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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 2 octobre 2014, n° 12-05580

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sud Provert (SARL)

Défendeur :

Yvan Beal (SA), Wautot (ès qual.), Petavy (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Adjedj, Ingold, Le Moullec

T. com. Marseille, du 12 mars 2012

12 mars 2012

Faits et procédure

La société Yvan Beal a pour activité la commercialisation de matériel d'entretien et de création d'espaces verts. Elle distribue des tracteurs et tondeuses de la marque Iseki par l'intermédiaire d'un réseau de distributeurs agréés, dénommés "Agent Pro", qu'elle sélectionne pour leurs qualités et leurs compétences.

Le 1er septembre 2003, la société Sud Provert, connue sous le nom commercial "Barthélémy Jardinage", a conclu avec la société Yvan Beal un contrat à durée déterminée d'un an concernant la fourniture exclusive du matériel de la marque Iseki. Ce contrat a été renouvelé chaque année à son échéance, jusqu'au terme du dernier contrat en septembre 2010.

Par un jugement du 25 février 2010, M. Barthélémy, époux de la gérante de la société Sud Provert et attaché commercial de cette société, a été condamné par le Tribunal correctionnel de Carpentras pour abus de confiance et tromperie dans l'exercice de sa profession de vendeur de matériel de jardinage.

Ni la société Sud Provert, ni les époux Barthélémy n'ont informé la société Yvan Beal de cette condamnation.

Le 8 octobre 2010, par lettre recommandée avec avis de réception, la société Yvan Beal a informé la société Sud Provert qu'en raison de la condamnation dont avait fait l'objet M. Barthélémy, elle ne désirait pas renouveler le contrat de fourniture exclusive et qu'elle entendait cesser toute relation commerciale à compter du 15 novembre 2010.

Par lettre du 20 janvier 2011, la société Sud Provert a contesté les conditions dans lesquelles la société Yvan Beal lui a refusé le renouvellement de leur partenariat et l'a mise en demeure de reprendre les relations commerciales.

Cette lettre étant restée sans réponse, la société Sud Provert a, par acte du 19 avril 2011, fait assigner la société Yvan Beal pour obtenir la réparation d'une rupture abusive de leur relation commerciale établie.

Par un jugement du 3 mai 2013 rendu par le Tribunal de commerce de Clermont-Ferrand, la société Yvan Beal a été placée sous procédure de sauvegarde. Les organes de la procédure ont été assignés en intervention forcée devant la cour d'appel.

Vu le jugement rendu le 12 mars 2012, le Tribunal de commerce de Marseille a :

- débouté la société Sud Provert de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamné la société Sud Provert à payer à la société Yvan Beal la somme de 800 € au titre des frais irrépétibles de procédure

Vu l'appel interjeté par la société Sud Provert le 12 mars 2012 contre décision.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Sud Provert le 30 mai 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- réformer le jugement du Tribunal de commerce de Marseille rendu le 12 mars 2012, en ce qu'il l'a débouté de toutes ses demandes ;

En conséquence,

- dire et juger recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions ;

- dire et juger que la rupture, par la société Yvan Beal, des relations commerciales établies a été abusive ;

En conséquence,

- voir fixer sa créance dans le cadre de la procédure collective de la société Yvan Beal à hauteur des sommes suivantes et à titre de dommages et intérêts :

48 574 € pour la perte de marge brute sur la vente de matériel,

30 000 € pour la perte de marge brute sur l'activité de service après-vente,

15 000 € pour le préjudice moral et commercial,

- voir fixer sa créance dans le cadre de la procédure de la société Yvan Beal à hauteur de la somme de 5 000 €, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Yvan Beal à lui verser la somme de 5 000 €, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre de la présente procédure d'appel.

La société Sud Provert expose que les relations des parties étaient établies au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et qu'elle n'a pas violé ses obligations contractuelles. Elle précise qu'au terme du contrat, la qualité d' "agent Pro" était conférée à Mme Barthélémy et non à M. Barthélémy qui est le seul à avoir été condamné. Elle objecte qu'en application des principes liés à la personnalité morale, la société Sud Provert ne saurait être pénalisée en raison de la condamnation pénale prononcée à l'encontre d'un salarié. Elle ajoute qu'elle n'a pas porté atteinte à l'obligation de moralité ni à celle de loyauté envers sa partenaire contractuelle. Elle affirme, en effet, que l'obligation de loyauté inhérente au contrat conclu avec la société Yvan Beal, ne lui imposait aucunement l'information d'une condamnation de l'un de ses salariés.

