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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 28 mai 2014, n° 13-07340

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Astrazeneca (SAS)

Défendeur :

Saguet, CPAM Haute-Marne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Varlamoff

Conseillers :

Mmes Catry, Grison-Pascail

Avocats :

Mes Dupuis, Henin, Lafon, Ludot

TGI Nanterre, du 23 sept. 2013

23 septembre 2013

FAITS ET PROCÉDURE

Soutenant qu'à raison d'importantes migraines, son médecin de famille lui avait prescrit en 1999/2000 un médicament, le Zomig, que quelques mois après, sa vue avait commencé à baisser, qu'en 2003, son acuité visuelle s'était effondrée puisqu'elle n'était plus que de 1/10e avec correction à l''il droit comme à l''il gauche, que cette baisse d'acuité visuelle, qui s'était encore aggravée, était imputable à l'absorption du Zomig, Mlle Sandrine Saguet, née le 6 avril 1968, par acte des 26 et 29 juillet 2013, a assigné le laboratoire fabriquant et commercialisant ce médicament, la société Astrazeneca, en présence de la CPAM de Haute Marne pour voir ordonner une expertise sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile.

Par ordonnance de référé du 24 septembre 2013, le délégataire du Président du Tribunal de grande instance de Nanterre a fait droit à la demande et désigné un collège d'experts ayant pour mission notamment de décrire la pathologie dont est atteinte Mlle Saguet, la nature et la durée du traitement qui lui a été administré, spécialement le Zomig/Zomigoro, et fournir tous éléments permettant de déterminer s'il existe un lien entre ce médicament et la pathologie.

La société Astrazeneca, qui s'était opposée à l'expertise, invoquant l'inutilité de cette mesure et l'absence de motif légitime, en raison de la prescription de l'action en réparation et de l'absence de lien établi entre le dommage subi et le médicament, a interjeté appel.

Dans ses conclusions du 3 janvier 2014, elle sollicite l'infirmation de l'ordonnance, la constatation de la prescription de l'action sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, le rejet de la demande d'expertise, la constatation de l'absence de défaut de sécurité du médicament Zomig et de l'absence de lien de causalité direct et certain, à titre subsidiaire, l'extension de la mission d'expertise à, entre autres, la communication par tous les tiers concernés (les praticiens ayant examiné Mlle Saguet, les établissements hospitaliers publics et privés l'ayant hospitalisée, les laboratoires d'analyse) de toutes les pièces médicales non communiquées, sans que puisse leur être opposé le secret médical, à la description de l'étiologie et de l'ensemble des conséquences normalement prévisibles de toutes les maladies dont a souffert Mlle Saguet, avant la date de prescription du Zomig, et à la recherche du point de savoir si la baisse d'acuité visuelle est directement et/ou possible causée et/ou liée à l'existence d'un syndrome congénital familial associant la surdité et la baisse de l'acuité visuelle.

La société Astrazeneca fait essentiellement valoir que le délai de la prescription triennale édictée par l'article 1386-17 du Code civil était expiré lors de la délivrance de l'assignation, qu'il en était de même du délai de 10 ans prévu par l'article 1386-16 du même Code, que la matérialité de la prescription du Zomig et sa délivrance n'est pas établie, en l'absence de communication de l'entier dossier médical que Mlle Saguet retient, celle-ci ne produisant que quelques pièces.

Elle expose en outre que le rapport d'expertise ophtalmologique réalisée en juin 2006 par le docteur Lepori, ancien chef de clinique d'ophtalmologie, expert près la Cour d'appel de Nancy, désigné dans l'instance (apparemment non poursuivie) qui opposait Mlle Saguet à son médecin généraliste, le docteur Prieur, après avoir relaté les très nombreuses consultations, examens et hospitalisations (CHU de Reims en 2000, hôpital de la Pitié Salpêtrière en 2000, 2001 et 2004, Centre national d'ophtalmologie des XV-XX en 2001) a conclu au fait que Mlle Saguet est affectée d'une neuropathie optique bilatérale, asynchrone, progressive, évoluant depuis 2000 et de cause actuellement inexpliquée, qu'elle ne présentait pas de contre-indication ophtalmologique à la prescription du Zomig en 1999, que la toxicité de ce médicament vis-à-vis du nerf optique n'est appuyée par aucun document médical bibliographique et qu'elle s'avère uniquement hypothétique.

