CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 7 octobre 2014, n° 14-05579
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Locam (SAS)
Défendeur :
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Cometik (SARL), Addict Concierge (SARL), Parfip France (SAS), Martin, Geneste, Fontaine, Besseyre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Girerd
Conseillers :
Mmes Bodard-Hermant, Bouvier
Avocats :
Mes Trombetta, Regnier
La société Cometik a pour activité la création, la maintenance et l'exploitation de sites Internet pour des professionnels; Elle propose de faire financer ses prestations par les sociétés Parfip et Locam, auxquelles elle cède alors ses contrats ;
Par acte du 18 novembre 2011, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, lui reprochant de soumettre à ses clients des contrats manifestant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties en contravention avec les dispositions de l'article L. 442-6 I-2° du Code de commerce, a assigné la société Cometik devant le Tribunal de commerce de Lille aux fins essentiellement d'interdiction de clauses prétendument illicites des contrats, de leur annulation, et, par suite d'annulation des contrats eux-mêmes, puis le 19 avril 2012, a assigné en intervention forcée les SAS Parfip et Locam aux mêmes fins.
Par jugement en date du 25 juin 2013, le Tribunal de commerce de Lille a :
- débouté la société Locam de l'exception d'incompétence qu'elle avait soulevée au profit du Tribunal de commerce de Lyon, juridiction spécialisée du ressort de son siège social, au motif que l'intervention forcée déroge aux règles de compétence territoriale et que le tiers mis en cause doit obligatoirement procéder devant la juridiction saisie,
- a déclaré l'action du ministre de l'Economie devant le Tribunal de commerce de Lille recevable,
- et renvoyé l'affaire à la mise en état pour fixation de la date d'audience des plaidoiries au fond.
Par déclaration reçue le 5 juillet 2013 au greffe du Tribunal de commerce de Lille, la société Locam a formé contredit à cette décision, demandant l'infirmation de la décision du Tribunal de commerce de Lille, en soulevant l'incompétence de celui-ci au profit du Tribunal de commerce de Lyon.
Elle faisait valoir que prétextant de la cession par Cometik à la société Locam de certains de ses contrats, le ministre de l'Economie ne se contente pas de l'appeler en jugement commun mais requiert également une amende civile à son encontre et une injonction de cesser d'utiliser les clauses litigieuses, qu'au travers de l'incrimination des conditions générales de ses contrats de location, c'est son activité générale qui se trouve visée ;
Que si l'article 331 du Code de procédure civile prive le tiers mis en cause de la possibilité de décliner la compétence territoriale de la juridiction saisie, il n'est pas démontré que ces dispositions sont applicables en matière de compétence spécialisée; que de surcroît, elles n'ont pas vocation à régenter l'instance engagée postérieurement à la première par un même demandeur aux fins d'une condamnation personnelle, et en vertu notamment de clauses figurant dans ses propres contrats et non de ceux acquis auprès du défendeur initial ;
Que dès lors, faute d'avoir assigné les défendeurs par un exploit unique, le demandeur doit porter son action contre Locam devant le Tribunal de commerce de Lyon ;
Par arrêt du 26 novembre 2013, la Cour d'appel de Douai, saisie du contredit a, au visa des articles D. 442-3 du Code de commerce et 83 alinéa 2 du Code de procédure civile, ordonné la transmission du dossier au greffe de la Cour d'appel de Paris compétente en sa qualité de seule juridiction d'appel des recours formés contre les décisions des juridictions spécialisées en matière de pratiques restrictives de concurrence ;
Le dossier a été transmis à la présente cour.
La société Locam, par dernières conclusions développées oralement à l'audience, prie la cour de lui allouer le bénéfice de sa déclaration de contredit et de dire le Tribunal de commerce de Lille incompétent pour juger des demandes formulées à son encontre au profit du Tribunal de commerce de Lyon, de débouter le demandeur et les intervenants de toutes leurs demandes contraires, et de condamner le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie à lui verser 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Elle soutient que les défendeurs au contredit ne peuvent se prévaloir utilement des dispositions des articles 332 et 42 du Code de procédure civile dans le cadre d'une action fondée sur les dispositions spéciales de l'article L. 442-6 du Code de commerce en matière de concurrence, alors qu'elle n'est pas attraite en déclaration de jugement commun, mais aux fins de sa propre condamnation.
