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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 4 novembre 2014, n° 13-02214

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Genes Diffusion (SAS)

Défendeur :

Axience (SAS), Ecolab (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mme Calot, M. Leplat

Avocats :

Mes Minault, Prest, Dupuis, Pinsseau, Jullien, Foucard

T. com. Nanterre, 3e ch., du 21 févr. 20…

21 février 2013

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Alcide Corporation ci-après, "Alcide", était, avant son rachat par la société Ecolab Inc en 2005, ci-après, "Ecolab", une société de droit américain fabricant des produits, biocides et sanitaires, propriétaire d'une gamme de produits d'hygiène de la mamelle destinés à l'usage des éleveurs laitiers. Cette gamme comptait principalement trois produits :

- Uddergold(r) Germicidal Barrier Teat Dip,

- Uddergold Platinum(r) Barrier Teat Dip (ci- après, "Platinum"),

- 4XLA(r) Pre and Post Milking Teat Dip,

historiquement distribués en France principalement par le canal des vétérinaires.

Le 28 mai 2001, la société Alcide a confié la distribution exclusive en France, et dans les pays du Maghreb, de sa gamme des produits d'hygiène de la mamelle à la société anonyme Société de Façonnage de Normandie, ci-après, "SFAN", spécialisée dans la fabrication et la vente de produits pharmaceutiques et vétérinaires, filiale à 100 % du groupe Gènes Diffusion, dont l'activité est la production et la distribution de semences et embryons en vue de l'insémination animale, située à Douai (59). Le contrat a été conclu pour une durée de trois ans à compter du 1er juin 2001.

A l'échéance, un nouveau contrat de distribution exclusive, limité à la France, a été conclu le 25 mai 2004, pour une durée de trois ans du 1er juin 2004 au 31 mai 2007.

Le 7 juin 2001, SFAN a passé un contrat d'une durée d'un an, tacitement renouvelable, avec la société par actions simplifiée Alternative, spécialisée dans la santé animale intervenant en marketing, communication et force de vente auprès des vétérinaires.

Le 21 avril 2004, la société par actions simplifiée Gènes Diffusion a conclu un second contrat de trois ans avec la société Alternative pour la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006, prolongé jusqu'au 31 mai 2007.

Le 1er septembre 2004, est intervenu le rachat par Gènes Diffusion de la branche d'activité "produits d'hygiène pour la mamelle" de SFAN.

En octobre 2005, la société américaine Ecolab a absorbé la société Alcide. Ecolab est une société spécialisée dans le nettoyage et la désinfection des mamelles qui possède déjà dans son portefeuille une gamme de produits d'hygiène de la mamelle, concurrente des produits d'Alcide, dénommée Valiant. Les produits Valiant sont distribués dans le monde entier par le groupe ABS Genus, spécialiste de la génétique et de la reproduction animale.

A cette époque, le Valiant n'était pas encore distribué en France. La société Bovec, filiale française du groupe ABS Genus, commercialisera ensuite ce produit en France auprès de la clientèle des inséminateurs.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 30 novembre 2006, la société Ecolab, venant aux droits d'Alcide, a informé la société Gènes Diffusion, venant aux droits de SFAN, que le contrat de distribution du Platinum ne serait pas renouvelé à son expiration le 31 mai 2007.

Par contrat signé le 30 mai 2007, la société Ecolab a conclu un accord de distribution exclusive avec la société par actions simplifiée Axience, société spécialisée dans la distribution en gros et au détail de médicaments vétérinaires et faisant partie du même groupe qu'Alternative.

Le 4 mai 2007, la société Gènes Diffusion a passé auprès de la société en nom collectif Ecolab une dernière commande de produits Platinum. Le 10 mai 2007 Ecolab a informé Gènes Diffusion qu'elle ne pourrait honorer cette commande. Toutefois à la suite d'une erreur interne de gestion d'Ecolab, Gènes Diffusion a reçu livraison de 20 tonnes de Platinum le 11 juin 2007. Gènes Diffusion a refusé de restituer ces produits malgré les mises en demeure adressées par Ecolab et Axience, ce qu'elle fera cependant quelques mois plus tard.

