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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 9 septembre 2014, n° 13-06784

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Thermor Pacific (SAS), Atlantic Société Française de Développement Thermique (SA)

Défendeur :

Carrera (SARL), Texas de France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rajbaut

Conseillers :

Mmes Chokron, Gaber

Avocats :

Mes Boccon Gibod, De Candé, Henry, André

TGI Paris, du 21 fév. 2013

21 février 2013

FAITS :

Vu l'appel interjeté le 5 avril 2013 par la société Thermor Pacific (SAS) et la société Atlantic Société Française de Développement Thermique (SA), ci-après la société Atlantic, du jugement contradictoire rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 21 février 2013 (n° RG : 11-18426) ;

Vu les dernières conclusions des sociétés appelantes Thermor Pacific et Atlantic Sociéte Francaise de Developpement Thermique, signifiées le 21 février 2014 ;

Vu les dernières conclusions des sociétés Carrera (SARL) et Texas De France (SAS), intimées, signifiées le 26 février 2014 ;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 4 mars 2014 ;

SUR CE, LA COUR :

Considérant que la société Thermor Pacific appartenant, avec la société Atlantic, au groupe Atlantic, spécialisé dans la fabrication et la commercialisation de produits du Génie Climatique et en particulier des appareils de chauffage, est titulaire de deux modèles communautaires de radiateurs :

- modèle n° 000210810-0001 déposé à l'OHMI le 2 août 2004, renouvelé le 10 décembre 2009,

- modèle n° 000265582-001 déposé à l'OHMI le 7 décembre 2004, renouvelé le 5 janvier 2010 ;

Qu'ayant constaté courant septembre 2011 la commercialisation dans les magasins à l'enseigne Bricoman, exploités par la société Carrera, de radiateurs référencés Indiana horizontal, Indiana vertical, Mahe, Kuga, fournis par la société Texas de France, reproduisant selon elles les modèles précités, les sociétés Thermor Pacific et Atlantic ont introduit devant le tribunal de grande instance de Paris, suivant assignation du 22 décembre 2011, une instance en contrefaçon au fondement du Règlement n°6-2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires et en concurrence déloyale ;

Que le tribunal, par le jugement dont appel, a débouté les sociétés défenderesses de leur demande en nullité des procès-verbaux de constat des 27 octobre, 16 et 21 novembre 2011, a déclaré valables les deux modèles communautaires opposés, a débouté les sociétés demanderesses de leurs prétentions respectives et les a condamnées à payer aux sociétés défenderesses une indemnité de 6 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Que devant la cour les parties maintiennent les demandes et moyens de défense tels que précédemment soutenus devant les premiers juges ;

Sur la validité des procès-verbaux de constats des 27 octobre, 16 et 21 novembre 2011,

Considérant que la société Atlantic a fait établir par huissier de justice deux procès-verbaux de constat sur Internet les 27 octobre et 16 novembre 2011 ainsi qu'un constat d'achat le 21 novembre 2011 ;

Considérant que les sociétés intimées persistent à conclure à la nullité de ces procès-verbaux au motif qu'ils s'apparenteraient à des saisies-contrefaçon que la société Atlantic n'avait pas qualité à faire diligenter dès lors qu'elle n'est pas la titulaire des droits de dessins et modèles dont la protection est revendiquée dans le présent litige ;

Mais considérant que le procès-verbal du 27 octobre 2011 est un procès-verbal de constat par lequel l'huissier instrumentaire a constaté que le site Internet accessible à l'adresse www.bricoman.fr offrait à la vente les radiateurs Indiana horizontal, Indiana vertical et Mahe et a procédé à des captures d'écran ;

Que celui établi le 16 novembre 2011 sur ce même site, est également un procès-verbal de constat montrant, par des captures d'écran, l'exposition à la vente de radiateurs Kuga ;

Considérant que ces opérations de simple constat sur les pages d'écran d'un site Internet marchand ouvert au public n'ont comporté de la part de l'huissier de justice aucune mesure d'investigation ni la moindre intrusion dans un domaine privé s'inscrivant dans le cadre de la saisie-contrefaçon prévue à l'article L. 521-4 du Code de la propriété intellectuelle ;

