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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 19 septembre 2014, n° 12-05845

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pad (SAS)

Défendeur :

Mondial d'Eponges (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jacomet

Conseillers :

M. Richard, Mme Prigent

Avocats :

Mes Guizard, Storelli, David, Crombez

T. com. Paris, 7 févr. 2012

7 février 2012

La SARL "Mondial d'Eponges" et la SAS Pad exploitent deux entreprises concurrentes distribuant des éponges, essentiellement naturelles pour la première et essentiellement synthétiques pour la seconde, de sorte qu'elles se trouvent aussi cliente et fournisseur l'une de l'autre. La société Mondial d'Eponges prétend que dans le dernier état des relations contractuelles, la société Pad la rémunérait de commissions calculées sur le chiffre d'affaires (CA) réalisé par Pad avec l'entreprise d'envergure nationale dénommée "Plateforme du Bâtiment". Les factures étaient établies semestriellement à partir des déclarations que lui faisait la société Pad mais cette dernière en a cessé la transmission à partir du second semestre 2007, sans les reprendre en dépit d'une mise en demeure de le faire délivrée par lettre recommandée de son conseil du 18 mars 2010.

Le 8 avril 2011, la société Mondial d'Eponges a attrait la société Pad devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins essentiellement de constater l'existence toujours en cours du contrat verbal allégué en sollicitant la condamnation de la société Pad à lui produire les relevés semestriels du CA réalisé avec la société Plateforme du Bâtiment depuis le second semestre 2007 inclusivement et de lui payer le montant correspondant des commissions, outre une indemnité de 15 000 euro de dommages et intérêts en réparation "du préjudice résultant de la résistance abusive équipollente à une concurrence déloyale" et des frais irrépétibles.

S'y opposant en soutenant essentiellement que l'existence de relations contractuelles n'était pas démontrée, la société Pad a sollicité des frais non compris dans les dépens.

Retenant l'existence d'un contrat oral établi par la transmission antérieure de relevés de CA par la société Pad, l'émission corrélative de factures de commissions par la société Mondial d'Eponges et leur règlement par la société Pad, le tribunal, par jugement contradictoire du 13 décembre 2011, rectifié par jugement du 17 février 2012 octroyant notamment l'exécution provisoire, a condamné la société Pad à payer à la société Mondial d'Eponges 15 000 euro "en réparation du préjudice subi du fait de la résistance abusive et en compensation des commissions non versées au jour d'introduction de l'instance" outre 5 000 euro de frais de procédure.

La société Pad a interjeté appel le 28 mars 2012 à l'encontre des deux jugements. En cours d'instance devant la cour, la société Mondial d'Eponges a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 14 décembre 2012 du Tribunal de commerce de Versailles, qui a prononcé la résolution du plan de continuation précédemment arrêté par jugement du 20 janvier 2009 de la même juridiction, et a désigné Maître Philippe Samzun en qualité de liquidateur judiciaire.

Vu les ultimes écritures télé-transmises le 6 mars 2014, par la société Pad réclamant 6 000 euro de frais non compris dans les dépens et :

- à titre principal, poursuivant l'infirmation du jugement en niant l'existence d'une relation contractuelle et en faisant notamment valoir que "la rupture de toute relation de fournisseur à client depuis 2007 par l'effet du refus de la société Mondial d'Eponges de payer les factures de la société Pad, exclut toute hypothèse de rupture brutale ou intempestive d'une quelconque relation d'affaires", tout en demandant le versement de 20 000 euro au titre de la restitution des sommes versées dans le cadre de l'exécution provisoire de la décision des premiers juges, majorées des intérêts légaux,

- subsidiairement, "en tant que de besoin, par précaution et à toutes fins" sollicitant la "résolution pour inexécution de toute relation d'affaires ayant pu anciennement exister entre les parties" en raison du " refus injustifié et abusif de payer les marchandises fournies (...) de l'année 2005 à l'année 2007,

- plus subsidiairement, "en tant que de besoin, par précaution et à toutes fins", demandant à la cour "de prendre acte de ce que la société Pad entend dénoncer toute espèce de relation contractuelle ou d'affaires avec la société Mondial d'Eponges.

