CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 9 octobre 2014, n° 13-00580
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bordeaux Magnum (SARL)
Défendeur :
Philipponnat - Les Domaines Associés (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur
Avocats :
Mes Teytaud, Cazeau, Bernabe, Vitoux
Faits et procédure
La société Philipponnat - Les Domaines Associés (ci-après société Philipponnat) a pour activité principale le négoce de vins de champagne et de vins, et notamment de vins en primeur.
La société Bordeaux Magnum a pour activité la vente de vins et de champagnes. Les 14 juin, 20 juin et 9 juillet 2010, elle a adressé à la société Philipponnat plusieurs réservations de vins de Bordeaux vendus en primeur, portant sur le millésime 2009, et elle lui a versé un acompte de 50 % du montant total de ces réservations, soit 32 867,60 euros HT.
Par jugement du 30 juin 2010, le Tribunal de commerce de Bordeaux a placé la société Bordeaux Magnum en redressement judiciaire.
Par courrier du 11 août 2010, la société Philipponnat a fait savoir à la société Bordeaux Magnum que, certaines factures antérieures n'ayant pas été payées, elle ne pouvait donner suite à ses demandes de réservations et elle lui a restitué le chèque de 32 867,60 euros qu'elle avait reçu.
C'est dans ces conditions que la société Bordeaux Magnum a assigné le 7 novembre 2011 la société Philipponnat devant le Tribunal de commerce de Bordeaux pour rupture brutale des relations commerciales établies. Ce tribunal s'est déclaré incompétent et, par jugement du 25 mai 2012, a renvoyé l'affaire devant le Tribunal de commerce de Lille.
Par jugement rendu le 4 décembre 2012, le Tribunal de commerce de Lille a :
- débouté la société Bordeaux Magnum de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions ;
- condamné la société Bordeaux Magnum à payer à la société Philipponnat la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté le 10 janvier 2013 par la société Bordeaux Magnum contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Bordeaux Magnum le 30 juillet 2013 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondée la société Bordeaux Magnum en son appel et en ses demandes ;
- réformer le jugement du 4 décembre 2012 dans toutes ses dispositions ;
- dire et juger que la société Philipponnat a rompu brutalement les relations commerciales établies entre elle et la société Bordeaux Magnum à compter de la campagne des primeurs 2009 ;
- condamner la société Philipponnat à verser à la société Bordeaux Magnum la somme de 90 000 euros avec intérêts de retard à courir à compter de la date de l'assignation ;
- condamner la société Philipponnat à verser à la société Bordeaux Magnum la somme de 50 000 euros en raison de la perte de la marque avec intérêts de retard à courir à compter de la date de l'assignation ;
- condamner la société Philipponnat à payer à la société Bordeaux Magnum une indemnité de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
En premier lieu, la société Bordeaux Magnum soutient que les contrats de vente en primeur de vins étaient parfaits dès la réservation et qu'ils étaient donc en cours lors de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire. Elle en conclut que les dispositions de l'article L. 622-13 du Code de commerce s'opposaient à leur résiliation et que le non-paiement de factures antérieures pouvait seulement donner lieu à une déclaration de créance au passif de la procédure.
En second lieu, la société Bordeaux Magnum prétend que l'annulation des réservations constitue une rupture brutale de relations commerciales établies, ouvrant droit à réparation sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Philipponnat le 17 janvier 2014 par lesquelles il est demandé à la cour de :
- constater l'absence de fondement de l'appel diligenté par la société Bordeaux Magnum ;
En conséquence :
- débouter purement et simplement la société Bordeaux Magnum de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Lille le 4 décembre 2012 ;
Y ajoutant :
- condamner la société Bordeaux Magnum à payer a la société Philipponnat la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Philipponnat soutient que sa décision d'annuler les réservations de la société Bordeaux Magnum avait pour motif, non le redressement judiciaire de cette société, mais le non-paiement de factures antérieures, échues avant l'ouverture de la procédure.
Elle rappelle que ses conditions générales de vente, qui figuraient au verso de ses factures prévoyaient expressément que toutes les commandes qui lui étaient adressées étaient suspendues en cas de retard de paiement.
A titre surabondant, elle fait valoir que les dispositions de l'article L. 622-13 du Code de commerce ne sont pas applicables en l'espèce, puisqu'aucun contrat n'était encore en cours lors de l'ouverture du redressement judiciaire de la société Bordeaux Magnum. Elle soutient, en effet, que le vente de vins en primeur est une vente de choses futures au poids, au compte et à la mesure, au sens de l'article 1585 du Code civil, et que cette vente ne devient donc parfaite qu'après l'individualisation des vins, laquelle n'était pas intervenue au moment de l'annulation des réservations.
