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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 2 octobre 2014, n° 12-22401

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sidji (SARL)

Défendeur :

Shield Medicare Ltd (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur

Avocats :

Mes Taze-Bernard, Beddouk, Bouzidi-Fabre, Fernström, Foucard

T. com., Paris 7e ch., du 7 nov. 2012

7 novembre 2012

Faits et procédure

La société Sidji exerce l'activité de vente en gros de fournitures et d'équipements industriels. Depuis sa création en 2000, elle distribue, sans contrat, les produits de la société Shield Medicare (la société Shield), dont le siège social est situé en Angleterre, et qui fabrique des équipements ainsi que des produits d'hygiène pour l'industrie et les hôpitaux.

Bien que la société Shield se soit engagée par écrit au début de leur relation à ne pas directement vendre ses produits sur le territoire français, elle a créé en 2005 une équipe commerciale et une filiale française.

En 2006, la société Shield a fait l'objet d'une prise de contrôle par la société Ecolab.

Constatant en 2009, que les sociétés LFB et Sanofi ne lui commandaient plus qu'une partie des produits et traitaient directement avec la société Shield, la société Sidji l'a, en mars 2010, fait assigner en référé devant le Tribunal de commerce de Pontoise. Ce tribunal constatant l'existence de contestations sérieuses a renvoyé la société Sidji à se pourvoir devant les juges du fond. Le 26 août 2010, la société Shield a définitivement mis fin aux relations d'affaires entretenues avec la société Sidji en invoquant une perte de confiance liée au fait que sa partenaire l'avait poursuivie juridiquement. Le préavis était fixé au 31 décembre 2010. Par acte du 28 février 2011, la société Sidji a fait assigner la société Shield devant le Tribunal de commerce de Paris en réparation des préjudices résultant pour elle, d'une part, de la violation contractuelle de l'engagement de ne pas vendre directement ses produits en France, d'autre part, de la rupture brutale des relations commerciales établies et, enfin, de faits de concurrence déloyale.

Vu le jugement prononcé le 7 novembre 2012, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit être incompétent pour traiter la demande de la société Sidji au titre de la responsabilité contractuelle de la société Shield (respect de l'accord de non-vente en France) et renvoyé sur ce point la société Sidji à se mieux pourvoir ;

- s'est dit compétent pour traiter la demande de la société Sidji au titre de la responsabilité délictuelle de la société Shield (rupture brutale et acte de concurrence déloyale) ;

- dit qu'il n'y a pas eu de rupture brutale tant partielle que totale de la relation commerciale ;

- condamné la société Shield à payer à la société Sidji 13 333 euro au titre du préavis ;

- dit qu'il n'y a pas eu d'actes de concurrence déloyale de la part de la société Shield à l'encontre de la société Sidji et déboute la société Sidji de sa demande à ce titre ;

- condamné la société Shield à payer à la société Sidji la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Vu l'appel interjeté par la société Sidji le 10 décembre 2012 à l'encontre de cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Sidji le 22 mai 2014, par lesquelles il est demandé à la cour de :

in limine litis,

- écarter l'exception d'incompétence soulevée par la société Shield au profit des juridictions et de la loi anglaise ;

- se déclarer compétente et faire application de la loi française ;

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris le 7 novembre 2012 en ce qu'il a condamné la société Shield à verser une somme de 13 333 euro au titre du préavis ;

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 7 novembre 2012 en ce qu'il a condamné la société Shield à verser à la société Sidji une somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- l'infirmer pour le surplus ;

Statuant à nouveau :

- condamner la société Shield à verser une somme de 105 308 euro à la société Sidji en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale et partielle de leurs relations commerciales ;

- condamner la société Shield à verser à la société Sidji au titre des actes de concurrence déloyale :

1 120 000 euro au titre du préjudice économique ;

100 000 euro au titre du préjudice moral.

Désigner tel expert qu'il plaira à la cour avec pour mission de :

Se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission ;

Et notamment toutes pièces justificatives du chiffre d'affaires réalisé par la société Shield avec des sociétés domiciliées sur le territoire français dont les sociétés LFB et Sanofi ;

Fournir tous éléments de nature à permettre d'évaluer le montant du préjudice subi par la société Sidji suite à la violation de l'engagement contractuel commise par la société Shield ;

Fixer le montant de la consignation sur frais d'expertise.

- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions formulées par la société Shield ;

- condamner la société Shield au paiement d'une indemnité complémentaire de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Sidji soutient que la Cour d'appel de Paris est compétente pour connaître de son action relative à la mise en cause de la responsabilité de la société Shield pour avoir violé son engagement de ne pas vendre directement sur le territoire français, en application du règlement CE 44-2001. Elle explique à ce sujet que le contrat non écrit est un contrat de vente et que l'engagement contractuel litigieux entretient des liens étroits avec la France, au sens de la convention de Rome de 1980. Elle estime que cet engagement exclut par lui-même toute qualification de contrat de distribution pour lequel la fourniture du produit s'exécuterait au domicile anglais du concédant.

Elle réfute avoir tacitement renoncé au bénéfice de cet engagement et soutient que l'installation de la filiale de la société Shield et le développement d'une activité commerciale directe se sont faits à son insu.

La société Sidji expose que son chiffre d'affaire a baissé quand la société Shield s'est mise à pratiquer la vente directe pour ensuite lui substituer la société Sterigene, ce qu'elle assimile à un détournement de clients, même que les sociétés clientes LFB et Sanofi n'avaient rien à lui reprocher. Elle affirme de surcroît que les manquements de non-conformité qui lui sont opposés correspondent en réalité à des problèmes de fabrication de la société Shield, dont elle l'avait pourtant avisée.

L'appelante fait valoir que le comportement qu'elle dénonce ainsi atteste d'une rupture brutale partielle, à laquelle a succédé une rupture brutale totale, intervenue par la suite avec un très court délai de préavis et pour un motif fallacieux de perte de confiance intervenu comme justification a posteriori.

Elle analyse l'appropriation par la société Shield du courant d'affaires stable qu'elle a mis en place comme une forme de parasitisme économique qu'elle a tenté de lui dissimuler et fait valoir à cet égard qu'elle a exposé des frais pour développer le produit destiné à la société Sanofi.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Shield le 3 juin 2014, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 7 novembre 2012 en tous points, sauf en ce qu'il a condamné Shield Medicare à verser à Sidji la somme de 13 333 euro au titre du préavis et la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et, statuant de nouveau, de :

Sur les demandes fondées sur la responsabilité contractuelle :

in limine litis,

- dire et juger qu'elle n'est pas territorialement compétente pour juger des demandes de la société Sidji à l'encontre de la société Shield, au profit des juridictions anglaises compétentes rationae materiae du lieu du siège social de société Shield ;

- à titre principal, si elle se déclarait néanmoins compétente, dire et juger que la loi applicable au litige existant entre la société Sidji et la société Shield est la loi anglaise et qu'en conséquence, les demandes de la société Sidji sont mal fondées ;

- à titre subsidiaire, si elle se déclarait compétente et retenait la loi française comme étant applicable au présent litige, dire et juger que la société Shield a respecté ses obligations contractuelles, la société Sidji ayant renoncé tacitement et de manière non équivoque depuis plusieurs années à l'engagement de société Shield de ne pas en vendre en direct ses produits en France.

Sur les demandes fondées sur la responsabilité délictuelle :

- dire et juger que la société Shield n'a pas rompu brutalement ses relations commerciales avec la société Sidji :

Qu'il n'y a pas eu de rupture brutale partielle en 2009 des relations commerciales de la société Sidji avec société Shield dans la mesure où :

La société Shield n'est pas à l'origine de la baisse du chiffre d'affaires de la société Sidji consécutive à l'arrêt des ventes par cette dernière de KL 2015 à la société Sanofi et sa responsabilité ne peut être engagée à ce titre ;

La société Shield n'est pas à l'origine de la baisse du chiffre d'affaires de la société Sidji consécutive à l'arrêt des ventes par cette dernière de KL 102 et de KL 302 à la société LFB et sa responsabilité ne peut être engagée à ce titre ;

La société Sidji ne justifie pas ses demandes au titre de ses relations commerciales avec les sociétés MSD et Excell Vision.