Considérant qu'il ressort enfin du procès-verbal du 21 novembre 2011, que l'huissier instrumentaire, posté sur la voie publique, dans la commune de Lisses (Essonne), devant le magasin de bricolage à l'enseigne Bricoman, a constaté que Martine Gougeon entrée dans le magasin les mains vides, en est ressortie avec trois radiateurs qu'elle a remis à l'huissier avec la facture d'achat correspondante ; que ces radiateurs, transportés à l'Etude, ont fait l'objet de photographies qui ont été annexées au procès-verbal, de même que la facture d'achat ;

Considérant qu'en l'espèce l'huissier de justice ne s'est pas introduit dans le magasin et n'y a procédé à aucune saisie mais s'est limité à décrire, au moyen de photographies, les produits qui lui ont été remis par une tierce personne dont il avait préalablement constaté qu'elle était entrée dans le magasin seule et les mains vides puis en était ressortie avec ces produits ;

Considérant qu'une telle opération effectuée sur la voie publique ne saurait s'analyser en une saisie-contrefaçon déguisée dès lors que l'huissier de justice n'a usé d'aucun des pouvoirs d'investigation qui sont propres à la mesure de saisie-contrefaçon et ne s'est jamais départi de son rôle de simple constatant ; que dans ces conditions, une autorisation préalable par ordonnance présidentielle n'était aucunement requise ;

Considérant que c'est dès lors vainement que les sociétés intimées font valoir que la société Atlantic, à la requête de laquelle ont été établis les procès-verbaux querellés, n'est pas la titulaire des droits de dessins et modèles communautaires invoqués au soutien de la procédure en contrefaçon ;

Qu'agissant au fondement de concurrence déloyale, la société Atlantic, avait en toute hypothèse qualité et intérêt, dès lors qu'il est constant qu'elle commercialise les modèles de radiateurs protégés, à faire établir par procès-verbal de constat, la preuve de l'offre en vente de produits concurrents dans les magasins à l'enseigne Bricoman ;

Considérant que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il rejette le moyen tiré de la nullité des procès-verbaux des 27 octobre, 16 et 21 novembre 2011 ;

Sur la validité des deux modèles opposés,

Considérant qu'aux termes de l'article 4 du Règlement n° 6-2002 sur les dessins et modèles communautaires, La protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel ;

Considérant que le dessin ou modèle communautaire enregistré est considéré comme nouveau, au sens de l'article 5 du Règlement, si aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué au public (...) avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée, ou, si une priorité est revendiquée, à la date de la priorité ;

Considérant que selon les dispositions de l'article 6 du Règlement, un dessin ou modèle enregistré présente un caractère individuel si l'impression globale qu'il produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public avant sa date de dépôt ou sa date de priorité ;

Considérant qu'il doit être rappelé enfin que selon l'article 3 du Règlement, on entend par "dessin ou modèle" l'apparence d'un produit ou d'une partie de produit que lui confèrent, en particulier, les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture et/ou des matériaux du produit lui-même et /ou de son ornementation ;

Considérant qu'il s'infère de ces dernières dispositions que, contrairement à ce que prétendent les sociétés intimées, le déposant n'est nullement tenu de préciser les dimensions de son modèle ni d'ajouter à la représentation de son modèle une description expliquant la représentation un tel ajout étant laissé à l'appréciation du déposant qui peut y avoir recours s'il juge utile de définir ou de délimiter plus précisément la forme ou les contours dont la protection est demandée ;

Considérant, ceci ayant été posé, que pour contester aux deux modèles communautaires opposés tant le défaut de nouveauté que, subsidiairement, le défaut de caractère individuel, les sociétés intimées invoquent quatre modèles antérieurs de radiateurs à savoir :

- le modèle français n° 004703-005, déposé au nom de la société GC Technology

- le modèle international DM-031679-1, déposé au nom de la société Calor

- le modèle français n° 0117610-001, déposé au nom de la Compagnie Européenne Electro-Thermique Industrie,

- le modèle français n° 997004, déposé au nom de la Compagnie Industrielle d'Applications Thermiques ;