Le ministre de l'Economie, aux termes d'écritures déposées et développées oralement, conclut :
- à titre principal à l'irrecevabilité du contredit à défaut de motivation propre à en assurer l'efficacité,
et une régularisation dans les délais étant devenue impossible,
- à titre subsidiaire à la confirmation du jugement du Tribunal de commerce de Lille en ce qu'il s'est déclaré compétent,
- en tout état de cause à la condamnation de la société Locam aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure de 2 000 .
Il fait valoir :
- que l'exigence de motivation du contredit s'entend d'une motivation adéquate à l'objectif poursuivi, alors qu'en l'espèce, la motivation est relative à la contestation de la mise en cause de la société Locam,
- que le Code de procédure civile permet de poursuivre la condamnation de l'intervenant forcé,
- que l'intervention forcée se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant, les demandes ne concernant que les contrats cédés entre Cometik et Locam et Parfip, qui sont dans une situation d'interdépendance,
- qu'en application de l'article 333 du Code de procédure civile, le tiers mis en cause est tenu de procéder devant la juridiction saisie de la demande originaire sans pouvoir décliner la compétence territoriale de cette juridiction.
La SARL Cometik, la société Parfip, M. Thibault Fontaine, M. Jean-Charles Geneste, Mme Vanessa Besseyre, M. Claude Martin et la SARL Addict Concierge, régulièrement convoqués par lettre recommandée avec accusé de réception n'ont pas comparu, ni personne pour eux.
Sur ce, LA COUR
Sur la recevabilité du contredit
Considérant que la société Locam soutient dans sa déclaration de contredit deux moyens essentiellement, tirés du fait que l'assignation du ministre de l'Economie par le biais d'une mise en cause le viserait en réalité à titre principal, privant d'effet les dispositions de l'article 333 du Code de procédure civile, et que ces dispositions générales ne seraient pas applicables devant les juridictions spécialisées en matière de pratiques restrictives de concurrence ;
Que le contredit est par conséquent suffisamment motivé, l'efficacité des moyens soulevés ne constituant pas une cause d'irrecevabilité mais relevant de l'examen de son bien-fondé ;
Que la fin de non-recevoir invoquée par le ministre de l'Economie sera écartée ;
Sur le bien-fondé du contredit
Considérant qu'aux termes de l'article 331 du Code de procédure civile "un tiers peut être mis en cause aux fins de condamnation par toute partie qui est en droit d'agir contre lui à titre principal" ; que selon l'article 333 du même Code, "le tiers mis en cause est tenu de procéder devant la juridiction saisie de la demande originaire, sans qu'il puisse décliner la compétence territoriale de cette juridiction, même en invoquant une clause attributive de compétence" ;
Considérant que si l'article L. 442-6, relatif aux pratiques restrictives de concurrence fondant en l'espèce l'action du ministre de l'Economie, prévoit que les litiges qui lui sont relatifs sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret, la compétence de la juridiction de Lille à la date de l'assignation ne faisant pas débat, cette compétence territoriale spéciale, instaurée pour favoriser la spécialisation des tribunaux et cour d'appel désignés dans des matières particulièrement techniques, ne saurait faire obstacle aux règles générales de la procédure civile ;
Considérant que la société Locam a été assignée en intervention forcée dans une procédure déjà engagée contre son partenaire commercial, procédure à laquelle les demandes dirigées contre elle se rattachent par un lien manifestement suffisant, s'agissant d'une demande de nullité des contrats cédés entre les deux partenaires ; Qu'il importe peu qu'elle ne soit pas simplement assignée en jugement commun, cette hypothèse n'étant pas la seule qui justifie la mise en cause de tiers dans une instance en cours, ainsi que prévu à l'article 331 du Code de procédure civile ci-dessus rappelé ;
Qu'il suit de là qu'elle ne peut décliner la compétence de la juridiction devant laquelle elle est attraite ; que le contredit est mal fondé ;
Sur l'indemnité de procédure et les frais
Considérant que, partie perdante, la société Locam n'aurait prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et supportera les frais du contredit.
Par ces motifs Déclare le contredit recevable Le déclare mal fondé Déboute la société Locam de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile Dit que la société Locam supportera les frais du contredit.