CSA, 29 juillet 2014, n° 2014-359
CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AUDIOVISUEL (DEVENU L'ARCOM)
Décision
Relative à la demande d'agrément de la modification des modalités de financement du service de télévision hertzienne terrestre Planète +
PARTIES
Demandeur :
Canal Plus
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel,
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment ses articles 1er, 3-1 et 42-3 ; Vu la décision n° 2005-474 du 19 juillet 2005 autorisant la société Planète Câble à utiliser une ressource radioélectrique pour l'exploitation d'un service de télévision à caractère national diffusé sous condition d'accès par voie hertzienne terrestre en mode numérique, prorogée par la décision n° 2012-489 du 15 mai 2012 ; Vu la convention conclue entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la société Planète Câble le 19 juillet 2005 en ce qui concerne le service de télévision Planète+ ; Vu la lettre du 24 mars 2014 par laquelle le groupe Canal Plus a saisi le Conseil supérieur de l'audiovisuel d'une demande d'agrément de la modification des modalités de financement du service de télévision hertzienne terrestre Planète+ ; Vu l'avis n° 14-A-07 du 18 juin 2014 de l'Autorité de la concurrence ; Vu l'étude d'impact relative à la demande de passage sur la TNT gratuite du service Planète+ ; Après avoir entendu :
- le 3 juin 2014, en séance publique, M. Meheut, M. Belmer, Mme Cauquelin, M. Vallée pour le groupe Canal Plus ;
- les tiers en ayant fait la demande ;
1. Considérant que, par la décision n° 2005-474 du 19 juillet 2005 susvisée, prorogée par la décision n° 2012-489 du 15 mai 2012, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a autorisé la société Planète Câble à utiliser une ressource radioélectrique pour l'exploitation d'un service de télévision à caractère national sous condition d'accès par voie hertzienne terrestre en mode numérique ; que par la lettre du 24 mars 2014 susvisée, le Groupe Canal Plus, auquel appartient la société Planète câble, a demandé au Conseil supérieur de l'audiovisuel, sur le fondement des dispositions du 4ème alinéa de l'article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986, de donner son agrément à la modification des modalités de financement du service de télévision Planète+ ;
Sur le cadre juridique applicable :
2. Considérant qu'aux termes du 4ème alinéa de l'article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986 : " Sous réserve du respect des articles 1er et 3-1, le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut, par décision motivée, donner son agrément à une modification des modalités de financement lorsqu'elle porte sur le recours ou non à une rémunération de la part des usagers. Préalablement à sa décision, il procède à une étude d'impact, notamment économique, rendue publique dans le respect du secret des affaires. Il procède aussi à l'audition publique du titulaire et entend les tiers qui le demandent. Cette modification de l'autorisation peut être agréée si les équilibres du marché publicitaire des services de télévision hertzienne terrestre sont pris en compte. " ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la même loi : " La communication au public par voie électronique est libre. / L'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d'une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d'autrui, du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion et, d'autre part, par la protection de l'enfance et de l'adolescence, par la sauvegarde de l'ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité, pour les services audiovisuels, de développer la production audiovisuelle. " ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 3-1 de la même loi : " Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale, garantit l'exercice de la liberté de communication audiovisuelle par tout procédé de communication électronique, dans les conditions définies par la présente loi. / Il assure l'égalité de traitement ; il garantit l'indépendance et l'impartialité du secteur public de la communication audiovisuelle ; il veille à favoriser la libre concurrence et l'établissement de relations non discriminatoires