La société Sud Provert soutient que la rupture est imputable à la seule société Yvan Beal qui, en outre, a abusé de sa position dominante envers elle. Elle indique que la société intimée a, au fil du temps, diminué son territoire d'intervention tout en maintenant ses objectifs quantitatifs. Elle invoque divers témoignages selon lesquels le responsable de la société Yvan Beal souhaitait l'évincer depuis plusieurs années en raison d'inimitiés entre lui et les époux Barthélémy.

Elle fait valoir, enfin, que son préjudice commercial est caractérisé par la perte de marge qu'elle aurait pu réaliser pendant la période de préavis d'un an dont elle aurait dû bénéficier, ainsi que par la perte de sa réduction tarifaire sur l'achat de pièces détachées. Elle ajoute qu'elle a subi un préjudice moral consécutif à l'atteinte à son image commerciale.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Yvan Beal le 3 septembre 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :

A titre principal :

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Marseille en ce qu'il a débouté la société Sud Provert de l'ensemble de ses demandes ;

En conséquence,

- dire et juger que le non -enouvellement du contrat d'Agent Pro était légitime ;

- dire et juger que la société Sud Provert n'est pas fondée dans ses demandes, exceptions fins et conclusions ;

- débouter la société Sud Provert de son exception de nullité et l'intégralité de ses demandes ;

A titre subsidiaire ;

- constater qu'elle a accordé un mois de préavis à la société Sud Provert ;

- dire et juger que la société Sud Provert ne justifie pas, ni dans son principe, ni dans son montant, la créance qu'elle prétend avoir au titre du préjudice subi en raison de la perte de marge brute ;

- dire et juger que la perte des remises sur l'achat des pièces détachées n'est pas une conséquence de la brutalité de la rupture et n'est pas indemnisable ;

- dire et juger que la société Sud Provert n'apporte pas la preuve de l'existence d'un préjudice moral et commercial, ni aucun élément permettant d'en fixer le montant ;

En conséquence,

- rejeter les demandes d'indemnisation de la société Sud Provert ;

En tout état de cause,

- condamner la société Sud Provert à lui verser la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Sud Provert à verser à Maître Petavy, mandataire judiciaire, la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Sud Provert à verser à la Selarl Bauland, Gladel & Martinez, administrateur judiciaire, la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Yvan Beal fait valoir que M. Barthélémy était le seul commercial dédié pour traiter la vente de ses matériels et que, dans ses conditions, la condamnation pénale de ce dernier pour des faits commis dans le cadre de son activité professionnelle a rendu impossible le maintien de la société Sud Provert au sein du réseau de distributeurs agréés.

Elle affirme que l'appelante a manqué à ses obligations contractuelles de transparence, de loyauté et de probité, dans un premier temps, en omettant sciemment de l'informer de la citation à comparaître pour abus de confiance et tromperie de sa gérante et de son attaché commercial, puis en décidant une seconde fois de ne pas la tenir au courant de la condamnation prononcée à l'encontre de M. Barthélémy.

Elle expose que contrairement à ce qu'allègue la société Sud Provert, la rupture n'a pas été motivée par une prétendue antipathie à l'égard de Madame Barthélémy. Elle conteste la validité des témoignages présentés par la société appelante.

La société intimée fait valoir enfin que la société Sud Provert ne démontre pas l'existence d'un préjudice moral et commercial qui serait consécutif à une rupture sans préavis ou encore à une prétendue perte de marge brute et/ou escomptée, ainsi que d'une perte de marge sur la vente de pièces détachées dépourvues de la remise qui lui était jusqu'à présent accordée.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée, ainsi qu'aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la rupture des relations commerciales établies

Il n'est pas contesté que les sociétés Yvan Beal et Sud Provert entretenaient des relations commerciales établies depuis le mois de novembre 2003 et il convient de déterminer si la société Yvan Beal pouvait mettre fin à cette relation en n'accordant à la société Sud Provert qu'un préavis d'un mois.

Si l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce prévoit une cause de responsabilité civile spécifique à l'égard de tout opérateur économique qui rompt sans préavis écrit une relation commerciale établie avec un partenaire, cette disposition précise qu'elle ne fait pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations, ou en cas de force majeure.

En l'espèce, ainsi que le relève la société intimée, les décomptes produits par la société Sud Provert pour démontrer son préjudice déduisent le salaire de M. Barthélémy dans le calcul de la marge brute.