C'est dans ces conditions que le 18 janvier 2008, la société Gènes Diffusion a fait assigner les sociétés Axience, Alternative et Ecolab devant le Tribunal de commerce de Douai qui, par un jugement rendu le 15 avril 2009, s'est déclaré incompétent et a dit que la société Gènes Diffusion devait mieux se pourvoir devant le Tribunal de commerce de Bobigny, en ce qui concerne Axience et Alternative, et devant le Tribunal de commerce de Nanterre, en ce qui concerne Ecolab, territorialement compétents pour connaître des éléments de la cause.

Par conclusions datées du 9 février 2010, la société Gènes Diffusion, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, demandait au Tribunal de commerce de Nanterre de :

Prendre acte de son désistement d'instance et d'action envers les sociétés Axience et Alternative dans le cadre du litige, en exécution du jugement du Tribunal de commerce de Douai du 15 avril 2009, la société Gènes Diffusion poursuivant désormais ces sociétés devant le Tribunal de commerce de Bobigny,

Constater l'action concertée de la société Ecolab avec les sociétés Axience et Alternative, en vue de l'évincer du circuit de distribution du produit Platinum ainsi opérer le détournement de la clientèle attachée audit produit, lui causant un préjudice,

En conséquence,

Condamner la société Ecolab, pour ses actes de concurrence déloyale à lui payer la somme de 811 000 euro à titre de dommages et intérêts, somme ensuite sollicitée à titre subsidiaire, la demande principale étant portée à 1 980 000 euro, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance, outre une indemnité de procédure de 7 500 euro.

Par jugement du 21 septembre 2010, le Tribunal de commerce de Bobigny s'est finalement dessaisit au profit du Tribunal de commerce de Nanterre.

La société Gènes Diffusion a alors demandé au tribunal de constater la collusion frauduleuse des sociétés Axience et Alternative en vue de détourner la clientèle attachée au produit Platinum à son préjudice et sollicité la condamnation solidaire des trois sociétés.

Par jugement entrepris du 21 février 2013, le Tribunal de commerce de Nanterre a :

Joint les causes N° 2010 F 00002 et N° 2010 F 04831 ;

Débouté la SAS Gènes Diffusion de toutes ses demandes ;

Condamné la SAS Gènes Diffusion à payer à la SAS Axience, la SAS Alternative et la SNC Ecolab la somme de 3 000 euro à chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et débouté du surplus ;

Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire ;

Condamné la SAS Gènes Diffusion aux entiers dépens.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu l'appel interjeté le 20 mars 2013 par la société Gènes Diffusion ;

Vu les dernières écritures en date du 31 juillet 2014 par lesquelles la société Gènes Diffusion, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demande à la cour de :

Statuant à nouveau,

Constater que les sociétés Alternative, Axience et Ecolab se sont rendues coupables d'agissements déloyaux à l'égard de la SAS Gènes Diffusion,

Constater que le préavis de 6 mois est insuffisant et aurait dû être d'un an,

Enjoindre sous astreinte de 300 euro par jour à la société Ecolab de communiquer :

- le chiffre d'affaires et le résultat généré par la vente du Platinum depuis juin 2007,

- les listes des clients pour le Platinum depuis 2007,

- le bon de commande et le bulletin de livraison des étiquettes pour le Platinum en 2006 et 2007,

Enjoindre sous astreinte de 300 euro par jour aux sociétés Alternative, Ecolab et Axience de communiquer leurs comptes détaillés ainsi que les rapports des commissaires aux comptes.