Vu les dernières conclusions télé-transmises le 21 février 2014 par :

- Maître Samzun, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Mondial d'Eponges et

- Madame Evanghélia Papamichael, née Argyris prise en sa qualité de dernière gérante en exercice au jour de l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société Mondial d'Eponges, réclamant 6 000 euro de frais irrépétibles et poursuivant la réformation du jugement en sollicitant le paiement de :

- 48 974,60 euro, en réparation du préjudice résultant de l'inexécution contractuelle, en faisant valoir que le parc de magasins ouverts par la société Plateforme du Bâtiment avait progressé de 14 % environ depuis 2007,

- 133 983,36 euro en dédommagement de la rupture brutale des relations commerciales établies en estimant notamment que du fait de sa situation de société antérieurement en redressement judiciaire en cours d'exécution de son plan de redressement par voie de continuation, elle aurait dû bénéficier d'un préavis d'une durée de 8 ans, soit jusqu'au terme d'exécution dudit plan,

- 25 000 euro en réparation du préjudice subi du fait "de la résistance abusive de la société Pad équipollente à une concurrence déloyale", et la confirmation de la décision pour le surplus.

SUR CE

Considérant liminairement, que :

- la pièce n° 18 produite par l'intimée, décrivant le mode opératoire du traitement des commandes émises par le client commun, émane bien de la société Pad, comme ayant été envoyée par l'intermédiaire du fax de cette dernière (même numéro 33145896654 que celui figurant sur le relevé du 1er trimestre 2004 envoyé par la société Pad dont elle a ensuite assuré le règlement par chèque BNP du 27 octobre 2004),

- l'accord revendiqué étant commercial et conclu entre deux sociétés à forme commerciale, la preuve de son existence peut se faire par tout moyen ;

Considérant qu'il résulte des pièces n° 3 à 7 versées aux débats, qu'initialement la société Foampartner (anciennement dénommée Frina Mousse France) a établi les relevés trimestriels du chiffre d'affaires réalisé avec la société Plateforme du Bâtiment à partir du 1er trimestre 2003 avec calcul des commissions revenant à la société Mondial d'Eponges a procédé au règlement de celles-ci par chèques et qu'ultérieurement, suite à l'accord de partenariat entre les sociétés Foampartner et Pad du 30 mai 2001, cette dernière a repris l'exécution dudit contrat en réglant les commissions à compter de 2004 (les relevés devenant semestriels) jusqu'au 1er semestre 2007 inclusivement (pièces n° 10 à 17) ;

Que c'est dès lors à juste titre que les premiers juges ont constaté l'existence d'un contrat en dernier lieu exécuté par la société Pad, aucune dénonciation n'ayant été formalisée avant les conclusions signifiées le 19 juin 2012 devant la cour ;

Considérant que pour en solliciter la résolution judiciaire (donc à effet rétroactif) la société Pad invoque le défaut de paiement de ses fournitures depuis 2007 à hauteur de 106 347,90 euro, la créance correspondante ayant été admise au passif du redressement judiciaire ouvert par jugement du 8 janvier 2008 du tribunal de commerce à l'encontre de la société Mondial d'Eponges ;

Mais considérant que, s'agissant de fournitures adressées par la société Pad à la société Mondial d'Eponges, le défaut de paiement invoqué ne concerne pas l'exécution du contrat verbal concernant les commissions résultant du chiffre d'affaires réalisé avec la société Plateforme du Bâtiment et ne justifie pas la résolution sollicitée, étant au surplus observé que le contrat verbal litigieux étant à durée indéterminée, la société Pad avait le faculté de le dénoncer à tout moment en respectant un préavis raisonnable, ce qu'elle ne prétend pas et a fortiori ne démontre pas, avoir fait ;

