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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 8 octobre 2014, n° 12-13323

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Petrossian (SA)

Défendeur :

Colibri (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Henry, Ponczek, Havet, Deloffre

T. com. Paris, 15 ch., du 15 juin 2012

15 juin 2012

Par acte du 30 mars 2011, la société Colibri a assigné la société Pétrossian devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins, notamment, de désigner un expert, d'enjoindre sous astreinte à la société Pétrossian de cesser toute commercialisation de son 100 % jus de grenade sous la marque Yablok, de la condamner à lui verser la somme de 3 478 244 € à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale.

Par jugement du 15 juin 2012, le tribunal de commerce a :

- pris acte que la société Colibri renonce à sa demande d'expertise,

- condamné la société Pétrossian à payer à la société Colibri la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,

- condamné la société Pétrossian à payer à la société Colibri la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes autres demandes,

- condamné la société Pétrossian aux dépens.

La société Pétrossian a interjeté appel de ce jugement le 16 juillet 2012.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 24 octobre 2012, par lesquelles la société Pétrossian demande à la cour de :

- réformer en tous points le jugement,

- débouter la société Colibri de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner la société Colibri à verser à la société Pétrossian une somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et volonté de nuire à la société Pétrossian ;

- condamner la société Colibri à verser à la société Pétrossian une somme de 25 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Colibri en tous les dépens.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 13 décembre 2012, par lesquelles la société Colibri demande à la cour de :

- déclarer la société Colibri recevable et bien fondée dans ses demandes ;

- débouter la société Pétrossian de l'ensemble de ses demandes ;

- enjoindre à la société Pétrossian de cesser toute commercialisation de son 100 % pur jus de grenade sous la marque Yablok à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 € par jour de retard ;

- condamner la société Pétrossian à payer à la société Colibri la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale ;

- condamner la société Pétrossian à payer à la société Colibri la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens d'appel, qui seront recouvrés pour ceux-là concernant par Me Havet dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Cela étant exposé,

LA COUR :

Considérant que la société Pétrossian soutient que les affirmations de la société Colibri, avec laquelle elle est en concurrence, ont un caractère purement calomnieux et non pertinent ; que les analyses, non contradictoires, émanant du laboratoire Eurofins ne sont pas crédibles dès lors, d'une part, que ces analyses ne sont pas couvertes par son accréditation et, d'autre part, que l'on ne sait pas si le jus analysé était bien celui de Pétrossian et s'il a été fourni au laboratoire sans avoir subi d'altération ;

Considérant que la société Pétrossian expose également que les attestations produites par la société Colibri ne sont pas valables ; qu'elle justifie de la rupture de stock constatée le 15 mars 2011 sur son site Internet ; que le jus qu'elle commercialise ne provenant pas de grenades biologiques elle n'a pas à indiquer de numéro de lot sur ses produits ; que la demande de dommages-intérêts formulée par la société Colibri est infondée notamment parce que la vente d'un jus non biologique ne peut avoir d'impact sur la vente de jus biologique ;

Considérant que la société Colibri soutient que la société Pétrossian a commis une faute en mentant sur la composition et les qualités substantielles de son jus de grenade Yablok, en violation de l'article L. 121-1 du Code de la consommation et en ne mentionnant aucun numéro de lot sur l'étiquette de ses produits, en violation de l'article R. 112-9 du Code de la consommation ; qu'à compter du mois de mars 2011 l'appelante a modifié la composition de son jus de grenade pour le rendre conforme ; que la pratique commerciale trompeuse mise en œuvre par la société Pétrossian, constitue une concurrence déloyale, qui lui a causé un préjudice constitué par une perte de clientèle et une réduction de son chiffre d'affaires ;

Considérant que pour rapporter la preuve des agissements déloyaux qu'elle impute à la société Pétrossian, la société Colibri verse aux débats :

- les rapports d'analyse du laboratoire Eurofins datés du 26 novembre 2010 et du 2 mars 2012

- l'attestation de Mme Audrey Maître, du 23 mars 2011

- les deux attestations de M. Joseph Valentin, des 22 avril et 25 octobre 2011

- l'attestation de M. Emilio Munoz du 2 juin 2011

- un rapport de dégustation organoleptique pur jus de grenade Yablok établi par M. Chavanne, le 6 février 2012 ;

Considérant que les rapports d'analyse du laboratoire Eurofins ne sont pas contradictoires ; que le rapport du 26 novembre 2010 indique que le produit analysé est un "jus de grenade biologique" de marque Yablok ayant le "numéro de lot 3A-01 9-3A-04 9" et conclut que "l'échantillon n'est pas conforme à sa description" ; qu'il n'est pas contesté que les jus de grenade commercialisés par la société Pétrossian ne sont pas biologiques et ne comportent pas de numéro de lot ; que faute d'autre élément pour identifier le produit analysé, il n'est pas établi que l'échantillon fourni au laboratoire Eurofins provient de la société Pétrossian ;

