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Décisions

CA Pau, 1re ch., 28 février 2014, n° 12-03957

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

D. Duchesne

Défendeur :

Solans

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pons

Conseillers :

MM. Castagne, Augey

Avocats :

Mes Haurie, Garbez-Chambat

TGI Mont-de-Marsan, du 22 août 2012

22 août 2012

Exposant avoir, à réception de documents personnalisés lui certifiant l'envoi d'une somme de 15 500 euros, passé le 10 juillet 2010 une commande de produits auprès de la SA D. Duchesne (exploitant sous l'enseigne TV Direct Distribution une activité de vente par correspondance) mais n'avoir pas reçu la somme pourtant promise, Mme Claudine Solans a, par acte d'huissier de justice du 30 décembre 2010, fait assigner la SA D. Duchesne :

- à titre principal, en paiement de la somme annoncée, sur le fondement des articles L. 121-1 et L. 121-36 à L. 121-41 du Code de la consommation et 1371 du Code civil,

- subsidiairement, en paiement de dommages-intérêts d'un même montant, sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil.

Elle faisait valoir :

- qu'en indiquant qu'elle était gagnante d'une somme de 15 500 euros la SA D. Duchesne a diffusé une publicité qui s'est révélée mensongère (L. 121-1 du Code de la consommation) qui l'a amenée à passer commande de produits dont elle n'avait nul besoin,

- qu'en annonçant le gain de 15 500 euros sans mettre en évidence l'existence d'un aléa, la SA D. Duchesne s'est obligée à le délivrer (article 1371 du Code civil),

- que cette société a manqué à son obligation de loyauté en lui laissant délibérément croire qu'elle devait simplement passer commande pour se voir attribuer la somme litigieuse, au mépris des dispositions de l'article L. 121-36 du Code de la consommation qui interdisent toute contrepartie financière imposée aux participants d'une loterie publicitaire, et en usant d'artifices dans la présentation ambiguë de documents publicitaires.

Par jugement du 22 août 2012, le Tribunal de grande instance de Mont de Marsan a condamné la SA D. Duchesne à payer à Mme Solans la somme de 15 500 euros en principal, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2010 et la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens

La SA D. Duchesne a interjeté appel de cette décision selon déclaration enregistrée au greffe de la cour 22 novembre 2012.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du magistrat de la mise en état en date du 7 octobre 2013.

Dans ses dernières conclusions déposées le 18 février 2013, la SA D. Duchesne demande à la cour, réformant le jugement entrepris, de débouter Mme Solans de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Elle soutient pour l'essentiel :

- que les dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation qui définit et réprime le délit pénal de pratique commerciale trompeuse ne peut en aucun cas être relevé par une juridiction civile,

- que les dispositions de l'article 1371 du Code civil ne peuvent recevoir application en l'espèce dès lors d'une part que les loteries publicitaires sont soumises à une réglementation spéciale édictée par les articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation, exclusive de l'application des règles du droit commun des quasi-contrats, d'autre part que n'est rapportée la preuve ni d'une dette préexistante ni d'une intention libérale et enfin que l'article 1965 du Code civil exclut toute action au titre des dettes de jeu,

- que le litige relève des dispositions des articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation dont l'ensemble des dispositions a été en l'espèce respecté,

- que le prétendu engagement dont se prévaut Mme Solans serait en réalité sans cause et donc nul et de nul effet,

- que les documents reçus par Mme Solans visaient la réception du règlement d'un prochain jeu et non pas le règlement d'une somme d'argent, en sorte qu'aucune confusion n'était possible et que le caractère aléatoire du gain était manifeste,

- que les loteries publicitaires qu'elle diffuse sont parfaitement licites et qu'elle n'impose aucune obligation d'achat pour participer.

Dans ses dernières conclusions déposées le 8 avril 2013, Mme Solans conclut à la confirmation du jugement entrepris et sollicite la condamnation de la SA D. Duchesne à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel abusif et celle de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Elle soutient pour l'essentiel, au visa des articles L. 121-1 et L. 121-36 à L. 121-41 du Code de la consommation et 1371 du Code civil,

- qu'il résulte de l'article 1371 du Code civil que l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige par ce geste purement volontaire à le délivrer,

- que même si la société D. Duchesne a respecté les prescriptions du Code de la consommation, elle n'en reste pas moins engagée par l'annonce du gain opérée par la publicité et l'absence d'aléa dans les documents envoyés.

