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Décisions

ADLC, 10 octobre 2014, n° 14-D-14

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport sanitaire d'urgence par ambulances dans le département des Yvelines

ADLC n° 14-D-14

10 octobre 2014

L'Autorité de la concurrence (juge unique),

Vu la lettre du 22 juillet 2011, enregistrée sous le numéro 11-0060 F, par laquelle la société Ambulances du Mantois a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport sanitaire d'urgence effectué à l'aide d'ambulances dans le département des Yvelines ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu le Code de la santé publique ; Vu la décision n° 14-JU-03 du 29 septembre 2014 par laquelle le président de l'Autorité de la concurrence a désigné, sur le fondement du dernier alinéa de l'article L. 461-3 du Code de commerce, M. Thierry Dahan, vice-président, pour adopter seul la décision à rendre sur la saisine visée ci-dessus ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, et le représentant de la société Ambulances du Mantois entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 2 octobre 2014, le commissaire du Gouvernement ayant été régulièrement convoqué ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LE SECTEUR D'ACTIVITÉ

1. La société des Ambulances du Mantois a pour seule activité le transport sanitaire, sur prescription médicale ou dans le cadre de l'aide médicale urgente. Sa saisine concerne le secteur du transport sanitaire d'urgence dans le département des Yvelines (78).

2. Il s'agit d'un secteur réglementé. Les ambulanciers réalisent des prestations de transport sanitaire dans le cadre l'aide médicale urgente, prévue par l'article L. 6311-1 du Code de la santé publique, sur demande et sous la supervision du Service d'Aide Médicale d'Urgence (ci-après " le SAMU-Centre 15 "). En pratique, sur une base départementale, les interventions en urgence des ambulanciers sont organisées sous la forme d'une garde ambulancière, qui permet de garantir la disponibilité des moyens matériels et humains nécessaires destinés à répondre aux sollicitations du SAMU-centre 15.

3. Le SAMU-Centre 15 des Yvelines reçoit les appels d'urgence de la population par le biais d'un centre de régulation. Il organise le transport des patients vers les établissements de santé appropriés (article R. 6311-2 du Code de la santé publique) en mobilisant différents moyens d'intervention en fonction de la gravité de l'état du patient : le SMUR, les pompiers (ou SDIS) ou les ambulanciers pour les cas les moins graves. Pour répondre aux sollicitations du SAMU-Centre 15, les ambulanciers organisent une garde ambulancière.

4. L'association d'aide à l'urgence sanitaire du département (ci-après " l'ATSU 78 ") est chargée d'organiser la participation des ambulanciers à l'aide médicale urgente, en jouant un rôle d'interface entre les professionnels du transport sanitaire et le SAMU-centre 15. Elle a été constituée en 1980. Ses statuts ont été modifiés en dernier lieu en juin 2011. En pratique, les tâches de l'ATSU 78 dans le système de garde ambulancière sont de constituer les tableaux de garde, de répartir les appels d'urgence en provenance du SAMU-Centre 15 et de s'assurer de la disponibilité des moyens dédiés par les ambulanciers privés.

5. Tous les ambulanciers des Yvelines ne participent pas au système de garde ambulancière. Seuls les ambulanciers volontaires y participent, les autres ne disposant généralement pas des moyens requis pour le faire, comme l'a confirmé l'Agence Régionale de Santé d'Ile-de-France (ci-après " l'ARS-IDF).

B. L'ORGANISATION DE LA GARDE AMBULANCIÈRE DANS LES YVELINES

1. LE CADRE RÉGLEMENTAIRE

6. L'article R. 6312-18 du Code de la santé publique prévoit que : " afin de garantir la continuité de prise en charge des patients, pendant les périodes définies par arrêté du ministre de la santé, une garde des transports sanitaires est assurée sur l'ensemble du territoire départemental ". Cette garde, appelée indifféremment garde " préfectorale " ou garde " départementale ", est organisée par l'agence régionale de santé territorialement compétente et, avant la création de telles entités, par le préfet (article L. 6312-5 du même code). Elle est applicable la nuit, les dimanches et les jours fériés dans les Yvelines. Ses modalités de mise en œuvre sont précisées dans les articles R. 6312-19 et suivants du même code.

