CA Montpellier, 1re ch. A, 10 octobre 2013, n° 11-04576
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Techer
Défendeur :
Administration des Douanes et Droits Indirects de Perpignan
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Besson
Conseillers :
Mme Chiclet, M. Bertrand
Avocats :
SCP Auche Hedou, Scp Philippe Senmartin, Mes Ayral, Tribillac
EXPOSE DU LITIGE
L'administration des douanes et droits indirects a procédé le 30 juin 2006 à la saisie de terminaux tactiles (appareils automatiques de jeux) déposés dans divers débits de boisson situés dans les Pyrénées Orientales et appartenant à Gilles Techer au motif que ces appareils étaient en réalité utilisés à des fins de loterie ce qui constituait une infraction fiscale à la loi du 21 mai 1836.
Les faits portés à la connaissance du parquet ont fait l'objet d'un classement sans suite le 19 juin 2007 au motif que l'infraction était insuffisamment caractérisée et les appareils ont été restitués à Gilles Techer le 30 juin 2007.
Par acte d'huissier en date du 10 juillet 2008, Gilles Techer a fait citer l'administration des douanes et droits indirects devant le Tribunal de grande instance de Perpignan aux fins de les voir condamner à lui payer la somme de 76 960 euros à titre de dommages-intérêts pour saisies injustifiées.
Par jugement contradictoire en date du 3 mai 2011 ce tribunal a :
rejeté l'exception d'incompétence en ce qu'elle est soulevée devant la juridiction du fond,
rejeté les demandes de Gilles Techer formulées à l'encontre de l'administration des douanes et droits indirects sur le fondement de l'article L. 241 du livre des procédures fiscales,
rejeté la demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive des douanes,
rejeté la demande d'exécution provisoire,
condamné Gilles Techer à payer au défendeur la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure.
condamné Gilles Techer aux dépens.
Gilles Techer a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Vu les conclusions de l'appelant remises au greffe le 21 décembre 2011 ;
Vu les conclusions de l'administration des douanes et droits indirects, appelante à titre incident, remises au greffe le 21 octobre 2011 ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 21 août 2013 ;
MOTIFS
Sur le caractère infondé de la saisie :
Gilles Techer soutient que la saisie de ses cinq appareils automatiques pratiquée par les douanes le 30 juin 2006 était infondée.
Il résulte des dispositions des articles 1 et 2 de la loi du 21 mai 1836, en vigueur au moment des saisies critiquées, que les loteries de toutes espèces sont prohibées et que sont réputées loteries et interdites comme telles "les ventes d'immeubles, de meubles ou de marchandises effectuées par la voie du sort, ou auxquelles auraient été réunies des primes ou autres bénéfices dus, même partiellement au hasard et généralement toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l'espérance d'un gain qui serait acquis par la voie du sort."
Les personnes qui, malgré cette interdiction, se livrent à de telles loteries prohibées sont passibles de poursuites pénales et fiscales.
Toutefois, l'article L. 121-36 du Code de la consommation.
autorise les loteries commerciales ou publicitaires réalisées par voie d'écrit qui tendent à faire naître l'espérance d'un gain attribué à chacun des participants, quelles que soient les modalités de tirage au sort, si elles n'imposent aux participants aucune contrepartie financière, ni dépense sous quelque forme que ce soit.
En l'espèce, l'information de l'existence des championnats organisés par la FFTT s'est faite par voie d'affiches, apposées au-dessus des appareils automatiques et annonçant les gains mis en jeu (parties gratuites ou chèques cadeaux jusqu'à 400 euros).
La réglementation du championnat pour 2005 précise bien qu'il s'agit "d'un championnat gratuit sans obligation d'achat" auquel les participants s'inscrivent par le seul accès au terminal tactile.
Dans les 24 h à 72 h qui suivent l'inscription, le règlement stipule que les inscrits sont crédités de trois parties gratuites par semaine, soit 12 parties pour la durée du championnat.
