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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 20 août 2014, n° 12-06154

COLMAR

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bihr (SAS)

Défendeur :

Inducteurs Montages Création (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vallens

Conseillers :

Mmes Schneider, Roubertou

Avocats :

Mes Wetzel, Bergeron, Crovisier, Ponchon de Saint André

TGI Strasbourg, du 16 oct. 2012

16 octobre 2012

La société Inducteurs Montages Création (IMC) est titulaire de modèles déposés à l'INPI de Lyon enregistrés les 14 mars et 4 novembre 2002, concernant des portes vignette d'assurance destinés aux deux-roues. Se prévalant de ces modèles et d'un procès-verbal de saisie contrefaçon, IMC a fait citer la société Bihr devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg par une assignation du 14 avril 2011 en contrefaçon et en concurrence déloyale ou parasitaire, en réclamant le paiement de dommages et intérêts et diverses mesures d'interdiction et de publicité.

Par un jugement du 16 octobre 2012, le tribunal a :

- dit et jugé que Bihr s'était rendue coupable de contrefaçon des droits d'auteur et des droits de dessins et modèles de IMC,

- condamné Bihr à payer à IMC une somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts,

- fait interdiction à Bihr de fabriquer, importer et vendre des supports d'assurance décrits au procès-verbal de contrefaçon sous peine d'une astreinte de 1 000 euro par infraction constatée,

- enjoint à Bihr de justifier de la destination d'une commande de 1000 pièces qui devait lui être livrée au mois de juin 2011,

- ordonné à Bihr de rappeler tous les produits contrefaisants et d'en rendre compte à IMC sous peine d'une astreinte de 1 000 euro par jour de retard 30 jours après la signification du jugement,

- prononcé la confiscation des produits contrefaisants sous le contrôle d'un huissier,

autorisé IMC à faire publier le dispositif du jugement aux frais de Bihr dans la limite de 5 000 euro,

- enjoint à Bihr d'inscrire sur son site pendant 15 jours mention de cette condamnation sous peine d'une astreinte de 1 000 euro par jour de retard 30 jours après la signification du jugement,

- s'est réservé le contentieux de la liquidation des astreintes,

- débouté IMC de ses demandes fondées sur des faits de concurrence déloyale ou parasitaire,

- condamné Bihr à payer une indemnité de procédure de 4 000 euro.

La Société Bihr a interjeté appel de ce jugement.

Elle demande à la cour de :

- déclarer la demande de IMC irrecevable,

- dire et juger que les modèles déposés par IMC ne bénéficient pas de la protection de la loi sur les dessins et modèles ou de la protection du droit d'auteur,

- dire que Bihr n'a pas commis d'acte de contrefaçon ni d'acte de concurrence déloyale,

- débouter IMC de ses demandes,

- la condamner à lui payer des indemnités de procédure de 6 000 euro pour les frais de première instance et de 3 000 euro pour les frais d'appel,

- débouter IMC de son appel incident.

IMC demande à la cour de :

- débouter Bihr de son appel,

- réformer le jugement sur le quantum du préjudice alloué,

- condamner Bihr à lui payer la somme de 71 922,80 euro à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de contrefaçon,

- dire et juger que Bihr a commis des actes de concurrence déloyale ou parasitaire distincts des actes de contrefaçon et engagé sa responsabilité envers elle,

- condamner Bihr à lui payer à ce titre une somme de 30 000 euro,

- assortir les condamnations des intérêts légaux à compter du jour de l'assignation,

- condamner Bihr à lui payer une indemnité de procédure de 10 000 euro.

Les moyens des parties sont développés et analysés ci-après.

Sur ce, la cour,

Sur la contrefaçon,

IMC commercialise entre autres produits des supports de vignettes d'assurance pour cycles qu'elle diffuse auprès des fournisseurs de véhicules sous l'appellation "portes vignettes motos". Pour ce faire, elle a déposé à l'INPI de Lyon les modèles, produits en annexes, n° 021 727-001 et 021 727-002 d'une part et n° 026627-001 et 026627-002 d'autre part, qui concernent des supports réalisés "en aluminium anodisé ou tous autres matériaux" et présentant une "fenêtre intérieure (...) de configuration carrée ou circulaire" selon le modèle. Ces modèles ont été déposés les 14 mars et 4 novembre 2002. Le but des supports est de permettre la fixation d'un justificatif d'assurance, sous une forme généralement carrée ou rectangulaire, pour les véhicules automoteurs, prescrit par le décret n° 85-879 du 22 août 1985 et réglementé aux articles A. 211-9 et A. 211-10 du Code des assurances. IMC peut en l'absence de demande de Bihr tendant à la nullité des modèles déposés se prévaloir des droits qui s'y attachent, en vertu des articles L. 511-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Bihr conteste en premier lieu l'originalité et la nouveauté de ces modèles et produit au soutien de cette affirmation la reproduction de plusieurs supports de même usage. Ceux-ci présentent sans aucun doute une configuration générale voisine qui consiste en un support muni d'un système de fixation et des fenêtres.

Mais, si les formes des modèles présentés sont voisines des modèles déposés, elles s'en distinguent nettement soit par le matériau utilisé (cuir ou plastique), soit par la forme générale (un carré surmonté d'une pièce triangulaire ou d'une languette de fixation). Aucun n'apparaît identique aux modèles déposés par IMC.

De plus, ni la forme visuelle ni l'aspect ne sont imposés par la fonction, comme en témoigne la variété des éléments de comparaison présentés par Bihr elle-même.

Quant au matériau choisi par IMC, qui est un aluminium anodisé au noir, il n'est pas imposé par la fonction du support.

