.

Elle fait valoir qu'elle bénéficie d'une certification ISO 9001, que tous les modèles de Pulsar 7 présentent les mêmes normes de sécurité (soupape de sécurité se déclenchant à une pression de service de trois bars, résistance de l'appareil à une pression de douze bars et de son bouchon à une pression de trente bars), que le pulvérisateur est accompagné d'une notice d'utilisation très détaillée, que le corps de l'appareil porte d'importantes instructions sous forme de schémas explicatifs et que tout utilisateur se doute que l'utilisation d'un engin sous pression nécessite un entretien et un stockage conforme aux préconisations du producteur.

Elle prétend enfin que l'expertise a mis en évidence les fautes de Mme Maures dans l'entretien, le stockage et l'utilisation du pulvérisateur. Elle s'appuie, notamment, sur le fait que Mme Maures n'a pu produire la notice d'utilisation de l'appareil au cours de l'expertise et que l'expert a constaté que le bouchon de remplissage était légèrement jauni, ce qui témoignerait, selon elle, d'une exposition prolongée au soleil et donc d'un mauvais stockage de l'appareil.

Par dernières conclusions du 19 juin 2012, Mme Maures a conclu à la confirmation du jugement en ce qui concerne la déclaration de la responsabilité de la société Exel dans l'accident et la condamnation de celle-ci à lui verser une certaine somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, mais à sa réformation en ce qui concerne le montant de l'indemnisation de son préjudice, en sollicitant de la cour qu'elle procède, par évocation, à la liquidation de son préjudice. A ce titre, elle a demandé la condamnation de la société à lui verser la somme de 9 210 euros. Elle a également conclu à sa condamnation à la somme de 2 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient que si l'engin présentait la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre, sa structure aurait été suffisamment solide pour éviter la survenance du sinistre qui s'est produit et que la défaillance de l'appareil est bien à l'origine des blessures. Elle fait valoir que les allégations de la société Exel concernant le fait que l'appareil aurait reçu un choc ou aurait été exposé trop longtemps au soleil ne reposent sur aucun élément matériel et qu'il n'est pas démontré qu'elle aurait commis une faute dans l'utilisation du pulvérisateur.

La CPAM des Bouches-du-Rhône, assignée à personne habilitée le 23 avril 2012, n'a pas constitué avocat.

L'arrêt sera réputé contradictoire par application de l'article 474 du Code de procédure civile.

Motifs de la décision

Les constatations de l'expert :

L'expert a noté que appareil en cause avait été acquis par Mme Maures à une date indéterminée, qu'elle situe entre un et deux ans avant l'accident et avait déjà été utilisé à plusieurs reprise par elle.

Après examen de l'appareil, il l'a décrit comme étant en bon état général, sans trace apparente de coup, de fente ou de cassure sur le corps de l'engin, sauf sur son bouchon de remplissage impliqué dans l'accident. L'examen comparatif avec un appareil identique a fait apparaître que la seule différence entre les deux appareils résidait dans la couleur légèrement jaunie de celui de Mme Maures, due vraisemblablement au temps, selon l'expert. Il en va de même du bouchon de remplissage. L'expert a noté que le joint du bouchon est fendillé, " signe également de son vieillissement " et " qu'entre la partie vissée et le tube qui a sauté lors de l'accident, il manque de la matière plastique, des éclats ayant sans doute sautés à ce moment-là ". Il a également noté l'absence de graissage des joints de l'appareil.

L'expérience qu'il a menée, de test de fonctionnement de déclenchement de la soupape de sécurité, destinée à empêcher une pression supérieure à 3,3 bars, a mis en évidence que cette soupape fonctionnait correctement sur l'appareil litigieux.