Par conclusions du 10 mars 2014, Mlle Saguet a sollicité la confirmation de l'ordonnance et l'application à son profit de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle indique que le premier juge a justement considéré que les arguments tirés de la prescription de l'action et de l'absence de démonstration d'un lien de causalité ne pouvaient faire obstacle à une mesure d'expertise.

Elle ajoute que son acuité visuelle a considérablement baissé entre 2000 et 2013 et rappelle le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil.

MOTIFS DE L'ARRÊT,

La CPAM de Haute Marne, régulièrement citée à personne habilitée pour recevoir l'acte, n'a pas constitué avocat.

Selon l'article 145 du Code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Il résulte de ce texte qu'il n'y a pas lieu à expertise lorsque l'action est prescrite ou éteinte, l'établissement ou la conservation des faits dont l'existence aurait pu être nécessaire à l'examen du fond du litige, en cas de recevabilité de l'action, s'avérant inutile.

Il convient donc de rechercher si, comme le soutient la société Astrazeneca, l'action est prescrite et/ou forclose ou éteinte.

Les articles 1386-16 et 1386-17 du Code civil, créés par la loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, prise en application de la directive CEE n° 85-374 du 25 juillet 1985, disposent :

. Art. 1386-16, Sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci, fondée sur les dispositions du présent titre, est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage à moins que, durant cette période, la victime n'ait engagé une action en justice.

. Art. 1386-17, L'action en réparation fondée sur les dispositions du présent titre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.

Il ressort de ces textes que le délai de prescription de 3 ans est inclus dans le délai de 10 ans au cours duquel la responsabilité du producteur peut être recherchée.

Si la connaissance du dommage est effective depuis au moins janvier 2006, date d'un certificat du docteur Kaplan, spécialiste en génétique ophtalmique ayant indiqué que Mme Saguet était atteinte d'une association entre une surdité de perception modérée et un trouble de l'acuité visuelle en rapport avec une neuropathie optique, cette dernière, qui a suivi un traitement par Zomig, selon la réponse datée du 23 janvier 2001 apportée par son médecin généraliste à un questionnaire destiné au médecin conseil d'une caisse, n'a pas eu connaissance d'un défaut (éventuel) du médicament, non établi à ce jour.

Par conséquent, le délai de la prescription de 3 ans de l'article 1386-17 n'a pas couru et l'action en réparation que Mlle Saguet pourrait engager en application de ce texte (si le délai de 10 ans n'était pas expiré), ne serait pas prescrite en application de ce texte.

En revanche, le délai de 10 ans à l'expiration duquel la responsabilité du producteur du produit est éteinte était expiré à la date de délivrance de l'assignation.

En effet, la date de mise en circulation du Zomig, qui constitue le point de départ du délai, peut être fixée en 2000, année au cours de laquelle le docteur Prieur, médecin généraliste de Mlle Saguet, lui a prescrit ce médicament (selon son certificat du 23 janvier 2001).

Le délai de 10 ans a ainsi expiré au plus tard fin 2010 sans que Mlle Saguet ait engagé la responsabilité de la société Astrazeneca.

La responsabilité de cette société étant éteinte, la désignation d'un collège d'expert pour déterminer le lien de causalité éventuel entre le traitement et l'apparition de la neuropathie ophtalmique apparaît dépourvue d'utilité, en dehors d'un but purement scientifique.

L'ordonnance sera donc infirmée.

Eu égard à la situation financière de Mlle Saguet, qui ne travaille plus et perçoit une pension d'invalidité, il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant par arrêt réputé contradictoire et publiquement, Infirme l'ordonnance déférée ; Rejette les demandes formées par Mlle Sandrine Saguet ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne Mlle Saguet aux entiers dépens de première instance et d'appel et admet, pour ceux d'appel, l'avocat représentant l'intimée au bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.