entre éditeurs et distributeurs de services, quel que soit le réseau de communications électroniques utilisé par ces derniers, conformément au principe de neutralité technologique ; il veille à la qualité et à la diversité des programmes, au développement de la production et de la création audiovisuelles nationales ainsi qu'à la défense et à l'illustration de la langue et de la culture françaises. Il peut formuler des propositions sur l'amélioration de la qualité des programmes. Il veille au caractère équitable, transparent, homogène et non discriminatoire de la numérotation des services de télévision dans les offres de programmes des distributeurs de services. (...) " ;
5. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées qu'il incombe au Conseil supérieur de l'audiovisuel, saisi d'une demande de modification des modalités de financement d'un service de télévision numérique terrestre, d'apprécier si cette modification est de nature à porter atteinte à l'impératif fondamental de pluralisme ; qu'il lui revient de vérifier que la modification des modalités de financement sollicitée ne porte pas atteinte, d'une part, à la qualité et à la diversité des programmes et, d'autre part, aux équilibres du secteur audiovisuel ; qu'à ce titre, il doit s'assurer d'une concurrence et d'une diversité suffisantes des opérateurs, en prenant notamment en compte les équilibres du marché publicitaire des services de télévision hertzienne terrestre ;
Sur les motifs de la demande :
6. Considérant qu'à l'appui de sa demande, le groupe Canal Plus fait valoir que le bouquet thématique s'est appauvri, tandis que l'offre de chaînes nationales en clair s'est progressivement étoffée, pour atteindre 25 services aujourd'hui ; qu'il met en avant les incertitudes qui pèsent sur certaines chaînes composant le bouquet dit " Minipack ", actuellement composé de 5 chaînes thématiques payantes et commercialisé au prix mensuel de 12,90 euros, en soutenant que son équilibre économique serait rompu par manque d'attractivité, dès lors notamment que LCI et Paris Première passeraient sur la TNT gratuite ; qu'il serait impossible pour CanalSat de commercialiser une offre telle que le Minipack, qui n'aurait plus de rentabilité en raison de la disparition des chaînes le composant ;
7. Considérant que le groupe Canal Plus fait également valoir que la thématique découverte est sous-représentée sur la TNT gratuite puisqu'elle n'est actuellement représentée que par RMC Découverte ; que la modification des modalités de financement de Planète+ constituerait donc, selon le groupe Canal Plus, un enrichissement éditorial de la TNT gratuite bénéfique au téléspectateur ainsi qu'au secteur de la création et de la production documentaire indépendante ;
Sur l'impact potentiel de la modification des modalités de financement de Planète+ sur la qualité et la diversité des programmes du secteur de la TNT gratuite :
8. Considérant que la thématique documentaire est déjà présente sur plusieurs chaînes gratuites, notamment sur Arte, RMC Découverte ainsi que sur les chaînes du groupe France télévisions ; que, eu égard à l'évolution de la grille de Planète+ et à l'essor de RMC Découverte, laquelle sera amenée à adapter sa stratégie en termes de contenu, la ligne éditoriale de Planète+ pourrait, à terme, se rapprocher de celle de sa concurrente ;
Sur l'impact potentiel de la modification des modalités de financement de Planète+ sur les équilibres du secteur de la TNT gratuite :
En ce qui concerne l'incidence sur l'audience des services audiovisuels actuellement diffusés sur la TNT gratuite :
9. Considérant qu'il ressort de l'étude d'impact que la consommation de la télévision a fortement augmenté depuis une quinzaine d'années ; que, toutefois, l'année 2012 se caractérise par une première phase de ralentissement de la croissance suivie, en 2013, d'une baisse de quatre minutes de la durée d'écoute quotidienne de la télévision des personnes de quatre ans et plus équipées d'un téléviseur ; que cette baisse se poursuit depuis le début de l'année 2014 et se confirme par ailleurs dans de nombreux pays européens, même s'il n'est pas possible d'être assuré à moyen terme de la confirmation de cette évolution ;