L'expert a conclu que son examen et les tests qu'il avait pu mener n'avaient pas permis d'établir les causes de l'accident " ni pourquoi l'appareil était défectueux au moment de l'accident ". Des devis ont été effectués par des entreprises spécialisées, à sa demande, pour la réalisation d'analyses complémentaires du plastique du bouchon à l'origine de l'accident, mais leur coût était élevé et Mme Maures n'a pas souhaité qu'elles soient entreprises.

En conséquence, l'expert a indiqué qu'il lui fallait " simplement peut-être supposer que l'appareil avait vieilli, que la composition de la matière plastique (polypropylène) s'était petit à petit dégradée devenant moins solide, que des fissures ou fentes microscopiques invisibles à l'oeil nu étaient apparues sur le bouchon de remplissage cela en raison de son vieillissement ou d'un choc suite à une chute de l'appareil, et un jour sous la pression le bouchon avait sauté brusquement. Nous pouvons aussi supposer que le bouchon de remplissage, en raison d'un défaut de fabrication, se soit fendillé ou que la matière elle-même ne soit pas conforme à celle utilisée pour l'appareil et qu'ainsi fragilisé il ne soit pas suffisamment solide pour résister dans la durée aux contraintes de la pression. " L'expert estime n'avoir pu qu'émettre des hypothèses non vérifiées.

Sur la responsabilité de la société Exel :

Selon les articles 1386-1 et suivants du Code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, un produit étant défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Cette appréciation, qui se fait in abstracto, doit tenir compte, selon l'article 1386-4 du même Code, notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation. Il appartient au demandeur de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

L'implication du produit et le simple fait qu'il ait causé un dommage ne suffisent pas à prouver son caractère défectueux et il faut démontrer qu'il était affecté d'un défaut de sécurité à l'origine du dommage. Cependant, doit être considéré comme défectueux le produit qui se révèle anormalement dangereux, même en l'absence d'un vice intrinsèque prouvé de fabrication ou de conception, lorsqu'il en est fait un usage normal ou un usage, qui sans être normal, était raisonnablement prévisible.

En l'espèce, il n'est pas contesté que le bouchon de l'appareil a été projeté en l'air causant des blessures à Mme Maures, qui faisait un usage normal du pulvérisateur, en le mettant sous pression. Aucune erreur de manipulation du pulvérisateur le jour de l'accident n'a été mise en évidence par l'expert. S'il a été suggéré au cours de l'expertise qu' le pulvérisateur aurait pu être stocké dans de mauvaises conditions ou que des produits non autorisés auraient pu être utilisés, aucune preuve n'en a été rapportée, la décoloration de l'appareil et du bouchon pouvant être dues, comme l'indique l'expert, au fil du temps, à l'exposition normale au soleil d'un appareil destiné à l'entretien du jardin. L'expertise n'a, par ailleurs, noté aucune trace de choc sur l'appareil. Si ce type d'engin présente un danger intrinsèque en ce qu'il est sous pression, il n'est pas supposé, dans des conditions normales d'utilisation, causer l'éjection intempestive de ses parties mobiles.

En outre, il résulte de l'article 1386-10 du Code civil, que le fait que l'appelante bénéficie d'une certification ISO 9001 (2000) est sans incidence sur la responsabilité encourue au titre des produits défectueux, de même que le fait que les pulvérisateurs Pulsar soient homologués par un laboratoire allemand.

Il résulte de ce qui précède que, même si le processus exact ayant conduit le bouchon à s'éjecter n'a pu être explicité, l'appareil utilisé par Mme Maures, dans des conditions normales, n'a pas présenté la sécurité à laquelle son utilisateur était en droit de s'attendre.

