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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 30 octobre 2014, n° 13-01967

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Permezel (ès qual.), Pictoris (SARL)

Défendeur :

Compagnie des Editions de la Lesse (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Perrin

Conseillers :

MM. Birolleau, Douvreleur

Avocats :

Mes Fromantin, Novel, Gary, Baudouin

T. com. Lyon, du 28 nov. 2012

28 novembre 2012

Faits et procédure

Le 30 août 2006, la SA La Compagnie des Editions de la Lesse, éditeur de livres, a conclu avec la SARL Pictoris, ayant pour gérant Monsieur Olivier Permezel, exerçant sous l'enseigne Pictoris Publishing, un contrat d'édition prépresse à durée déterminée, d'un an renouvelable par tacite reconduction, aux termes duquel les Editions de la Lesse confiaient à Pictoris la réalisation de mise en page et de photogravure de ses différentes publications, les Editions de la Lesse s'engageant à commander à Pictoris un volume minimum de 12 000 pages par an en moyenne.

Le 4 décembre 2008, la société Pictoris est entrée en voie de dissolution, Monsieur Olivier Permezel étant désigné en qualité de liquidateur amiable.

Se prévalant de ce que les Editions de la Lesse n'auraient pas exécuté leur engagement de commande minimum de 12 000 pages annuelles, Monsieur Permezel ès qualités de liquidateur de la société Pictoris a assigné la société Editions de la Lesse devant le Tribunal de commerce de Lyon aux fins de condamnation de cette dernière à dommages et intérêts pour manquement à ses obligations contractuelles et rupture brutale des relations commerciales. Les Editions de la Lesse se sont portées reconventionnellement demanderesses en condamnation de Monsieur Permezel ès qualités pour rupture abusive de la relation commerciale.

Par jugement en date du 28 novembre 2012, le Tribunal de commerce de Lyon a dit que Monsieur Permezel ès qualités de liquidateur de la société Pictoris était mal fondé en ses prétentions et ne justifiait pas du préjudice que cette société prétendait avoir subi, l'a débouté de ses demandes, a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire et a condamné Monsieur Permezel ès qualités de liquidateur de la société Pictoris à payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens. Monsieur Olivier Permezel ès qualités de liquidateur de la société Pictoris a formé appel de cette décision.

Par conclusions signifiées le 15 mai 2013, Monsieur Permezel ès qualités demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, d'infirmer le jugement entrepris, de dire que les Editions de la Lesse ont manqué à leur obligation contractuelle de commander un volume minimum de 12 000 pages par an, que ce manquement a causé un préjudice à la société Pictoris, de condamner les Editions de la Lesse au paiement de la somme de 245 971,38 euros à titre de dommages et intérêts, de dire que les Editions de la Lesse ont brutalement rompu la relation commerciale établie avec Pictoris et les condamner au paiement de la somme de 344 688 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de marge brute que Pictoris aurait dû réaliser pendant la durée de 24 mois qui aurait dû lui être octroyé, en tout état de cause de condamner les Editions de la Lesse au paiement de la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Il fait valoir :

- que le volume de commandes contractuellement prévu concernait des bons à composer, et non de simples photocopies, ce que confirme la tarification visée en annexe du contrat qui ne comporte aucune référence à des photocopies, de sorte que les Editions de la Lesse ne peuvent inclure des photocopies et des scans dans le décompte des pages commandées ;

- qu'au titre de la période de 2006 à 2008, les Editions de la Lesse n'ont passé commande à Pictoris de bons à composer qu'à hauteur de 12 091 pages, au lieu des 28 000 contractuellement prévus.

Il précise que le préjudice subi par Pictoris correspond aux pertes résultant des commandes non passées, soit 228 485 euros, aux investissements réalisés à perte, soit 9 235,04 euros, et aux indemnités de fin de contrat de deux salariés, soit 8 251,34 euros.

Sur la rupture brutale des relations commerciales, il expose que :

- les Editions de la Lesse ont cessé, sans lui adresser de notification écrite de rupture, en juillet 2008 de confier à Pictoris des prestations de mise en page et de photogravure, les commandes passées après cette date ne concernant pas des bons à tirer et ne portant que sur des commandes ponctuelles de type scan d'un montant réduit ;

- compte tenu de la durée de la relation - 22 mois - la société d'édition aurait dû respecter un préavis d'au minimum de 24 mois ;

- pour un taux de marge brute de 71,81 %, une indemnité de 172 344 euros par an x 2, soit 344 688 euros, est donc due.

