CA Douai, 3e ch., 21 mars 2013, n° 12-06491
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Electro Dépôt France (SAS)
Défendeur :
De Saint Riquier, Rignaux, Auchan France (SA), Fagorbrandt (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Dagneaux
Conseillers :
Mmes Robin, Berthelot
Avocats :
Mes Levasseur, Beaumont, Intimés, Mauro, Desurmont, Saurat, Carlier, Carlot
M. Sullivan de Saint Riquier a acheté le 7 juin 2008 un lave-linge séchant de marque Fagor et a souscrit une extension de garantie de 36 mois.
Invoquant des difficultés de fonctionnement, il a fait intervenir le service après-vente. Après plusieurs interventions et une reprise pour réparation, l'appareil a été restitué à M. de Saint Riquier le 13 octobre 2011.
Le 17 octobre 2011, un incendie s'est déclenché dans la salle de bains du logement de M. de Saint Riquier et de Mme Rignaux, pièce dans laquelle l'appareil était branché.
Par ordonnances de référé des 16 et 22 novembre 2011, une expertise a été ordonnée.
Le rapport a été déposé le 12 juillet 2012 et conclut au fait que l'incendie a pris naissance à l'intérieur de l'appareil, sans qu'une cause extérieure soit à l'origine de cet incendie.
Par acte d'huissier du 24 juillet 2012, M. Sullivan de Saint Riquier et Mme Cyrielle Rignaux ont fait assigner la société Electro Dépôt France pour obtenir, sur le fondement de l'article 809 alinéa 2 du Code de procédure civile, la condamnation de celle-ci à leur payer la somme de 33 326 euro à titre de provision ainsi que celle de 1 000 euro en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle ainsi que les dépens.
La société Electro Dépôt France a fait assigner en garantie la société Fagor France et la société Auchan France.
Par ordonnance rendue le 12 septembre 2012, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Béthune a :
- ordonné la jonction des instances enrôlées sous les numéros 12-287, 12-294 et 12-295,
- donné acte à la société Electro Dépôt France de ce que la société Fagor a été assignée par erreur et l'a mise hors de cause,
- dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société Fagorbrandt,
- condamné la société Electro Dépôt France à verser à M. Sullivan de Saint Riquier et à Mme Cyrielle Rignaux la somme de 10 000 euro à titre de provision,
- rejeté le surplus des demandes,
- condamné la société Electro Dépôt France aux dépens, en ce non compris les frais d'expertise de M. Michel Dubernard,
- condamné la société Electro Dépôt France à verser :
la somme de 750 euro à la société Fagor France et à la société Fagorbrandt, ensemble, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
la somme de 750 euro à la société Auchan France sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
la somme de 750 euro à M. de Saint Riquier et à Mme Rigaux, tous deux bénéficiaires de l'aide juridictionnelle, ensemble, sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,
- rappelé que la décision est exécutoire par provision.
Par déclaration du 10 octobre 2012, la société Electro Dépôt France a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions déposées au greffe le 6 février 2013, la SAS Electro Dépôt France conclut à la réformation de l'ordonnance entreprise et demande qu'il soit constaté qu'il existe des contestations sérieuses concernant la demande de provision de M. de Saint Riquier et de Mme Rignaux, demande qu'il soit dit n'y avoir lieu à référé et que les intimés soient renvoyés à mieux se pourvoir devant le juge du fond.
Elle demande que les intimés soient condamnés à lui restituer la somme de 10 000 euro versée au titre de l'exécution provisoire et conclut au rejet des demandes formées par M. de Saint Riquier et Mme Rignaux.
Elle sollicite la condamnation de ces derniers aux dépens avec distraction au profit de la SCP d'avocats Levasseur et à lui payer la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
A titre subsidiaire, elle conclut à la confirmation de la décision en ce qui concerne le montant de la provision allouée et demande que les sociétés Fagorbrandt et Auchan soient condamnées à la relever et garantir des condamnations pouvant être prononcées à son encontre.
Elle conclut au rejet des demandes formées par les intimés.
A titre très subsidiaire, elle demande que l'ordonnance à intervenir soit déclarée commune et opposable aux sociétés Fagorbrandt et Auchan et qu'il soit statué comme précédemment requis sur l'article 700 du Code de procédure civile et sur les dépens.
Elle invoque le fait que sa responsabilité ne peut être recherchée que dès lors qu'il est démontré un manquement de sa part à ses obligations contractuelles, ce que M. de Saint Riquier et Mme Rignaux ne démontrent pas. Elle indique qu'elle n'est tenue que d'une obligation de moyens et pas d'une obligation de résultat et que l'expertise n'a pas permis de déterminer avec certitude la cause de l'incendie. Elle indique que la responsabilité du fait des produits défectueux ne saurait lui être imputée, le producteur ayant été désigné, s'agissant en l'occurrence de la société Fagorbrandt. Elle précise qu'elle n'est pas intervenue personnellement sur l'appareil au titre des réparations, celles-ci ayant été effectuées par la société Auchan France. Elle invoque le fait qu'il n'existe aucun chiffrage sérieux des dommages subis par M. de Saint Riquier et Mme Rignaux.
