ADLC, 24 septembre 2014, n° 14-DCC-141
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à la prise de contrôle conjoint de Générale de Santé par Ramsay Health Care et Predica (Groupe Crédit Agricole)
L'Autorité de la concurrence,
Vu la demande de renvoi présentée le 7 juillet 2014 par Ramsay Health Care UK et Predica et la décision de renvoi de la Commission européenne du 4 août 2014 prise en application de l'article 4 paragraphe 4 du règlement (CE) n° 139-2004 du Conseil ; Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 20 août 2014, relatif à la prise de contrôle conjoint de Générale de Santé par Ramsay Health Care UK et Predica, formalisée par un accord de cession d'actions en date du 10 juin 2014 ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-10 ; Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l'instruction ; Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l'opération
1. Ramsay Health Care Limited (ci-après " RHC ") est une société de droit australien qui exploite 15 (1) hôpitaux et centres hospitaliers ambulatoires au Royaume-Uni, en Australie, France, Indonésie et Malaisie. Sa filiale Ramsay Health Care UK Limited (ci-après " RHC UK ") est l'un des principaux prestataires de soins de santé privés en Angleterre avec un réseau de 30 hôpitaux privés. Depuis 2010, RHC UK détient avec Predica le contrôle conjoint de Ramsay Santé, un opérateur hospitalier privé Français1 qui contrôle 40 établissements de soins en France dont 30 cliniques spécialisées dans les soins psychiatriques acquises en novembre 2013 (2).
2. Groupe Crédit Agricole (ci-après " GCA ") est un groupe mutualiste français, offrant un large éventail de services bancaires et d'assurance. Prévoyance Dialogue du Crédit Agricole (ci-après " Predica ") est une compagnie d'assurance française, filiale de Crédit Agricole Assurances, la société holding d'assurance de GCA.
3. Générale de Santé SA (ci-après " GDS ") est un groupe privé français offrant des soins et des services de santé. Elle détient 75 établissements de santé privés en France et un établissement en Italie. GDS est une société cotée sur le compartiment B de NYSE Euronext Paris, contrôlée par la société Santé SA qui en détient 83,43 % du capital, le reste du capital étant flottant.
4. En vertu de l'accord de cession d'actions en date du 10 juin 2014, l'opération notifiée consiste en l'acquisition de [...] % du capital de GDS par RHC UK ([...] %) et Predica ([...] %). Le projet de pacte d'actionnaire prévoit que RHC UK et Predica disposeront chacun [confidentiel]. Ainsi, comme l'a relevé la Commission européenne (3), l'opération notifiée se traduit par l'acquisition du contrôle en commun de GDS par RHC et GCA.
5. Cette opération relève de la compétence de l'Union européenne en application de l'article 1 paragraphe 2 du règlement (CE) n° 139-2004 du Conseil sur les concentrations. En effet, les entreprises concernées ont réalisé ensemble un chiffre d'affaires hors taxes consolidé sur le plan mondial de plus de 5 milliards d'euros (RHC : [...] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2013 ; GCA : [...] d'euros pour le même exercice ; GDS : [...] d'euros pour le même exercice). De plus, chacune d'entre elles a réalisé un chiffre d'affaires dans l'Union européenne supérieure à 250 millions d'euros (RHC : [...] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2013 ; GCA : [...] d'euros pour le même exercice ; GDS: [...] d'euros pour le même exercice). Enfin, seuls GCA et GDS ont réalisé plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires dans l'Union européenne dans un seul et même Etat membre, la France.
6. Toutefois, le 7 juillet 2014, Precida et RHC UK ont demandé à la Commission européenne, au moyen d'un mémoire motivé, le renvoi total de l'opération à l'Autorité de la concurrence, en application de l'article 4, paragraphe 4 du règlement n° 139-2004 du Conseil. Par une décision n° COMP-M.7322 en date du 4 août 2014, la Commission européenne a considéré que les conditions de renvoi étaient réunies. La prise de contrôle conjoint de GDS par RHC UK et Predica est donc soumise, en application du point IV de l'article L. 430-2 du code de commerce, au contrôle français des concentrations. La notification de l'opération a été adressée à l'Autorité de la concurrence le 20 août 2014.
II. Délimitation des marchés pertinents
L'opération emporte un chevauchement d'activités dans le secteur de l'offre de diagnostics et de soins en établissement de santé.