Qu'en tout état de cause, Sidji ne justifie pas de son préjudice ;

Qu'il n'y a pas eu de rupture brutale totale des relations commerciales en 2010 dans la mesure où la société Shield avait un juste motif pour résilier le contrat sans préavis et, au surplus, a respecté un préavis raisonnable ;

Dire et juger que Sidji ne justifie pas de faits caractérisant un acte fautif de concurrence déloyale de société Shield.

En conséquence :

- débouter la société Sidji de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner la société Sidji à verser à la société Shield la somme de 30 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Shield soutient l'incompétence des juridictions françaises pour statuer sur la mise en œuvre de sa responsabilité contractuelle et elle fait valoir qu'en tout état de cause, la loi applicable au contrat est la loi anglaise.

Dans l'hypothèse où la cour ne statuerait pas en ce sens, elle soutient qu'elle a respecté ses obligations contractuelles et que, de plus, la société Sidji a renoncé tacitement et de façon univoque tant à l'engagement de non-vente directe qu'à la qualité de distributeur officiel.

S'agissant de sa responsabilité délictuelle pour rupture brutale, l'intimée fait valoir qu'elle n'est pas responsable des baisses de chiffre d'affaires réalisées avec les sociétés Sanofi et LFB et que la rupture intervenue en 2010 a été fondée sur un motif légitime. Elle soutient enfin que la société Sidji ne justifie pas de son préjudice.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée, ainsi qu'aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la compétence à connaître de la violation contractuelle

Il n'est pas discuté par les parties que la contestation relative à la compétence territoriale pour connaître du litige qui les oppose sur la violation de l'engagement de la société Shield doit être tranchée par application des dispositions du règlement CE 44-2001 du 22 décembre 2000.

L'article 5-1 de ce Règlement précise qu'"Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, dans un autre État membre :

1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ;

b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est :

- pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

- pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;

c) le point a) s'applique si le point b) ne s'applique pas".

La société Sidji conteste que le contrat non écrit conclu entre elle et la société Shield ait été un contrat de distribution, comme l'a jugé le tribunal. Elle soutient que ce contrat était un contrat de vente, car elle acquérait les produits de la société Shield, pour les revendre ensuite. Elle ajoute que sa partenaire s'étant engagée à ne pas vendre ses produits directement sur le territoire français, l'obligation devait s'exécuter sur ce territoire.

Cependant, ainsi que l'a justement relevé le tribunal, l'engagement écrit pris par la société Shield envers la société Sidji précise que "Shield Medicare a confié la distribution de ses produits pour la France à la société Sidji qui est son distributeur officiel". Par ailleurs, quand bien même ce contrat serait-il exécuté par une vente préalable des produits à la société Sidji pour qu'elle les revende ensuite aux clients, son objet même, quoique non écrit, était bien la distribution des produits de la société Shield, ce qu'invoquait d'ailleurs la société Sidji devant les premiers juges et ce dont elle ne peut, en application du principe selon lequel une partie ne saurait se contredire au détriment d'autrui, soutenir l'inverse devant la cour.

En outre, le fait que le contrat ne corresponde pas aux deux catégories juridiques principales des contrats de distribution, la franchise et la concession, n'exclut pas qu'il puisse néanmoins répondre aux caractéristiques de la distribution. Or il n'est ni soutenu ni démontré que les produits n'auraient pas été vendus par la société Sidji comme étant des produits de la société Shield, sous la marque et les références de celle-ci et sous sa responsabilité en cas de difficulté. Il est sans portée, compte tenu de la nature des actes accomplis par la société Sidji, que cette distribution n'ait pas été encadrée par un contrat fixant les modalités de cette distribution.

Ainsi, le contrat liant les parties était bien un contrat de distribution. Il n'était en conséquence, ni un contrat de vente, ni un contrat de service ce qui implique que les principes énoncés par l'article 5.1, b, du Règlement sus-visé pour ces catégories de contrats ne sont pas applicables. Il convient donc de rechercher quel était le lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou devait être exécutée.