MOTIFS

Mme Solans sollicite à titre principal non l'octroi de dommages-intérêts en réparation d'une faute civile qu'aurait commise la société D. Duchesne pour avoir eu recours à des pratiques commerciales trompeuses au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation et / ou pour avoir organisé une loterie commerciale dans des conditions non conformes aux dispositions des articles L. 121-36 à 121-41 du Code de la consommation mais le paiement d'une somme prétendument promise sur le fondement d'un engagement quasi-contractuel.

Sauf à dénaturer l'objet du litige et alors que l'existence d'une réglementation spécifique aux loteries commerciales n'est pas exclusive de la possibilité d'invoquer les dispositions de l'article 1371 du Code civil si les conditions d'application de ce texte sont réunies, il convient de déclarer l'action de Mme Solans recevable.

Il y a lieu de rappeler que les quasi-contrats sont des faits purement volontaires de l'homme dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers et qu'un organisateur de loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer, étant par ailleurs considéré que l'existence de l'aléa affectant la distribution du prix doit être mise clairement en évidence, à première lecture, dès l'annonce du gain.

En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats que Mme Solans a reçu de la société D. Duchesne :

- dans une enveloppe portant la date postale du 6 juillet 2010, avec la mention "Document Strictement Confidentiel" et un tampon "Envoi Garanti" la somme de 15 500 euros cashH" Réf/Règlement AT006-711" et au verso la mention "Important : ce courrier nécessite une réponse. C'est indispensable. Dans le cas contraire, nous serons dans l'obligation de suspendre définitivement l'envoi du prochain règlement prévu à votre profit",

- un courrier dit "administratif" libellé à son propre nom ayant pour objet la remise d'un règlement soit "la somme de 15 500 euros cash", indiquant notamment que 'ce courrier n'est pas un jeu mais bien un courrier administratif' et que "nous n'attendons plus qu'une simple commande de votre part" et que quel que soit son montant, dès réception par nos services administratifs et uniquement dans ce cas, à moins que vous préfériez la seconde option, .. Je procéderai officiellement et Immédiatement à l'envoi à votre domicile d'un règlement soit 'La somme de 15 500,00 euros cash'...sans réponse de votre part je serais dans l'obligation de suspendre définitivement l'envoi de ce règlement,

- au verso de ce document, un formulaire intitulé Acceptation de règlement / Bon de commande "portant le tampon "Envoi Garanti" "la somme de 15 500 euros cash" - Réf/Règlement AT006-711",

- un document intitulé 'Notification d'Envoi Confirmé de Règlement établi pour un montant unique cash garanti 15 500 euros" portant mention d'un extrait de délibération aux termes duquel il est indiqué que dès réception de votre acceptation de règlement signé, nous procéderons à l'envoi immédiat de votre règlement sous pli sécurisé par porteur spécial et que nous ... confirmons...

1- que si vous avez ces documents entre les mains c'est qu'il vous est bel et bien destiné,

2 - qu'il s'agit exactement de "La somme de 15 500 euros cash",

3 - dès réception de votre réponse, son envoi sera immédiat,

c'est un engagement ferme et définitif",

- au verso de ce document, des "clauses administratives obligatoires" indiquant que 'le bénéficiaire des documents ... a la garantie formelle que le règlement à lui remettre lui sera envoyé immédiatement sous enveloppe scellée et que le non-respect des clauses administratives ... entraînerait l'annulation pure et simple de l'envoi du règlement soit "La somme de 15 500 euros cash" 101 673,34 Frs)", que "ces documents seront alors considérés comme nuls et non-avenus" et que "le règlement pourra alors être remis à une autre personne",

- un imprimé intitulé "Attestation de garantie d'envoi" énonçant au recto que "dès réception de votre commande autorisant ledit envoi, je m'engage personnellement et formellement à procéder à l'envoi de ce règlement soit "La somme de 15 500 euros cash" lequel est sous contrôle d'un huissier de justice conformément aux clauses administratives obligatoires" et portant au verso les mentions "document strictement confidentiel à conserver jusqu'à réception de votre règlement' et 'règlement garanti sous contrôle d'un huissier de justice".

