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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 9 octobre 2014, n° 13-01859

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Setimpex (SARL)

Défendeur :

Geodis Ciblex (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur

Avocats :

Mes Ingold, Lavergne, Lancian, Poulain

T. com. Lyon, du 21 déc. 2012

21 décembre 2012

Faits et procédure

La société Setimpex, entreprise de transport, était depuis 2000 en relations d'affaires avec la société Hays DX, puis la société Geodis Ciblex, venue aux droits de celle-ci, lesquelles lui sous-traitaient des prestations de transport et de messagerie. Ces prestations ont été exécutées dans le cadre de plusieurs contrats successivement conclus, les 21 février 2001, 9 avril 2003, 1er septembre 2008, 31 octobre 2008 et en juillet 2009.

Par courrier du 8 décembre 2009, la société Geodis a fait connaître à la société Setimpex qu'elle résiliait le contrat alors en cours, à durée indéterminée, en lui proposant de porter la durée contractuelle de préavis de trois mois à six mois, soit jusqu'au 8 juin 2010. Elle a procédé à un appel d'offres pour choisir le transporteur qui serait chargé des prestations précédemment confiées à la société Setimpex ; celle-ci y a participé mais ne fut pas retenue.

Soutenant que ses relations avec la société Geodis avaient été rompues par celle-ci de façon abusive et brutale, la société Setimpex l'a assignée le 17 décembre 2010 devant le Tribunal de commerce de Lyon.

Par un jugement rendu le 21 Décembre 2012, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Lyon a :

dit que l'action intentée par la société Setimpex est recevable ;

débouté la société Setimpex de l'intégralité de ses demandes ;

condamné la société Setimpex à payer à la société Geodis la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté par la société Setimpex le 30 janvier 2013 contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Setimpex le 30 avril 2013 par lesquelles il est demandé à la cour de :

infirmer le jugement entrepris ;

condamner la société Geodis à verser à la société Setimpex les sommes suivantes :

- à titre principal, 450 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et comportement déloyal ;

- à titre subsidiaire, 360 000 euros de dommages et intérêts pour préavis insuffisant ;

- dans tous les cas, 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Setimpex soutient d'abord que son action relève, non de la prescription annale spéciale de l'article L. 133-6 du Code de commerce, mais de la prescription quinquennale de droit commun de l'article L. 110-4, et qu'elle est donc recevable. Elle précise qu'en effet, si cette action s'inscrit dans le cadre d'une activité de transport, elle ne porte pas sur le contrat de transport stricto sensu, qui règle le déplacement des marchandises -, mais sur les "relations commerciales" qu'elle entretenait avec la société Geodis dans le cadre d'un contrat de sous-traitance. Elle ajoute qu'au cas où la cour retiendrait néanmoins la prescription annale, celle-ci ne pourrait s'appliquer qu'à sa demande principale pour rupture abusive, mais non à sa demande subsidiaire fondée sur l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, laquelle est de nature délictuelle.

A titre principal, la société Setimpex demande l'allocation de la somme de 450 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive de relations commerciales et comportement déloyal. Elle considère en effet que la société Geodis a abusé de son droit de résilier le contrat qui les liait, puisqu'elle a en réalité cherché à lui imposer une baisse de tarif, sans tenir compte des contraintes et des coûts qu'elle supportait s'agissant de son matériel et de son personnel. Elle souligne que d'ailleurs, le transporteur qui lui a finalement été préféré à l'issue de l'appel d'offres a déposé son bilan après trois mois d'exploitation. Selon elle, la société Geodis savait qu'en résiliant le contrat et en ne la retenant pas dans le cadre de l'appel d'offres pour des raisons tarifaires et de façon déloyale, elle la plongerait dans des difficultés qu'elle ne pourrait surmonter, compte tenu de leurs liens de dépendance et du fait qu'elle venait d'embaucher du personnel supplémentaire. Elle fait valoir que la société Geodis a ainsi engagé sa responsabilité, sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce, en tentant de la soumettre à des obligations créant un déséquilibre significatif dans leurs droits et obligations.

En ce qui concerne son préjudice, la société Setimpex indique qu'ayant dû licencier tout son personnel et arrêter son activité de transporteur routier, elle a perdu son fonds de commerce qu'elle évalue à 390 000 euros, somme à laquelle s'ajoutent les frais exceptionnels qu'elle a supportés en ce qui concerne le matériel et le personnel.