Il en ressort que le support fabriqué par IMC présente un caractère à la fois nouveau et original lui permettant d'invoquer le bénéfice de la protection résultant des articles L. 111-1 et suivants et L. 511-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Le procès-verbal de saisie contrefaçon, établi par un huissier de justice le 24 novembre 2011 à la requête de IMC, a permis de constater que Bihr commercialisait des supports de vignette totalement identiques au support pour lesquels la protection est invoquée. Les matériaux utilisés, la forme carrée, les dimensions extérieures et les distances entre les vis de fixation, la couleur des produits, les modes de fixation eux-mêmes et l'aspect visuel des produits sont identiques et rien ne permet de distinguer l'un de l'autre.

Comme le soutient Bihr la manière dont les deux articles sont diffusés peut être différente dans la mesure où IMC fabrique elle-même des pièces métalliques de différentes natures pour l'industrie, dont les supports en question, alors que Bihr commercialise uniquement des accessoires pour deux-roues qu'elle importe elle-même auprès d'un fabricant étranger. Mais ce fait n'est pas de nature à priver IMC de la protection des modèles qu'elle a déposés, dès lors que les produits sont identiques et ont vocation à être vendus in fine aux propriétaires de deux-roues, les supports de vignette ayant bien la même destination.

Il en va de même pour l'origine des articles: le fait que Bihr les importe alors que IMC les fabrique est sans incidence sur l'atteinte aux droits de IMC, puisque les deux produits sont commercialisés sur le même marché.

D'autre part, le conditionnement, que Bihr appelle packaging, peut être différent sans que cela autorise Bihr à méconnaître les droits intellectuels dont IMC peut se prévaloir pour la commercialisation de ses produits.

Dès lors c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que Bihr avait commis des actes de contrefaçon des droits dont IMC était titulaire au titre de la propriété industrielle, respectivement protégés par les articles L. 111-1 et L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle et les articles L. 511-1, L. 511-3 et L. 521-1 du même Code.

Sur la concurrence déloyale,

Par ailleurs, les premiers juges ont écarté le grief de concurrence déloyale ou parasitaire que IMC invoquait. Or IMC fait état de deux éléments : d'une part, la mention de la nouveauté, qui apparaît bien sur le catalogue Bihr saisi le 27 mars 2011, alors qu'il s'agit d'un article fabriqué et commercialisé par IMC ; d'autre part, le prix inférieur appliqué par Bihr pour la vente des articles contrefaisants. A cet égard il apparaît que les articles sont commercialisés par Bihr au prix de 8,10 euro au lieu de 11,50 euro et de 10,82 euro au lieu de 13,80 euro, ce qui est de nature à détourner la clientèle. Ces deux éléments ne sont pas sérieusement contestées. La démarche commerciale de Bihr apparaît comme un comportement concurrentiel déloyal, distinct de la violation des droits attachés aux modèles déposés.

Sur le préjudice,

Il résulte du procès-verbal de saisie contrefaçon que Bihr détenait alors des supports contrefaisants en nombre important, 290 pièces pour un support, 350 pièces pour un autre et 19 pièces pour un troisième, respectivement numérotés 44 0844, 44 0845 et 44 00846. Bihr avait par ailleurs commandé 2000 pièces semblables, qui ont été livrés le 29 juin 2010. On peut admettre la marge annoncée par IMC de 30 %, laquelle n'est pas véritablement contestée par Bihr, mais cela ne peut suffire comme base de calcul pertinente, sans des justificatifs qui soient étayés par des documents comptables fiables, dans la mesure où rien n'indique que IMC aurait vendu le même nombre d'articles. Il ne peut pas non plus être retenu la totalité des encaissements supposés de Bihr par l'achat de produits contrefaisants auprès de son importateur, en l'absence d'une évaluation appuyée sur un avis circonstancié du commissaire aux comptes ou de l'expert-comptable de IMC et en l'absence d'une mesure d'investigation qui n'est pas réclamée.

La cour est conduite en conséquence à réparer le préjudice commercial certain subi par IMC par un montant qui doit être fixé à la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts.

En ce qui concerne le préjudice découlant des actes de concurrence déloyale, une somme supplémentaire peut être allouée à IMC à hauteur de 12 000 euro en raison du trouble commercial incontestable apporté par la pratique auquel s'est livrée Bihr.

Ces dommages et intérêts alloués en réparation produiront intérêt à compter du jugement entrepris à hauteur de la somme allouée et à compter du présent arrêt pour le surplus.

Il est enfin équitable d'allouer à IMC une indemnité spécifique pour les frais irrépétibles engagés en appel, le premier juge ayant fait une juste appréciation à ce titre de l'indemnité correspondante pour les frais de première instance.

Par ces motifs LA COUR, Infirme partiellement le jugement déféré du chef de l'action en concurrence déloyale et des dommages et intérêts, Et, statuant à nouveau sur ces points, Dit et Juge que la société Bihr a commis des actes de concurrence déloyale distincts des actes de contrefaçon au préjudice de la société Inducteurs Montages Création, Condamne la société Bihr à payer à la société Inducteurs Montages Création les sommes de : - 50 000 euro à titre de dommages et intérêts au titre des actes de contrefaçon, - 12 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale, - 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel, Dit que les dommages et intérêts porteront intérêt au taux légal sur la somme de 20 000 euro à compter du jugement déféré et sur le surplus à compter du présent arrêt, Confirme le jugement pour le surplus, Déboute les parties de leurs plus amples prétentions, Condamne la société Bihr en tous les frais et dépens de première instance et d'appel ainsi qu'aux frais des opérations de saisie contrefaçon et de publicité dans les limites fixées par le jugement déféré.