Or considérant qu'il résulte de l'examen comparatif auquel la cour s'est livrée, que si le modèle GC Technology présente à l'instar des deux modèles de la société Thermor Pacific une face galbée, il diffère d'emblée de ces modèles, d'abord à raison de sa forme carrée, les autres ayant une forme rectangulaire, faute de présenter, ensuite, des lignes dessinées en creux sur le panneau de façade et faute de révéler, enfin, derrière ce panneau de façade, un autre panneau, de plus grande hauteur et légèrement décalé par rapport au premier de manière à laisser libre une entrée et une sortie d'air ;

Que le modèle international Calor présente des bords latéraux incurvés vers l'intérieur et non pas, comme les deux modèles opposés, courbés vers l'extérieur ; qu'il est constitué d'une seule pièce et non pas à l'instar des modèles de la société Thermor Pacific de deux panneaux superposés ;

Que le modèle de la Compagnie Européenne Electro-Thermique Industrie est également formé d'un panneau unique et non pas, comme les modèles opposés, de deux faces, une face antérieure superposée à une face postérieure plus haute, les deux faces étant décalées l'une de l'autre et laissant libre une sortie d'air ;

Que le modèle de la Compagnie Industrielle d'applications Thermiques est certes composé de deux panneaux constituant l'un, la face antérieure de l'appareil, l'autre, la face postérieure, mais, à la différence des deux modèles opposés, ces panneaux présentent, tant le panneau avant, que le panneau arrière, un galbe très prononcé de telle sorte qu'ils forment, vus de profil, une figure ovoïde, par ailleurs, vus de face, les côtés latéraux de ces panneaux apparaissent verticaux tandis que, s'agissant des modèles opposés, les côtés latéraux se présentent incurvés vers l'extérieur ;

Considérant qu'il suit de ces observations que les sociétés intimées échouent à justifier d'une antériorité de toutes pièces alliant, dans le même agencement, toutes les caractéristiques des deux modèles communautaires déposés par la société Thermor Pacific dont la nouveauté ne saurait dès lors être mise en cause ;

Qu'il s'en infère, par surplus, que les deux modèles opposés produisent aux yeux de l'utilisateur averti, lequel s'entend comme désignant un utilisateur doué d'une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré, une impression globale différente de celle produite par les modèles antérieurs dans lesquels ne se retrouvent pas, conjuguées ensemble, les caractéristiques suivantes :

- une forme sensiblement parallélépipède et des parties latérales légèrement incurvées vers l'extérieur,

- une face avant décalée par rapport à la face arrière de l'appareil,

- cette dernière restant apparente car de hauteur supérieure à celle de la face avant,

- une forme galbée vers l'avant, le bord supérieur de la face arrière, biseauté, s'inscrivant dans ce galbe ;

Considérant, par voie de conséquence, que les deux modèles déposés par la société Thermor Pacific offrent en outre le caractère individuel requis pour bénéficier de la protection instituée au titre des dessins et modèles communautaires ;

Que le jugement déféré sera ainsi confirmé en ce qu'il a rejeté la demande tendant à voir déclarer nuls les droits de dessins et modèles communautaires de la société Thermor Pacific ;

Sur la contrefaçon,

Considérant que selon l'article 10 du Règlement CE 6-2002 du 12 décembre 2001, la protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s'étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente, qu'il est ajouté, que pour apprécier l'étendue de la protection, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l'élaboration du dessin ou modèle ;

Que l'article 19 de ce même règlement dispose que le dessin ou modèle communautaire enregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l'utiliser ou d'interdire à tout tiers de l'utiliser sans son consentement et l'article L. 515-1 du Code de la propriété intellectuelle précise que toute atteinte aux droits définis par l'article 19 du Règlement précité constitue une contrefaçon entraînant la responsabilité civile de son auteur ;

Considérant qu'en l'espèce, il est fait grief aux appareils Mahe, Indiana horizontal et Kuga de contrefaire le modèle communautaire opposé n° 000210810-0001, quant à l'appareil incriminé Indiana vertical, il lui est reproché de reproduire le modèle communautaire opposé n° 000265582-0001 ;