A titre subsidiaire, la société Setimpex soutient que la responsabilité de la société Geodis est engagée sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, la rupture des relations commerciales établies n'ayant pas été précédée d'un préavis suffisant, dont elle estime la durée à 18 mois. Compte tenu de la perte de marge qu'elle aurait dû réaliser durant ce préavis, elle demande l'allocation de la somme de 360 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Geodis le 28 juin 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :

A titre principal,

Réformer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré l'action recevable ;

Déclarer irrecevable comme prescrite l'action régularisée par la société Setimpex ;

Subsidiairement,

Confirmer en l'ensemble de ses dispositions, le jugement dont appel ;

Débouter la société Setimpex de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

Y ajoutant,

Condamner la société Setimpex à la société Geodis Ciblex une indemnité de 10 000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

A titre principal, la société Geodis soutient que la demande de la société Setimpex est prescrite puisque elle aurait dû être engagée dans le délai d'un an, par application des dispositions de l'article L. 133-6 du Code de commerce.

Subsidiairement, elle conteste avoir abusé du droit qu'elle avait de résilier le contrat et de mettre fin aux relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Setimpex. Elle fait valoir que la situation de dépendance économique qu'allègue la société Setimpex ne résulte que de ses propres choix de gestion et qu'elle ne lui a jamais demandé, ni suggéré d'exclusivité. Elle rappelle qu'elle n'avait pas à justifier du motif qui l'a conduit à résilier le contrat et qu'en toute hypothèse, il n'est nullement abusif de rechercher les meilleurs tarifs possibles.

En ce qui concerne la durée du préavis, que la société Setimpex juge insuffisante, la société Geodis fait valoir qu'elle est supérieure à celle qui était contractuellement prévue et qu'elle est conforme aux exigences des textes et de la jurisprudence.

Enfin, s'agissant du préjudice allégué, elle conteste l'évaluation qui en est faite par la société Setimpex et elle demande à la cour, si elle devait juger que la durée du préavis était insuffisante, de désigner un expert.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la recevabilité des demandes principale et subsidiaire de la société Setimpex

La demande principale, qui tend à démontrer que la société Geodis a abusé de son droit de résilier le contrat qui la liait à la société Setimpex, relève de la prescription annale de l'article L. 133-6 du Code de commerce, puisqu'elle est fondée sur ce contrat de transport. Or, cette résiliation ayant été notifiée par lettre du 8 décembre 2009, l'action engagée de ce chef le 17 décembre 2010 est donc prescrite.

Cette action, en revanche, échappe aux dispositions de ce même article, et n'est donc pas prescrite, en tant qu'elle est fondée sur l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce et qu'elle tend à engager la responsabilité de la société Geodis pour l'avoir soumise à des obligations créant un déséquilibre significatif dans leurs droits et obligations.

Il en va de même de la demande subsidiaire, dans le cadre de laquelle la société Setimpex soutient que le préavis qui lui a été accordé est d'une durée insuffisante, puisqu'elle est fondée non sur les stipulations du contrat de transport, mais sur les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

Sur la demande principale fondée sur l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce

La société Setimpex soutient qu'en décidant en décembre 2009 de mettre fin au contrat qui était en cours et en organisant un appel d'offres, à seule fin d'obtenir une baisse de ses tarifs, la société Geodis a tenté de la soumettre à des obligations créant un déséquilibre significatif dans leurs droits et obligations et qu'elle doit donc réparer le préjudice en résultant, par application des dispositions de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce.

Mais s'il n'est pas contestable que la société Geodis a cherché à améliorer à son profit les conditions tarifaires des prestations de transport qu'elle sous-traitait, et qu'elle a choisi de recourir pour cela à un appel d'offres pour l'exécution des prestations qu'elle confiait précédemment à la société Setimpex, il n'en résulte pas qu'elle ait, ce faisant, cherché à soumettre cette société à des obligations créant un déséquilibre significatif proscrit par l'article L. 4426 I 2° précité, sous le coup duquel ne saurait tomber la recherche, par les entreprises, d'économies dans leur rapport avec leurs fournisseurs et prestataires. Il n'en irait autrement que s'il était démontré une disparité dans les droits et obligations respectifs des parties, telle qu'elle conduirait à un déséquilibre significatif, au sens du texte, ce qui n'est pas établi par l'appelant, quand bien même il prétend, ce qui n'est pas discutable, qu'il ne pouvait présenter d'offre plus attractive sans mettre en péril son entreprise. Sa demande sera donc rejetée.

Sur la demande subsidiaire fondée sur l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce

La société Setimpex soutient que le délai de préavis de six mois qui lui a été accordé est insuffisant et que ce préavis aurait dû, pour être conforme aux dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, être d'une durée de dix-huit mois. Mais s'il y a lieu effectivement, comme le demande la société Setimpex, de tenir compte de l'ancienneté des relations commerciales établies qui ont duré de 2000 à juin 2010 - et de la dépendance économique dans laquelle elle se trouvait à l'égard de la société Geodis, il n'apparaît pas que le délai de six mois était d'une durée insuffisante au regard des exigences du texte. Sa demande sera donc rejetée.

Sur les frais irrépétibles

Il n'apparaît pas justifié, au regard des éléments du dossier, de prononcer de condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Rejette les demandes de condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes les demandes autres, plus amples ou contraires des parties ; Condamne la société Setimpex aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.