ADLC, 10 octobre 2014, n° 14-D-15
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du tampon encreur
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président : M. Dahan ; Rapporteur : M. Barbot
L'Autorité de la concurrence (juge unique),
Vu la lettre enregistrée le 8 novembre 2013, sous le numéro 13-0082F, par laquelle la société Empreinte Océane a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur du tampon encreur ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu la décision n° 14-JU-04 en date du 29 septembre 2014 par laquelle le président de l'Autorité de la concurrence a désigné, sur le fondement du dernier alinéa de l'article L. 461-3 du Code de commerce, M. Thierry Dahan, vice-président, pour adopter seul la décision à rendre sur la saisine visée ci-dessus ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur et le rapporteur général adjoint entendus lors de la séance du 2 octobre 2014, le commissaire du gouvernement et le représentant de la société Empreinte Océane ayant été régulièrement convoqués ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
1. LE SECTEUR CONCERNÉ
1. La saisine de la société Empreinte Océane concerne le secteur des tampons encreurs. Cet accessoire de bureau est composé de deux éléments : une monture qui constitue le mécanisme permettant d'apposer une inscription sur un support et un timbre en caoutchouc qui est fabriqué et personnalisé à la demande du client final et intégré à la monture.
2. Les fabricants de montures sont les filiales de quelques groupes internationaux comme Trodat, Colop ou Shiny. En revanche, le marché des plaques des timbres de tampons personnalisés, très atomisé, est constitué de PME installées sur l'ensemble du territoire. Enfin, quelques grands distributeurs de fournitures de bureau internalisent la fabrication de tampons personnalisés alors que d'autres passent par la sous-traitance.
3. Ce secteur comporte donc deux niveaux de marché mettant en jeu des acteurs très différents et son organisation suit le schéma suivant :
2. LES PRATIQUES DÉNONCÉES
4. La société autrichienne Trodat, via sa filiale Trodat France, commercialise ses montures auprès des fabricants de plaques de textes selon deux tarifs : le tarif dit "revendeur", accessible à toute entreprise souhaitant distribuer les montures Trodat, et le tarif dit "professionnel", plus avantageux que le précédent, dont le bénéfice est soumis à plusieurs conditions, parmi lesquelles être signataire d'une convention de coopération.
5. La société saisissante, qui a bénéficié d'une convention de coopération avec Trodat France entre 1999 et 2013, soutient que cette société est en position dominante sur le marché français du tampon encreur et lui reproche trois pratiques abusives : une discrimination tarifaire, le retrait du bénéfice du tarif professionnel et une politique commerciale "occulte", pouvant aller jusqu'au dénigrement.
6. En premier lieu, Empreinte Océan, soutient que les marchés publics seraient "systématiquement captés par les 5 sociétés suivantes : EFTG, TYMIX, SMTT, RCA et ITM avec des produits de la marque Trodat" et que si ses propres offres sont rejetées, c'est que ses concurrents "bénéficient d'un tarif plus privilégié que celui résultant de la convention de coopération et du tarif professionnel" en raison de liens capitalistiques avec Trodat, ce qui serait qualifiable de discrimination anticoncurrentielle.
7. En deuxième lieu, Empreinte Océane, pour répondre à cette discrimination, a présenté "de nouvelles offres commerciales à prix concurrentiels mais en produits de marque Colop ou Shiny, lesquels se sont révélées systématiquement moins-disants que ceux en marque Trodat". Ces nouvelles offres lui ont permis de remporter les appels d'offres de la Ville de Paris et du Conseil général du Nord-Pas-De-Calais. Trodat aurait alors réagi en dénonçant, à compter du 1er septembre 2013, la convention de coopération passée avec la saisissante. Empreinte Océane est donc contrainte d'acheter les produits Trodat au tarif revendeur, ce qui la désavantage par rapport aux concurrents qui bénéficient du tarif professionnel.
8. En troisième lieu, pour contrer les succès d'Empreinte Océane avec sa nouvelle offre en produits Colop et Shiny, Trodat aurait alors "imaginé une campagne de dénigrement sournoise des produits concurrents qui ne seraient pas fiables techniquement, non au point ou encore selon son expression non écoresponsables. C'est ainsi que l'on voit désormais des marchés d'appels d'offres ouverts exiger des produits écoresponsables, présélection qui ne résulte que du seul marketing Trodat et qui n'a aucune signification juridique et technique". Trodat aurait également contacté le principal client de la société Empreinte Océane, la société Alter Buro, pour écarter la société saisissante.
II. Discussion
9. L'article L. 462-8 du Code de commerce prévoit que l'Autorité de la concurrence : "[p]eut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'elle estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants".
1. SUR LA DISCRIMINATION D'EMPREINTE OCÉANE PAR TRODAT
10. Contrairement à ce qu'affirme la saisissante, les sociétés TYMIX, EFTG, SMTT, RCA et ITM sont des sociétés indépendantes dont le capital est intégralement détenu par leur gérant (et sa famille le cas échéant), sans lien avec Trodat, ni directement, ni par l'intermédiaire d'une autre société. La consultation du registre du commerce et des sociétés a permis de constater que les allégations Empreinte Océane sont sans fondement.
