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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 11 septembre 2014, n° 12-20606

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Hamdani

Défendeur :

Jade Conseil Paris Est (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Michel-Amsellem, M. Douvreleur

Avocats :

Mes d'Alançon, Boccon Gibod

TGI Créteil, 3e ch., du 8 oct. 2012

8 octobre 2012

Faits et procédure

Le 30 août 2005, M. Hamdani a conclu un contrat d'agent commercial avec la société Jade Conseil Paris-Est (la société JCPE), dont l'activité principale est la commercialisation de produits immobiliers, ainsi que le placement de contrats d'assurance et de tous produits financiers auprès de particuliers. Sa rémunération était versée sous forme de commissions calculées sur le prix de vente hors taxe des immeubles dont il assurait la vente.

En février 2006, la société JCPE a mis en place un concours incitatif entre ses agents commerciaux intitulé "Challenge Premium" pour récompenser les performances de ses consultants. Ce concours attribuait un mini cabriolet d'une valeur de 20 000 euros au premier d'entre eux qui réaliserait un chiffre d'affaires de 2,6 millions d'euros au cours de l'année 2006. Par un courrier électronique du 16 avril 2008, M. Hamdani a revendiqué auprès de M. Pou, directeur commercial, avoir réalisé 2,7 millions d'euros et remporté le " challenge voiture ". Le prix ne lui a toutefois pas été versé au motif que le montant de 2,6 millions d'euros devait être réalisé " hors Pack ".

M. Hamdani soutient que le 24 septembre 2007, M. Briault, directeur de l'agence Jade Conseil Paris Est, lui a, au cours d'une réunion, notifié par oral la rupture de son contrat. La société JCPE conteste ce fait. Il n'est, en revanche, pas discuté que le contrat a cessé d'être exécuté après cette date.

Le 2 juillet 2008, M. Hamdani a saisi le Conseil des prud'hommes de Créteil, afin de solliciter la requalification de son contrat d'agent commercial en contrat de travail. Cette demande a été rejetée par un jugement du 5 janvier 2010, confirmé sur contredit par un arrêt de cette cour rendu le 7 octobre 2010.

Par jugement rendu le 8 octobre 2012, le Tribunal de Créteil a :

- débouté M. Hamdani de ses demandes d'indemnité compensatrice, d'indemnité de préavis, de résiliation judiciaire du contrat aux torts de la société JCPE et de dommages et intérêts,

- condamné la société JCPE à payer à M. Hamdani la somme de 20 000 € au titre du "challenge voiture",

- débouté les parties de leurs demandes d'indemnités au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté par M. Hamdani le 15 novembre 2012 contre cette décision. Vu les dernières conclusions signifiées par M. Hamdani le 7 avril 2014, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- confirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Créteil du 8 octobre 2012 en ce qu'il a condamné la société JCPE à verser à M. Hamdani la somme de 20 000 € au titre du Challenge Voiture,

- réformer le jugement du Tribunal de grande instance de Créteil du 8 octobre 2012 en ce qu'il a débouté M. Hamdani de sa demande d'indemnité en réparation du préjudice subi, d'indemnité de préavis de dommages et intérêts pour rupture abusive, d'indemnité au titre de l'article 700 et de sa demande de condamnation aux dépens.

Statuer à nouveau et y ajoutant :

A titre principal

- dire et juger que le contrat d'agence commerciale conclu avec M. Hamdani a été rompu par la société JCPE le 24 septembre 2007,

- dire et juger que M. Hamdani a droit à l'indemnisation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat d'agent commercial par la société JCPE et à l'indemnité compensatrice de préavis de trois mois,

A titre subsidiaire,

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat d'agence commerciale conclu avec M.Hamdani aux torts exclusifs de la société JCPE,

En tout état de cause,

- condamner la société JCPE à payer à M. Hamdani les sommes suivantes : - 196 741,16 € au titre de l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, - 29 265,21 € TTC au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, - 50 000 € de dommages et intérêts pour rupture abusive, - 10 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. - dire que les intérêts seront dus à compter du 6 juin 2008 sur l'indemnité compensatrice du préjudice subi.