10. Considérant en outre qu'une érosion de la part d'audience des chaînes privées les plus puissantes, et en particulier des chaînes TF1, France 2 et France 3, est constatée depuis plusieurs années, au profit des chaînes gratuites lancées en 2005, tandis que les six chaînes en haute définition lancées en 2012 agrègent 2,3 % de part d'audience en moyenne au cours de leur première année d'existence ; que, cependant, l'année 2013 a été marquée par une stagnation de la hausse de la part d'audience des chaînes lancées en 2005 ;
11. Considérant que l'auditoire de Planète+ est significativement masculin, avec une faible proportion de femmes responsables des achats, à l'instar des chaînes publiques France 2, France 3, France 5, Arte, des chaînes gratuites d'information en continu et des chaînes Canal+ et RMC Découverte ; que le taux de catégories socio-professionnelles supérieures (CSP+) la rapproche des chaînes RMC Découverte, M6, 6ter et Canal+ ; qu'en revanche, le poids des personnes âgées de 15 à 49 ans dans son auditoire la situe dans la moyenne des chaînes gratuites et la rapproche des chaînes D8, France 4, Numéro 23 et HD1, à la différence de RMC Découverte, dont l'auditoire est un peu plus jeune ;
12. Considérant par ailleurs que l'offre de documentaires de la chaîne Arte s'avère très proche de celle de Planète+ ; qu'un transfert d'audience pourrait donc s'opérer entre ces deux chaînes ; que les chaînes du groupe France Télévisions, et notamment France 5, pourraient être également concernées par d'éventuels transferts d'audience au profit de la chaîne Planète+ ; qu'enfin, un transfert d'audience important vers Planète+ depuis RMC Découverte est également susceptible de se produire ; que dans un contexte de stagnation, voire de baisse de la durée d'écoute de la télévision, l'audience de Planète+ devrait ainsi provenir des autres chaînes gratuites ;
13. Considérant que la modification des modalités de financement de Planète+ serait susceptible d'influer de manière significative sur les niveaux d'audience de plusieurs chaînes diffusant actuellement sur la TNT gratuite ; qu'aucune mesure particulière, éditoriale ou concurrentielle, ne serait de nature à limiter, dans une mesure suffisante, le transfert d'audience au profit de Planète+ ;
En ce qui concerne l'incidence sur le marché publicitaire :
14. Considérant qu'il ressort de l'étude d'impact que le marché publicitaire est en baisse continue et présente son niveau le plus bas de dépenses depuis plus de dix ans ; que les recettes publicitaires nettes de l'ensemble des chaînes de télévision ont ainsi baissé sur un an de 3,5 % par rapport à 2012, pour se situer à 3,2 milliards d'euros en 2013 ; qu'il existe de forts écarts dans les niveaux de parts de marché entre les opérateurs privés les plus puissants et les nouveaux entrants sur le marché de la publicité télévisuelle ; que le marché de la publicité télévisuelle ne donne aucun signe permettant de supputer une augmentation à brève échéance, sans qu'il soit possible de prévoir une inversion durable de tendance à moyen terme ;
15. Considérant que la diffusion de Planète+ sur la TNT gratuite ne devrait pas s'accompagner d'une augmentation de la dépense publicitaire globale des annonceurs en télévision ; que ces derniers pourraient toutefois réorienter à son profit leurs choix d'investissements publicitaires, s'agissant des secteurs annonceurs qui consacrent à Planète+ une part de leur dépense supérieure à la moyenne ou sensiblement inférieure à la moyenne ; que ces mouvements pourraient être amplifiés par les incitations commerciales que Canal+ Régie pourrait mettre en place ;
16. Considérant que les nouvelles chaînes TNT en haute définition autorisées en 2012 seraient particulièrement affectées, notamment les chaînes des groupes NRJ Group et NextRadioTV ; qu'aucune mesure ne serait de nature à remédier à la captation par le service Planète+ d'une partie de la ressource publicitaire propre au segment des chaînes documentaires, au détriment des chaînes concurrentes ; qu'au demeurant, eu égard à l'absence de position dominante du groupe Canal Plus sur le marché publicitaire, il ne peut être imposé de mesure compensatrice de nature concurrentielle visant à limiter la captation par Planète+ de la ressource publicitaire ; que dans ces conditions, le passage de Planète+ sur la TNT gratuite serait de nature à porter atteinte aux équilibres du marché publicitaire ;