Au regard de ces éléments, il y a lieu de considérer, avec le premier juge, qu'en utilisant systématiquement les termes de "règlement garanti, envoi immédiat, engagement ferme et définitif", en s'abstenant de toute référence explicite et univoque à un tirage au sort, un jeu ou une loterie et en excluant expressément à plusieurs reprises toute notion de jeu auquel la destinataire des courriers devrait participer pour pouvoir prétendre au gain qui lui a été personnellement annoncé de 15 500 euros, la SA D. Duchesne a dissimulé l'existence d'un quelconque aléa affectant le gain promis qui n'est nullement mis clairement en évidence à première lecture des documents litigieux.

L'existence d'un aléa ne peut être considérée comme suffisamment et clairement mise en évidence par la mention en caractères d'imprimerie, non spécialement apparents, figurant dans un bloc imprimé "fourre-tout" au pied de la feuille d'acceptation de règlement/ bon de commande ainsi rédigé : "conformément à la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978, vous disposez d'un droit d'accès et de rectification aux informations vous concernant par notre intermédiaire. Vous pouvez être amené à recevoir des propositions d'autres entreprises. Si vous ne le souhaitez pas, il vous suffit de nous écrire en nous indiquant vos noms, adresse et numéro de client. Photos et identités des témoins non contractuelles. Il est indispensable que vous nous retourniez votre bon de commande avant la date de clôture de votre dossier. Le cas échéant en effet votre absence de réponse signifierait votre élimination et nous serions dans l'impossibilité de vous remettre votre règlement de jeu. Répondez donc le plus vite possible. C'est indispensable. Vous disposez légalement d'un droit de rétractation de sept jours à compter de la réception du bien commandé sans que vous ayez à vous justifier et à payer de pénalité, à l'exception des frais de retour. Si vous ne comprenez pas tout, n'hésitez pas à nous contacter. Nous sommes là pour vous aider. N.B. : les noms des personnes utilisés sont des noms de plume employés aux fins de permettre le bon acheminement de vos courriers et appels téléphoniques éventuels.

C'est à bon droit que le premier juge a également considéré que la SA D. Duchesne ne pouvait se prévaloir de l'ambiguïté résultant des différentes acceptions du mot règlement pour soutenir que ce terme s'entendait uniquement et manifestement du règlement d'un jeu intitulé "La somme de 15 500 euros cash" et non du paiement même de cette somme, ce que le seul emploi de guillemets ne suffit pas à mettre en évidence alors même que la conjonction soit signifiant autrement dit, intercalée entre les termes "règlement" et "la somme de 15 500 euros cash" laisse au contraire penser qu'il s'agit d'une seule et même chose et que, par ailleurs, tout consommateur peut obtenir communication d'un règlement de jeu sans avoir à passer commande ni à satisfaire à des "clauses administratives obligatoires".

Il convient dès lors de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SA D. Duchesne à payer à Mme Solans la somme de 15 500 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2010 date de l'assignation introductive d'instance.

A défaut de preuve d'une faute de nature à faire dégénérer en abus le droit fondamental de l'appelante à assurer en justice la défense de ses intérêts, Mme Solans sera déboutée de sa demande en dommages-intérêts pour résistance abusive.

L'équité commande d'allouer à Mme Solans, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme globale de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles par elle exposés tant en première instance qu'en cause d'appel.

La SA D. Duchesne sera condamnée aux entiers dépens d'appel et de première instance.

Par ces motifs : LA COUR, Après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Vu le jugement du Tribunal de grande instance de Mont de Marsan en date du 22 août 2012, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SA D. Duchesne à payer à Mme Claudine Solans la somme de 15 500 euros (quinze mille cinq cents euros) avec intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2010, Déboute Mme Solans de sa demande en dommages-intérêts pour résistance abusive, Condamne la SA D. Duchesne à payer à Mme Solans, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme globale de 2 000 euros (deux mille euros) au titre des frais irrépétibles par elle exposés tant en première instance qu'en cause d'appel, Condamne la SA D. Duchesne aux entiers dépens d'appel et de première instance.