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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 23 octobre 2014, n° 13-00004

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Autofirst (SAS)

Défendeur :

Macifilia (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

MM. Birolleau, Douvreleur

Avocats :

Mes Couturier, Segard, Leclere

T. com. Paris, 1re ch., du 21 déc. 2012

21 décembre 2012

Faits et procédure

A compter du 21 septembre 2009, la société Autofirst, société de courtage d'assurances, a été mandatée par la compagnie d'assurance Macifilia pour gérer la commercialisation de ses polices d'assurance automobile, ainsi que pour assurer la gestion directe des contrats d'assurances et des sinistres les plus courants.

Les principales conditions du mandat de courtage ont été détaillées dans le cadre de réunions bilatérales. Si aucune convention n'a été signée, Autofirst est néanmoins intervenue en qualité de courtier de Macifilia.

Le 1er octobre 2010, lors d'une réunion, la société Macifilia a annoncé à la société Autofirst sa volonté de mettre fin à leur collaboration au 31 décembre suivant. Par courrier du 7 octobre 2011, la société Macifilia a confirmé cette résiliation "à titre conservatoire à effet du 1er février 2010" (en réalité 2011) sauf si la société Autofirst donnait une suite favorable à certaines de ses demandes, notamment de mise à disposition d'informations relatives au portefeuille.

Les parties ne parvenant à aucun accord sur les conditions de la rupture de leurs relations, la société Macifilia a, par un courrier en date du 5 janvier 2011, fixé le terme de leur collaboration au 30 septembre 2011, puis le 23 mai 2011, a confirmé la révocation du mandat de courtage en avançant son effet au 30 juin 2011.

Le 1er juillet 2011, la société Autofirst a fait assigner au fond, devant le Tribunal de commerce de Paris, la société Macifilia pour obtenir réparation de la rupture brutale de leurs relations commerciales. Macifilia a reconventionnellement demandé de dire qu'Autofirst devait poursuivre, sans rémunération supplémentaire, la gestion des dossiers de sinistres en cours.

Par jugement rendu le 21 décembre 2012, le Tribunal de commerce de Paris a condamné la société Macifilia à payer à la société Autofirst la somme de 70 000 euros, outre les intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation, ordonné à la société Autofirst de poursuivre, sans rémunération, la gestion des sinistres en cours, ordonné l'exécution provisoire, dit la société Autofirst et la société Macifilia mal fondées en leurs demandes plus amples ou autres, les a en déboutées et condamné la société Macifilia à payer à la société Autofirst la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Autofirst a interjeté appel le 31 décembre 2012 contre cette décision.

La société Macifilia a formé appel incident.

La société Autofirst, par ses dernières conclusions signifiées le 29 mars 2013, demande à la cour de dire que la société Macifilia a manqué à ses obligations contractuelles en décidant de rompre de façon unilatérale et sans préavis suffisant la relation d'affaires entretenue avec elle, de dire que la société Macifilia était débitrice d'un préavis minimum de 12 mois, et qu'elle a donc abusivement rompu toute relation contractuelle au 30 juin 2011, de dire que cette rupture unilatérale a causé un préjudice important à la demanderesse, qui sera indemnisé par l'allocation de la somme de 994 950,20 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, de dire que ces intérêts se capitaliseront par année échue, conformément au principe d'anatocisme, et de condamner la société Macifilia au paiement d'une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir que, le 7 octobre 2010, aucune résiliation de la convention n'est intervenue, mais seulement une "suspension du partenariat", et que ce n'est que le 30 juin 2011 que la société Macifilia a officiellement mais de manière brutale, révoqué le mandat consenti à la société Autofirst, en exigeant la résiliation des polices en cours à échéance contractuelle.

Elle expose qu'à compter de cette date, la société Macifilia aurait dû lui laisser un délai de préavis suffisant pour trouver d'autres solutions d'assurance et que ce délai ne pouvait être inférieur à 12 mois, les polices assurance automobile de la société Macifilia constituant une part substantielle de son chiffre d'affaires.

Elle ajoute à cet effet que l'absence de préavis suffisant lui a causé un préjudice correspondant à la perte de commissions, du fait de la rupture brutale et de l'absence d'affaires nouvelles, au temps passé par son personnel à la gestion de la rupture et à l'atteinte à son image auprès des assurés.

La société Macifilia, par ses dernières conclusions signifiées par le 20 juin 2014, demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le mandat consenti par société Macifilia à la société Autofirst pouvait être résilié de façon unilatérale par le mandant et qu'il n'y avait eu aucune brutalité, ni aucune vexation dans le processus de révocation et en ce qu'il a ordonné à la société Autofirst de poursuivre la gestion des sinistres en cours, sans rémunération ;

- l'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau :

- constater qu'aucun accord n'est intervenu entre les parties quant à la durée du préavis et aux modalités pratiques de fin du mandat ;

- constater au demeurant que la société Autofirst n'invoque pas un tel accord ;

- dire par conséquent qu'il ne peut être reproché à la société Macifilia la rupture sans justification et unilatéralement d'un quelconque accord sur la durée du préavis ;

- débouter en conséquence la société Autofirst de sa demande de dommages-intérêts et au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- dire en conséquence que la société Autofirst devra rembourser à la société Macifilia la somme de 70 515,44 euros versée au titre de l'exécution provisoire ;

- dire et juger que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de son versement le 16 janvier 2013, avec anatocisme ;

