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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 2 octobre 2014, n° 12-22828

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Agence de Sécurité Mangal (EURL)

Défendeur :

Vannes-Distribution (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur

Avocats :

Mes Lugosi, Dohollou, Bohbot, Milin

T. com. Rennes, du 20 nov. 2012

20 novembre 2012

Faits et procédure

La société Vannes-Distribution (ci-après société Vadis) exploite à Vannes un hypermarché à l'enseigne "Leclerc". Depuis 2000, elle confiait la surveillance de ses locaux à la société Agence de Sécurité Mangal (ci-après société ASM).

La société Vadis ayant mis fin à compter du 30 mai 2008, dans des conditions discutées qu'on présentera ci-après, aux relations qu'elle entretenait avec la société ASM, celle-ci l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Rennes en réparation du préjudice en résultant.

Par jugement du 20 novembre 2012, le Tribunal de commerce de Rennes a :

- dit et jugé que la rupture des relations contractuelles intervenue le 17 janvier 2008 à l'initiative de la société Vadis ne revêt pas de caractère brutal comme ayant respecté les conditions de forme et de préavis applicables en l'espèce ;

- débouté la société ASM de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamné la société ASM à payer à la société Vadis la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté par la société ASM le 14 décembre 2012 contre cette décision enregistré sous le numéro RG : 12-22828, et celui interjeté par ladite société mettant en cause les mêmes parties et se référant à la même décision de première instance, enregistré sous le numéro RG : 13-03487,

Qu'il y a lieu, pour une bonne administration de la justice d'ordonner la jonction de ces deux procédures.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société ASM le 7 mai 2014 (0 verifier), par lesquelles il est demandé à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :

A titre principal :

- dire et juger que la société Vadis a engagé sa responsabilité pour rupture brutale de relation commerciale établie sans préavis ;

- condamner la société Vadis à verser à la société ASM la somme de 240 000 euro à titre de dommages et intérêts, ladite somme majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation et jusqu'à parfait paiement ;

- condamner la société Vadis à payer à la société ASM une somme de 23 850 euro au titre du coût des licenciements de Monsieur Joannic et de Madame Toulliou ;

- condamner la société Vadis à verser à la société ASM la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts, ladite somme majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation et jusqu'à parfait paiement ;

A titre subsidiaire :

- condamner la société Vadis à verser à la société ASM la somme de 156 000 euro, marge brute de la perte à titre de dommages et intérêts, ladite somme majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation et jusqu'à parfait paiement ;

En tout état de cause :

- condamner la société Vadis à verser la société ASM la somme de 7 000 euro au titre des frais irrépétibles et par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'appelante expose qu'elle fournissait des prestations de sécurité depuis 2000, de façon continue et sur la base de conventions successives d'une durée d'un an. Elle explique qu'il était d'usage que la société Vadis adresse, trois mois avant l'expiration de chaque convention, une lettre de résiliation mais qu'une nouvelle convention était ensuite systématiquement conclue. Aussi indique-t-elle qu'elle a reçu avec surprise la lettre du 30 mai 2008 par laquelle la société Vadis lui a fait connaître que leur collaboration était terminée.

Elle considère, en conséquence, que la rupture des relations établies lui a été notifiée, non par la lettre du 17 janvier 2008, qui s'apparentait aux courriers qu'elle avait l'habitude de recevoir et qui ne peut être considérée comme une notification de la rupture, mais par le courrier du 30 mai 2008.

En ce qui concerne son préjudice, la société ASM fait valoir qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis d'une année, compte tenu de l'ancienneté des relations qui étaient établies avec la société Vadis. Elle considère que le préjudice qu'elle a subi est égal au chiffre d'affaires qu'elle aurait dû réaliser si le contrat s'était poursuivi pendant cette durée, soit 240 000 euro. Elle soutient qu'il faut ajouter à ce préjudice celui représenté par le coût de deux licenciements auxquels elle a dû procéder.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Vadis le 20 mai 2014, par lesquelles il est demandé à la cour de :

A titre principal :

- confirmer le jugement entrepris en ses dispositions non contraires aux présentes ;