A. DÉLIMITATION DES MARCHÉS DE SERVICES
7. S'agissant des marchés de l'offre de diagnostics et de soins hospitaliers en France, la pratique décisionnelle nationale et européenne (4) considère qu'il n'est pas pertinent de distinguer l'offre selon qu'elle émane d'établissements privés ou publics. En effet, en France, le patient est libre de choisir son établissement, public ou privé, sans considération économique puisque le remboursement des soins ne dépend pas du statut de l'établissement dans lequel les soins ont été dispensés. De plus, la généralisation de la tarification à l'activité et le recours des patients à des assurances complémentaires tendent à accroître la liberté de choix des patients quant à l'établissement dans lequel ils souhaitent être soignés. Par ailleurs, qu'ils soient publics ou privés, les établissements hospitaliers ont vocation à accueillir tous les patients, sans considération économique ou sociale. Enfin, l'ensemble des établissements hospitaliers établis en France sont soumis à un cadre réglementaire et normatif commun qui définit les conditions d'exercice de leur activité, régulée au niveau régional par les Agences Régionales de Santé (ci-après " ARS ") avec lesquelles ils concluent des contrats d'objectifs et de moyens.
8. Les autorités de concurrence (5) distinguent toutefois des marchés de l'offre de diagnostics et de soins hospitaliers par type d'activité pour tenir compte de la forte spécialisation des praticiens et des services des établissements hospitaliers, ainsi que de la nécessité pour un établissement hospitalier d'obtenir des ARS des autorisations spécifiques pour l'exercice de certaines spécialités médicales ou chirurgicales. La pratique a ainsi envisagé une segmentation large, par " groupes d'activité spécialisée " correspondant aux grandes disciplines définies par le code de la santé publique (médecine, chirurgie, obstétrique, soins de suite et réadaptation).
9. L'Autorité de la concurrence (6) a également envisagé une segmentation plus étroite des marchés de diagnostics et de soins hospitaliers, par " catégorie majeure de diagnostic " (ci-après " CMD ") selon la classification des actes établie par les ARS. L'Autorité de la concurrence a considéré, tout en laissant la question ouverte, que cette segmentation était pertinente puisqu'elle permet de distinguer l'intégralité des actes médicaux accomplis au sein des établissements hospitaliers selon des critères à la fois médicaux et fonctionnels, tenant compte des parties du corps soignées, et économiques, les séjours ou les entrées classées dans un même groupe impliquant l'utilisation de ressources similaires. L'Autorité a par ailleurs envisagé de sous-segmenter chacune des CMD en fonction de la présence d'un acte opératoire ou non (ci-dessous " AO " en présence d'un acte opératoire et " ANO " en l'absence d'acte opératoire).
10. Enfin, les autorités de concurrence se sont interrogées sur l'existence de marchés distincts de l'offre d'hospitalisation à domicile d'une part et de la fourniture de soins de dialyse. S'agissant des activités de dialyse, il découle toutefois de la pratique décisionnelle européenne que ce type de soin n'est pas susceptible d'être distinguée d'autres offres de soins hospitaliers assimilables.
11. En l'espèce, l'ensemble des délimitations envisagées par la pratique seront examinées dans le cadre de l'analyse des effets de l'opération. En tout état de cause, la question de la définition exacte des marchés de l'offre de diagnostics et de soins hospitaliers peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l'analyse demeureront inchangées quelle que soit la délimitation retenue.
B. DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE DES MARCHÉS
12. La Commission européenne (7), sans trancher définitivement la question, suggère que les marchés de l'offre de diagnostics et de soins hospitaliers ont une dimension locale s'étendant à un rayon correspondant à un trajet de 30 minutes de voiture.
13. La pratique décisionnelle nationale, tenant notamment compte des instruments de régulation utilisés par les ARS, considère que les marchés de l'offre de diagnostics et de soins hospitaliers ont une dimension locale, départementale ou régionale, dont le périmètre est fonction de la spécialité concernée par le marché de l'offre de soins étudié (8). Les autorités de concurrence ont notamment constaté que la taille des zones de provenance des patients varie très sensiblement, non seulement en fonction de l'établissement et des spécialités médico-chirurgicales qui y sont pratiquées, mais également en fonction de la région considérée, de sa densité de population et de son niveau d'équipement en établissements de soins hospitaliers. La prise en charge par l'assurance maladie des coûts de transport supportés par certains patients tend notamment à accroître leur consentement à voyager. L'Autorité de la concurrence a ainsi observé à l'occasion de sa décision n° 14-DCC-79 (9), que dans les départements du Var et de l'Aude le trajet moyen parcouru par un patient pour se rendre dans un établissement de soins hospitaliers est d'une durée comprise entre 30 minutes et une heure.
