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Décisions

Cass. com., 7 octobre 2014, n° 13-22.623

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

CSF (Sté)

Défendeur :

Socamaine

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Riffault-Silk

Avocat général :

M. Mollard

Avocats :

SCP Odent, Poulet, SCP Gatineau, Fattaccini

Angers, ch. A com., du 5 févr. 2013

5 février 2013

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Angers, 5 février 2013), que la société Clamardis a exploité un hypermarché sous l'enseigne Leclerc de 1981 à 1994 ; qu'à cette fin, en mai 1982, elle est devenue, ainsi que son dirigeant, M. Boukobza, membre de l'association des centres distributeurs Leclerc (l'ACDLec), qui définit et met en œuvre la politique de l'enseigne et autorise l'utilisation du panonceau Leclerc ; que, dans le même temps, elle a adhéré au groupement d'achat des centres Leclerc (le Galec) puis, à partir de 1991, à la centrale d'achat de l'ouest de la France, la société coopérative Socamaine (la Socamaine) ; que le 5 décembre 1991, l'assemblée générale extraordinaire des adhérents de la Socamaine a modifié les statuts de cette dernière, en subordonnant la qualité d'associé à l'appartenance à l'enseigne Leclerc ou à une entreprise agréée par l'ACDLec, tout en précisant à l'article 6 que cette qualité devrait être conservée pendant une durée de vingt-cinq ans et en prévoyant à l'article 11 que toute personne ne remplissant pas cette condition serait exclue de plein droit et pourrait faire l'objet de pénalités financières ; que l'ACDLec ayant, le 18 octobre 1994, radié la société Clamardis et résilié le contrat d'attribution de panonceau, la Socamaine a, le 27 octobre suivant, radié la société Clamardis ; que M. Boukobza et la société Clamardis ont élevé une contestation de la décision de l'ACDLec, qui a été rejetée par un jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 10 mai 2000, devenu irrévocable ; que, parallèlement, M. Boukobza et la société Clamardis, contestant la décision de la Socamaine, l'ont fait assigner en paiement de dommages-intérêts et en remboursement de ristournes notamment ; qu'il a été sursis à statuer sur ces demandes jusqu'à l'issue de la procédure pénale introduite par M. Boukobza, qui soutenait que la mention de l'unanimité dans le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 5 décembre 1991 était un faux ; que la chambre de l'instruction ayant, par un arrêt du 31 mars 2010, devenu irrévocable, confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue sur cette plainte, la procédure a été reprise ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société CSF, venant aux droits de la société Clamardis, fait grief à l'arrêt de déclarer régulière son exclusion, de rejeter sa demande de dommages-intérêts et de condamner la société Socamaine à lui payer la somme de 697 876,05 euro au titre des ristournes et elle-même à payer à la société Socamaine la somme de 1 237 760,25 euro au titre de l'indemnité forfaitaire, en ordonnant la compensation entre les créances réciproques, avec les intérêts au taux légal sur le solde après compensation, et capitalisation, alors, selon le moyen : 1°) que l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'attache qu'aux décisions des juridictions de jugement qui sont définitives et statuent sur le fond de l'action publique ; qu'elle n'appartient pas aux décisions de non-lieu, lesquelles sont provisoires et révocables en cas de survenance de charges nouvelles ; que pour justifier que l'exclusion dont elle avait été l'objet de la part de la société Socamaine n'était pas régulière, la société CSF avait fait valoir qu'elle n'avait pas voté les modifications qui ont été apportées aux articles 6 et 11 des statuts, de sorte que celles-ci, conformément aux dispositions de l'article 1836, alinéa 2, du Code civil, ne lui étaient pas opposables ; que, pour écarter ce moyen, la cour d'appel a retenu qu'il se heurtait à l'autorité de la chose jugée attachée à l'ordonnance de non-lieu du 26 décembre 2009, définitivement confirmée le 31 mars 2010 par la chambre de l'instruction de la Cour d'appel d'Angers, de sorte que les modifications critiquées étaient définitivement opposables à la société CSF ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1351 du Code civil ; 2°) que, pour justifier du caractère abusif de son exclusion, elle avait soutenu que celle-ci reposait sur l'application de l'article 6 des statuts, lequel soumettait les associés à une durée abusive d'affiliation l'enseigne Leclerc d'une durée de 25 ans, incompatible notamment avec l'Avis rendu par l'Autorité de la concurrence rendu le 7 décembre 2010, lequel recommandait une durée limitée à cinq ans et une suppression pure et simple des pactes de préférence ; que pour écarter ce moyen, la cour d'appel a retenu que la société Clamardis avait été exclue pour avoir agrandi le magasin de Clamart sans autorisation et refusé de signer le pacte de préférence, non pour avoir refusé de signer les statuts modifiés en 1991, la décision de radiation de la société Socamaine n'étant que la conséquence de la décision d'exclusion de l'ACDLec ; qu'en validant ainsi l'exclusion de la société Clamardis, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette exclusion, conséquence de celle prononcée par la société ACDLec et de l'obligation d'adhésion pendant 25 ans nouvellement imposée à l'article 6 des statuts, ne caractérisait pas une pratique anticoncurrentielle, prohibée