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Décisions

Cass. soc., 21 octobre 2014, n° 13-11.930

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Société Industrielle et Commerciale de l'Ouest (SAS), Margottin (ès qual.), Bidan (ès qual.)

Défendeur :

Tampié, CGEA de Rennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Frouin

Rapporteur :

M. Alt

Avocat général :

Mme Courcol-Bouchard

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Gaschignard

Poitiers, ch. soc., du 18 déc. 2012

18 décembre 2012

LA COUR : - Donne acte à M. Margottin de ce qu'il reprend l'instance en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société SICO ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 18 décembre 2012), que M. Tampié a été engagé le 10 mars 2008 par la Société industrielle et commerciale de l'ouest en qualité de VRP ; que le 1er décembre 2009, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail, reprochant à son employeur des manquements en termes de statut et de rémunération ;

Sur le premier moyen : - Attendu que l'employeur reproche à l'arrêt de dire que le salarié n'avait pas le statut de VRP, que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de le condamner à payer diverses sommes, alors, selon le moyen : 1°) que les dispositions d'ordre public du statut des voyageurs représentants placiers ne s'opposent pas à ce que l'employeur et le salarié conviennent d'une application conventionnelle de ce statut, dès lors que cette application s'avère globalement plus favorable que le droit commun du travail ; que, dès lors qu'elle confère une entière liberté du travailleur dans l'organisation de son travail et la possibilité pour ce dernier de déployer son activité pour d'autres employeurs, l'application conventionnelle du statut des voyageurs représentants placiers exclut l'application des règles légales relatives au SMIC ; qu'au cas présent, il résultait des termes du contrat de travail que M. Tampié était engagé "en qualité de VRP dans les conditions prévues par les articles L. 751-1 [L. 7311-1] et suivants du Code du travail", qu'il précisait que le salarié était embauché à titre "non exclusif" et pouvait donc exercer une activité professionnelle pour d'autres employeurs à condition de ne pas exercer une activité concurrente à celle de la société SICO et qu'il ne stipulait aucune obligation à la charge de M. Tampié en terme de durée du travail et d'organisation de son activité ; que la société SICO faisait valoir que l'application du statut de VRP correspondait, en outre, à une volonté collective des salariés de l'entreprise réaffirmée par les membres élus du comité d'entreprise l'unanimité au cours de la réunion du 15 mars 2011 ; qu'en estimant que M. Tampié ne pouvait se voir opposer le statut de VRP dès lors que les conditions effectives d'application de ce statut n'étaient pas remplies, sans rechercher, comme cela lui était demandé si l'application de ce statut, résultant d'une volonté commune des parties, n'était pas globalement plus favorable que l'application des dispositions du Code du travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du Code civil, L. 7311-1 du Code du travail, ensemble le principe fondamental du droit du travail, selon lequel, en cas de conflit de normes, c'est la plus favorable aux salariés qui doit s'appliquer ; 2°) que le contrat "de VRP" conclu entre les parties stipulait que "M. Alain Tampié est engagé(e) par la société SICO en qualité de VRP dans les conditions prévues par l'article L. 751-1 et suivants du Code du travail" ; qu'il résulte des termes clairs et précis de cette stipulation que l'ensemble des dispositions relatives au statut des VRP étaient applicables à la relation de travail ; qu'en écartant l'application conventionnelle du statut au motif que le contrat de travail ne prévoyait pas de stipulation spécifique relative au droit à l'indemnité de clientèle, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du contrat de travail en violation de l'article 1134 du Code civil et du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les écrits produits devant lui ; 3°) que le contrat "de VRP" conclu entre les parties ne comporte aucune obligation contraignante à la charge de M. Tampié quant à l'organisation de ses tournées ; qu'en estimant que le contrat aurait comporté une clause relative à "l'absence de liberté d'organisation des tournées", la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis de ce contrat en violation de l'article 1134 du Code civil et du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les écrits produits devant lui ; 4°) que dès lors que le contrat de travail prévoit que le représentant exercera son activité au sein d'un secteur d'activité clairement déterminé sur lequel il dispose d'une exclusivité pour commercialiser les produits qui lui sont confiés, l'existence d'une clause donnant à l'employeur une faculté de modifier unilatéralement ce secteur n'a pas pour effet d'écarter l'application du statut de VRP ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que le contrat de travail stipulait un secteur de prospection autour de la commune de Loulay ; qu'en écartant l'application conventionnelle du statut de VRP au motif que le contrat prévoyait une clause de modification du secteur de prospection, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu, sur le moyen pris en ses trois premières branches, qu'ayant constaté que l'activité de M. Tampié consistait à procéder à la vente au laissé sur place avec encaissement immédiat des marchandises proposées par l'employeur, avec un véhicule qui contenait ces marchandises, et non seulement des échantillons de démonstration en vue de la prise de commandes, la cour d'appel, hors toute dénaturation, a pu décider, par ces seuls motifs, que l'intéressé relevait du statut de salarié ;