14. La pratique décisionnelle nationale (10) considère également de façon constante que la région Ile-de-France constitue un marché géographique unique et qu'il n'est pas pertinent de distinguer Paris intramuros des départements voisins. Elle relève en effet que l'Ile-de-France se caractérise par une mobilité très importante des patients, compte tenu notamment de l'offre étendue des établissements de soins et l'existence de pôles d'attraction régionale, voire nationale. Les informations fournies par les parties confirment l'approche retenue par la pratique décisionnelle (11). L'ampleur des taux de fuite observés démontrent en effet que les patients franciliens vont fréquemment se faire soigner en dehors de leur département d'origine.
15. En l'espèce, l'ensemble des délimitations envisagées par la pratique seront examinées dans le cadre de l'analyse des effets de l'opération. En tout état de cause, la question de la délimitation géographique exacte des marchés de l'offre de diagnostics et de soins hospitaliers peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l'analyse demeureront inchangées quelle que soit l'hypothèse retenue.
III. Analyse concurrentielle
A. INTRODUCTION
16. Pour estimer les parts de marchés, la partie notifiante a utilisé la base nationale publique du programme de médicalisation des systèmes d'information de l'agence technique de l'information sur l'hospitalisation qui regroupe les statistiques des établissements de santé français (12).
17. L'analyse concurrentielle reposera donc en premier lieu sur l'examen des parts de marché des parties dans des zones correspondant aux délimitations régionales et départementales.
18. Comme l'a relevé l'Autorité à l'occasion de sa décision n° 14-DCC-79 (13), l'examen des effets horizontaux de l'opération, doit également tenir compte des mécanismes spécifiques de fixation des prix dans les marchés concernés. En effet, les tarifs des prestations de soins délivrées par les établissements publics et privés sont régulés et fixés annuellement au niveau national, selon un système de tarification à l'activité (dit " T2A "). À chaque activité de soins correspond un tarif forfaitaire de la prestation que l'établissement peut facturer. Les parties notifiantes confirment que les établissements de santé ne peuvent pas déroger à ces tarifs (14). Les dépassements d'honoraires sur les actes médicaux relèvent de la seule initiative des praticiens et non de l'établissement au sein duquel ceux-ci exercent leurs activités. Par conséquent, les cliniques privées ne peuvent augmenter unilatéralement le tarif des soins conventionnés (15) qu'elles délivrent. Ces tarifs forfaitaires concernent la majeure partie des prestations de soin. Pour le reste, les prestations annexes (dites " hôtelières ") restent à la discrétion des établissements.
19. Afin d'apprécier la capacité des parties à dégrader la qualité des soins offerts ainsi que les effets de l'opération sur le segment sur lequel les parties conservent une marge de manœuvre tarifaire, il convient d'examiner la proximité concurrentielle des établissements des parties et le comportement réel des patients dans le choix de leurs établissements de soin dans les zones locales concernées.
20. Au niveau régional, les activités de Predica et RHC UK, exercées via Ramsay Santé, et de GDS dans le secteur de l'offre de diagnostics et de soins hospitaliers, se chevauchent dans les régions Rhône-Alpes et Ile de France. Ramsay Santé et GDS détiennent également tous deux des établissements dans les régions Bourgogne, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Nord-Pas de Calais, Haute Normandie, Bretagne et Centre. Cependant, la seule activité exercée par les établissements de Ramsay Santé dans ces régions est une activité de soins psychiatriques, que GDS n'exerce pas. Dans ce contexte, pour ces régions, il n'existe aucun chevauchement d'activité entre Ramsay Santé et GDS (16).