- constater en tout état de cause que la société Autofirst ne démontre ni la réalité, ni l'étendue, ni encore moins l'imputabilité du préjudice qu'elle invoque ;

- en conséquence, la débouter de sa demande de dommages-intérêts et au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- à titre subsidiaire, dire que le préjudice lié à la perte de commissions ne saurait excéder 126 138,60 euros, dire que le préjudice lié à l'arrêt des affaires nouvelles ne saurait excéder 45 941,58 euros et débouter société Autofirst de toute autre demande ;

- à titre reconventionnel, condamner la société Autofirst à verser à la société Macifilia les sommes de 100 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle expose qu'elle n'a fait qu'user de sa faculté de mettre un terme au mandat la liant à la société Autofirst, qu'elle a accepté d'en différer les effets de manière à permettre à son cocontractant de replacer son portefeuille, que la révocation résulte d'un processus s'étalant sur plusieurs mois et que le délai de préavis accordé, jusqu'au 30 juin 2011, va bien au-delà de ce qui pouvait être raisonnablement exigé compte tenu de la courte durée du mandat. Elle indique que c'est à tort que le tribunal a estimé qu'aurait existé un accord entre les parties pour que la date de résiliation soit fixée au 30 septembre 2011, et que la société Macifilia n'a commis aucune faute en ramenant celle-ci au 30 juin 2011. Elle ajoute que la société Autofirst ne justifie pas d'un préjudice imputable à la société Macifilia et qu'en tout état de cause, les éléments invoqués par la mandataire soit sont invérifiables, soit conduisent à une demande de dommages et intérêts excessive.

MOTIFS

Sur la rupture brutale de la relation commerciale

Considérant que l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce dispose qu' "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure" ;

Considérant qu'il est constant que la rupture de la relation commerciale existant entre Autofirst et Macifilia depuis le 21 septembre 2009 a pris effet le 30 juin 2011 ; que c'est dès le 1er octobre 2010 que Macifilia a informé Autofirst de sa décision de révoquer le mandat du courtier ;

que la lettre de Macifilia en date du 7 octobre 2010 constitue, non la notification d'une simple suspension de certains partenariats, comme le prétend à tort Autofirst, mais la confirmation de la rupture à effet du 1er février 2011 ("ce courrier constitue une résiliation de notre partenariat à titre conservatoire à effet du 1er février 2010" (lire 2011) ; que, le 5 janvier 2011, Macifilia a réitéré sa décision de mettre un terme à sa collaboration avec le courtier "dès que possible et au plus tard le 30 septembre 2011" ;

Considérant que, si les relations se sont finalement poursuivies au-delà du 1er février 2011, cette poursuite doit être analysée en une prolongation du délai de préavis, de sorte que c'est au 7 octobre 2010 que ce délai a commencé à courir ; que le préavis accordé - du 7 octobre 2010 au 30 juin 2011, de près de neuf mois - est suffisant au regard de la durée de la relation commerciale entre les parties, de seulement une année ; qu'il est indifférent que Macifilia ait, le 23 mai 2011, fixé au 30 juin 2011 le terme du préavis, précédemment envisagé au plus tard au 30 septembre 2011, dès lors :

- que la date du 30 septembre 2011 n'était que la date limite de prise d'effet de la rupture ;

- qu'Autofirst ne rapporte pas la preuve d'un quelconque accord définitif des parties sur cette date du 30 septembre 2011 ; qu'en effet, si Autofirst a, dans sa lettre à Macifilia du 14 janvier 2011, donné son accord pour que la rupture prenne effet au 1er octobre 2011, cet agrément demeurait subordonné notamment à la condition qu'elle conserve la gestion des sinistres, condition que Macifilia n'a pas acceptée ainsi que cela ressort des échanges de lettres des 15 février, 14 mars et 23 mai 2011 ;

- qu'en tout état de cause, Autofirst était informée de la rupture des relations depuis le 7 octobre 2010 ;

- que s'est ainsi écoulé, depuis cette date, un temps suffisant pour permettre à Autofirst de prendre les dispositions appropriées pour trouver de nouveaux partenaires ;

Qu'Autofirst n'est dès lors pas fondée à invoquer la brutalité de la rupture de la relation commerciale ; qu'en conséquence, la cour la déboutera de sa demande de dommages et intérêts et réformera en ce sens le jugement déféré ;

Considérant que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Macifilia de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, la preuve ni d'un comportement fautif - la seule recherche d'une éventuelle responsabilité étant en soi insuffisante à caractériser un abus - ni, en tout état de cause, d'un préjudice autre que celui indemnisable au titre de l'article 700 du Code de procédure civile n'étant en l'espèce rapportée ; que, le jugement n'étant pas discuté en ce qu'il a ordonné à la société Autofirst de poursuivre, sans rémunération, la gestion des sinistres en cours, il sera confirmé sur ce point ;

Considérant que le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées au titre de l'exécution de la décision, lesdites sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification de l'arrêt, valant mise en demeure ; qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de restitution ;

Considérant que l'équité commande de condamner Autofirst à payer à Macifilia la somme de 3 000 euros au titre des frais hors dépens ;

Par ces motifs LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Réforme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a ordonné à la société Autofirst de poursuivre, sans rémunération, la gestion des sinistres en cours et a débouté Macifilia de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, Statuant à nouveau, Déboute la SAS Autofirst de ses demandes, Condamne la SAS Autofirst à payer à la SA Macifilia la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Autofirst aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.