7. De plus, une circulaire du 29 mars 2004 a incité les ambulanciers privés à mettre en place une garde ambulancière de jour pouvant couvrir les périodes de garde préfectorale (circulaire DHOS-01 n° 2004-151). Elle est couramment dénommée " garde libérale " ou " garde H 24 ". La généralisation de cette garde H 24 a été entérinée par un arrêté ministériel du 5 mai 2009 relatif à la mise en œuvre du référentiel SAMU-transport sanitaire portant organisation de la réponse ambulancière à l'urgence préhospitalière. L'arrêté fixe certaines modalités d'organisation de la garde H 24. Dans le département des Yvelines, elle a été mise en place par la convention tripartite du 9 janvier 2007 conclue entre le SAMU-Centre 15, le SDIS et l'ATSU 78.

8. Les conditions d'organisation de la garde préfectorale ont été fixées par l'arrêté préfectoral n° 04-00081 du 19 janvier 2004, qui comprend un cahier des charges. Il définit quatre secteurs de garde : Versailles (secteur 1), Poissy Saint-Germain-en-Laye (secteur 2), Mantes (secteur 3) sur lequel sont actives les Ambulances du Mantois, et Rambouillet (secteur 4) (article 1er de l'arrêté).

9. Selon une périodicité trimestrielle, un tableau de garde préfectorale est établi par l'ATSU 78, puis est approuvé par le directeur général de l'ARS-IDF. Les tours de garde sont répartis entre les ambulanciers au prorata du nombre d'ambulanciers participants dans chaque secteur de garde. Cette répartition des tours de garde est appliquée depuis au moins 2008. La seule condition à l'intégration dans la garde préfectorale est d'être un opérateur agréé de transport sanitaire disposant de véhicules agréés (articles L. 6312-2 et L. 6312-4), l'adhésion à l'ATSU 78 n'étant pas une condition d'intégration.

2. LE FONCTIONNEMENT DE LA GARDE LIBÉRALE H 24

10. L'organisation de la garde H 24 est précisée dans le cahier des charges annexé à la convention tripartite du 9 janvier 2007. Si la garde H 24 reprend la même organisation territoriale que la garde préfectorale, elle est opérationnelle tous les jours de l'année, nuit et jour. Les périodes de garde préfectorale (dimanches, jours fériés et nuits) sont intégralement couvertes par la garde H 24. Les tableaux de garde H 24 sont établis par l'ATSU 78, après que cette dernière ait recueilli les disponibilités des ambulanciers. Comme pour la garde préfectorale, ils sont établis sur une base trimestrielle.

11. S'agissant des conditions d'intégration dans la garde H 24, le cahier des charges prévoit que : " Toutes les entreprises de transports sanitaires du département ayant réalisé les investissements nécessaires au respect du présent cahier des charges, et présentant les garanties qualitatives nécessaires, pourront participer au Dispositif (...), et ce indépendamment de leur participation à la garde départementale préfectorale ". Il appartient au bureau de l'ATSU 78 de statuer sur l'intégration d'une entreprise dans le dispositif selon des " critères qualitatifs objectivés ", qui correspondent aux exigences renforcées de qualité listées dans le cahier des charges (notamment l'immobilisation impérative d'un véhicule de catégorie A).

12. Ainsi, l'ATSU 78 a-t-elle indiqué que : " Toute entreprise qui en fait le choix, peut décider de participer à la garde H 24, à charge pour elle : d'en faire la demande, de s'engager sur le respect du cahier des charges de la convention tripartite et des arrêtés des 10 février et 5 mai 2009, de donner ses disponibilités trimestrielles de véhicule exclusivement dédié au dispositif pour intégration au planning préétabli H 24 ".