Le contrat étant un contrat de distribution, l'obligation qui sert de base à la demande est la fourniture des marchandises et non l'engagement à ne pas vendre directement sur le territoire français qui s'inscrit dans le cadre du contrat de distribution dont la société Sidji demande l'exécution. Cette obligation ne peut non plus être définie comme étant la livraison qui n'est qu'un élément de l'obligation globale de fourniture.

S'agissant de la loi applicable qui permettra de déterminer quel est le lieu d'exécution de l'obligation de fourniture des marchandises, il convient d'appliquer la règle de conflit de loi prévue par la Convention de Rome du 19 juin 1980, qui dispose à son article 4 que lorsque les parties n'ont pas choisi de loi applicable à leur contrat, celui-ci est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits et que "sous réserve du paragraphe 5, il est présumé que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle". Le paragraphe 5 précise que :

"Lorsque la prestation caractéristique ne peut être déterminée le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits".

En l'espèce, la prestation caractéristique du contrat est déterminée comme étant la fourniture des produits et la partie débitrice de cette fourniture est la société Shield. En conséquence, la loi applicable est celle du lieu où au moment de la conclusion du contrat, cette société avait son siège social, quelles qu'aient pu, par la suite, être les évolutions sur ce point. Il n'est pas contesté qu'à l'époque de la conclusion du contrat, le lieu où la société Shield avait son siège social était l'Angleterre et il convient donc de rechercher, en application de la loi anglaise, quel est le lieu où le contrat devait être exécuté.

En l'absence dans ce droit de disposition prévoyant la détermination du lieu d'exécution du contrat, il convient de se référer à l'expression de la volonté des parties lesquelles n'ayant pas prévu de disposition contraire, ont implicitement accepté le principe énoncé par l'article 2 du règlement CE 44-2001, selon lequel les personnes domiciliées dans un Etat membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat membre, soit en l'espèce l'Etat dans lequel la société Shield avait son siège social, c'est-à-dire les juridictions anglaises.

Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement en ce que le tribunal s'est dit incompétent pour traiter la demande de la société Sidji au titre de la responsabilité contractuelle de la société Shield (respect de l'accord de non-vente en France) et a renvoyé sur ce point la société Sidji à mieux se pourvoir.

Il convient aussi de le confirmer en ce qu'il a retenu sa compétence pour juger les questions de responsabilité délictuelle résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies et de la concurrence déloyale, laquelle n'est pas contestée.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Aux termes de l'article L 442-6-I-5° du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, (...) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure".

La société Sidji soutient que la société LFB Biomédicaments (la société LFB) a cessé de se fournir en produits de la société Shield à compter d'une dernière livraison intervenue le 9 juillet 2009 et que la société Sanofi a, de son côté, cessé de s'approvisionner auprès d'elle pour le produit KL 2015, fabriqué par la société Shield, en novembre 2009. Elle indique avoir ensuite découvert que celle-ci fournissait directement ses produits à ses anciens clients, et que, dans ces conditions, la société Shield s'est rendue responsable d'une rupture brutale partielle de leurs relations commerciales.

Sur la rupture des commandes de la société Sanofi

Il résulte d'une lettre adressée le 19 mai 2009 par M. Hervé, responsable de la société Sidji, à Mme Chango de la société Sanofi, qu'il avait été annoncé à celui-ci par cette dernière, au mois de février 2009, qu'elle ne commanderait plus le produit KL 2015. Il précisait qu'à moins qu'elle ne prenne un engagement de commande de deux années pour des quantités approximativement égales à celles de l'année précédente, les livraisons ne seraient plus assurées. Par un courrier électronique du 9 juin 2009, M. Hervé a indiqué à M. Gold de la société Shield que la société Sanofi l'avait informé qu'elle ne commanderait plus le produit en question, car elle avait décidé de faire appel à un concurrent. Il indiquait qu'en conséquence, il ne fallait plus le fabriquer. Il a été ensuite confirmé par Mme Chango à M. Gold, dans un courrier électronique du 29 avril 2010, que la décision de ne plus commander le produit en question était prise par la société Sanofi et qu'elle en avait informé M. Hervé lors d'un entretien au mois de février 2009.