- dire et juger que la rupture des relations contractuelles intervenue le 17 janvier 2008 à l'initiative de la société Vadis ne revêt pas de caractère brutal comme ayant respecté les conditions de forme et de préavis applicables en l'espèce ;

A titre subsidiaire :

- constater que les demandes en réparation formées par la société ASM ne sont ni argumentées ni a fortiori établies alors que la charge de la preuve incombe à l'appelante ;

- condamner la société ASM à verser la somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Vadis indique qu'ayant décidé d'agrandir et de restructurer l'hypermarché Leclerc qu'elle exploitait, elle a reçu un courrier du Service départemental d'incendie et de secours en date du 21 novembre 2007, l'informant qu'elle devrait désormais disposer d'un service de sécurité incendie, composé d'un chef d'équipe et de deux agents de sécurité incendie. Aussi a-t-elle demandé à la société ASM de lui adresser une proposition de contrat pour le prochain renouvellement et engagé une procédure de mise en concurrence. Elle précise que n'ayant reçu aucune réponse de la part de la société ASM, elle lui a adressé le 17 janvier 2008 un courrier lui notifiant sa décision de résilier le contrat venant à échéance le 1er juin suivant et le 30 mai 2008 un nouveau courrier lui confirmant la fin du contrat.

Dans ces conditions, la société Vadis considère qu'elle a laissé à son prestataire un délai d'une durée suffisante - quatre mois et demi -, supérieure au demeurant au délai de préavis de trois mois contractuellement prévu.

Subsidiairement, elle soutient que la prétendue brutalité de la rupture n'a entrainé aucun préjudice démontré par la société ASM. Elle souligne, en particulier, que les deux licenciements auxquels la société ASM dit avoir dû procéder sont sans lien avec la rupture intervenue et que la désorganisation que cette société allègue n'est pas démontrée.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Il est établi que les relations commerciales établies depuis 2000 entre les parties étaient régies en dernier lieu par le contrat qu'elles avaient conclu le 30 mai 2006 pour une durée d'un an, ce contrat ayant été tacitement renouvelé une fois, soit jusqu'au 30 mai 2008. Selon son article 6, il pouvait être résilié trois mois avant sa date d'échéance.

Il ressort par ailleurs du dossier que la société Vadis ayant le projet d'agrandir et restructurer le centre commercial Leclerc qu'elle exploitait, elle a consulté le Service départemental d'incendie et de secours sur les besoins de sécurité incendie susceptibles d'en résulter. Par lettre du 21 novembre 2007, ce service lui a fait savoir qu'elle devrait mettre en place un "service de sécurité incendie conformément aux dispositions des articles MS 6 de l'arrêté du 20 juin 1980 modifié et M 29 de l'arrêté du 22 décembre 1981 (...) composé d'un chef d'équipe et de deux agents de sécurité incendie." (pièce intimé n° 4).

La société Vadis a transmis une copie de ce courrier à la société ASM, par une lettre du 24 novembre 2007 ainsi rédigé :

"Veuillez trouver l'avis de la commission de sécurité concernant le service de sécurité pour l'agrandissement. Il nous faut donc une permanence pour un SSIAP 2 pendant l'ouverture et permanence de 2 SSIAP1. Pouvez-vous nous faire une proposition de contrat pour le prochain renouvellement à la date anniversaire avec l'état nominatif." (pièce intimé n° 5). Elle indique que ce courrier est resté sans réponse, ce que ne conteste pas la société ASM. La société Vadis a ensuite adressé un courrier recommandé avec avis de réception, en date du 17 janvier 2008, reçu par son destinataire le 19 janvier 2008 et ainsi rédigé :

"Monsieur, Conformément à l'article 6 du contrat de prestation de services signé le 30 mai 2005 entre vous et M. Kervarrec Yannick, nous venons par la présente résilier le contrat qui lie nos deux sociétés avec prise d'effet au premier juin 2008.

Veuillez croire (...)" (pièce intimé n° 6).

La société ASM a versé aux débats un autre courrier du même jour (pièce appelant n° 10), mais qui ne lui aurait été remis qu'au mois de mai et qui était ainsi rédigé :

"Monsieur Mangal, Nous venons par la présente dénoncer le contrat qui lie nos deux sociétés (date d'anniversaire du contrat : 1er juin 2008).