Considérant que s'agissant du radiateur Mahe, il présente à l'instar du modèle communautaire 000210810-0001 une forme rectangulaire, des lignes horizontales dessinées en creux sur le panneau frontal et des montants latéraux légèrement incurvés vers l'extérieur;

Considérant qu'il donne à voir toutefois, sur les quatre coins de l'appareil, à la différence du modèle protégé, une pièce assurant la jonction entre les faces avant et arrière de l'appareil et fermant les sorties d'air présentes en haut et en bas de l'appareil ;

Considérant que ces quatre pièces, qui s'inscrivent dans le prolongement des montants latéraux de la face avant et relient les faces avant et arrière de l'appareil, confèrent à l'appareil incriminé, aux yeux de l'utilisateur averti, une impression visuelle globale différente de celle produite par le modèle protégé dont les quatre arêtes sont intégralement ouvertes et laissent apparaître un espace vide entre la face avant et la face arrière de l'appareil ;

Considérant que l'impression de différence est en outre accrue dès lors qu'à l'inverse du modèle 000210810-0001, qui offre une face avant légèrement galbée, le radiateur Mahe présente à l'avant une surface plane et cet élément lui confère une forme distincte qui ressort de manière évidente quand les modèles comparés sont vus de côté ;

Considérant que les modèles Indiana horizontal et Kuga se présentent dans une forme rectangulaire nettement plus accentuée que le modèle opposé 000210810-0001 et offrent, à la différence de ce dernier, une face avant totalement plane, sur laquelle sont dessinées des lignes verticales et non pas horizontales ;

Considérant que ces deux modèles incriminés montrent en outre, à l'instar du modèle Mahe, une pièce de jonction qui, aux quatre coins de l'appareil, relie la face avant et la face arrière de l'appareil de sorte que, la béance constituée entre la face avant et la face arrière qui crée le décalage entre ces deux faces, caractéristique du modèle protégé , ne se retrouve pas dans les modèles incriminés ;

Considérant qu'il résulte de ces constatations que les modèles Indiana horizontal et Kuga produisent aux yeux de l'utilisateur averti une impression visuelle globale différente de celle qui ressort du modèle protégé ;

Considérant enfin que l'appareil Indiana vertical présente à l'inverse du modèle communautaire opposé n° 000265582-0001, dont la façade avant est galbée, un panneau avant complètement plat, que cet élément de différence confère aux modèles comparés une apparence d'ensemble distincte qui est particulièrement évidente quand ces modèles sont vus de profil ;

Considérant que cet appareil offre par ailleurs, de même que les appareils Indiana horizontal, Kuga et Mahe, sur les quatre coins, une pièce de jonction qui vient combler l'espace entre la face avant et la face arrière et qui lui confère une apparence d'ensemble différente de celle produite par le modèle opposé dont les quatre côtés sont complètement ouverts ;

Considérant qu'il suit de ces observations que l'appareil Indiana vertical produit une impression visuelle globale différente de celle qui se dégage du modèle opposé ;

Considérant qu'il s'infère de ces développements que la contrefaçon n'est pas caractérisée et que le jugement déféré doit être en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société Thermor Pacific de l'ensemble de ses demandes formées de ce chef ;

Sur la demande en concurrence déloyale,

Considérant que le risque de confusion susceptible de caractériser une concurrence déloyale au fondement de l'article 1382 du Code civil n'est pas avéré au regard des différences d'ordre esthétiques précédemment relevées et au fait que les produits concurrents ne sont pas distribués dans les mêmes circuits commerciaux, ceux incriminés étant vendus exclusivement dans les magasins à l'enseigne Bricoman lesquels ne commercialisent pas les produits des sociétés appelantes,

Que c'est dès lors à bon droit que le tribunal a rejeté comme dénuée de toute pertinence la demande en concurrence déloyale de la société Atlantic, Sur les autres demandes,

Considérant que l'équité ne commande pas d'allouer aux sociétés intimées une indemnité complémentaire au titre des frais irrépétibles ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement dont appel, Y ajoutant, Condamne in solidum les sociétés appelantes aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.