Ces pièces démontrent qu'au sein de la société Sud Provert les ventes de matériels Iseki étaient essentiellement réalisées par lui, ce qui est, en outre, attesté par plusieurs personnes clientes de la société Sud Provert. À ce sujet, l'argument selon lequel les primes et indemnités relatives aux ventes de ces matériels n'étaient attribuées au seul M. Barthélémy et non à son épouse pour des raisons fiscales ainsi que des motifs relatifs aux charges sociales, ne permet pas d'établir que M. Barthélémy n'ait pas été agent commercial dédié à la vente des produits Iseki, alors que l'inverse est pourtant démontré par les éléments précédemment relevés. Le fait que Mme Barthélémy ait pu être l'interlocutrice de deux personnes pour la vente de matériels de la marque ou qu'elle soit elle-même mentionnée comme "agent Pro" dans plusieurs contrats, alors que M. Barthélémy l'est dans deux d'entre eux (2003 et 2008) ne démontre pas que c'était principalement Mme Barthélémy qui vendait les matériels de la société Yvan Beal, ainsi que le soutient la société Sud Provert.

En outre, il résulte des termes de l'article 16 des différents contrats conclus chaque année entre les parties que la société Yvan Beal se réservait un droit de résiliation à tout moment, notamment, dans le cas d'un procès engagé à l'encontre de l'"agent Pro". Si cette société ne pouvait invoquer cette disposition pour ne pas renouveler le contrat puisqu'en l'occurrence le "procès", ou tout au moins la condamnation, n'avait pas été prononcée contre la société, ni contre Mme Barthélémy qui en était la dirigeante et était désignée comme "agent Pro" dans le dernier contrat des parties, le fait qu'elle ait prévu cette disposition montre son attachement particulier à la probité des personnes chargées de distribuer ses produits.

Dans ces circonstances, la condamnation de M. Barthélémy pour abus de confiance réalisé par la vente à un client d'un tracteur qui ne lui appartenait pas et qui avait été confié à la société Sud Provert à titre de dépôt était, alors qu'il était au contact de la clientèle pour la vente des matériels de marque Iseki, de nature à jeter le discrédit sur la société Sud Provert qui l'employait et qui n'a pris aucune mesure pour l'éloigner, ne serait-ce que temporairement, de la clientèle. La société Yvan Beal pouvait, dès lors, légitimement considérer que la condamnation de M. Barthélémy, vendeur des produits de sa marque, intervenue de surcroît dans le cadre de son activité même de vendeur de matériels de jardinage, était de nature, d'une part, à porter atteinte à la confiance qu'elle pouvait placer dans la société Sud Provert, d'autre part, à discréditer sa marque auprès de la clientèle de cette société. Elle était, en conséquence, et sans qu'importe le chiffre d'affaires réalisé par la société Sud Provert postérieurement à la condamnation de son agent commercial, fondée à estimer que la société Sud Provert qui ne l'avait avertie ni des poursuites, dont faisait l'objet son agent commercial, ni surtout de la condamnation prononcée contre lui, n'avait pas respecté son obligation de loyauté à son égard et rompre la relation commerciale sans préavis. À ce sujet, si la lettre de rupture n'invoque qu'une violation des dispositions de l'article 16 de la convention conclue entre les parties, le défaut de respect du principe de loyauté qui s'inscrit dans les obligations générales des contrats, légitime, en tout état de cause, la rupture décidée par la société Yvan Beal.

Il est sans portée, au regard de l'ensemble de ce qui précède, qu'il ait pu pré-exister à la condamnation de M. Barthélémy, un climat d'inimitiés entre les responsables de la société Yvan Beal et les époux Barthélémy, ce qui au demeurant n'est pas établi par les attestations produites par la société Sud Provert, ni que le territoire de commercialisation qui lui avait été confié ait été réduit au fil du temps, ce dont elle ne démontre pas, de surcroît, s'être plainte. Enfin, la position de dépendance économique de la société Sud Provert envers la société Yvan Beal, alors que, d'une part, seuls 25 % de son chiffre d'affaires étaient réalisés par la vente de produits de la marque Iseki et que, d'autre part, elle a réussi à maintenir son chiffre d'affaires en dépit de la rupture, n'est pas démontrée.

Il convient, dans ces conditions, de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts de la société Sud Provert.

Sur les frais irrépétibles Au regard de l'ensemble de ce qui précède, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Yvan Beal la totalité des frais irrépétibles qu'elle a engagés pour faire valoir sa défense et la société Sud Provert sera condamnée à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Il n'y a, en revanche, pas lieu de prononcer une condamnation au paiement au bénéfice du mandataire judiciaire et de l'administrateur judiciaire de la société Yvan Beal, lesquels sont intervenus à la procédure par le même jeu de conclusions que la société.

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Statuant au surplus, Condamne la société Sud Provert à verser à la société Yvan Beal la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes demandes autres, plus amples ou contraires des parties ; Condamne la société Sud Provert aux dépens du présent appel qui seront recouvrés dans les conditions prévues par l'article 699 du Code de procédure civile.