CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 14 novembre 2014, n° 14-06881
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Association Qualibat
Défendeur :
Khalibat (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Aimar
Conseillers :
Mmes Renard, Nerot
Avocats :
Mes Baechlin, Micallef
L'association Qualibat, dont les statuts ont été adoptés le 21 septembre 1949, a été déclarée en préfecture le 28 septembre 1949.
Elle a pour objet d'apporter aux donneurs d'ordre et maîtres d'ouvrage, qu'ils soient privés ou publics, et aux prescripteurs, des éléments d'appréciation sur les activités, les compétences professionnelles et les capacités des entreprises exerçant une activité dans le domaine de la construction. Pour la réalisation de cet objet, elle développe et gère ainsi différents systèmes d'appréciation et d'évaluation, telles les qualifications professionnelles et les certifications de métiers ou de qualité.
Un règlement général, dont le texte est arrêté par le conseil d'administration, détermine les conditions dans lesquelles sont délivrées aux entreprises les différentes prestations.
L'association Qualibat est titulaire de la marque collective de certification Qualibat n° 03 3 257 778, déposée le 19 novembre 2003 et enregistrée le 23 avril 2004 en classes 35, 37, 38, 41 et 42.
Ayant constaté l'existence de la société Khalibat, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bobigny sous le numéro 753 793 363 depuis le 17 octobre 2012, et exerçant une activité d'entreprise générale du bâtiment, tous corps d'état, et estimant que cette dernière porte ainsi atteinte d'une part à ses droits sur la marque Qualibat n° 03 3 257 778 et d'autre part à sa dénomination, l'association Qualibat, après l'envoi le 2 novembre 2012 par l'intermédiaire de son conseil en propriété industrielle d'une mise en demeure et le 27 novembre 2012 d'une relance, l'association Qualibat a, selon acte d'huissier en date du 20 mars 2013, fait assigner la société Khalibat en contrefaçon de marque collective de certification et atteinte à sa dénomination, devant le Tribunal de grande instance de Paris.
La société Khalibat a constitué avocat devant le tribunal mais n'a pas conclu.
Par jugement en date du 28 novembre 2013 le Tribunal de grande instance de Paris a débouté l'association Qualibat de ses demandes en contrefaçon de la marque française verbale collective n° 03 3 257 778 déposée le 19 novembre 2013, atteinte à sa dénomination sociale et concurrence déloyale, rejeté la demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile et dit n'y a voir lieu à exécution provisoire.
L'association Qualibat a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 26 mars 2014.
Par dernières écritures notifiées par voie électronique le 25 juin 2014, auxquelles il est expressément renvoyé, l'association Qualibat demande à la cour, au visa des articles 16 et 467 et suivants du Code de procédure civile, L. 713-3, L. 715-1 et suivants, L. 716-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, L. 120-1 et L. 121-1 du Code de la consommation et 1382 du Code civil, de :
- la dire recevable et fondée en son appel du jugement du 28 novembre 2013,
- annuler ledit jugement,
A titre subsidiaire, infirmer le jugement et statuant à nouveau,
- dire et juger que la société Khalibat commet des actes de contrefaçon de la marque française collective de certification Qualibat n° 03 3 257 778,
- dire et juger que la société Khalibat commet des actes de parasitisme portant atteinte à sa dénomination ou à son titre,
En conséquence,
- interdire à la société Khalibat tout usage sous quelque forme, de quelque manière, et à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement par toute personne morale ou physique interposée, du signe Khalibat, ou de tout autre signe incluant la dénomination Qualibat, ou l'imitant, pris seul ou en combinaison, et ce sous astreinte de 500 euro par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- ordonner à la société Khalibat de changer de dénomination sociale, et de procéder aux modifications statutaires nécessaires, et ce sous astreinte de 1 500 euro par jour de retard passé un délai d'un mois après la signification de l'arrêt à intervenir,
- ordonner à la société Khalibat de procéder aux démarches nécessaires auprès du registre du commerce et des sociétés afin de faire inscrire son changement de dénomination sociale, et ce sous astreinte de 1 500 euro par jour de retard passé un délai d'un mois après la signification de l'arrêt à intervenir,
- dire que la cour se réservera la liquidation des astreintes ainsi prononcées,
- condamner la société Khalibat à lui verser la somme de 5 000 euro, pour les actes de contrefaçon de sa marque collective de certification,
- condamner la société Khalibat à lui verser la somme de 5 000 euro, en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte portée à sa dénomination,
- ordonner la publication du jugement à intervenir (en réalité de l'arrêt), aux frais de la société Khalibat, dans cinq journaux ou revues de son choix pour un montant de 3 500 euro HT par publication,
- condamner la société Khalibat à lui verser la somme de 8 000 euro, par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Khalibat en tous les dépens de l'instance, dont distraction au profit de son conseil en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par acte d'huissier en date du 27 juin 2014 contenant notification des conclusions du 25 juin 2014 et valant dénonciation de la déclaration d'appel, l'association Qualibat a fait assigner la société Khalibat devant la cour. L'acte a été délivré dans les conditions de l'article 656 du Code de procédure civile.