B. EFFETS DE L'OPÉRATION AU NIVEAU LOCAL
21. Dans la région Rhône-Alpes, Ramsay Santé détient un seul établissement de soins hospitaliers situé dans le département de l'Ain. GDS est également présent dans cette région via 10 établissements tous localisés à l'extérieur de l'Ain. L'opération emporte donc un chevauchement d'activité au niveau régional. Néanmoins, quelle que soit la segmentation retenue, les parts de marché de la nouvelle entité à l'issue de la concentration demeureront modérées et inférieures à [20-30] %. L'opération n'est donc pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux sur les marchés rhônalpins de l'offre de diagnostiques et de soins hospitaliers.
22. Dans la région Ile-de-France, Ramsay Santé détient 9 centres de soins hospitaliers. GDS est également présent dans cette région via 29 établissements.
23. Sur les marchés franciliens de l'offre de diagnostics et de soins hospitaliers segmentés par " groupes d'activité spécialisée ", les parties sont simultanément actives sur l'ensemble des segments identifiés par la pratique à l'exception de la psychiatrie. Sur chacun des segments concernés, la part de marché de la nouvelle entité demeurera inférieure à [20-30] %.
24. Si l'on retient une segmentation plus étroite par catégorie majeure de diagnostic, l'opération emporte un chevauchement sur les CMD 1 à 27. Sur ces segments, la part de marché de la nouvelle entité demeurera inférieure à 25 %. Celle-ci restera par ailleurs confrontée à la concurrence exercée par de nombreux opérateur au premier rang desquels figure l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (" AP-HP ").
25. Compte tenu de ce qui précède, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux sur les marchés franciliens de l'offre de diagnostics et de soins hospitaliers.
DECIDE
Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 14-124 est autorisée.
Notes :
1 Décision de la Commission européenne n° COMP-M.5794 du 26 mars 2010.
2 Décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-DCC-166 du 21 novembre 2013.
3 Décision de la Commission européenne n° COMP-M.7322 du 4 août 2014.
4 Décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-DCC-79 du 11 juin 2014 ; décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-DCC-164 du 21 novembre 2013; décision de l'Autorité de la concurrence n° 11-DCC-57 du 4 avril 2011; décision de l'Autorité de la concurrence n° 11-DCC-37 du 7 mars 2011 ; décision de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-68 du 25 novembre 2009 ; lettre n° C2008-115 du Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 5 décembre 2008 ; lettre n° C2006-105 du Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 26 octobre 2006 et lettre n° C2005-125 du Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 6 janvier 2006 et décisions de la Commission européenne n° COMP-M.7221 - Bridgepoint Capital-Médi-Partenaires du 28 avril 2014 ; n° COMP-M.5805 - 3i-Vedici Group du 21 mai 2010 ; n° COMP-M.4788 - Rozier-BHS du 21 août 2007 ; n° COMP-M. 4367 - APW-APSA-Nordic Capital-Capio du 16 mars.
5 Ibid.
6 Décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-DCC-79 du 11 juin 2014 ; décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-DCC-164 du 21 novembre 2013; décision de l'Autorité de la concurrence n° 11-DCC-57 du 4 avril 2011; décision de l'Autorité de la concurrence n° 11-DCC-37 du 7 mars 2011 ; décision de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-68 du 25 novembre 2009.
7 Voir notamment la décision de la Commission européenne du 21 mai 2010 précitée n° COMP-M.5805, 3i-Vedici.
8 Voir notamment la lettre du Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 14 novembre 2002, au conseil de la société Médi-Partenaires relative à une concentration dans le secteur des établissements de soins en France ; la lettre du Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en date du 4 décembre 2003, aux conseils de la société Capio santé ; et la décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-DCC-164 du 21 novembre 2013.
9 Décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-DCC-79 du 11 juin 2014.
10 Voir les lettres du ministre de l'économie n° C2005-125 du 6 janvier 2006 et n° C2008-106 du 22 octobre 2008.
11 Formulaire de notification §176-197.
12 Ces données codifiées permettent de classer le séjour dans une échelle statistique nationale, les Groupes Homogènes de Séjours (GHS) à même de définir au niveau régional et départemental, le nombre de sessions global par établissement et par segment d'activité, et d'établir des estimations de parts de marché en conséquence.
13 Décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-DCC-79 du 11 juin 2014.
14 Formulaire de notification §69 et §88.
15 Il convient de préciser que certains soins dits de confort, couverts par la CMD 23, ne sont pas conventionnés.
16 Formulaire de notification, §200.