En tout état de cause

Condamner in solidum les sociétés Axience et Ecolab à verser à la SAS Gènes Diffusion la somme de 1 980 000, correspondant à 3 années de marge brute sur le produit Platinum augmentée des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

Subsidiairement

Condamner in solidum les sociétés Axience et Ecolab à verser à la SAS Gènes Diffusion la somme de 811 000 euro à titre de dommages et intérêts, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

En tout état de cause

Condamner in solidum les sociétés Axience et Ecolab à verser chacune à la SAS Gènes Diffusion la somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner in solidum les sociétés Axience et Ecolab aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la Selarl Patricia Minault agissant par Maître Patricia Minault avocat au Barreau de Versailles, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières écritures en date du 2 juillet 2014 au terme desquelles la société Ecolab, demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris,

- débouter la société Gènes Diffusion de ses demandes,

- condamner la société Gènes Diffusion à lui payer 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de l'AARPI JRF Avocats, représentée par Maître Emmanuel Jullien, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières écritures en date du 31 juillet 2014 par lesquelles la société Axience, venant également aux droits de la société Alternative, demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris,

- débouter la société Gènes Diffusion de ses demandes,

- condamner la société Gènes Diffusion à lui payer 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Lissargue Dupuis Boccon-Gibod, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées par elles et soutenues à l'audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les agissements prétendument déloyaux :

La société Gènes Diffusion fait grief à la société Alternative, aujourd'hui devenue la société Axience, d'avoir, par des agissements déloyaux, détourné, à son profit le contrat de distribution du Platinum en mettant à disposition de la société Axience les connaissances qu'elle avait de ce produit et de son marché ainsi que des informations privilégiées dont elle avait connaissance dans le cadre de l'exécution du contrat.

La société Gènes Diffusion reproche également à la société Axience sa collusion frauduleuse avec la société Alternative et, à la société Ecolab, le non-renouvellement abusif du contrat de distribution en connivence avec les deux autres sociétés.

L'appelante retient, au titre des agissements déloyaux le fait que, pendant la durée du préavis, faisant suite à l'annonce du non-renouvellement du contrat de distribution, les sociétés Alternative, Axience et Ecolab ont préparé la distribution du produit sous le nom d'Axience.

Les intimées lui répondent justement que cette anticipation n'a rien de déloyal, mais manifeste simplement le souci d'assurer la continuité de la distribution afin d'éviter une interruption de livraison des produits pour cause de changement du distributeur, avec lequel le contrat a été signé seulement en mai 2007. Au demeurant, sur interpellation de la société Gènes Diffusion, la société Ecolab produit un courriel de la société Ferdinand Eimermacher GmbH du 25 juin 2014, relatif à la commande d'étiquettes nouvelles des produits Platinum, qui date cette commande du 6 septembre 2007, date à laquelle le contrat litigieux était parvenu à son terme.

S'agissant des informations privilégiées qu'Alternative aurait acquises de la société Gènes Diffusion dans le cadre de l'exécution du contrat de distribution, cette dernière évoque une durée de collaboration de six années et une expérience cinquantenaire, la mise au point d'une documentation, un savoir-faire technique et commercial, à comparer avec le peu d'expérience d'Alternative, société récente, sans renommée, ni savoir-faire, ni fichier clientèle.

Sur ce point, la société Axience fait pertinemment observer que la société Gènes Diffusion a bénéficié de la part de la société Alcide, devenue Ecolab, d'un simple contrat de distribution et que son prétendu savoir technique ou commercial, ne pouvant constituer en la simple élaboration d'une documentation, ne saurait être revendiqué à titre de compétences particulières, qui auraient été détournées à son préjudice.

Elle ajoute, en effet, que l'attribution de ce marché de distribution du Platinum lui est échue, non tant au regard de ses compétences particulières, mais, d'une part, car elle a absorbé la division de SFAN qui l'avait en portefeuille et que, d'autre part, cette première société s'est trouvée attributaire du contrat à raison des relations privilégiées ayant existé entre le président d'Alcide Corporation et son directeur général de l'époque, Eric Ebstein, qui avait été le directeur du Laboratoire Cadril CSI Coophavet, premier distributeur en France et premier importateur du produit d'hygiène de la traite Uddergold Platinum, comme la société Gènes Diffusion elle-même a pu l'écrire dans ses écritures soumises au Tribunal de commerce de Nanterre, le 20 septembre 2011 ;

Que c'est bien parce que ni SFAN, ni la société Gènes Diffusion n'étaient en mesure de mener à bien, seules, cette distribution, qu'elles se sont adjointes les compétences de la société Alternative, spécialiste reconnu des services destinés à l'industrie vétérinaire en France, pour commercialiser le Platinum et que d'ailleurs, le marché avait déjà largement été pénétré par leurs prédécesseurs entre 1991 et 2000, les sociétés Cadril Coophavet et Merial.