En effet afin de répondre à un appel d'offres avec sérénité nous remettons en cause notre partenariat qui bien sûr peut être éventuellement renouvelé compte tenu de nos relations.

Veuillez recevoir (...)"

Quelle que soit la date à laquelle ce dernier courrier lui a effectivement été remis, la société ASM ne conteste pas avoir reçu, le 19 janvier 2008, le premier de ces deux courriers, comme en fait foi l'accusé de réception versé en copie au dossier. Par la précision de ces termes, sa référence explicite à l'article 6 du contrat dont la teneur a été ci-dessus rappelée, ce courrier ne peut être compris que comme notifiant à la société ASM la décision de la société Vadis de mettre fin au contrat.

La société ASM soutient, cependant, que tel n'était pas le sens de ce courrier, qui signifiait seulement que le contrat en cours était dénoncé dans l'attente de la conclusion d'un nouveau contrat ; elle appuie cette interprétation sur le fait que dans le passé, la société Vadis lui avait adressé ce même type de courrier ainsi en décembre 2004 s'agissant du contrat expirant le 30 mai 2005, et avait pourtant ensuite contracté à nouveau avec elle. Elle affirme, dans ces conditions, qu'ayant reçu ce courrier, elle était néanmoins assurée de conclure un nouveau contrat, qui prendrait effet au 1er juin 2008, et que la rupture des relations commerciales établies ne procédait que du courrier du 30 mai 2008. Mais la cour ne saurait souscrire à cette interprétation qui se heurte à la lettre même du courrier en cause, lequel exprime sans aucune équivoque la décision de la société Vadis de ne pas reconduire, à son expiration, le contrat en cours.

La société ASM fait valoir, par ailleurs, qu'elle a reçu de la société Vadis un courrier du même jour, le 17 janvier 2008, d'où il résultait, selon elle, que son client avait exprimé le souhait de poursuivre leurs relations. Ce courrier était ainsi rédigé : "Vous avez eu par lettre en date du 24/11/07 l'avis de la commission de sécurité concernant le service de sécurité pour l'agrandissement et une demande précise à laquelle nous n'avons pas eu de réponse. Il nous faut donc une permanence pour un SSIAP 2 pendant l'ouverture et une permanence de 2 SSIAP 1. Pouvez-vous nous faire une proposition de contrat pour le prochain renouvellement à la date anniversaire avec l'état nominatif" (pièce appelant n° 11). A l'évidence, ce courrier ne peut être lu comme l'assurance donnée que le contrat expirant le 30 mai suivant serait renouvelé, puisque la société Vadis y exprime, comme elle l'avait déjà fait en vain par le courrier du 27 novembre précédent, ses nouveaux besoins en matière de sécurité et demande à la société ASM si elle serait en mesure d'y satisfaire en lui présentant une proposition de contrat.

Il en résulte que la décision de la société Vadis de mettre fin, à compter du 30 mai 2008, aux relations commerciales qu'elle entretenait avec la société ASM a bien été notifiée à celle-ci par le courrier du 17 janvier 2008, de sorte qu'il convient de rechercher si la durée du préavis ainsi accordé quatre mois et demi était suffisantE au regard des exigences de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce. A cet égard, c'est à juste titre que le tribunal a jugé que, compte tenu de la nature et de l'ancienneté des relations commerciales en cause, ce délai, d'ailleurs supérieur au délai de trois mois contractuellement prévu, était suffisant en ce qu'il permettait à la société ASM de prendre ses dispositions pour la période qui suivrait le terme du contrat et de donner éventuellement une nouvelle orientation à ses activités. Le jugement sera donc confirmé.

Sur les frais irrépétibles

Au regard de l'ensemble de ce qui précède, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Vadis la totalité des frais irrépétibles engagés pour faire valoir ses droits et la société ASM sera condamnée à lui verser la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Ordonne la jonction des procédures numéros 12-22916 et 13-00125. Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, Condamne la société Agence de Sécurité Mangal à payer à la société Vannes-Distribution la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes les demandes autres, plus amples ou contraires des parties, Condamne la société Agence de Sécurité Mangal aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.