L'accès à ce championnat, et au jeu proposé, se fait donc sans obligation d'achat, au moyen de ces trois parties gratuites ainsi qu'en attestent les témoins Parmentier Eric, Grialou René et Crocq Eric.
Les constatations contraires faites par les services des douanes et reportées dans leur procès-verbal du 23 mai 2006 ne sont pas de nature à contredire utilement les termes du règlement de la FFTT ni les trois témoignages précités dès lors que le 23 mai 2006, le championnat était terminé depuis le 16 avril, et que les clients devaient par conséquent à nouveau obligatoirement insérer une pièce dans le monnayeur pour accéder aux jeux.
Ainsi que l'a expliqué Gilles Techer aux inspecteurs de douanes le 23 mai 2006, l'objectif commercial poursuivi à travers ce championnat était de vendre les jeux, une fois passé le cap des trois parties gratuites.
Il s'agissait donc de loteries commerciales autorisées par le Code de la consommation, avec un accès gratuit pour tous, dans le but de promouvoir la vente des jeux proposés par les propriétaires de ces appareils automatiques.
Il importe peu que, après l'épuisement des trois parties gratuites, les participants aient eu la possibilité de continuer le championnat moyennant une participation financière dès lors que l'accès au jeu était gratuit pour tous et qu'il n'est pas allégué ni démontré par les douanes que les chances de gagner aient été inégales entre les participants à titre gratuit et les participants à titre onéreux.
L'infraction à la législation du 21 mai 1836 n'est pas caractérisée ainsi que l'a indiqué le parquet dans son avis de classement sans suite et ce, sans qu'il soit besoin d'examiner les questions relatives à la nature (hasard ou non) des jeux proposés.
Il s'en évince que la saisie des cinq appareils automatiques doit être déclarée mal fondée.
Sur la réparation du préjudice :
Gilles Techer réclame la condamnation des douanes à lui payer la somme de 76 960 euros à titre de dommages-intérêts.
L'article L. 241 du Livre des procédures fiscalesqui prévoit que "si le tribunal juge mal fondée la saisie effectuée lors de la constatation de l'infraction, il peut condamner l'administration non seulement aux frais du procès et aux frais de garde mais encore à une indemnité représentant le préjudice que la saisie pratiquée a pu causer".
Les appareils ont été saisis le 30 juin 2006 et restitués le 30 juin 2007 après 13 mois.
Il résulte de l'attestation de l'expert-comptable de Gilles Techer que les recettes déclarées à l'administration fiscale pour l'année 2006 ont été d'environ 400 euros par mois et par appareil, soit une recette attendue de 26 000 euros en 2006.
Le préjudice subi par Gilles Techer consiste en la perte de chance d'avoir pu percevoir ces gains.
Le taux de la probabilité de perte de chance était très important, tenant les recettes déclarées à l'administration fiscale en 2005 qui montrent que ces appareils rencontraient un certain succès auprès de la clientèle des établissements dépositaires.
La cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour chiffrer cette perte de chance à 21 000 euros.
L'administration des douanes sera condamnée à payer à Gilles Techer la somme de 21 000 euros à titre de dommages-intérêts et le jugement sera infirmé de ce chef.
Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau et y ajoutant ; Dit que la saisie pratiquée le 30 juin 2006 par l'administration des douanes sur les cinq appareils automatiques n° 20508, n° 20209, n° 20111, n° 20113, n° 20211 appartenant à Gilles Techer exerçant sous l'enseigne Fliptronic était mal fondée ; Condamne l'administration des douanes et droits indirects à payer à Gilles Techer la somme de 21 000 euros à titre de dommages-intérêts ; Condamne l'administration des douanes et droits indirects à payer les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ; Condamne l'administration des douanes et droits indirects à payer à Gilles Techer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour ses frais engagés en première instance et en cause d'appel.