11. De même, Empreinte Océane affirme que ses concurrents, grâce aux tarifs privilégiés dont ils auraient bénéficié de la part de Trodat, auraient "systématiquement capté l'ensemble des marchés publics". Or, il ressort des avis d'attributions publiés au Bulletin officiel des annonces de marchés publics que, sur les 51 appels d'offres publics ayant pour objet soit des marchés de fourniture de tampons, soit des marchés d'achat de fournitures de bureau comportant des lots spécifiques de fourniture de tampons, publiés entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2013, Empreinte Océane a été attributaire de 16 d'entre eux, contre 20 pour l'ensemble des cinq entreprises précitées.
12. Par conséquent, les affirmations de la saisissante dénonçant une discrimination de la part de Trodat et des effets d'exclusion apparaissent infondées.
2. SUR LA DÉNONCIATION DE LA CONVENTION DE COOPÉRATION
13. La convention de coopération a été dénoncée par Trodat en raison de la baisse considérable des achats d'Empreinte Océane qui, à partir de 2012, a fait le choix de changer de fournisseurs pour s'approvisionner en montures Colop et Shiny.
14. Depuis qu'elle a changé de fournisseur, Empreinte Océane affirme être en mesure de présenter "des offres économiquement plus avantageuses et techniquement aussi, sinon plus, valorisantes que celles proposées par les captives" de Trodat. Dès lors que la saisissante bénéficie avec ses nouveaux fournisseurs de tarifs avantageux pour des produits d'une qualité équivalente aux produits Trodat, elle ne peut soutenir que la dénonciation de la convention de coopération par Trodat doit être considérée, en tant que telle et en l'absence d'autres éléments, comme une pratique abusive.
3. SUR LA POLITIQUE COMMERCIALE OCCULTE
15. Empreinte Océane soutient principalement que Trodat, grâce à sa puissance, influencerait les clients et notamment les administrations qui "exigent majoritairement mais sans justification véritable des produits Trodat". Cette situation conduirait à une fermeture des marchés publics car "les acheteurs ont pris des habitudes ou sont particulièrement influençables ou influencés".
16. Mais les vérifications opérées sur les appels d'offres en cause ont montré que ces derniers n'exigent pas, sauf exception, des produits Trodat. Le contraire serait d'ailleurs illégal puisque l'article 6 du Code des marchés publics dispose que les spécifications techniques ne peuvent faire référence "à une marque, à un brevet ou à un type, dès lors qu'une telle mention ou référence aurait pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits". Le même article prévoit néanmoins des exceptions dans des cas particuliers qui peuvent être justifiés : "Toutefois, une telle mention ou référence est possible si elle est justifiée par l'objet du marché".
17. À cet égard, les deux exceptions citées par la saisissante, le marché de la CPAM de Loire Atlantique et le marché de l'Assistance publique des hôpitaux de Marseille, exigeaient bien des produits Trodat, mais ils s'agissaient de produits très spécifiques destinés à un usage limité, ce qui explique le très faible montant des marchés en cause (1500 euros et 400 euros).
18. En tout état de cause, si la saisissante estime que des marchés publics ont été faussés par une mention abusive des produits Trodat, il lui appartient de saisir le juge administratif de cette situation.
19. La présence de critères environnementaux dans les appels d'offres ne saurait non plus constituer une "présélection qui ne résulte que du seul marketing Trodat et qui n'a aucune signification juridique et technique" puisque la circulaire du 29 décembre 2009 relative au "Guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics" rappelle au contraire au pouvoir adjudicateur qu'il peut prendre en compte des exigences environnementales lors d'un appel d'offres.
20. De même, la société saisissante affirme sans plus de justifications que, dans le cadre d'un appel d'offres de la RATP, elle se serait heurtée "à la volonté manifeste de sa représentante de conclure en produit de la marque Trodat, malgré une offre très concurrentielle en produit de la marque Colop" mais ne produit aucun élément pour démontrer que ce comportement allégué de la RATP serait imputable à une "politique commerciale occulte" de la société Trodat.
21. Enfin, Empreinte Océane n'apporte aucun élément concret pour démontrer l'existence de manœuvres de Trodat France auprès d'Alter Buro pour dissuader ce client de travailler avec elle. Au contraire, elle reconnaît qu'Alter Buro continue à faire appel à elle pour la fourniture de tampons encreurs Trodat personnalisés.
4. CONCLUSION
22. La saisine de la société Empreinte Océane, faute d'être étayée par des éléments suffisamment probants, doit être rejetée en application de l'alinéa 2 de l'article L. 462-8 du Code de commerce.
Décision
Article unique : la saisine enregistrée sous le numéro 13-0082F est rejetée.