La société La Compagnie des Editions de la Lesse, par dernières conclusions signifiées le 23 juin 2014, demande à la cour :

- in limine litis, de déclarer irrecevables comme nouvelles en appel les demandes de l'appelant fondées sur un préavis de 24 mois ;

- au fond :

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur Permezel ès qualités de ses demandes et en ce qu'il a octroyé la somme de 1 500 euros à la société Compagnie des Editions de la Lesse au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure de première instance ;

- de dire recevable et bien fondée la société Compagnie des Editions de la Lesse en l'intégralité de ses écritures ;

- de dire que Monsieur Permezel ès qualités de liquidateur de la société Pictoris est mal fondé en ses prétentions et ne justifie pas du préjudice que la société qu'il représente prétend avoir subi ;

- d'infirmer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau, de condamner Monsieur Permezel ès qualités de liquidateur de la société Pictoris à payer les sommes de 27 344,75 euros au titre d'une indemnité pour rupture abusive de la relation commerciale et de 15 000 euros au titre d'une indemnité pour procédure abusive ;

- de condamner Monsieur Permezel ès qualités à payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d'appel ainsi qu'aux entiers dépens. Elle fait valoir qu'elle n'a commis aucun manquement dès lors qu'elle a respecté le minimum contractuel de 12 000 pages par an en moyenne, que doivent être inclus dans le décompte de ces pages les scans et les copies de documents qui devaient faire l'objet soit de mise en page, soit de photogravure. Elle ajoute qu'en tout état de cause, Monsieur Permezel ès qualités ne justifie de la réalité des chefs de préjudice invoqués, ni la perte de marge brute, ni la perte des investissements qui auraient été réalisés spécialement pour le contrat, ni au titre des indemnités de licenciement du personnel que Pictoris aurait affecté à l'exécution du contrat.

Elle précise que la rupture des relations commerciales établies est de la seule responsabilité de la société Pictoris, qui s'est placée en liquidation amiable et a cessé son activité en cours d'exécution du contrat sans en avertir les Editions de la Lesse, et qu'un préavis de deux mois aurait été nécessaire pour lui permettre de s'organiser dans des conditions acceptables. Elle ajoute que le préjudice qu'elle a subi du fait de la brutalité de la rupture tient à la désorganisation et à l'obligation de recourir à une société de photogravure et de mise en page.

MOTIFS

Sur le manquement de la société des Editions de la Lesse à son obligation de commande

Considérant que la convention signée le 30 août 2006 stipule :

- en son article 1er, que " La Compagnie des Editions de la Lesse confie à Pictoris Publishing la réalisation de prestations de mise en page et photogravure de ses différentes publications, selon les conditions prévues au présent contrat et à ses annexes " ;

- en son article 4, alinéa 1er, que " (...) La Compagnie des Editions de la Lesse s'engage à commander auprès de Pictoris Publishing un volume minimum de 12 000 pages par an en moyenne, pendant toute la durée du contrat " ;

- en son article 5 " Commandes et délais de livraisons ", que " la commande est formalisée par un bon à composer qui est remis, par écrit à Pictoris Publishing, présentant les éléments caractéristiques de la commande suivants : manuscrit numérique, visuels sous forme numérique ou analogique, rétro-planning validé par l'éditeur et Pictoris Publishing (date de la fourniture de première épreuve, du rendu des corrections, du BAT et de la livraison des fichiers sécurisés à l'imprimeur choisi par La Compagnie des Editions de la Lesse). A réception du bon à composer, Pictoris Publishing acceptera la commande. La livraison de la prestation de Pictoris Publishing sera validée dès la réception des fichiers PDF sur le serveur de l'imprimeur retenu par le client " ;

Considérant que la notion de " page " n'est définie :

- ni, contrairement à ce qu'affirme Monsieur Permezel, par l'article 5 de la convention, qui ne concerne que la notion de " bon à composer ", distincte de celle de " page ", et qui se borne à énumérer "les éléments caractéristiques de la commande", lesquels ne recouvrent pas l'intégralité des tâches susceptibles d'être exécutées par Pictoris ;

- ni par aucune autre stipulation du contrat ;