Considérant que le rapport d'analyse du 2 mars 2012 mentionne "Description du produit : Pur jus de grenade" sans autre précision ; que le courriel d'Eurofins du 5 mars 2012, qui contient le scan de l'étiquette de l'échantillon analysé, permet d'identifier le produit analysé comme étant un produit Yablok ; que ce rapport conclut que l'échantillon n'est "pas conforme à sa description" ; que cependant, d'une part, l'échantillon a été fourni au laboratoire par la société Colibri, ce qui ne permet aucune traçabilité et aucune garantie sur le produit analysé, d'autre part, les conclusions du rapport, qui ne sont pas couvertes par l'accréditation du laboratoire, sont établies à partir des valeurs guides de l'AIJN (association européenne du jus de fruit) qui n'étaient que provisoires au mois de mars 2012 ; que ces deux rapports d'analyse ne rapportent pas la preuve que le jus de grenade commercialisé par la société Pétrossian n'est pas un pur jus de grenade ;

Considérant que dans son attestation Mme Maître, qui était stagiaire dans le cabinet de l'avocat de la société Colibri lors de sa rédaction, rapporte que la vendeuse de Pétrossian lui aurait indiqué "qu'il s'agissait d'une nouvelle formule du 100 % pur jus de grenade Yablok contenant plus de fruits et moins de sucres" ; que M. Valentin atteste que les jus achetés chez Pétrossian au mois de février ou mars 2011 n'avaient pas le même goût que précédemment et produit des tickets d'achat de jus de grenade ; que M. Munoz atteste que, après avoir consommé du jus de grenade vendu par la société Colibri, il lui a semblé évident que le jus qu'il achetait chez Pétrossian n'était pas un pur jus de grenade ; que ces attestations subjectives sont insuffisantes à rapporter la preuve que le jus de grenade vendu par la société Pétrossian n'était pas un pur jus de grenade et que cette société a modifié la composition de son jus au début de l'année 2011 ;

Considérant que le rapport de dégustation organoleptique porte sur la comparaison de deux jus de la marque Yablok, mais de conception et d'origines différentes. L'un n'est plus dans le commerce (l'ancien) et l'autre y arrive (le nouveau), sans aucune précision sur la provenance ou la date d'achat de ces jus et sans qu'il soit indiqué que ces jus sont vendus par la société Pétrossian ; qu'il n'est pas soutenu que la société Pétrossian soit la seule en France à commercialiser des produits de la marque Yablok ; que ce rapport fait par un sommelier ne rapporte la preuve ni que les jus de grenade de la société Pétrossian ne sont pas pur jus, ni que cette société, qui n'est pas producteur, a modifié au début de l'année 2011, la composition du jus de grenade qu'elle commercialise ;

Considérant qu'au surplus la société Pétrossian verse aux débats, d'une part, le rapport d'analyse du service central d'analyse du CNRS en date du 19 janvier 2011 qui conclut que le jus de grenade Yablok de cette société est conforme ; d'autre part, l'itinéraire et le calendrier de la livraison de jus de grenade qui lui a été faite au début de l'année 2011, qui montre que la commande partie de Géorgie fin janvier 2011 est restée bloquée en Egypte et n'a pu arriver au Havre qu'au mois d'avril 2011, ce qui explique la rupture de stock constatée au mois de mars 2011 sur le site Internet de la société Pétrossian ;

Considérant que la société Pétrossian rappelle utilement que le jus de grenade étant un produit naturel, son goût, son aspect et sa consistance peuvent varier en fonction des conditions climatiques et de terroir ; que l'article R. 112-28 du Code de la consommation prévoit que le numéro de lot de fabrication peut ne pas être indiqué dès lors que la date de durabilité minimale ou la date limite de consommation figure sur l'étiquetage ; que tel étant le cas sur les étiquettes des bouteilles de jus de grenade vendues par la société Pétrossian, aucune violation du Code de la consommation ne peut lui être reprochée ;

Considérant que les agissements déloyaux reprochés par la société Colibri à la société Pétrossian ne sont pas établis ; que la société Colibri doit être déboutée de toutes ses demandes et le jugement doit être réformé ;

Considérant que la société Pétrossian, qui ne démontre pas que la société Colibri ait abusé de son droit d'agir en justice dans la seule intention de lui nuire, sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts.

Par ces motifs : Infirme le jugement ; Et statuant à nouveau, Déboute la SARL Colibri de toutes ses demandes ; Déboute la SA Pétrossian de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive et volonté de lui nuire ; Condamne la SARL Colibri à verser à la SA Pétrossian la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SARL Colibri aux dépens de première instance et d'appel.