Et attendu que le moyen pris en sa quatrième branche, qui reproche à l'arrêt d'avoir écarté une clause du statut de VRP, est inopérant dès lors que le contrat a été requalifié ; d'où il suit que le moyen, inopérant en sa quatrième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à diverses sommes, alors, selon le moyen qu'un salarié, dont le contrat stipule une entière liberté pour organiser son travail et ne prévoit aucun horaire déterminé, ni aucune obligation de se tenir à la disposition de l'employeur, ne peut, lorsque l'employeur lui a fourni l'ensemble des moyens nécessaires à l'accomplissement de sa prestation de travail, revendiquer l'application des dispositions conventionnelles relatives au salaire minimum que pour les heures de travail qu'il a effectivement effectuées ; qu'au cas présent, le contrat de travail liant M. Tampié à la société SICO prévoyait une totale liberté de M. Tampié dans l'organisation du contrat de travail qui pouvait notamment travailler pour d'autres employeurs et ne prévoyait aucune contrainte horaire, ni aucune obligation pour M. Tampié de se tenir à la disposition de la société SICO ; que le contrat de travail prévoyait en outre la mise à disposition de M. Tampié d'un véhicule magasin ainsi que d'un stock de marchandises ; qu'en estimant que M. Tampié avait droit au salaire minimum mensuel déterminé par la Convention collective du commerce au détail de l'habillement sur une base de 151,67 heures mensuelles, la cour d'appel qui n'a constaté ni la soumission de M. Tampié à la moindre contrainte horaire, ni l'accomplissement par ce salarié d'un tel volume horaire, n'a pas justifié sa décision au regard de l'annexe II relative aux salaires de la Convention collective du commerce au détail de l'habillement ;

Mais attendu qu'ayant retenu que le statut de salarié de droit commun était reconnu à M. Tampié et que les conditions exigées par l'article L. 3123-14 du Code du travail pour un contrat de travail à temps partiel n'étaient pas réunies, la cour d'appel, qui en a justement déduit que le salarié était titulaire d'un contrat de travail à temps complet, a justifié sa décision ;

Sur le troisième moyen : - Attendu que l'employeur fait grief au moyen de dire que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer diverses sommes, alors, selon le moyen : 1°) que la cassation à intervenir sur le premier ou le deuxième moyen entraînera, en application de l'article 624 du Code de procédure civile, la cassation sur le troisième moyen ; 2°) que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail ; que l'application erronée d'un statut ne caractérise pas un tel manquement dès lors qu'elle est exclusive de mauvaise foi de la part de l'employeur et qu'elle correspond aux termes du contrat de travail conclu avec le salarié ; que la cour d'appel a constaté que M. Tampié avait librement accepté de signer le contrat de travail et de le poursuivre au terme de la période d'essai de trois mois et que la société SICO avait correctement exécuté ce contrat conformément à son contenu, la faiblesse de la rémunération perçue par M. Tampié lui étant imputable (arrêt p. 6 al. 5) ; qu'en estimant néanmoins que l'application erronée du statut de VRP et l'inapplication corrélative des règles de droit commun relatives à la rémunération minimale justifiaient la prise d'acte par M. Tampié de son contrat de travail aux torts de la société SICO, la cour d'appel a méconnu les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les articles 1134 et 1184 du Code civil, ensemble les articles L. 1232-1 et L. 1235-3 du Code du travail ;

Mais attendu, d'abord, que le rejet des premier et deuxième moyens rend sans objet le premier grief du troisième moyen ;

Attendu, ensuite, qu'ayant exactement rappelé que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués à l'encontre de l'employeur étaient d'une gravité suffisante pour ne pas permettre la poursuite du contrat de travail, la cour d'appel, qui a relevé que l'employeur appliquait au salarié un statut ne correspondant pas à celui applicable et qu'il en résultait une incidence négative sur sa rémunération, a pu décider que ces faits étaient d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail et que la prise d'acte était justifiée ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.