CA Chambéry, 1re ch. civ. sect. 1, 28 mai 2013, n° 12-00733
CHAMBÉRY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
D. Duchesne (SA)
Défendeur :
Fonck
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Billy
Conseillers :
Mme Caullireau-Forel, M. Leclercq
Avocats :
Mes Laurent, Chas, SCP Le Ray & Guido
La société D. Duchesne, SA de droit belge, exerçant sous l'enseigne "TV Direct Distribution" a une activité de vente par correspondance au soutien de laquelle elle organise des loteries publicitaires.
En avril 2009, Mme Marie-Pierre Fonck a été destinataire de documents commerciaux émanant de cette société.
Estimant que ces documents lui annonçaient de manière certaine qu'elle avait gagné la somme de 20 500 euros et n'ayant pu obtenir le versement de cette somme, Mme Fonck a saisi le Tribunal de grande instance de Chambéry, qui par jugement rendu le 15 mars 2012, a jugé recevable et son action fondée sur l'article 1371 du Code civil et a condamné la société D. Duchesne
- à lui payer la somme de 20 500 euros de dommages-intérêts outre une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
- aux dépens, distraits au profit de la SCP Le Ray Guido Connille.
La société D. Duchesne a régulièrement interjeté appel de ce jugement, le 5 avril 2012.
Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 3 octobre 2012, elle demande à la cour
- d'infirmer le jugement déféré
- de dire que les dispositions de l'article 1371 du Code civil sont inapplicables, en vertu du principe selon lequel les lois spéciales, c'est à dire en l'espèce les articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation et l'article 1965 du Code civil, dérogent à la loi générale qu'invoque Mme Fonck
- subsidiairement, de constater qu'elle n'a pris aucun engagement à l'égard de Mme Fonck, dont elle discute la bonne foi, l'annonce d'un gain de 20 500 euros étant aléatoire
- en conséquence, de débouter Mme Fonck de toutes ses demandes
- de la condamner aux entiers dépens et à lui payer une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Selon conclusions récapitulatives notifiées le 26 mars 2013, Mme Fonck demande à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et de condamner la société D. Duchesne aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la SCP Le Ray & Guido en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
SUR CE
L'article 1965 du Code civil dispose notamment que la loi n'accorde aucune action pour une dette de jeu.
En l'espèce, c'est à tort que la société D. Duchesne oppose ce texte à Mme Fonck, dans la mesure où le "jeu" qu'elle a organisé est une loterie publicitaire autorisée dans son principe et réglementée dans ses modalités, à laquelle l'intimée a, en outre, pris part sans l'avoir elle-même décidé.
Les articles L. 121-36 à 40 du Code de la consommation définissent les conditions dans lesquelles des loteries publicitaires peuvent être pratiquées de manière licite et l'article L. 121-41 de ce Code érige en infraction le fait d'organiser une loterie publicitaire au mépris de ces conditions.
En l'espèce, Mme Fonck n'argue nullement du caractère illicite de la loterie litigieuse et le préjudice dont elle entend obtenir réparation est bien différent de celui dont elle aurait pu réclamer l'indemnisation à une juridiction répressive devant laquelle elle se serait constitué partie civile.
Ainsi que l'ont légitimement dit les premiers juges, son action peut donc parfaitement être fondée sur les dispositions de l'article 1371 du Code civil selon lesquelles les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l'homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers et en application desquelles l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa, s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer.
En l'espèce, la société D. Duchesne soutient que les deux documents reçus par Mme Fonck révélaient que le gain annoncé de 20 500 euros était aléatoire.
Ces deux documents imprimés recto et verso sont produits aux débats in extenso par les deux parties. Ils ont été précisément décrits par les premiers juges.
La référence à un aléa est expressément mentionnée à deux reprises dans le plus grand des deux documents, d'un format légèrement supérieur au format A4 :
- sur le bon de participation distinct surmontant le bon de commande occupant l'une des faces de ce document, figure une case à cocher suivie de la mention Oui, j'atteste avoir pris connaissance du règlement complet du jeu et de ses aléas et je les accepte, mention devant être suivie de la signature de Mme Fonck.
