CA Amiens, 1re ch. sect. 1, 12 septembre 2013, n° 12-02917
AMIENS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bevillard
Défendeur :
Selection du Reader's Digest (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Civalero
Conseillers :
Mmes Piet, Lorphelin
Avocats :
Mes Tainmont, Le Roy
Vu l'appel que Mademoiselle Catherine Bevillard a interjeté le 5 juillet 2012 du jugement rendu le 29 mai 2012 par le Tribunal de grande instance de Laon qui l'a déboutée de son action ;
Vu les conclusions de l'appelante notifiées le 30 août 2012 ;
Vu les conclusions de l'intimée, notifiées le 2 novembre 2012.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE.
Ayant reçu courant juillet 2010 de la société Selection du Reader's Digest des documents accompagnés d'un message dont les termes impliquaient, selon elle, qu'elle venait de gagner un véhicule Mazda 6 d'une valeur de 30 000 euros, Mademoiselle Catherine Bevillard, par courrier en date du 23 juillet 2010 (ou 2011 selon l'intimée, sans que la photocopie produite ne permette à la cour de se déterminer sur ce point sans incidence sur l'issue du litige) a réclamé la remise de son prix et des sommes de 300 000 et 27 000 euros, qui lui avaient, toujours selon elle, également été promises par ces documents.
Mademoiselle Bevillard a, en outre, demandé à la société Selection du Reader's Digest de ne plus lui adresser de documents publicitaires, estimant que les envois réitérés auxquels procédait cette société étaient constitutifs de harcèlement puisqu'ils "parasitaient" sa vie, selon les termes employés par l'appelante.
N'ayant pas obtenu la remise des lots réclamés, Mademoiselle Bevillard a assigné la société Sélection du Reader's Digest devant le Tribunal de grande instance de Laon qui, par jugement du 29 mai 2012 :
- a déclaré Mademoiselle Catherine Bevillard recevable en sa demande en paiement de la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 1371 du Code civil, mais l'en a déboutée ;
- l'a déboutée de sa demande en paiement d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- a débouté la société Selection du Reader's Digest de sa demande tendant au paiement de la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- a débouté les parties de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile,
- a condamné Mademoiselle Catherine Bevillard aux dépens.
Mademoiselle Bevillard a relevé appel de ce jugement pour que la cour devant laquelle elle réitère ses demandes formées en première instance :
- condamne la société Selection du Reader's Digest à lui payer la somme de 30.000 euros équivalant au prix du véhicule Mazda au visa de la Directive 2005-29-CE du Parlement Européen et du Conseil, des articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation et 1371 du Code civil, et celle de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,
- condamne la société Selection du Reader's Digest à lui payer la somme de 460 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonne l'exécution provisoire de la décision à intervenir en application des articles 514 à 526 du Code de procédure civile (sic),
- condamne la société Sélection du Reader's Digest aux entiers dépens.
En réplique, la société Selection du Reader's Digest demande à la cour :
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable la demande en paiement de la somme de 30 000 euros de Mademoiselle Bevillard et de dire que celle-ci est irrecevable à agir, à défaut d'avoir participé au concours "Triomphe",
- de confirmer en tout état de cause le jugement en ce qu'il a débouté Mademoiselle Bevillard de l'ensemble de ses demandes,
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Selection du Reader's Digest de ses demandes reconventionnelles,
- de condamner Mademoiselle Bevillard à verser à la société Selection du Reader's Digest la somme de 2 000 euros pour procédure abusive et celle de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Jérôme Le Roy, avocat aux offres de droit.
MOTIFS DE L'ARRET
La recevabilité
C'est à tort que l'intimée soutient que l'action est irrecevable à défaut d'intérêt pour agir de l'appelante, motif pris que Mademoiselle Bevillard, qui reconnaît expressément n'avoir renvoyé aucun bulletin de participation, n'a pu croire à la possibilité d'avoir été désignée par le sort comme gagnante,.
La cour relève, au contraire, que l'appelante fonde justement sa demande sur le fait allégué que la terminologie employée dans les documents publicitaires qui lui ont été adressés l'ont conduite à croire qu'elle avait d'ores et déjà gagné un, voire plusieurs lots, sans nécessité de se soumettre à une participation préalable à un tirage au sort.
L'analyse de ces documents relève de l'examen du bien-fondé de la demande que l'appelante est donc recevable à soumettre à l'appréciation de la cour, après l'avoir été devant le tribunal.
Le fond
L'appelante, réitérant les moyens de droit et de fait développés en première instance, invoque en vain la directive 2005-29-CE du Parlement Européen et du Conseil et les articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation et 1371 du Code civil.
La cour relève, d'abord, comme le premier juge, que Mademoiselle Bevillard ne fait état d'aucune violation précise par l'intimée des dispositions des deux premiers textes, ses articulations ne faisant référence qu'au fait allégué, qu'elle aurait été induite en erreur par les termes employés par les documents publicitaires à elle adressés par l'intimée dont résultait, toujours selon elle, l'engagement de la société Selection du Reader's Digest de lui livrer les lots décrits par lesdits documents pour peu qu'elle en fasse la demande.
Mais, ici encore, comme le premier juge, la cour constate que, contrairement aux affirmations de Mademoiselle Bevillard, le texte des documents incriminés, certes rédigé selon une formulation de nature à donner l'espoir d'un gain et à inciter le ou la destinataire à se projeter dans la perspective d'une issue favorable pour lui du tirage au sort afin de l'inciter à y participer -et, entraîné par ce mouvement, à se porter, peut-être, acquéreur du produit proposé- font cependant apparaître suffisamment que le gain n'est pas encore acquis, l'emploi des expressions "en cas de gain", de la conjonction "si" et du mode conditionnel, employé de manière réitérée, lesquels ont été justement mis en exergue par le premier juge, permettant au lecteur normalement attentif de percevoir, malgré le ton général du courrier, délibérément étudié pour induire au rêve, que les gains évoqués présentent un caractère aléatoire.
Et le harcèlement également allégué par l'appelante n'apparaît pas davantage établi par les cinq courriers versés à la procédure, lesquels se bornent, comme les documents sus analysés, à inviter leur destinataire à répondre dans les meilleurs délais sans utiliser d'autre procédé que celui qui consiste à tenter de faire naître l'espoir de gains.
Le jugement, sera, en conséquence, confirmé, l'appelante étant déboutée de son appel et condamnée aux dépens, sans toutefois qu'il y ait lieu à allocation de sommes à titre de dommages intérêts, faute de démonstration que l'exercice du droit d'appel, voie de recours ordinaire, ait dégénéré en abus, ni que l'équité commande l'allocation de sommes en application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'intimée en l'état de son attitude consistant à adresser des documents publicitaires dont le ton délibérément et excessivement optimiste quant aux espoirs de gain, est de nature à générer des contentieux.
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe, Confirme le jugement rendu le 29 mai 2012 par le Tribunal de grande instance de Laon en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Déboute la société Selection du Reader's Digest de sa demande en dommages et intérêts augmentée en cause d'appel ; Déboute les parties de leurs demandes respectives formées en appel au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne Mademoiselle Catherine Bevillard aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Maître Jérôme Le Roy, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.