Par dernières conclusions déposées au greffe le 17 janvier 2013, M. de Saint Riquier et Mme Rignaux demandent à titre principal que les parties se voient renvoyées à se pourvoir au fond et que la décision entreprise soit infirmée en ce qui concerne le montant de la provision qui leur a été allouée, dont ils demandent qu'elle soit portée à 33 326 euro.
A titre subsidiaire, ils demandent que la décision entreprise soit confirmée en ce qu'une provision de 10 000 euro leur a été allouée.
En tout état de cause, ils demandent que la société Electro Dépôt soit condamnée à leur payer la somme de 2 500 euro au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et que celle-ci soit condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Ils indiquent que la société Electro Dépôt est intervenue en qualité de réparateur de l'appareil, dans le cadre du contrat d'extension de garantie qui avait été souscrit, l'opération ayant été réalisée par la société Auchan France, intervenant en qualité de sous-traitant de la société Electro Dépôt.
Ils invoquent l'application de l'article 1147 du Code civil et le fait que le réparateur d'un appareil est tenu d'une obligation de résultat en ce qui concerne la sécurité. Ils indiquent que l'expertise démontre sans contestation possible que le feu a trouvé son origine dans le lave-linge séchant, sans cause extérieure. Ils invoquent le fait que la sous-traitance par Electro Dépôt des activités de réparation n'est pas de nature à éteindre son obligation contractuelle de sécurité de résultat vis-à-vis de son co-contractant.
Par dernières conclusions déposées au greffe le 6 février 2013, la société Auchan France conclut à la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté l'appel en garantie dirigé contre elle, a fait application de l'article 700 du Code de procédure civile à son profit et a condamné la société Electro Dépôt aux dépens.
A titre subsidiaire, elle demande qu'il soit jugé que l'évaluation du préjudice est sérieusement contestable et que toute demande formée à son égard soit rejetée.
A titre infiniment subsidiaire, elle demande qu'il soit jugé que l'obligation de réparer à la charge de la société Fagorbrandt n'est pas sérieusement contestable et que celle-ci soit condamnée à garantir la société Auchan de toute condamnation prononcée à son encontre.
En tout état de cause, elle demande que tout succombant soit condamné à lui payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et que les succombants soient condamnés aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de Maître Christophe Desurmont.
Elle indique que l'appel en garantie formé à son encontre ne comporte aucune mention du fondement juridique de l'action et qu'il n'est pas possible de faire droit à une demande de provision à son égard, sa responsabilité n'étant ni évidente ni incontestable.
Elle explique que l'expertise n'a pas permis de déterminer avec certitude quelle est la cause de l'incendie, étant précisé qu'il est seulement établi que l'incendie a pris naissance dans la partie supérieure de l'appareil. Elle invoque le fait que M. de Saint Riquier et Mme Rignaux, locataires, ont commis une faute civile en n'étant pas assurés, laquelle les prive de tout droit à indemnisation.
Par dernières conclusions déposées au greffe le 4 février 2013, la SAS Fagorbrandt conclut à la confirmation de la décision entreprise et demande sa mise hors de cause, n'étant ni fabricant ni importateur de l'appareil fabriqué par la société Fagor Electrodomesticos.
A titre subsidiaire, elle demande que compte tenu de l'existence d'une contestation sérieuse sur les responsabilités, les demandeurs initiaux soient déboutés de leur demande de provision et que la société Electro Dépôt France, ou toute autre partie, soit condamnée à lui payer la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, cette même partie succombante étant condamnée aux dépens.
Elle indique qu'elle n'est pas le fabricant de l'appareil, qui a été mis sur le marché par la société Fagor Electrodomesticos et que si elle a pu fournir des pièces détachées à la société Auchan, il n'est pas établi que l'une d'elles soit à l'origine de l'incendie
Elle explique que la société Auchan ne rapporte nullement la preuve de l'absence de faute de sa part, alors même que l'incendie est intervenu très peu de temps après son intervention pour réparation.
Elle indique que les demandes formées par M. de Saint Riquier et Mme Rignaux devraient être rejetées dans la mesure où ils n'étaient pas assurés et que les demandes sont injustifiées en leur montant.
DISCUSSION :
Il résulte de l'expertise qu'il est parfaitement établi que l'incendie, qui a endommagé les biens de M. de Saint Riquier et de Mme Rignaux et qui a entraîné des dégradations dans le logement dont ils sont locataires, a pour origine le lave-linge séchant acheté par M. de Saint Riquier le 7 juin 2008 auprès de la société Electro Dépôt.
Si les sociétés Electro Dépôt et Auchan France prétendent que la cause de l'incendie resterait indéterminée, pour autant la lecture du rapport d'expertise établit que tel n'est pas le cas, l'expert ayant indiqué que l'incendie avait pris naissance à l'intérieur de l'appareil, dans la partie haute de celui-ci.
L'expert a par contre indiqué qu'il n'était pas possible de dire si l'incendie avait pris en raison d'un défaut d'origine de l'appareil ou si la difficulté résidait dans les interventions de réparation réalisées après les pannes survenues. Pour autant il est bien établi que c'est le lave-linge séchant qui est à l'origine de l'incendie.