M. Hamdani expose que la rupture du contrat d'agent commercial lui a été notifiée le 24 septembre 2007 par M. Briault et que la société JCPE est de mauvaise foi lorsqu'elle prétend qu'elle n'en est pas à l'origine. Il invoque sur ce point des témoignages dont il défend la recevabilité contestée par l'intimée.

Il conteste la déchéance du droit à réclamer réparation, invoquée par son adversaire, et fait valoir sur ce point qu'il a expressément sollicité cette indemnisation par un courrier du 6 juin 2008. Il ajoute que la saisine du conseil de prud'hommes a, en tout état de cause, interrompu le délai de déchéance et que la société JCPE doit être privée de son droit d'invoquer cette déchéance en raison de son comportement frauduleux.

M. Hamdani fait aussi valoir qu'il a exécuté pendant plus de deux ans le contrat d'agent commercial conclu avec la société JCPE, et qu'il avait droit, en application de l'article L. 134-11 du Code de commerce, au respect d'un préavis contractuel de trois mois, ce que l'intimée ne lui a pas accordé.

Il demande, à titre subsidiaire, la résiliation judiciaire du contrat aux torts de la société JCPE, qui en cessant de lui fournir tous les éléments nécessaires à l'exercice de son mandat, a manqué à son obligation de loyauté et à son devoir d'information.

Il sollicite, enfin, la confirmation de la condamnation de la société JCPE à lui payer la somme de 20 000 euros au titre du " Challenge Voiture ", dont il a rempli les conditions le 21 février 2006.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société JCPE le 9 avril 2014, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Créteil du 8 octobre 2012 en ce qu'il a :

- dit et jugé que le contrat d'agence commerciale de M. Hamdani n'a pas été rompu à l'initiative de la société JCPE ;

- débouté M. Hamdani de l'intégralité de ses demandes indemnitaires.

Statuant à nouveau et y ajoutant :

A titre principal,

- réformer le jugement du tribunal de grande instance de créteil du 8 octobre 2012 en ce qu'il a condamné la société JCPE à verser à M. Hamdani la somme de 20 000 € au titre du challenge voiture.

A titre subsidiaire et si la cour devait réformer le jugement du 8 octobre 2012 et constater que la rupture du contrat d'agence commerciale était intervenue à l'initiative de la société JCPE, la cour devra :

- constater que M. Hamdani est déchu de son droit à indemnité

Par conséquent,

- dire et juger que la demande indemnitaire formulée par M. Hamdani au titre de l'article L. 134-12 du Code de commerce est irrecevable ;

A titre infiniment subsidiaire,

- débouter M. Hamdani de sa demande de résiliation judiciaire du contrat d'agence commercial

A titre très infiniment subsidiaire, et si votre juridiction devait prononcer la résiliation judiciaire du contrat d'agent commercial

- fixer la date de résiliation judiciaire au 24 septembre 2007

- constater que M. Hamdani est déchu de son droit

Par conséquent,

- dire et juger que la demande indemnitaire formulée par M. Hamdani au titre de l'article L. 134-12 du Code de commerce est irrecevable.

En tout état de cause,

- débouter M. Hamdani de l'ensemble de ses demandes indemnitaires ;

- condamner M. Hamdani à verser à la société JCPE la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société JCPE soutient que M. Hamdani ne peut prétendre à être indemnisé puisqu'il n'a pas fait valoir ses droits dans le délai d'un an à compter de la rupture en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce. Elle oppose que la lettre du 6 juin 2008, versée au débat par M. Hamdani n'est accompagnée d'aucun avis de dépôt ni de réception.

Sur le fond, la société intimée demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté toutes les attestations présentées par l'appelant au motif qu'elles ne relataient pas des faits exacts et précis et en ce qu'il a considéré que M. Hamdani ne rapportait pas la preuve de ce qu'elle aurait pris l'initiative de la rupture.

L'intimée fait aussi valoir qu'il appartient à M. Hamdani, qui souhaite obtenir la résiliation judiciaire du contrat d'apporter des éléments probants justifiant ses affirmations, alors qu'il s'estime être délié de tout lien avec la société JCPE depuis septembre 2007. Elle ajoute que n'ayant pas rompu le contrat d'agent commercial, elle n'est pas redevable d'une indemnité de préavis.