Considérant par ailleurs, qu'en dépit des mises en demeure, la société PAD n'a pas cru devoir produire les relevés semestriels de son chiffre d'affaires réalisé avec la société Plateforme du Bâtiment depuis le second semestre 2007 et qu'il convient de tirer toutes conséquences de son abstention ;

Qu'il n'est pas contesté que depuis 2007, la société Plateforme du Bâtiment a significativement augmenté le nombre de ses agences sur le territoire national et qu'en absence de critique formelle de la société Pad, le décompte effectué par la société Mondial d'Eponges dans ses écritures (page 9) est crédible, de sorte qu'il sera entériné par la cour à hauteur du montant arrondi de 48 000 euro au titre des commissions qui lui reviennent à compter du 2e semestre 2007 jusqu'à la résiliation du 19 juin 2012 ;

Considérant aussi, qu'en notifiant la résiliation du contrat verbal dans ses conclusions signifiées le 19 juin 2012 devant la cour, la société Pad a rompu brutalement une relation commerciale établie depuis une dizaine d'années au moins, au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Que la situation antérieure de redressement judiciaire et d'exécution d'un plan de redressement parvoie de continuation de l'entreprise avec apurement progressif du passif antérieur sur 9 ans, ne confère aucun traitement privilégié à l'intéressée dans le calcul du préavis raisonnable qui aurait dû lui être octroyé en application du texte sus-visé ;

Qu'il n'a pas été soutenu, et a fortiori il n'a pas été démontré que le défaut de paiement des commissions litigieuses aurait été à l'origine de la déconfiture de la société Mondial d'Eponges et qu'en fonction des éléments disponibles dans le dossier et de la nature de l'accord commercial verbal ne concernant que des commissions, le préavis raisonnable aurait dû être d'une durée de 18 mois, mais que l'indemnisation correspondante doit tenir compte que, du fait du prononcé de la liquidation judiciaire de la société Mondiale d'Eponges le 14 décembre 2012 sans autorisation temporaire d'exploitation, l'intimée n'aurait pas pu effectivement poursuivre l'activité pour percevoir les commissions au-delà de cette date, soit durant six mois environ ;

Qu'en référence au montant estimé de la commission durant la période 2011-2012, l'indemnité de rupture brutale de la relation commerciale établie sera fixée à 6 000 euro ;

Considérant que le retard à payer les commissions, pour inopportun qu'il soit en phase de redressement judiciaire de la société créancière, ne constitue pas pour autant une concurrence déloyale comme le soutient à tort l'intimée et qu'en absence de justification d'un préjudice distinct du simple retard de paiement qui aurait pu faire l'objet d'une demande d'octroi des intérêts moratoires au taux légal en vigueur, la demande de dommages et intérêts de la société Mondial d'Eponges ne sera pas accueillie ;

Qu'en revanche, il serait inéquitable de laisser à l'intimée la charge définitive des frais irrépétibles supplémentaires qu'elle a dû exposer en cause d'appel, la demande correspondante de l'appelante, qui succombe dans son recours, étant, en revanche, rejetée ;

Par ces motifs LA COUR, Réforme le jugement du 13 décembre 2011, rectifié par le jugement du 17 février 2012, Statuant à nouveau des chefs des montants alloués, Condamne la société Pad à payer à Maître Samzun, ès qualités de liquidateur de la société Mondial d'Eponges 48 000 TTC au titre des commissions du second semestre 2007 jusqu'à la résiliation du 12 juin 2012, 6 000 euro de dommages et intérêts en réparation de la rupture brutale de la relation commerciale établie, Déboute la société Mondial d'Eponges de son autre demande de dommages et intérêts d'un montant de 25 000 euro et rejette toutes les demandes de la société Pad, Confirme, pour le surplus, les deux jugements, Condamne en outre la société Pad aux dépens d'appel et à verser 6 000 euro de frais irrépétibles d'appel à l'intimée s'ajoutant à l'indemnité déjà allouée par le tribunal, Admet Maître Cédric David, avocat postulant, au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.