Il n'est pas contestable au regard de ces échanges que la cessation de commande du KL 2015 par la société Sanofi a procédé d'une décision prise par celle-ci. La société Shield affirme sans le démontrer que l'arrêt des commandes de ce produit aurait été décidé en raison d'insuffisances de la société Sidji.

Le courrier électronique du 21 août 2009 adressé par M. Gold à Mme Dorchain de la société Sanofi témoignant seulement de ce qu'elle a, à ce moment, repris contact avec la société Sanofi, laquelle n'a, à aucun moment, exprimé le moindre mécontentement au sujet de la société Sidji. Le fait que la société Sanofi soit finalement revenue sur sa décision à la suite de négociations avec la société Shield, ne rapporte pas la preuve de ce que la rupture serait intervenue pour des motifs liés aux prestations de la société Sidji qui n'ont à aucun moment, dans le cours du contrat ou postérieurement, été critiquées. Dans ces circonstances, il est sans portée que la société Sidji ait été informée plusieurs mois à l'avance de l'arrêt des commandes par la société Sanofi. Le fait que la société Shield ait, à la suite de cette rupture, négocié puis vendu le produit directement à la société Sanofi, ce qu'elle ne conteste pas, a eu pour effet de priver la société Sidji de cette clientèle et s'analyse comme une rupture brutale, car sans préavis écrit, et partielle de sa relation avec la société Shield.

Sur la rupture des commandes de la société LFB

La société Shield fait valoir que la baisse des commandes de produits KL 302 et KL 1002 par la société LFB a procédé d'une décision de cette société et non d'elle-même et que la société Sidji ne saurait lui imputer ses propres manquements qui ont conduit la société LFB à ne plus commander ces références.

Il résulte des pièces produites aux débats par la société Sidji que M. Hervé a été informé de dysfonctionnements constatés sur le pulvérisateur d'un produit désigné sous le terme de Kleralcool sous la référence KL 302 par une lettre de la société LFB du 25 juin 2009. Par une nouvelle lettre du 3 juillet suivant, la société LFB signalait à nouveau les mêmes problèmes à la société Sidji et par un courrier électronique du 8 juillet 2009, M. Hervé a averti la société Shield des difficultés rencontrées par la société LFB.

Il n'est cependant pas établi que la société Sidji ait à ce sujet été négligente. En effet, un courrier électronique adressé par M. Hervé permet de constater qu'il avait communiqué par téléphone avec les responsables de la société LFB et leur avait demandé si le problème touchait l'ensemble des lots ou si seulement certains d'entre eux étaient touchés. Il ressort aussi d'un courrier électronique adressé par M. Gold à M. Hervé que la société Shield était parfaitement informée du problème signalé par la société LFB, lequel avait déjà été signalé par d'autres clients, et qui lui avait d'ailleurs permis d'en détecter un autre, non encore relevé par les utilisateurs. Ce message permet aussi de constater que M. Gold avait eu un entretien téléphonique avec une personne de la société LFB. Il ne saurait donc être reproché à la société Sidji de ne pas avoir su traiter le problème avec suffisamment de vigilance, ce qui d'ailleurs ne lui a nullement été reproché par la société LFB, ni d'avoir omis de prévenir la société Shield qui était parfaitement informée et qui a elle-même pris en charge le suivi du problème auprès de la société LFB, ainsi que le démontrent les messages de la société LFB du 8 juillet à M. Hervé (pce. Sté Shield n° 14) et de M. Gold à M. Hervé, le 9 septembre 2009, par lequel il indiquait "Je vous tiens au courant de la situation avec LFB une fois que j'ai pris en compte tous les détails nécessaires" (pce. Sté Sidji n° 29).

Il n'est par ailleurs pas contesté que la société Shield a, à partir de 2009, vendu directement ses produits directement à la société LFB. Ce procédé, alors qu'aucun élément du dossier ne démontre que cette modification ait eu pour origine une carence ou une faute de la société Sidji, a eu pour effet de la priver de cette clientèle et s'analyse comme une rupture brutale, car sans préavis écrit, et partielle de sa relation avec la société Shield.