Elle oppose que M. Hamdani ne peut prétendre au versement des 20 000 euros du " challenge voiture " puisque le chiffre d'affaires s'entendait du chiffre d'affaires TTC hors package, ce qu'il n'a pas réalisé. La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée, ainsi qu'aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur les demandes liées à la rupture du contrat

Il n'est pas contesté dans le cadre du présent litige que la société JCPE a conclu un contrat d'agent commercial. En revanche, les parties s'opposent sur le point de savoir qui d'entre elles est l'auteur de la rupture, M. Hamdani soutenant que M. Briault directeur de l'"agence Jade Conseil Paris Est" la lui aurait notifiée lors d'une réunion le 27 septembre 2007, la société JCPE le contestant.

Sur l'auteur de la rupture

M. Hamdani produit plusieurs attestations établies conformément aux exigences des articles 200 et 203 du Code de procédure civile, par plusieurs consultants ayant assisté à la réunion au cours de laquelle M. Briault a notifié à M. Hamdani la rupture de son contrat et l'a prié de prendre ses affaires personnelles et de quitter l'entreprise. S'il convient de ne pas retenir le témoignage de M. Briault, en raison des liens d'intérêts entretenus par celui-ci avec M. Hamdani, les autres, qui ne se contredisent pas entre eux, contrairement à ce que soutient la société JCPE, sont établis par des personnes dont l'objectivité n'est pas mise en cause et qui relatent des faits auxquels ils ont personnellement assisté.

Ces attestations démontrent que la société JCPE est bien l'auteur de la rupture du contrat qui a été notifiée oralement à M. Hamdani lors de la réunion du 24 septembre 2007, sans préavis.

Sur le droit à l'indemnité de rupture

En application de l'article L. 132-12 du Code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, mais il perd ce droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entendait faire valoir ses droits.

M. Hamdani soutient qu'il a adressé le 6 juin 2008 une lettre avec accusé de réception à M. Pou, dirigeant de la société JCPE. Cependant, il ne produit ni l'avis de réception, ni même le récépissé attestant de son envoi.

Il fait valoir qu'il a adressé une réclamation à la Poste, à laquelle il lui a été répondu que sa réclamation aurait dû être adressée dans le délai d'un an et qu'aucune recherche ne pouvait plus être réalisée. Cependant, le " récapitulatif de la réclamation ", rempli selon ses indications et qu'il produit indique, d'une part, que la lettre a été adressée non pas en recommandé avec avis de réception mais en " lettre prioritaire ", d'autre part, que l'envoi serait parvenu " incomplet ou vide ", ce qui laisse à penser que la lettre de M. Hamdani ne serait pas parvenue à la société JCPE. La réclamation ne saurait, dans ces conditions constituer un commencement de preuve de l'envoi de la lettre du 6 juin 2008.

Par ailleurs, M. Hamdani verse au dossier la copie d'un courrier électronique adressé par M. Briault à Mme Valdenaire, par lequel le premier indique à la seconde " Ci-joint le courrier reçu ce jour de Hamdani Abdel ". Ce courrier électronique comporte une pièce annexe dont la nature n'est pas indiquée. Si à la copie de ce courrier électronique, M. Hamdani joint une copie papier de la lettre du 6 juin 2008, ces pièces ne rapportent pas non plus la preuve de son envoi, ni de sa réception par la société JCPE, dans la mesure où M. Hamdani ne démontre pas que la pièce jointe au courrier adressé par M. Briault à Mme Valdenaire était bien la lettre en cause.

Il n'est, au regard de ces éléments, pas démontré que la société JCPE a reçu la lettre du 6 juin 2008 par laquelle M. Hamdani lui notifiait son intention d'obtenir réparation du préjudice lié à la cessation du contrat d'agent.

