CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 26 novembre 2014, n° 12-14917
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Carly's (SARL)
Défendeur :
Gaastra France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Fromantin, Vidaud, Lebert, Janiszek
Faits et procédure
La société anonyme Gaastra France (Gaastra) (anciennement McGregor France) exploite sous la marque McGregor une activité de fabrication et vente de vêtements.
La société à responsabilité limitée Carly's a signé le 16 mars 2004 un contrat de franchise avec la société McGregor afin d'exploiter une boutique à Versailles 5, Rue Ducis. Le contrat a été conclu pour une durée de cinq ans avec effet au premier septembre 2004.
Le 13 septembre 2005, la société Carlyssim, qui a les mêmes dirigeants que la société Carly's, la famille Lascar, et la société McGregor signaient un contrat de franchise pour l'exploitation d'un magasin à l'enseigne McGregor à Rouen, avec effet au premier février 2006, pour une période de cinq années.
Le 5 mai 2009 par lettre recommandée avec accusé de réception, la société Carlyssim notifiait à la société McGregor sa volonté de ne pas renouveler le contrat de franchise signé le 16 mars 2004 avec la société Carly's. Elle indiquait : "Comme vous le savez, le contrat initialement conclu avec la société Carly's le 16 mars 2004 a été repris avec votre accord de sorte que la société Carly's n'a plus aucun rapport contractuel avec votre société depuis lors."
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 août 2009, la société McGregor contestait la validité de la résiliation considérant que le contrat était conclu intuitu personae et qu'il était renouvelé avec la société Carly's pour cinq années.
La société Carly's ne procédait depuis lors à aucune nouvelle commande auprès de la société McGregor.
Estimant avoir subi une perte de marge et ne pas avoir reçu paiement de certaines commandes livrées pour 617 164, 67 euros, la société McGregor a, par acte en date du 16 décembre 2010, fait assigner la société Carly's en réparation de son préjudice et paiement des sommes dues.
Par jugement du 4 juillet 2012, le Tribunal de commerce de Paris a :
- Dit irrecevable toute demande envers la société Carlyssim ;
- Débouté la société SA McGregor France de sa demande de résiliation unilatérale aux torts et griefs exclusifs de la société Carly's ;
- Débouté la société McGregor France de sa demande d'indemnisation ;
- Condamné la société Carly's à payer à la société McGregor France la somme de 67 164,67 au titre du solde des fractures, majorée des intérêts légaux à partir du 16 décembre 2010 ;
- Débouté la société Carly's de sa demande de délais de paiement ;
- Débouté la société Carly's de ses demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- Condamné la société Carly's à verser à la société McGregor France la sommé de 3 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;
- Condamné la société Carly's aux dépens.
La société Carly's a interjeté appel de cette décision le 3 août 2012.
Par conclusions du 30 septembre 2014 auxquelles il y a lieu de se référer pour un plus ample exposé des faits et moyens, la société Carly's demande à la cour de :
- Recevoir et dire bien fondée en ses demandes la société Carly's ;
- Constater que la société Carlyssim est venue se substituer à la société Carly's dans l'exécution du contrat de franchise de la boutique de Versailles ;
En conséquence,
- Confirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a débouté la société McGregor France de sa demande de résiliation unilatérale aux torts et griefs exclusifs de la société Carly's ;
- Confirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a débouté la société McGregor France de sa demande d'indemnisation ;
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Carly's à payer à la société McGregor France la somme de 67 164,67 au titre du solde des factures, majorée des intérêts légaux à partir du 16 décembre 2010 en raison de la substitution de contractant intervenue avec l'accord de franchiseur au profit de la société Carlyssim et qui a entraîné de façon subséquente la cessation définitive des relations contractuelles avec la société Carly's à compter du 1er septembre 2005 ;
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Carly's de sa demande de condamnation de la société McGreggor France au titre des dommages et intérêts pour procédure abusive ;
A titre subsidiaire :
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Carly's de sa demande de délai de paiement ;
En toute hypothèse :
- Débouter la société McGregor France de la totalité de ses demandes ;
- Condamner la société McGregor France à payer la somme de 10 000 à la société Carly's au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner la société McGregor France à payer la somme de 15 000 à la société Carly's au titre de la procédure abusive ;
- Condamner la société McGregor France aux dépens.
La société Carly's expose que jusqu'au premier septembre 2005, le contrat de franchise signé le 16 mars 2004 a été exécuté par la société Carly's qui refacturait à la société Carlyssim l'intégralité des sommes dues au titre du contrat de franchise et que le 13 septembre 2005, les sociétés Carlyssim et McGregor ont signé un nouveau contrat de franchise, qui régularisait l'exploitation du magasin de Versailles et étendait la franchise à une nouvelle boutique à créer à Rouen. Elle ajoute qu'ainsi, à compter du mois de septembre 2005, elle n'a plus eu de contacts avec la société McGregor France.
