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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 30 octobre 2014, n° 14-10045

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

MAD Editions (SARL)

Défendeur :

Société d'Agences et de diffusion (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aubry-Camoin

Conseillers :

M. Fohlen, Prieur

Avocats :

Mes Bolla, Jauffres, Fournet

T. com Antibes, du 14 févr. 2014

14 février 2014

FAITS - PROCEDURES - DEMANDES

La SARL MAD Editions édite la revue trimestrielle "Ové Magazine" d'informations générales et satiriques paraissant sur 8 pages et vendues 3 euro.

Entre cette société "Editeur" et la SA d'Agences et de Diffusion "Dépositaire" a été conclue le 14 octobre 2010 une "convention de distribution", pour une durée indéterminée avec possibilité de résilier moyennant un préavis de 3 mois ; aux termes de ce contrat la revue est livrée par la première société à la seconde, qui par son réseau d'agents la met à disposition du public en percevant un taux de commissions fixé à 25 % du prix ci-dessus. Il est notamment stipulé :

"6°) Invendus - Les invendus seront conservés par le Dépositaire et récupérés par l'Editeur sous un mois après règlement du numéro considéré, délai au-delà duquel le Dépositaire sera en droit de les détruire.

"Les invendus n'entraîneront aucun frais, hors ceux éventuels d'expédition de retour qui seraient à la charge de l'Editeur".

Par lettre du 11 avril 2012 la Société d'Agences et de Diffusion a notifié à la société MAD Editions la cessation de la distribution de Ové Magazine à l'échéance du délai de 3 mois soit le 15 juillet, au motif que "le niveau des ventes de votre titre ne nous permet pas d'équilibrer les comptes".

Le 28 mai 2013 la société MAD Editions a fait assigner la Société d'Agences et de Diffusion devant le Tribunal de commerce d'Antibes en paiement de factures pour les numéros 38 à 42 de la revue invendus mais non restitués malgré ses demandes, en reprise de la distribution, et à défaut en rupture abusive, le tout au visa des articles 1134, 1147, 1154 et 1915 du Code civil ainsi que L. 442-6 du Code de commerce; un jugement du 14 février 2014 visant les articles 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, 4 du Code de procédure civile, 1134 et suivants du Code civil, L. 442-6 du Code de commerce, et la loi n° 47-585 du 2 avril 1947, a :

- constaté qu'aux termes de la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société MAD Editions cette dernière prétend que cette loi de 1947 porte atteinte à la liberté de la presse garantie par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ;

- constaté que cette loi n'est pas applicable au litige qui oppose les parties ;

- constaté que la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société MAD Editions est dénuée de sérieux ;

- déclaré irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité ;

- dit la société MAD Editions mal fondée en sa demande de paiement et l'en déboute ;

- dit que la résiliation du contrat est conforme à ses dispositions signées entre les parties ;

- débouté la société MAD Editions en toutes ses demandes ;

- condamné la même à payer la somme de 2 500 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL MAD Editions a interjeté appel le 1er avril 2014, et a conclu le 1er juillet "aux fins de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité" en soutenant notamment que :

- il est d'usage et de bon sens que les invendus non restitués par le dépositaire à l'éditeur qui est leur propriétaire lui soient facturés au prix public diminué de sa commission, ce qui l'incite à les restituer;

- ses demandes de restitution auprès de la Société d'agences et de Diffusion se sont heurtées à l'inertie de cette dernière, qui a résilié le contrat pour un motif vide de sens puisque le dépositaire réalise son bénéfice par péréquation sur la totalité des titres qu'il distribue ;

- la loi de 1947 s'applique à tout litige portant sur la presse imprimée ;

- selon la décision n° 84-181 du 11 octobre 1984 du Conseil constitutionnel la liberté de la presse doit être effective; aucun des 3 moyens dont dispose l'éditeur qui souhaite diffuser un journal en France (par lui-même alors qu'il existe plus de 28 000 détaillants ; faire appel à des dépositaires avec une relation précaire et alors qu'ils sont tous dans une situation de monopole de fait; faire appel aux messageries qui ne sont 2 et qui imposent leurs conditions) ne garantit la diffusion à des conditions financières susceptibles d'assurer cette liberté effective de la presse, de sorte que cette loi (moyens que l'éditeur jugera les plus convenables) est contraire à l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

L'appelante demande à la cour, vu les articles 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, et 10 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, de :

- transmettre à la cour de cassation la présente question prioritaire de constitutionnalité;

- surseoir à statuer dans l'attente.