3. L'ARTICULATION ENTRE LA GARDE PRÉFECTORALE ET LA GARDE H 24

13. Le cahier des charges de la garde préfectorale prévoit que : " Le système de garde [prévu par l'article R. 6312-18 du Code de la santé publique] pallie les carences éventuelles du système libéral de transport sanitaire ". Interrogés sur cette disposition, les représentants de l'ARS-IDF ont expliqué que : " cette disposition implique que les moyens de la garde libérale dans les Yvelines sont mobilisés en premier. Cette disposition est fondatrice du système de garde ambulancière et de son organisation dans les Yvelines, donnant la préférence au système de garde libérale ".

14. Cette priorité de la garde H 24 sur la garde préfectorale est confirmée par les autres pièces versées au dossier. Un courrier du préfet des Yvelines au député Amaury Richard indique également que : " [la garde préfectorale], organisée par le Préfet établit une réservation de véhicules la nuit et le dimanche, moyennant une indemnité, et n'est mise en œuvre qu'en cas de carence de la garde H 24 dite libérale ".

15. Pour les appels d'urgence que la régulation du SAMU-Centre 15 dirige vers les ambulanciers privés, l'ATSU 78 est en charge de les répartir entre ambulanciers. Il n'existe pas de différences entre les gardes préfectorales et H 24 à cet égard. Les appels sont orientés vers le coordonnateur ambulancier, qui les dirige ensuite vers les ambulanciers. Le coordonnateur ambulancier répartit les interventions d'urgence au profit des ambulanciers qui sont inscrits dans les tableaux de garde, H 24 et préfectorale, ainsi que l'ont confirmé les déclarations de l'ARS-IDF. Compte tenu de la priorité réservée à la garde H 24, les ambulanciers inscrits dans les tableaux de garde H 24 sont sollicités en premier lieu, puis, en cas d'indisponibilités de ceux-ci, l'ambulancier de garde préfectorale est sollicité.

C. LES PRATIQUES DÉNONCÉES

16. La société Ambulances du Mantois a saisi l'Autorité de la concurrence d'une pratique de discrimination de l'ATSU 78 qui ne ferait appel à ses services que de manière résiduelle dans le cadre de la garde ambulancière dans les Yvelines.

17. Elle dénonce le rôle que jouerait l'ATSU 78 dans la répartition des appels d'urgence à destination des ambulanciers du département. Cette association organiserait la répartition des appels au bénéfice exclusif des sociétés d'ambulances Sainte-Anne, CIR Ambulances, Jussieu, Didier et Alouette 2000, qui en sont adhérentes. Les Ambulances du Mantois estiment que le comportement des cinq entreprises " crée une évidente distorsion de concurrence et caractérise à l'évidence une entente illicite ", qui violerait les articles L. 420-1 du code commerce et 101 du TFUE.

18. Les pratiques discriminatoires alléguées par les Ambulances du Mantois reposent sur deux séries de faits. Premièrement, quand les Ambulances du Mantois sont désignées au titre de la garde préfectorale sur le secteur de garde de Mantes, un nombre réduit d'interventions leur est confié, alors que la société CIR Ambulances, qui n'est pas de garde préfectorale, serait largement sollicitée. Deuxièmement, quand la société CIR Ambulances est de garde préfectorale, les Ambulances du Mantois ne sont pas appelées pour intervenir, l'essentiel des appels étant transférés à CIR Ambulances.

II. Discussion

19. L'article L. 462-8 du Code de commerce prévoit que l'Autorité de la concurrence: " [p]eut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'elle estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ".

1. SUR LA RÉPARTITION DISCRIMINATOIRE DES APPELS EN GARDE H 24

20. Afin de pouvoir alléguer utilement l'existence de pratiques discriminatoires, les Ambulances du Mantois doivent se trouver dans une situation équivalente à celles des autres entreprises participant à la garde H 24 dans le secteur de Mantes. Ceci suppose que cette société participe effectivement à la garde H 24.