Par ailleurs, si, ainsi que le soutient M. Hamdani, les dispositions générales de l'article 2246 du Code civil, selon lesquelles la citation en justice donnée même devant un juge incompétent interrompt la prescription, sont applicables à tous les délais pour agir et à tous les cas d'incompétence, il ne peut être considéré que la convocation de la société JCPE devant le conseil de prud'hommes a manifesté l'intention de l'agent de se prévaloir de son droit à indemnisation. En effet, l'action qu'il a introduite devant cette juridiction visait à faire requalifier le contrat d'agent commercial en contrat de travail et à demander les indemnisations relatives à la rupture de celui-ci. Sa cause était donc différente de celle de l'action relative au paiement des indemnités liées à la rupture du contrat d'agent commercial, quand bien même ces actions aient eu pour même objectif d'obtenir le paiement d'indemnités et que M. Damay n'ait pas eu à introduire une nouvelle action à la suite du jugement d'incompétence rendu par le conseil de prud'hommes. Dans ces conditions, M. Hamdani ne peut invoquer à son bénéfice l'interruption du délai pour agir prévu par l'alinéa 2 de l'article L. 134-12 du Code de commerce.

M. Hamdani soutient que la société JCPE doit être déchue du droit à se prévaloir de la déchéance annale prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce, en raison de son intention frauduleuse de le priver de son droit à indemnisation. Il fait valoir sur ce point qu'aucune disposition de son contrat ne précise ses droits en cas de rupture et que celle-ci n'a pas fait l'objet d'un écrit. Il n'est cependant pas prescrit d'obligation légale ou règlementaire imposant au mandant de faire figurer dans le contrat d'agent les dispositions relatives à ses droits à indemnité en cas de rupture et cette absence ne peut être considérée comme constituant un comportement déloyal de la société JCPE. Il en est de même du fait que la rupture n'ait pas été formulée par écrit. En conséquence, la société JCPE est fondée à opposer à M. Hamdani la déchéance de son droit à demander une indemnité de rupture.

Sur la durée du préavis et l'indemnité de préavis

Le contrat ayant été exécuté par M. Hamdani pendant une durée supérieure à deux ans, celui-ci est fondé à revendiquer le paiement par la société JCPE de l'indemnité de préavis prévue par l'article L. 134-11 du Code de commerce, laquelle n'est pas soumise à la déchéance annale.

Le jugement doit donc être réformé en ce qu'il a rejeté cette demande et la société JCPE doit être condamnée à verser à M. Hamdani la somme de 29 265,21 euros dont le montant n'est pas contesté par la société JCPE.

Sur le challenge voiture

M. Hamdani verse au dossier l'annonce du challenge individuel diffusée par la société JCPE le 26 février 2006, et détaillant les conditions du " challenge voyage " et du " challenge voiture ". Aucun de ces deux concours ne comporte la précision selon laquelle le chiffre d'affaires à réaliser serait limité aux montants " hors pack ". La société JCPE ne démontre pas que cette condition ait été précisée aux agents pendant le cours du concours et son refus d'attribuer à M. Hamdani le prix promis, en lui opposant le 21 mars 2007, une condition qui n'avait pas été communiquée, alors qu'elle ne conteste pas qu'il ait atteint un montant de ventes supérieur à deux millions six d'euros, constitue une déloyauté fautive à son égard. Dans ces conditions, c'est à juste titre et par une motivation que la Cour adopte pour le surplus que le tribunal a condamné la société JCPE à verser à M. Hamdani la somme de 20 000 euros.

Sur la demande de dommages-intérêts pour rupture abusive Contrairement à ce que soutient M. Hamdani, il n'est pas démontré que la société JCPE a frauduleusement tenté d'échapper à ses obligations d'indemnisation en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce. Si la rupture du contrat, notifiée au cours d'une réunion et sans préavis, peut être qualifiée d'abusive, M. Hamdani ne démontre au demeurant pas l'étendue du préjudice qu'il estime avoir subi.

Sa demande de dommages-intérêts doit en conséquence être rejetée.

Sur les frais irrépétibles

L'ensemble des faits de la cause retenus précédemment justifie que les frais engagés par M. Hamdani pour la défense de ses droits ne demeure pas intégralement à sa charge et la société JCPE sera donc condamnée à lui verser la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement en ce qu'il a débouté M. Hamdani de ses demandes d'indemnité de préavis ; Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société JCPE à verser à M. Hamdani la somme de 29 265,21 euros au titre de l'indemnité de préavis ; Rejette toute demande autre, plus ample ou contraire des parties ; Condamne la société JCPE à verser à M. Hamdani la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société JCPE aux dépens qui seront recouvrés dans les conditions prévues par l'article 699 du Code de procédure civile.