par Avis de l'Autorité de la concurrence du 7 décembre 2010, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 [ayant codifié l'ancien article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986] et L. 420-3 [ancien article 9 de la même ordonnance] du Code de commerce ; 3°) qu'en se déterminant ainsi, pour valider l'exclusion de la société Clamardis, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'obligation d'adhésion pendant une période de 25 ans, sous la sanction du nouvel article 11, ne caractérisait pas également un abus de dépendance économique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-2 - ancien article 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 - et L. 420-3 du Code de commerce ; 4°) que pour juger que la société CSF, venant aux droits de la société Clamardis, n'était pas fondée à critiquer le caractère abusif de la clause imposant une adhésion pendant une période de 25 ans, la cour d'appel a retenu que la décision de radiation prononcée par la société Socamaine n'était que la conséquence d'une décision d'exclusion jugée "définitivement régulière et justifiée" par l'arrêt rendu le 28 juin 2001 par la Cour d'appel de Paris ; qu'en se déterminant ainsi, quand ladite décision n'était revêtue d'aucune autorité de chose jugée opposable à l'instance opposant les sociétés CSF et Socamaine, dès lors qu'elle avait été rendu dans un litige opposant la société Clamardis et M. Boukobza au GALEC, de sorte qu'il n'y avait pas d'identité de parties entre les deux instances, la cour d'appel a violé l'article 1351 du Code civil ; 5°) que sur la demande de la société CSF, la cour d'appel a constaté que l'Avis n° 10-A-26 rendu par l'Autorité de la concurrence le 7 décembre 2010, relatif au secteur de la distribution alimentaire, fustigeait l'existence de durées d'engagement trop longues, lesquelles ont, d'une part, pour objet de dissuader les magasins indépendants de sortir des réseaux et, d'autre part, pour effet de porter préjudice aux consommateurs, et qu'il préconisait en conséquence "une durée maximale d'engagement de 5 ans" ; qu'il en résultait que la clause contestée par la société CSF, relative à une obligation imposée d'un engagement cinq fois supérieur à cette durée, ne pouvait pas être considérée comme légitime et que son refus, en revanche, était fondé ; que, pour écarter la demande de la société CSF relative au caractère abusif de son exclusion par la société Socamaine, la cour d'appel a retenu que cette exclusion n'était elle-même que la conséquence de la décision d'exclusion de l'ACDlec ; qu'en se déterminant ainsi, quand cette décision était elle-même intervenue, comme elle l'a constaté, parce que la société Clamardis avait refusé de consentir, en 1993, à un pacte de préférence qui, en l'état de l'Avis de l'Autorité de la concurrence susvisé, constituait une pratique anti-concurrentielle prohibée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 420-1 et L. 420-3 du Code de commerce ; 6°) que la société CSF avait soutenu dans ses écritures, en invoquant une violation des dispositions de l'article 1386, alinéa 2, du Code civil - en vertu desquelles des modifications statutaires ne pouvaient être imposées à un associé sans son consentement - qu'elle n'avait pas voté les articles 6 et 11 des statuts, de sorte que ces modifications lui étaient inopposables ; que pour écarter encore ce moyen, la cour d'appel a retenu que la société CSF n'avait aucun intérêt à critiquer ces modifications statutaires opérées en 1991 dès lors que la société Clamardis avait été exclue, non pas pour avoir refusé ces modifications, mais pour avoir agrandi son magasin de Clamart sans autorisation et pour avoir refusé le pacte de préférence, la décision de radiation de la société Socamaine n'étant que la conséquence de la décision d'exclusion de la société ACDLec, dont il a été définitivement jugé qu'elle était régulière et justifiée ; que, cependant, cet intérêt était manifeste dès lors que c'est tout au contraire l'application des articles 6 et 11 des statuts qui a fondé l'exclusion de la société Socamaine, en conséquence de son exclusion de la société ACDLec ; qu'en se déterminant dès lors comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 31 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir, par motifs adoptés, relevé que l'instruction pénale a montré que rien ne permet d'affirmer que le procès-verbal contesté était un faux, M. Boukobza n'ayant pas démontré qu'il avait voté contre l'adoption des résolutions en cause, ni qu'il avait manifesté de façon claire au moment du vote son opposition à ces résolutions, l'arrêt retient qu'il importe peu que M. Boukobza prétende avoir écrit, postérieurement au vote, au président de la Socamaine pour manifester sa réticence et son désaccord avec les modifications des statuts, ni qu'il produise une lettre du conseil de la Socamaine qui indique qu'il aurait par la suite "confirmé son accord puis notifié son désaccord" ; qu'il en déduit que le procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire de la Socamaine du 5 décembre 1991, à laquelle il n'est pas contesté que M. Boukobza était présent, ne peut être invalidé ; qu'en l'état de ces seuls motifs, abstraction faite de ceux, surabondants, justement critiqués par la première branche, la cour d'appel a pu retenir que les statuts de la Socamaine, tels qu'ils résultaient du vote du 5 décembre 1991, étaient opposables à M. Boukobza et à la société Clamardis ;