M. de Saint Riquier et Mme Rignaux fondent leur action à l'encontre de la société Electro Dépôt sur l'article 1147 du Code civil.
Ils invoquent le fait que la société Electro Dépôt auprès de la laquelle ils ont acheté un lave-linge séchant a la double qualité de vendeur de l'appareil et de réparateur, cette société étant également intervenue à la suite des pannes de l'appareil, en vertu du contrat d'extension de garantie souscrit par M. de Saint Riquier lors de l'achat.
Le vendeur professionnel d'un appareil électro-ménager a à sa charge une obligation de délivrance d'un appareil fonctionnant conformément aux attentes que l'acheteur peut avoir à l'égard d'un tel produit.
Le réparateur d'un appareil électro-ménager a la charge d'une obligation de résultat, devant restituer un appareil en état de fonctionnement.
La société Electro Dépôt invoque le fait que M. de Saint Riquier et Mme Rignaux aurait dû agir à l'encontre du fabricant de l'appareil, en application des articles 1386-1 et suivants du Code civil relatifs à la responsabilité du fait des produits défectueux.
Toutefois, il convient de relever que ce régime de responsabilité n'exclut pas l'application des autres régimes de responsabilité, ce qui est expressément prévu par l'article 1386-18 du Code civil.
Par ailleurs, en l'espèce, M. de Saint Riquier et Mme Rignaux fondent également leur action sur la responsabilité de la société Electro Dépôt en sa qualité de réparateur de l'appareil, ce qui n'entre pas dans les prévisions des articles 1386-1 et suivants.
La société Electro Dépôt prétend qu'elle ne serait pas tenue des obligations pesant sur le réparateur, dès lors que ce n'est pas elle mais la société Auchan France qui a procédé aux interventions de réparation du lave-linge séchant. Toutefois, cet argument ne peut être retenu puisque lorsque M. de Saint Riquier a fait appel à la société Electro Dépôt dans le cadre de la garantie contractuelle, c'est cette dernière qui a fait le choix de missionner la société Auchan France pour procéder aux réparations, sans que ce choix ait été fait par M. de Saint Riquier.
En effet, les fiches d'intervention versées aux débats établissent que la société Auchan France est intervenue mais que le règlement des interventions devait être réclamé à la société Electro Dépôt. Celle-ci ne peut donc se retrancher derrière l'intervention d'un sous-traitant, ce qui résulte de son seul fait.
En considération de l'ensemble de ces éléments, la société Electro Dépôt, agissant tant en sa qualité de vendeur que de réparateur a manqué à ses obligations contractuelles en ne délivrant pas à M. de Saint Riquier un appareil répondant à l'usage auquel il est destiné.
Dès lors, c'est à bon droit que le premier juge a retenu la responsabilité de la société Electro Dépôt et l'a condamnée à verser la somme de 10 000 euro à titre de provision.
Il n'y a pas lieu d'augmenter cette somme comme le demandent les intimés dans la mesure où si l'existence d'un préjudice important est incontestable au vu des constatations de l'expert sur l'état de l'appartement et des biens de ceux-ci, pour autant les justificatifs fournis ne permettent pas à ce jour de chiffrer l'intégralité des dommages avec toute la précision nécessaire.
La société Electro Dépôt demande, à titre subsidiaire, que l'ordonnance entreprise soit infirmée en ce qu'il a été dit qu'il n'y avait pas lieu à référé en ce qui concerne la garantie demandée par celle-ci aux sociétés Auchan France et Fagorbrandt.
Toutefois, c'est à juste titre que le premier juge a estimé que ce type de débat juridique excédait les pouvoirs du juge des référés et la décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a dit qu'il n'y avait pas lieu à référé sur ce point.
Il convient, en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 d'allouer à Maître Mauro, conseil de M. de Saint Riquier et de Mme Rignaux, la somme de 1 300 euro pour les frais exposés en appel.
Il n'est pas inéquitable de laisser aux sociétés Auchan France et Fagorbrandt la charge de leurs frais irrépétibles et non compris dans les dépens.
Les entiers dépens de première instance et d'appel seront supportés par la société Electro Dépôt, étant précisé que le premier juge a omis de statuer sur ce point dans le dispositif de son ordonnance.
Par ces motifs, LA COUR, - Confirme l'ordonnance rendue le 12 septembre 2012 par le juge des référés du Tribunal de grande instance de Béthune en toutes ses dispositions ; - Condamne la société Electro Dépôt France à payer à Maître Emmanuelle Mauro, avocat au barreau de Béthune la somme de 1 300 euro en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle ; - Déboute les sociétés Auchan France et Fagorbrandt de leurs demandes de condamnation en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; - Rectifiant l'omission de statuer du premier juge : - Condamne la société Electro Dépôt France aux dépens de première instance. - Condamne la société Electro Dépôt France aux dépens d'appel, avec distraction au profit de Maître Christophe Desurmont en ce qui concerne les dépens de la société Auchan France.