Sur la rupture totale par la société Shield le 26 août 2010

Par une lettre recommandée du 26 août 2010, la société Shield a informé la société Sidji qu'elle mettait fin à leur relation commerciale. Elle invoquait pour motifs de sa décision, les "événements qui ont eu lieu l'année dernière avec les clients LFB et Sanofi-Wintrop et la procédure judiciaire que Sidji a cru devoir initier récemment à l'encontre de Shield Medicare [qui] ont gravement affecté les relations entre nos deux sociétés". La société Shield indiquait encore " (...) Nous prendrons contact avec vous, dans les prochains jours, afin de déterminer la durée exacte de la période de préavis pendant laquelle nos relations contractuelles resteront maintenues". La société Sidji a pris acte de cette rupture, mais en a contesté les motifs, par lettre du 14 septembre 2010. Enfin, par télécopie du 12 octobre suivant, M. Degremont, responsable de division de la société Shield, a, après avoir rappelé les termes d'un entretien téléphonique du 30 septembre précédent, au cours duquel M. Le Guez, gérant de la société Sidji, a refusé de le rencontrer pour fixer la durée du préavis, indiqué que leur relation prendrait fin le 31 décembre suivant. La société Sidji a répondu le 15 octobre 2010 en soulignant que le préavis très court qui lui était accordé était insuffisant et elle demandait que celui-ci soit allongé de deux mois pour s'achever le 28 février 2011.

Ainsi qu'il a été retenu dans les développements précédents, il n'est pas établi par la société Shield que sa partenaire aurait commis les négligences qu'elle lui reproche. Par ailleurs, si l'action judiciaire diligentée par elle pouvait justifier la perte de confiance invoquée, elle ne saurait en revanche constituer une cause de rupture sans préavis.

C'est par ailleurs par une juste motivation que la cour adopte pour le surplus que le tribunal a estimé que le préavis raisonnable aurait dû, compte tenu de la durée des relations commerciales, mais aussi du secteur d'activité concerné, être de six mois. À ce sujet, la société Shield ne peut prétendre que la société Sidji aurait été avertie depuis le mois de mai de son intention de rompre leurs échanges, dans la mesure où à cette date, la rupture a été seulement invoquée comme une menace qui ne s'est réalisée qu'en octobre.

La rupture intervenue avec un préavis de quatre mois, insuffisant au regard de celui de six mois qui aurait dû être accordé, équivaut à une rupture brutale, dont la société Shield doit réparer le dommage qui s'en est suivi pour la société Sidji

Sur les préjudices de la société Sidji résultant de la rupture partielle puis totale

S'agissant de la rupture totale, aucune des parties ne conteste l'appréciation du montant du préjudice lié à la perte de marge brute pour deux mois qui a été effectuée par le tribunal dont le jugement doit donc être confirmé de ce chef.

S'agissant de la rupture partielle, il convient tout d'abord de préciser que le préavis aurait dû comme pour la rupture totale, être de six mois. Dès lors, la perte de marge brute doit être calculée sur cette durée. Par ailleurs, la société Sidji n'apporte aucun élément concernant une rupture brutale partielle concernant les clients MSD et Excell Vision, à l'égard desquels elle ne peut, en conséquence, demander aucune réparation.

Par ailleurs, si certaines décisions judiciaires ont pu prendre en compte pour assiette du calcul du préjudice, le chiffre d'affaires réalisé entre les partenaires pendant les trois années précédant la rupture, il n'existe aucun principe jurisprudentiel à ce sujet, ni aucune règle législative ou réglementaire. En l'état des éléments versés au dossier et compte tenu des factures produites par la société Sidji il convient de retenir que celle-ci a, d'une part, du 2 juillet 2008 au 12 août 2009, soit 14 mois, réalisé avec la société Sanofi, pour le produit KL 2015, un chiffre d'affaires de 301 428,97 euro, soit un chiffre d'affaires moyen mensuel de 21 530,64 euro, d'autre part, du 24 novembre 2008 au 25 novembre 2009, soit douze mois, réalisé avec la société LFB pour les produits KL 1002 et KL 302, un chiffre d'affaires de 195 407,5 euro, soit un chiffre d'affaires moyen mensuel de 16 283,95 euro.