La société Exel soutient qu'il existe des indices graves, précis et concordants de ce que le défaut du produit n'existait pas au moment de sa mise en circulation ou est apparu postérieurement, circonstance permettant de l'exonérer de sa responsabilité en application de l'article 1386-11 du Code civil. Elle invoque à ce titre que Mme Maures, qui n'a pu produire la notice d'entretien du pulvérisateur n'aurait pas respecté les consignes de sécurité figurant sur celle-ci : graisser les joints du pulvérisateur, ne pas laisser l'appareil séjourner à la chaleur ou au froid, n'utiliser que des produits phytosanitaires jardin, vérifier avant l'emploi le bon déclenchement de la soupape et éliminer la pression résiduelle après utilisation, monter et serrer la pompe sur le réservoir pour obtenir l'étanchéité puis mettre en pression jusqu'à déclenchement de la soupape.

Cependant, la société ne rapporte la preuve d'aucune de ces circonstances, sous réserve de l'absence de graissage des joints, constatée par l'expert, mais dont ni la société ni l'expert n'indiquent quel rôle elle aurait pu jouer dans l'accident survenu. Par ailleurs, il peut être constaté que la notice ne précise pas que chacune de ces consignes serait nécessaire pour éviter que des parties mobiles du pulvérisateur ne soient expulsées de l'appareil lors d'une mise sous pression. En outre, le fait que le défaut du produit ne se soit révélé qu'après plusieurs utilisations n'implique pas qu'il n'existait pas au moment de la mise en circulation de celui-ci.

La preuve d'une cause d'exonération de responsabilité ou d'une faute de la victime ayant conjointement causé le dommage n'étant pas rapportée. L'entière responsabilité de la société Exel sera retenue.

Sur le préjudice :

A la suite de l'accident, Mme Maures, née le 24 août 1977, a souffert d'une plaie au menton (3 points de suture), d'un hématome de la lèvre inférieure, d'une brûlure au premier degré au niveau du visage. Un vaccin antitétanique a été injecté à l'hôpital qui l'a reçue. Elle a regagné son domicile le jour même, avec un traitement local et a consulté par la suite un médecin esthétique afin, notamment, de faire réaliser un traitement de la cicatrice par lumière pulsée.

Les conclusions de l'expert sont les suivantes :

Incapacité temporaire de travail : du 16 au 18 août 2006

Déficit fonctionnel temporaire dégressif jusqu'à la consolidation (classe II pendant 15 jours puis classe I).

Souffrances endurées : 1;5/7

Consolidation : 30 avril 2007

Préjudice esthétique temporaire : présence d'une cicatrice avec pansements locaux au visage durant 5 mois.

Déficit fonctionnel permanent : nul

Préjudice esthétique : 1/7 présence d'une cicatrice peu visible au niveau du visage.

Au regard de ces constatations contre lesquelles n'est formulée aucune contestation médicalement fondée, il y a lieu de fixer ainsi qu'il suit le préjudice de Mme Maures :

Frais d'assistance à l'expertise : 450 euro

(Selon facture produite)

Déficit fonctionnel temporaire : 800 euro

Sur la base d'une gêne évaluée à 500 euros par mois et dégressive ainsi qu'indiqué par l'expert.

Souffrances endurées : 2 000 euro

Préjudice esthétique temporaire : 1 500 euro

Préjudice esthétique permanent : 1 500 euro

Le préjudice corporel de Mme Maures s'établit donc à 6 250 euros, somme que la société Exel sera condamnée à lui verser avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, étant observé que la ou les provisions reçues par Mme Maures devront être déduites de cette somme.

Sur les demandes annexes :

Compte tenu du sens de la décision, il y a lieu de rejeter la demande de dommages et intérêts formée par la société Exel pour procédure abusive.

La société Exel qui succombe étant condamnée aux dépens, elle ne peut, de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'équité commande en revanche de la condamner à verser à Mme Maures la somme de 2 000 euros sur le même fondement.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement , Y ajoutant, après évocation, - Fixe le préjudice corporel de Mme Maures à la somme 6 250 euros ; - Condamne la société Exel GSA à lui verser la somme de 6 250 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, déduction non faite de la ou des provisions versées ; - Condamne la société Exel GSA à verser à Mme Maures la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; - Condamne la société Exel GSA aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.