SUR CE,
Sur la demande en annulation du jugement
Considérant que l'association Qualibat sollicite à titre principal l'annulation du jugement du 28 novembre 2013 aux motifs que la société Khalibat ayant constitué avocat selon les termes mêmes de la décision, le tribunal aurait dû statuer par jugement contradictoire au vu des éléments dont il disposait en application de l'article 469 Code de procédure civile et non pas appliquer l'article 472 du même Code sans lui permettre de faire valoir ses arguments en réponse, en méconnaissant ainsi les dispositions du Code de procédure civile ainsi que le principe du contradictoire ; qu'elle ajoute avoir été déboutée pour des motifs dont elle n'avait pas eu connaissance avant que le jugement ne soit rendu et dont elle n'a pu débattre ;
Mais considérant que cette demande est sans objet dès lors que la voie de l'appel réformation est ouverte au cas d'espèce et qu'aucun excès de pouvoir n'est invoqué ;
Sur la contrefaçon de marque
Considérant qu'il a été dit que l'association Qualibat est titulaire de la marque française collective de certification Qualibat n° 03 3 257 778, déposée le 19 novembre 2003 et enregistrée 23 avril 2004, en classes 35, 37, 38, 41 et 42 ;
Qu'il résulte des pièces versées aux débats que la société Khalibat a été immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Bobigny sous cette dénomination le 17 octobre 2012 et exerce une activité "d'entreprise générale du bâtiment, tous corps d'état" conformément à ses statuts ;
Considérant que les signes en présence étant différents, c'est au regard de l'article 713-3 b) du Code de la Propriété Intellectuelle qui dispose que "sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public, l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement", qu'il convient d'apprécier la demande en contrefaçon ;
Qu'il y a lieu plus particulièrement de rechercher si, au regard d'une appréciation des degrés de similitude entre les signes et entre les produits désignés, il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ;
Que la marque Qualibat n° 03 3 257 778 a été déposée le 19 novembre 2003 pour désigner notamment en classes 37 et 42 les produits et services suivants :
"construction d'édifices permanents, de route, de ponts, informations en matière de construction, supervision (direction de travaux de construction), maçonnerie, travaux de plâtrerie ou de plomberie, (...), travaux de restauration de bâtiments, (...), travaux de vitrerie, (...), installations de chauffages, installation de conduite d'eau, de gaz et électricité, (...) installation de climatiseurs, travaux et maintenance d'installation thermique de climatisation, (...) travaux de peinture, ravalement de façade, (...), isolation thermique, frigorifique et acoustique, (...), services d'isolation, (...), câblage, (...), certifications et agréments d'entreprises exerçant une activité dans le domaine du bâtiment" ;
Que la société Khalibat exerce une activité "d'entreprise générale du bâtiment, tous corps d'état" qui se rapporte donc à des produits identiques ou similaires par complémentarité à ceux visés dans l'enregistrement de la marque ;
Que l'appréciation de la similitude visuelle, auditive et conceptuelle des signes doit être fondée sur l'impression d'ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants ;
Que d'un point de vue visuel, les signes en cause sont constitués du même nombre de lettres (huit) et comportent la même séquence de six lettres [ALIBAT] suivant les deux premières "QU" pour la marque et "KH" pour la dénomination ;
Que d'un point de vue phonétique, ils se prononcent de la même manière pour être composés des trois mêmes syllabes [ka], [li] et [bat], la substitution des lettres "KH" aux lettres "QU" n'ayant sur ce plan aucune incidence ;
Que d'un point de vue conceptuel, la marque antérieure Qualibat et la dénomination Khalibat font toutes deux référence aux termes "qualité" et "bâtiment" ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'identité ou la similarité des produits et services concernés alliée à la forte similitude entre les signes en cause pris dans leur ensemble entraîne un risque de confusion que la substitution des lettres d'attaque n'est pas de nature à exclure ou même à atténuer, le consommateur d'attention moyenne étant amené à associer les signes en cause et notamment à croire qu'il existe un lien entre les produits et services visés par la marque collective de certification et l'activité de la société Khalibat ;
Qu'ainsi, en adoptant la dénomination Khalibat, l'intimée a donc commis des actes de contrefaçon de la marque française collective de certification Qualibat n° 03 3 257 778 dont est titulaire l'association appelante et il y a donc lieu d'infirmer le jugement sur ce point ;