En ce qui concerne le non-renouvellement du contrat de distribution par la société Ecolab pour lequel la société Gènes Diffusion plaide un abus de droit, la société Ecolab lui rétorque exactement que c'est le simple usage de sa liberté contractuelle qui est en jeu ; que le préavis contractuel de six mois qu'elle a signifié à l'appelante était suffisant pour ne pas caractériser un abus de droit et que contrairement à ce qu'elle invoque, les motifs qui ont présidé à cette décision ne sont pas fallacieux.

A cet égard, le tribunal a justement apprécié que la société Ecolab a invoqué dans sa lettre de résiliation du 30 novembre 2006, sa volonté d'avoir une présence plus directe sur le marché français ;

Que cette volonté n'impliquait pas nécessairement, comme le soutenait la société Gènes Diffusion, qu'elle distribue elle-même le produit Platinum, la société Axience ayant été retenue comme distributeur avec pour cible principale, mais non unique, le réseau des vétérinaires (article 2.3 du contrat du 30 mai 2007 avec la société Axience) alors que cette précision ne figurait pas aux contrats passés en 2001 et 2004 entre Alcide/Ecolab et SFAN/Gènes Diffusion, cette dernière étant libre d'agir par tous moyens (agents, revendeurs ou représentants selon l'article 2.3 des dits contrats qui ne distinguaient pas le réseau vétérinaire du réseau inséminateur) ;

Que la société Ecolab, venue aux droits d'Alcide, démontrait que le renouvellement du contrat avec la société Gènes Diffusion allait à l'encontre de ses intérêts, d'une part en raison de la présence dans son portefeuille des produits Valiant concurrent direct du Platinum dont elle souhaitait séparer les distributions, d'autre part en raison de sa volonté de spécialiser les circuits de distribution entre circuit laiterie et magasins agricoles, circuit vétérinaire avec Axience pour le Platinum et circuit génétique avec ABS Genus pour le Valiant distribué par sa filiale Bovec ;

Qu'à l'appui de ses dires, elle versait aux débats les différents contrats spécialisés qu'elle avait mis en place avec Axience (30 mai 2007) et avec ABS Genus (1er mai 2007) et qu'il convenait, dans ces conditions, de retenir la bonne foi de la société Ecolab dans sa décision et son droit de ne pas renouveler le contrat de distribution de la société Gènes Diffusion.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les prétendus agissements déloyaux dont la société Gènes Diffusion se prévaut à l'encontre des sociétés intimées ne sont pas matérialisés et que c'est donc à bon droit que le tribunal l'a déboutée de ses demandes indemnitaires au titre de la concurrence déloyale, ce que la cour confirme, tout comme elle rejette les demandes de communication de pièces formées devant elle à l'encontre des intimées, pour étayer un préjudice, qu'en tout état de cause, elle n'établit pas, à défaut pour elle de rapporter la preuve d'une faute de leur part, tirée de l'application de l'article 1382 du Code civil.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile :

Il est équitable d'allouer à la société Ecolab et la société Axience, chacune, une indemnité de procédure de 5 000 euro. La société Gènes Diffusion qui succombe, sera en revanche déboutée de ses demandes de ce chef.

Par ces motifs LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, Confirme le jugement entrepris du Tribunal de commerce de Nanterre du 21 février 2013 en toutes ses dispositions, Et y ajoutant, Condamne la société par actions simplifiée Gènes Diffusion à payer à la société en nom collectif Ecolab et la société par actions simplifiée Axience, chacune, la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société par actions simplifiée Gènes Diffusion aux dépens d'appel, Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.