- sur l'autre face, il était écrit en lettres majuscules fines et serrées l'avertissement suivant : Vous devez avant tout prendre part dans les délais pour recevoir ce qui vous revient de droit en conformité avec le règlement et le procès-verbal de l'huissier. Lisez tout attentivement et soyez conscient que tout le monde ne peut pas avoir gagné le premier prix. Le tirage au sort de ce jeu gratuit a déjà eu lieu et votre gain, quel qu'il soit, est soumis à cet aléa et ne dépend pas d'une commande. Vous êtes réellement gagnant d'un des prix, c'est certain, car le jeu est sous contrôle d'un huissier de justice et les gains sont toujours attribués dès qu'ils sont réclamés par leur récipiendaire. La présentation attractive de ce jeu tel qu'il est d'usage en matière de publicité ne doit pas vous empêcher de tout lire attentivement. Si dans le délai réglementaire vous êtes à même de renvoyer les documents prouvant que le numéro gagnant le premier prix vous a bien été attribué personnellement, nous annoncerons de manière officielle : ces deux points ouvrant sur un cadre blanc dans lequel il était écrit ceci : Mme Fonck, je vous confirme alors que le chèque bancaire de 20 500,00 euros doit bien vous être envoyé car vous êtes la détentrice unique du numéro 110 995 843 qui gagne le premier prix ! Bravo.
Par ailleurs, le règlement du jeu figurant au verso du plus petit des deux documents indiquait en ses articles 4 et 5 que
- le pré-tirage a été réalisé par l'huissier de justice avant l'envoi des documents sur une liste de destinataires afin de tirer au sort le gagnant potentiel du prix principal soit la somme de 20 500 euros. Ce gagnant est la personne dont le numéro de participation a été tiré au sort. Tous les autres destinataires sont déclarés gagnants des prix annexes....
- le prix principal mis en jeu soit la somme de 20 500 euros n'est qu'une éventualité pour l'ensemble des participants, à l'exception du gagnant principal dont le nom figure sur le procès-verbal dressé par l'huissier de justice. Une réponse des gagnants est obligatoire dans les délais mentionnés à l'article 2 pour réclamer leur prix.
Il ressort clairement de toutes ces mentions que le gagnant de la somme de 20 500 euros devait avoir été
- dans un premier temps, lors d'un pré-tirage au sort, désigné comme l'un des gagnants de l'un des prix du jeu dénommé 20 500 euros, assurés et garantis
- dans un second temps, lors d'un tirage au sort, désigné comme le gagnant du prix principal.
En revanche, eu égard
- à la concordance hasardeuse des temps auxquels sont conjugués les verbes employés dans les deux documents,
- au fait qu'il est affirmé que tant le pré-tirage que le tirage au sort ont déjà eu lieu,
- et aux multiples mentions empreintes de certitudes figurant sur ces documents, parmi lesquelles celles reproduites ci-dessous :
Ce document personnel, envoyé après tirage au sort et confirmant que c'est le numéro 110 995 843 qui gagne le premier prix de 20 500,00 euros, vous a bien été attribué personnellement Mme Fonck ! Cela est vérifié à 100 %.
Si vous collez ce Talon d'Identification Gagnant précis (pas un autre) vous recevrez le chèque de 20 500,00 euros le plus rapidement possible comme prévu, mention "signée" d'Anne Godin - Responsable des Remises de Prix,
l'appelante ne peut pas soutenir avoir mis en évidence l'existence d'un aléa, Mme Fonck ayant été légitimement convaincue, même au terme d'une lecture attentive et complète, que l'aléa inhérent au jeu était levé au jour où elle prenait connaissance des documents et qu'elle était bien d'ores et déjà la gagnante du premier prix qui lui avait été attribué de manière absolument indiscutable.
En conséquence, le jugement déféré doit être confirmé.
Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Condamne la société D. Duchesne aux dépens d'appel que la SCP Le Ray & Guido pourra recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.