Sur l'atteinte à la dénomination de l'association Qualibat
Considérant que l'association appelante intervient, sous la dénomination Qualibat, dans le secteur du bâtiment et de la construction et délivre en particulier des certifications et des agréments à des entreprises répondant à de nombreux critères contraignants ;
Que la société Khalibat exerce son activité dans le domaine du bâtiment, de sorte que les parties ont des activités qui relèvent du même secteur ou, à tout le moins, d'un secteur complémentaire dès lors que la société intimée pourrait prétendre à obtenir un agrément délivré par l'association appelante ;
Qu'il a été dit que la société intimée, qui ne figure pas parmi la liste des entreprises certifiées Qualibat, utilise pour exercer son activité, le signe Khalibat qui présente des ressemblances visuelles, phonétiques et conceptuelles avec la dénomination de l'association Qualibat ;
Que ce faisant elle porte atteinte aux droits de l'appelante en tirant profit de son nom et de sa réputation en faisant croire au consommateur qu'elle bénéficie d'une certification qu'elle ne possède pas ;
Qu'il s'agit en outre d'une pratique commerciale déloyale et trompeuse, qui contrevient aux dispositions des articles L. 120-1 et L. 121-1 du Code de la consommation dès lors que le consommateur sera amené à croire que la société Khalibat remplit les critères exigés par l'association Qualibat, laquelle justifie par la production aux débats de son règlement général que les règles de certification dans le domaine du bâtiment répondent à des critères de qualité et de performance précisément définis ;
Considérant que ces agissements constituent à l'égard de l'association Qualibat, habilitée à délivrer des qualifications professionnelles et des certifications de métiers ou de qualité, des actes de concurrence déloyale et de parasitisme ;
Sur les mesures réparatrices
Considérant qu'il sera fait droit à la demande de modification sollicitée dans les conditions énoncées au dispositif de la présente décision ;
Que cette mesure étant suffisante à faire cesser les actes illicites, il n'y a pas lieu de faire droit en outre à la demande d'interdiction au demeurant indéterminée ;
Considérant que le préjudice subi par l'association Qualibat consiste non seulement dans le trouble qu'elle a subi dans sa mission de certification, mais également dans l'atteinte portée aux droits qu'elle détient sur sa marque, laquelle se trouve au surplus dévalorisée par un tel usage illicite ;
Qu'en réparation, il convient de lui allouer la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts au titre de la contrefaçon de marque ainsi que la même somme de 5 000 euro au titre des actes parasitaires commis à son encontre ;
Qu'il y a lieu en outre, à titre de complément d'indemnisation, d'autoriser la publication du présent arrêt selon les modalités précisées au dispositif ;
Sur les autres demandes
Considérant qu'il y a lieu de condamner la société Khalibat, partie perdante, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Qu'en outre, elle doit être condamnée à verser à l'association Qualibat, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 5 000 euro.
Par ces motifs, Déclare sans objet la demande d'annulation du jugement rendu le 28 novembre 2013 entre les parties par le Tribunal de grande instance de Paris, Infirme ledit jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, Dit qu'en adoptant la dénomination Khalibat, la société Khalibat a commis des actes de contrefaçon de la marque française collective de certification Qualibat n° 03 3 257 778 dont est titulaire l'association Qualibat, Dit que, ce faisant, la société Khalibat a en outre commis des actes de parasitisme portant atteinte à la dénomination ou au titre de l'association Qualibat. En conséquence, Ordonne à la société Khalibat de changer de dénomination sociale, de procéder aux modifications statutaires nécessaires, et de procéder aux démarches nécessaires auprès du registre du commerce et des sociétés afin de faire inscrire son changement de dénomination sociale, et ce sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard passé un délai de six mois après la signification du présent arrêt, Condamne la société Khalibat à verser à l'association Qualibat la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon de marque, Condamne la société Khalibat à verser à l'association Qualibat la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte portée à sa dénomination, Ordonne la publication du présent arrêt aux frais de la société Khalibat, dans trois journaux ou revues au choix de l'association Qualibat et dans la limite de 3 500 euro HT par publication, Condamne la société Khalibat à verser à l'association Qualibat la somme de 5 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.