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Décisions

ADLC, 10 octobre 2014, n° 14-D-13

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques alléguées par la commune de Saint-Leu

ADLC n° 14-D-13

10 octobre 2014

L'Autorité de la concurrence (juge unique),

Vu la lettre, enregistrée le 12 juin 2012 sous le numéro 12-0052F par laquelle la Commune de Saint-Leu a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre sur le marché de la fourniture de carburants et de lubrifiants ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu la décision n° 14-JU-03 du 29 septembre 2014 par laquelle le président de l'Autorité de la concurrence a désigné, sur le fondement du dernier alinéa de l'article L. 461-3 du Code de commerce, M. Thierry Dahan, vice-président, pour adopter seul la décision à rendre sur la saisine visée ci-dessus ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 2 octobre 2014 la Commune de Saint-Leu ayant été régulièrement convoquée ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. LE SECTEUR D'ACTIVITÉ

1. La saisine de la commune de Saint-Leu concerne le secteur de la fourniture de carburants et de lubrifiants sur l'île de la Réunion et plus particulièrement les achats des communes pour leur parc de véhicules automobiles.

2. Les carburants sont distribués à la Réunion par plusieurs sociétés pétrolières filiales de grands groupes pétroliers comme Total, Shell, Engen (groupe Petronas) et Libyan Oil. Total et Shell exploitent, sur le marché de la distribution au détail, les enseignes Elf et Shell par l'intermédiaire d'une société commune, la Société Réunionnaise des Produits Pétroliers (ci-après SRPP) qui a également des activités de stockage.

3. Les lubrifiants sont vendus par les grossistes en carburants ainsi que par la société Eller qui est le seul fabricant et le premier distributeur sur l'île de La Réunion de lubrifiants automobiles et industriels. Il est en outre, le distributeur exclusif d'un additif, l'AdBlue(r).

4. Les communes de l'île de la Réunion organisent, pour la plupart, des appels d'offres pour s'approvisionner en carburants et en lubrifiants. Dans la mesure où les prix de gros et de détail des carburants sont réglementés à La Réunion, l'enjeu des appels d'offres porte sur la remise proposée par rapport au prix de détail. Ces marchés, annuels ou pluriannuels, sont de petits montants car les quantités de carburants fournies aux communes sont faibles en comparaison de celles livrées aux réseaux de stations-service pour la vente au détail.

2. LES PRATIQUES EN CAUSE

5. La commune de Saint-Leu dénonce une entente anticoncurrentielle entre les compagnies pétrolières qui se répartiraient les marchés des communes chaque année et s'accorderaient pour maintenir inchangé le montant des remises lors des appels d'offres.

6. Elle fait valoir, en premier lieu, que la SRPP a soumissionné en 2012 et pas Engen et inversement en 2011. Total ferait, selon elle, des offres fantaisistes et " prendrait le rôle du lièvre dans la course (" truquée ") à l'attribution en présentant une offre qui n'a aucune chance d'être retenue ".

7. Elle indique, en deuxième lieu, que le montant de la remise est identique chaque année. Elle aurait ainsi obtenu une remise de 8 centimes sur le gazole en 2011 et en 2012 alors que l'attributaire était différent (Engen en 2011 et la SRPP en 2012). Elle considère que cette invariabilité du montant de la remise traduirait " un prix minimum de vente" imposé par les compagnies pétrolières à la collectivité.

8. Elle affirme, en troisième lieu, que le faible montant de la remise proposée constituerait également un indice de la concertation entre les compagnies pétrolières. Cette remise, qui ne dépasserait jamais 8 centimes, serait trop faible car elle devrait être au moins égale à la marge des détaillants qui vendent du carburant dans les stations-service, c'est-à-dire 10 centimes.

9. Elle considère, en effet, que les modalités de délivrance du carburant aux communes et aux stations-service sont identiques, puisqu'" il n'y a pas de différence substantielle entre le remplissage d'une cuve publique (celle de la ville de Saint Leu) et celle d'une cuve privée (station essence) ".

10. S'agissant du lubrifiant, la commune de Saint Leu allègue que les compagnies pétrolières réservent le marché du lubrifiant à la société Eller. Elle précise en effet que chaque année, les autres compagnies pétrolières s'abstenant de présenter des offres, la société Eller est chaque année attributaire.