Que les prestations réalisables par Pictoris ne se limitent pas à la mise en page de "nouveautés" ; qu'en effet, l'annexe 1 du contrat prévoit que Pictoris sera chargée de réaliser, pour le compte des Editions de la Lesse, " tout type de prestations et notamment des nouveautés, illustrations, nouvelles éditions, nouveaux tirages et Guides Imray édités par les Editions de la Lesse " ; qu'il s'en déduit que les travaux de Pictoris recouvrent la mise en page et la photogravure réalisées à partir des différents procédés d'impression, parmi lesquels les scans et les copies de documents, procédés qui ne sont exclus :

- ni par le tarif annexé au contrat, qui, s'il ne mentionne pas les copies de pages, n'a nullement fait obstacle à un accord des co-contractants pour que ces copies soient facturées au prix unitaire de 0,50 euro ;

- ni par aucune autre disposition de la convention ;

Considérant que Monsieur Permezel ès qualités ne conteste pas les chiffres communiqués par les Editions de la Lesse aux termes desquels les commandes passées à Pictoris ont porté, au titre de la période de deux ans et quatre mois, sur 40 531 pages, pour un minimum contractuel de 28 000 pages (12 000 x 2,4) ; qu'aucun manquement au minimum contractuel ne peut en conséquence être retenu à l'encontre des Editions de la Lesse ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur Permezel ès qualités de sa demande de ce chef ;

Sur la rupture brutale de la relation commerciale

Considérant que la demande de Monsieur Permezel ès qualités de voir fixer à 24 mois le préavis de rupture des relations commerciales, qui ne diffère que par la durée de celle formulée initialement devant les premiers juges, n'est pas nouvelle et doit être déclarée recevable ;

Considérant que l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relations commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte, notamment, de la durée de la relation commerciale ;

Considérant que Monsieur Permezel ès qualités ne saurait soutenir que les Editions de la Lesse ont cessé de passer des commandes à Pictoris en juillet 2008 et ont donc, à cette date, rompu toute relation commerciale, alors d'une part qu'il admet que des commandes ont été passées par les Editions de la Lesse postérieurement à juillet 2008, d'autre part que celles-ci sont confirmées par les factures émises par Pictoris les 29 août, 30 septembre et 26 novembre 2008 ; qu'aucune rupture n'est, dans ces conditions, imputable aux Editions de la Lesse ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur Permezel ès qualités de sa demande de ce chef ;

Considérant en revanche qu'en se plaçant en liquidation amiable le 4 décembre 2008 et en cessant toute activité sans en informer son co-contractant, alors que les Editions de la Lesse lui passaient encore des commandes, Pictoris a rompu brutalement la relation d'affaires en cours ;

Mais considérant, que, si les Editions de la Lesse invoquent un préjudice de désorganisation résultant de cette rupture, elles ne font état d'aucun élément précis propre à justifier d'un tel préjudice ; que c'est en conséquence à raison que les premiers juges les ont déboutées de leur demande de dommages et intérêts présentée à ce titre ; que, la décision entreprise n'ayant pas statué sur la demande reconventionnelle de la société les Editions de la Lesse, la cour, ajoutant au jugement, déboutera cette dernière de sa demande de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales ;

Considérant, sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, que les Editions de la Lesse ne rapportent la preuve ni d'un comportement fautif de Monsieur Permezel ès qualités - la seule recherche d'une éventuelle responsabilité étant en soi insuffisante à caractériser un abus - ni, en tout état de cause, d'un préjudice autre que celui indemnisable au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; que, le jugement déféré n'ayant pas statué sur ce point, la cour, ajoutant au jugement, déboutera les Editions de la Lesse de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Considérant que l'équité commande de condamner Monsieur Permezel ès qualités, au titre des frais hors dépens exposés en cause d'appel, à payer aux Editions de la Lesse la somme de 1 500 euros ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Dit Monsieur Olivier Permezel ès qualités recevable en sa demande relative à la durée du préavis de rupture des relations commerciales, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, Déboute la SA La Compagnie des Editions de la Lesse de sa demande de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales et de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, Condamne Monsieur Olivier Permezel ès qualités de liquidateur de la SARL Pictoris à payer à la SA La Compagnie des Editions de la Lesse la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne Monsieur Olivier Permezel ès qualités de liquidateur de la SARL Pictoris aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.