La société Philipponnat soutient, par ailleurs, que les dispositions de l'article L. 446-2 I 5° du Code de commerce ne peuvent lui être opposées car aucune relation commerciale n'était, au sens de ce texte, établie entre elle et la société Bordeaux Magnum. Subsidiairement, elle fait valoir que le non-paiement de factures antérieures constitue une inexécution contractuelle justifiant le rupture sans préavis de ces relations commerciales.
A titre surabondant, la société Philipponnat indique que la société Bordeaux Magnum avait décidé de rétrocéder à un courtier ses allocations de vins et qu'elle y avait ainsi renoncé, ce qui prive ses demandes de fondement.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur l'application de l'article L. 622-13 du Code de commerce
En premier lieu, la société Philipponnat soutient que sa décision de ne pas donner suite aux réservations de la société Bordeaux Magnum avait pour motif non le redressement judiciaire de cette société, mais le non-paiement par elle, en dépit des relances qui lui avaient été adressées, de factures antérieures.
La cour constate que cette allégation est confirmée par les termes de la lettre faisant connaître cette décision, laquelle, si elle évoque le redressement judiciaire de la société Bordeaux Magnum, rappelle que celle-ci reste redevable de la somme totale de 9 637,36 euros au titre des factures impayées. Elle constate, par ailleurs, que la réalité de ce défaut de paiement est établie, puisque la société Philipponnat verse aux débats la copie des factures d'origine, émises les 7 juin et 30 mars 2010 pour des montants de 2 115,48 euros et 6 289,20 euros (pièces n° 4 et 5), et d'une lettre de relance du 30 juin 2010 restée vaine (pièce n° 2).
En second lieu, il n'est pas démontré que les réservations faites par la société Bordeaux Magnum aient donné naissance à un contrat en cours au moment du redressement judiciaire, qui relèverait par conséquent de l'article L. 622-13 du Code de commerce. En effet, les parties convenant que la transaction était régie par l'article 1585 du Code civil, et les vins n'étant pas encore livrables au 11 août 2010, la simple réservation d'une chose future ne peut être considérée comme une vente parfaite, laquelle n'était donc pas encore réalisée au 30 juin 2010, date de l'ouverture du redressement judiciaire de la société Bordeaux Magnum. Il en résulte que les parties n'étaient pas liées par un contrat en cours lorsqu'a été prononcé ce redressement judiciaire et qu'en conséquence les dispositions de l'article L. 622-13 du Code de commerce ne trouvent pas à s'appliquer.
Sur l'application de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce
La société Bordeaux Magnum prétend dans ses écritures que, depuis plusieurs années, elle achetait en primeur des vins à la société Philipponnat et elle en conclut qu'elle entretenait avec cette société des relations commerciales établies, brutalement rompues en 2010, de sorte qu'elle s'estime fondée à obtenir réparation du préjudice qui en résulte, par application des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.
A l'appui de cette demande, la société Bordeaux Magnum produit en pièce n° 23 des factures d'où il ressort qu'elle a passé à la société Philipponnat des commandes en 2008 - pour des montants de 4 590 euros, 846 euros et 10 938 euros - et en 2009 - pour des montants de 3 672 euros, 918 euros, 3 124,80 euros, 655,20 euros, 218,40 euros, 1 752 euros et 4 920 euros. Force est de constater que la simple passation de ces commandes, antérieurement à celles qui sont en cause dans le cadre de la présente instance, ne suffit pas à donner aux relations entre les parties les caractères de stabilité et de continuité propres à les qualifier de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce. C'est donc à juste titre que le tribunal a jugé que les dispositions de cet article ne trouvaient pas à s'appliquer en l'espèce. Son jugement sera en conséquence confirmé.
Sur le caractère abusif de l'annulation des réservations par la société Philipponnat
La société Bordeaux Magnum soutient qu'en tout état de cause, la société Philipponnat a abusivement annulé ses réservations et que, dès lors, elle engage sa responsabilité sur le fondement de l'article 1134 du Code civil. Mais elle ne démontre pas en quoi la société Philipponnat aurait commis un abus en estimant ne pas devoir donner suite à ces réservations, compte tenu du défaut de paiement, non contesté, de réservations antérieures. Sa demande de dommages et intérêts sera donc rejeté et le jugement sera confirmé.
Sur les frais irrépétibles
Au regard de l'ensemble de ce qui précède, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Philipponnat la totalité des frais irrépétibles qu'elle a engagés et la société Bordeaux Magnum condamnée à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Condamne la société Bordeaux Magnum à payer à la société Philipponnat - Les Domaines Associés la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes les demandes autres, plus amples ou contraires des parties ; Condamne la société Bordeaux Magnum au paiement des dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.