II. Discussion

11. L'article L. 462-8 du Code de commerce prévoit que l'Autorité de la concurrence: " [p]eut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'elle estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants. ".

1. EN CE QUI CONCERNE LES CARBURANTS

12. Il ressort des vérifications faites auprès de la commune de Saint-Leu que la même compagnie pétrolière a été attributaire, de 2006 à 2010, du marché des carburants pour quatre années consécutives parce qu'il s'agissait d'une procédure adaptée permettant la reconduction du marché annuel pendant quatre ans. C'est donc la commune elle-même qui a choisi de conserver le même fournisseur et la même remise. La même compagnie a ensuite gagné le marché pour l'année 2011.

13. D'autres communes ont indiqué qu'elles passaient des marchés pour plusieurs années. Par conséquent, l'allégation de la commune de Saint-Leu selon laquelle il y aurait, pour les marchés des carburants, une répartition annuelle entre les compagnies pétrolières n'est pas vérifiée. Une éventuelle entente de répartition devrait être mise en œuvre sur des périodes pluriannuelles et anticiper les décisions des communes elles-mêmes.

14. En outre, les informations communiquées par d'autres collectivités locales de la Réunion montrent que le montant de la remise n'est pas toujours identique pour chacun des carburants et qu'il est généralement proportionnel aux quantités vendues. À titre d'exemple, la commune du Tampon a obtenu, en 2011, une remise pour le gazole de 9 centimes par litre pour une quantité commandée de 380 m3 tandis que la commune de Saint-Louis n'a bénéficié que d'une remise de 3 centimes pour un volume de 104 m3.

15. Par conséquent, les remises accordées aux communes par les compagnies pétrolières ne sont pas toujours identiques et invariables d'une année sur l'autre.

16. Enfin, les vérifications ont montré que des communes avaient obtenu, en 2011, une remise de 8 centimes ou de 9 centimes sur le prix de détail réglementé alors que la marge des détaillants était d'environ 10 centimes. Mais la comparaison de ces montants n'est pas pertinente pour démontrer le caractère insuffisant des remises car le détaillant, lorsqu'il est locataire-gérant d'une station-service, reverse à la compagnie pétrolière une partie de la marge réglementée sous forme de redevance. Sa marge nette réelle est donc inférieure à 10 centimes par litre.

17. En outre, la marge de gros du distributeur est fixée en prenant en compte l'approvisionnement régulier d'un réseau de stations-service qui représente des quantités très importantes. En effet, la plupart des stations-service à la Réunion distribuent entre 2 000 et 3 000 m3 de carburants par an alors que la commune de Saint-Leu n'achète que 200 m3 par an. En outre, le service de ces petites quantités ne peut pas être inclus dans une tournée régulière comme celle d'un réseau sous enseigne du grossiste. Contrairement à ce que soutient la commune de Saint-Leu, les communes ne sont donc pas dans la même situation que les stations-service et l'argument selon lequel une remise de 8 centimes serait un indice d'entente ne saurait être retenu en l'absence d'autres éléments probants.

2. EN CE QUI CONCERNE LES LUBRIFIANTS

18. Les vérifications opérées auprès de plusieurs communes ont permis de constater qu'une autre compagnie que la société Eller a été attributaire d'un marché, à Saint-Louis, de 2008 à 2012. De plus, la forte position de la société Eller pour la fourniture de lubrifiants aux communes s'explique en partie par l'exclusivité qu'elle détient pour la distribution de l'additif l'AdBlue(r) qui est demandé par beaucoup de communes.

19. Par conséquent, l'allégation de la saisissante selon laquelle le marché du lubrifiant serait l'objet d'une entente n'est pas appuyée sur des éléments suffisants.

3. CONCLUSION

20. La saisine de la commune de Saint-Leu, faute d'être étayée par des éléments suffisamment probants, doit être rejetée en application de l'alinéa 2 de l'article L. 462-8 du Code de commerce.

DÉCISION

Article unique : La saisine de la commune de Saint-Leu est rejetée.

Délibéré sur le rapport oral de Mme Geneviève Wibaux, rapporteure et l'intervention de M. Eric Cuziat, rapporteur général adjoint, par M. Thierry Dahan, président de séance.