Le Procureur général près la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a conclu le 4 juillet 2014 à la confirmation du jugement.

Concluant le 29 août 2014 la SA d'Agences et de Diffusion répond notamment que :

- la loi du 2 avril 1947 n'est pas applicable puisque relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des périodiques, alors que la société MAD Editions a fait le choix de préférer à celles-ci une société dépositaire de presse comme elle-même;

- les invendus de Ové Magazine étaient d'environ 90 %, d'où pour elle-même une logistique et des manipulations importantes; la société MAD Editions n'a jamais récupéré les invendus dans le délai convenu ni sollicité leur restitution, ce qui fait qu'elle-même a procédé à leur destruction;

- la question prioritaire de constitutionnalité est irrecevable : la loi de 1947 n'est pas applicable au litige, la convention du 14 octobre 2010 comme les demandes formées par la société MAD Editions visant non celle-ci mais uniquement les articles 1134, 1147, 1154 et 1915 du Code civil ainsi que l'article L. 442-6 du Code de commerce ; elle-même n'exerce pas une activité de groupage et de distribution de la presse;

- en permettant à tout éditeur de diffuser librement ses publications la loi de 1947 constitue une garantie de la liberté de la presse; la société MAD Editions opère une confusion entre la liberté de la diffusion de la presse, et le coût lié à cette diffusion qu'il est normal que l'éditeur supporte; un dépositaire est libre de choisir son cocontractant; cette société peut diffuser son titre, malgré la résiliation de la convention de 2010, en se rapprochant des messageries de presse ou directement des diffuseurs de presse, ainsi que par la voie postale et électronique.

L'intimée demande à la cour, vu les articles 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, 4 du Code de procédure civile, et la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 de :

- constater qu'aux termes de la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société MAD Editions cette dernière prétend que la loi ci-dessus porte atteinte à la liberté de la presse garantie par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ;

- constater que cette loi n'est pas applicable au litige ;

- constater que la question posée par la société MAD Editions est dénuée de sérieux ;

- déclarer irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité posée par cette société.

MOTIFS DE L'ARRET

Les réclamations de la société MAD Editions sont fondées pour partie sur l'article L. 442-6 du Code de commerce, dont le I-5° sanctionne la rupture brutale d'une relation commerciale établie. Cette dernière a existé avec la Société d'Agences et de Diffusion du 14 octobre 2010 au 15 juillet 2012 soit pendant 21 mois. Mais la rupture n'a pas été brutale puisqu'elle est intervenue à l'échéance du préavis contractuel de 3 mois, et doit donc être requalifiée en rupture injustifiée et/ou abusive.

La loi n° 47-585 du 2 avril 1947 invoquée par la société MAD Editions est "relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques", alors que la société d'Agences et de Diffusion ne fait pas partie de ces entreprises puisqu'elle une société dépositaire de presse.

C'est donc à bon droit que le tribunal de commerce a déclaré irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité posée par la société MAD Editions sur le fondement d'une loi qui n'est pas applicable au litige, ce qui conduit la cour à confirmer le jugement.

DECISION

LA COUR, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire, Confirme le jugement du 14 février 2014 uniquement pour avoir, Constaté qu'aux termes de la question prioritaire de constitutionnalité posée par la SARL MAD Editions cette dernière prétend que la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 porte atteinte à la liberté de la presse garantie par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, Constaté que cette loi n'est pas applicable au litige qui oppose les parties, Constaté que la question prioritaire de constitutionnalité posée par la SARL MAD Editions est dénuée de sérieux, Déclaré irrecevable la question prioritaire de constitutionnalité, Condamne la SARL MAD Editions aux entiers dépens de sa demande de question prioritaire de constitutionnalité.