En ce qui concerne l'impact sur l'assise économique et financière des services audiovisuels actuellement diffusés sur la TNT gratuite :
17. Considérant qu'en raison de sa thématique, RMC Découverte serait directement concernée par des modifications d'investissements publicitaires en faveur de Planète+ ;
18. Considérant qu'il ressort de l'étude d'impact que pour son premier exercice complet, RMC Découverte a réalisé un résultat d'exploitation négatif ; que pour atteindre son seuil de rentabilité, la chaîne aurait dû réunir [...] % de part d'audience en 2013 ; que, toutefois, sa part d'audience s'est établie à 0,5 % pour l'année 2013 ; que la diffusion de Planète+ sur la TNT gratuite pourrait engendrer pour RMC Découverte une perte de part d'audience comprise entre 0,16 et 0,23 point ;
19. Considérant qu'au regard du seuil de rentabilité de RMC Découverte, l'arrivée de Planète+ sur la TNT gratuite aggraverait ses pertes d'exploitation ; que l'hypothèse d'une réduction des charges d'exploitation de la chaîne, notamment du coût de grille, afin de faire face à ces pertes, nuirait à la qualité des programmes de la chaîne sans pour autant enrayer sa fragilisation ; que cette fragilisation peut, à terme, menacer la viabilité de RMC Découverte, alors même que cette chaîne, qui appartient à un opérateur indépendant et s'inscrit dans une thématique particulière, est engagée dans un processus de développement, afin d'asseoir son audience et ses recettes ;
20. Considérant qu'aucune mesure éditoriale ou concurrentielle ne permettrait de remédier de manière suffisante au transfert d'audience depuis les chaînes concernées au profit de Planète+ et à la captation par celle-ci de la ressource publicitaire propre aux chaînes documentaires ; qu'en particulier, cette situation fragiliserait RMC Découverte dès lors que celle-ci se trouverait dans l'impossibilité d'atteindre son seuil de rentabilité ; que, dans ces conditions, l'arrivée de Planète+ sur le secteur de la TNT gratuite serait de nature à porter atteinte à la viabilité économique et financière de RMC Découverte ;
Sur l'atteinte à l'impératif fondamental de pluralisme :
21. Considérant que la diffusion de Planète+ sur la TNT gratuite influerait de manière significative sur les niveaux d'audience de plusieurs chaînes diffusant actuellement sur la TNT gratuite, et notamment sur l'audience de RMC Découverte ; que, dès lors, compte tenu du contexte économique actuel marqué par la contraction des dépenses des annonceurs et la stabilisation, voire la diminution, de la consommation de la télévision, la diffusion de Planète+ sur la TNT gratuite menacerait particulièrement la viabilité économique et financière de RMC Découverte ; que les effets positifs liés à l'arrivée d'une chaîne documentaire supplémentaire sur la TNT gratuite ne sauraient venir compenser l'atteinte à la viabilité économique et financière de RMC Découverte et par conséquent à la diversité des opérateurs ;
22. Considérant, en outre, que l'édiction de mesures compensatrices, de nature éditoriale ou concurrentielle, ne serait pas susceptible de contrebalancer dans une mesure suffisante les effets liés à la modification sollicitée sur la viabilité économique et financière de RMC Découverte ;
23. Considérant qu'en l'état actuel des données telles qu'elles ont été analysées précédemment, la modification des modalités de financement de Planète+ porterait atteinte à l'impératif fondamental de pluralisme ; que, par suite, il y a lieu de refuser d'agréer la demande de modification des modalités de financement sollicitée pour la diffusion du service de télévision hertzienne Planète+ ;
Après en avoir délibéré,
Décide :
Article 1er. - La demande d'agrément de la modification des modalités de financement du service de télévision hertzienne terrestre Planète+ présentée par le Groupe Canal Plus est rejetée.
Article 2. - La présente décision sera notifiée au groupe Canal Plus et publiée au Journal officiel de la République Française.