Il convient d'appliquer à ces chiffres d'affaires le taux de marge brute de 40 %, justifié par la société Sidji par un ratio entre ses prix de vente et ses prix d'achat, dont la pertinence n'est pas sérieusement contestée par la société Shield. Il convient à ce sujet de préciser que le document invoqué par la société Shield pour démontrer qu'il n'est pas certain que la société Sidji aurait effectivement réalisé en 2009 le même chiffre d'affaires avec les produits en cause, relate l'effet de la crise en 2009 sur les projets d'équipements et les investissements, mais ne fait pas état d'une baisse des commandes de produits d'hygiène et d'aseptisation.

Dans ces conditions, le préjudice subi par la société Sidji du fait de la perte de la clientèle de la société Sanofi pour le produit KL 2015 s'élève à 51 673,53 euro ([21 530,64 euro X 40 %] X 6 mois) et celui subi du fait de la perte de la clientèle de la société LFB pour les produits KL 1002 et KL 302, s'élève à 39 079,20 euro (16 283,95 euro X 40 %] X 6 mois).

Le jugement doit être infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts relative à la rupture brutale partielle et la cour statuant à nouveau de ce chef condamnera la société Shield à verser à la société Sidji les sommes fixées aux termes des éléments qui précèdent.

Sur la concurrence déloyale

Ainsi que l'a rappelé le tribunal, le fait pour un fournisseur de s'adresser directement à la clientèle de son distributeur ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale ou de parasitisme.

La société Sidji soutient que ce faisant, la société Shield a profité, sans bourse délier, des investissements réalisés par elle pour développer le marché, ainsi que des recherches qu'elle a effectuées pour la validation et l'élaboration des produits. Elle ajoute que connaissant ses marges, elle a pu proposer des prix inférieurs aux siens pour capter la clientèle.

Cependant, le fait que la société Sidji ait procédé à des recherches et à une prospection du marché constituait une répartition des charges entre elle et le fournisseur des produits, sans qu'elle puisse revendiquer ensuite les investissements réalisés pour satisfaire une clientèle, auprès de laquelle elle a d'ailleurs pu compenser les coûts engagés par l'application d'un taux de marge adéquat et important, ainsi qu'il a été relevé précédemment. Par ailleurs, le fait que la société Shield ait, par la suite, procédé à des remises plus importantes ne constitue pas un acte de concurrence déloyale, dès lors que celle-ci avait supprimé un échelon intermédiaire, ce qui ne lui était pas interdit. Enfin, les pertes de chiffre d'affaires qu'elle invoque ne sauraient démontrer le caractère déloyal des agissements de la société Shield qui, liée par une relation commerciale établie, n'avait à cet égard que l'obligation de respecter un délai de préavis raisonnable pour permettre à sa partenaire de rechercher d'autres marchés, mais pouvait librement décider la mise en œuvre d'une autre politique commerciale.

Dans ces conditions, il n'est pas établi que la société Shield ait mis en œuvre des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Sidji et c'est à juste titre, par une motivation que la cour adopte pour le surplus, que le tribunal a rejeté les demandes de celle-ci à ce titre.

Sur les frais irrépétibles

Au regard de l'ensemble de ce qui précède, il est justifié de ne pas laisser à la charge de la société Sidji la totalité des frais engagés par elle pour faire valoir ses droits et non compris dans les dépens.

La société Shield sera en conséquence condamnée à lui verser la somme de 7 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré mais seulement en ce qu'il a dit qu'il n'y a pas eu de rupture brutale tant partielle que totale de la relation commerciale, Statuant à nouveau, Dit que la société Shield Medicare Company a rompu de manière brutale, tout d'abord partiellement, puis totalement, les relations commerciales établies entre elle et la société Sidji, Condamne la société Shield Medicare Company à verser à la société Sidji les sommes de 51 673,53 euro au titre de la perte de la clientèle de la société Sanofi pour le produit KL 2015, 39 079,20 euro au titre de la perte de la clientèle de la société LFB pour les produits KL 1002 et KL 302, Condamne la société Shield Medicare Company à verser à la société Sidji la somme de 7 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes demandes autres, plus amples, ou contraires des parties, Condamne la société Shield Medicare Company aux dépens de l'appel qui seront recouvrés dans les conditions prévues par l'article 699 du Code de procédure civile.