Attendu, en deuxième lieu, que la radiation de la société Clamardis a été prononcée au cours de la deuxième année d'application de la clause subordonnant l'adhésion à la Socamaine à l'affiliation à l'ADClec ; que c'est donc vainement que le moyen, en ses deuxième et troisième branches, reproche à la cour d'appel de ne pas s'être prononcée sur le caractère éventuellement anticoncurrentiel de la durée d'adhésion exigée, en ce qu'elle excédait cinq ans, une telle discussion étant sans incidence sur la validité de cette radiation ;

Et attendu,en dernier lieu, que si un jugement n'a autorité de la chose jugée qu'entre les parties, il n'en est pas moins opposable aux tiers ; qu'après avoir constaté que la contestation élevée par M. Boukobza et la société Clamardis avait été rejetée par un jugement du 10 mai 2000, devenu irrévocable, la cour d'appel a retenu à bon droit, et sans avoir à procéder à la recherche inopérante visée à la cinquième branche, qu'il avait été définitivement jugé que l'exclusion prononcée par l'ACDlec était valable, de sorte que la radiation de la Socamaine, prononcée par voie de conséquenceen application des articles 6 et 11 des statuts, était justifiée ; d'où il suit qu'inopérant en sa première branche, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le second moyen : - Attendu que la société CSF fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'est prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur ; qu'est nul tout engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à une pratique prohibée par les articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-2-1 du Code de commerce ; qu'en l'espèce, elle avait contesté sur le principe l'application même de la clause pénale, en soulignant qu'égale "à cinq fois le taux moyen de la cotisation, calculé sur les trois années d'exercices précédant le prononcé de l'exclusion par le conseil et la notification de retrait, appliqué au chiffre d'affaire moyen hors taxes des enlèvements réalisés par le coopérateur exclu ou retiré pendant ces mêmes trois années", elle constituait une sanction "extravagante et ruineuse", sans justification réelle ; qu'en décidant dès lors d'en faire application, sans rechercher, comme l'y invitait cette contestation de principe, si cette clause, en particulier, n'introduisait pas les conditions objectives d'un abus de dépendance économique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-2 et L. 420-3 du Code de commerce ;

Mais attendu qu'il résulte des termes mêmes du moyen que la société CSF, qui s'est bornée à contester le montant de la clause pénale, qu'elle jugeait excessif, n'a pas fondé sa demande sur un prétendu abus de dépendance économique ; que le moyen manque en fait ;

Par ces motifs, Rejette le pourvoi.