21. Or, parmi les conditions de participation à la garde H24 figure, comme cela a été rappelé au point 12 ci-dessus, l'obligation de " donner des disponibilités trimestrielles de véhicules exclusivement dédiés au dispositif pour intégration au planning préétabli ". Mais, au vu des vérifications menées par les services d'instruction, la saisissante n'apparaît pas remplir cette condition. L'ATSU 78 a ainsi déclaré que cette société ne participait pas à la garde H 24, dès lors qu'elle n'a " jamais adressé de planning trimestriel de mise à disposition exclusive dans le cadre du dispositif H 24 ".

22. L'absence de communication par anticipation de ses disponibilités ressort également des deux courriers envoyés par le président de l'ATSU 78 aux Ambulances du Mantois du 3 décembre 2010 et du 11 février 2011. D'autres documents corroborent ce constat : un compte-rendu de l'assemblée générale de l'ATSU 78 du 10 janvier 2012, un compte-rendu établi par l'ARS-IDF au sujet d'un entretien qu'elle a eu avec l'ATSU 78 le 20 avril 2011 et un courrier du 5 mai 2011 du préfet des Yvelines aux Ambulances du Mantois.

23. La saisissante indique avoir toujours été prête à mettre des moyens à la disposition de la garde H24 et produit deux télécopies envoyées à l'ATSU 78, les 30 mai 2008 et 31 juillet 2008, pour signaler respectivement des disponibilités pour les mois de juin 2008 et d'août 2008. Elle produit également un courrier électronique adressé au président de l'ATSU 78 indiquant que : " depuis le 17 janvier 2011, nous avons mis à disposition un équipage dédié aux interventions SAMU de 8h à 20h.".

24. Force est de constater, que si ces envois permettent d'attester la connaissance par la saisissante de la nécessité de signaler ses disponibilités, ils ne correspondent pas à la condition de signalement trimestriel pour participer à la garde H 24.

25. Il résulte de l'ensemble des éléments qui précèdent que la société Ambulances du Mantois ne peut alléguer une pratique de répartition discriminatoire des appels d'urgence en garde libérale dès lors qu'elle n'est pas elle-même intégrée au dispositif H24.

2. SUR LA RÉPARTITION DISCRIMINATOIRE DES APPELS EN GARDE PRÉFECTORALE

26. La société Ambulances du Mantois participe à la garde préfectorale et des appels d'urgence lui ont été attribués à ce titre, mais elle relève que sur 309 interventions réparties par l'ATSU 78 pour le mois de janvier 2009, gardes libérales et gardes préfectorales confondues, 250 ont effectuées par CIR Ambulances, 40 par les Ambulances du Mantois et 19 par la société Alouettes 2000.

27. Mais la société CIR Ambulances est mobilisée en premier par le coordonnateur ambulancier sur la base des tableaux de garde H 24 car elle est la seule des trois à effectivement participer à la garde H 24 pour le secteur de Mantes, ce qui explique son nombre important de courses. En revanche, les deux sociétés qui ne participent qu'à la garde préfectorale ont une activité comparable, la saisissante se voyant même confier plus d'interventions d'urgence que sa concurrente Alouettes 2000.

28. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les Ambulances du Mantois n'apportent pas d'éléments probants permettant d'étayer une discrimination dont elles feraient l'objet dans le cadre de la garde préfectorale.

3. CONCLUSION

29. La saisine de la société Ambulances du Mantois, faute d'être étayée par des éléments suffisamment probants, doit être rejetée en application de l'alinéa 2 de l'article L. 462-8 du Code de commerce.

DÉCISION

Article unique : La saisine enregistrée sous le n° 11-0060 F est rejetée.

Délibéré sur le rapport oral de M. Gillian Arnoux, rapporteur et l'intervention de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, par M. Thierry Dahan, président de séance et vice-président.