L'appelante estime qu'elle n'est plus le cocontractant de la société Gaastra France depuis le premier septembre 2005, que la société Carlyssim s'est substituée à elle, que de nombreux éléments de fait le démontrent, l'immatriculation de la société Carlyssim à Versailles, la modification du destinataire des correspondances, des facturations, des relevés de comptes, des bons de livraison, des avoirs.
Elle estime que la résiliation du contrat de franchise du 16 mars 2004 n'est pas abusive, et qu'elle n'est pas la débitrice de la société McGregor.
Par conclusions du 8 septembre 2014 auxquelles il y a lieu de se référer pour un plus ample exposé des faits et motifs, la société Gaastra France (anciennement McGregor France) demande à la cour de :
au visa des articles 1134, 1152 et 1292 et suivants du Code civil,
- Dire la société Gaastra France recevable et bien fondée en ses prétentions,
- Dire que la société Carly's a engagé sa responsabilité par son comportement fautif envers la société Gaastra France,
- Condamner la société Carly's à indemniser la société Gaastra France de l'intégralité de ses préjudices subis, au titre de la perte de marge, soit 250 000 euros,
- Condamner la société Carly's à lui payer la somme de 67 164,67 euros au titre des factures impayées avec intérêts de droit,
- Condamner la société Carly's à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Débouter la société Carly's de l'intégralité de ses demandes,
- Condamner la société Carly's aux entiers dépens.
L'intimée estime qu'elle a produit en effet aux débats les bons de livraisons, les factures, ainsi que l'état du compte de la société Carly's dans ses livres desquels il ressort qu'une partie des marchandises livrées au franchisé n'a pas été réglée par celui-ci.
L'intimée expose être liée à la société Carly's par le contrat de franchise en date du 16 mars 2004 et à la société Carlyssim par contrat de franchise en date du 13 septembre 2005, que le contrat de franchise du 13 septembre 2005 ne vient ni se substituer à celui du 16 mars 2004, ni opérer une quelconque novation laquelle ne peut être présumée par une éventuelle délégation entre les deux sociétés, alors que la volonté de nover n'apparaît pas, qu'elle n'a pas déchargé la société Carly's de ses obligations, que le contrat de franchise est conclu intuitu personae.
La société Gaastra expose que la société Carlyssim ne pouvait agir, en qualité de tiers au contrat, pour dénoncer le contrat, que la résiliation qu'elle lui a fait connaître est sans effet et reproche à la société Carly's des fautes contractuelles, n'exécutant pas le contrat et ne payant pas ses dettes.
Elle soutient qu'elle a perdu une chance de renouveler le contrat, soit l'équivalent de cinq années de marge brute sur les ventes prévisibles ainsi qu'un point de vente important sur Versailles.
SUR CE,
Sur la qualité de la société Carly's :
Considérant que la société McGregor a conclu deux contrats avec les sociétés Carly's et Carlyssim ayant des objets distincts, que le contrat de franchise signé avec la société Carlyssim le 13 septembre 2015 ne précise nullement que la société Carlyssim est substituée dans les droits et obligations contractées par la société Carly's dans le contrat signé le 13 septembre 2005 dont l'article 2.3 stipule que le franchisé conduira l'activité objet du présent contrat "uniquement dans et à partir des locaux sis à Rouen, 111 rue des Carmes",
Considérant qu'il est soutenu que le contrat signé par la société McGregor et la société Carly's le 16 mars 2004 a, à compter de la date de signature du contrat du 13 septembre 2005, été exécuté par la société Carlyssim et que la société McGregor l'a accepté, émettant sur les documents commerciaux le même numéro de client pour les deux sociétés, adressant bons de livraison, livraisons et factures à la société Carlyssim pour le magasin de Versailles,
Considérant toutefois que, comme le rappelle la société intimée, la délégation par laquelle la société Carly's a pu donner à la société McGregor un autre débiteur, en l'espèce, la société Carlyssim, n'a pas pour autant emporté novation ; que même si la société Carlyssim a été le seul interlocuteur de McGregor pendant plusieurs années, la novation avec substitution d'un nouveau débiteur devait résulter d'une manifestement de volonté expresse de la part de la société McGregor laquelle ne peut être trouvée dans les documents invoqués,
Considérant dès lors que la société Carly's reste tenue envers la société McGregor,
Sur le paiement des factures :
Considérant que les factures dont le paiement est demandé concernent des marchandises livrées au magasin de Versailles, objet du contrat de franchise signé par les parties le 14 mars 2004, que la société Carly's ne justifie pas avoir réglé les sommes demandées par la société McGregor ; que le jugement sera confirmé sur ce point,
Sur la résiliation du contrat de franchise :
Considérant que le contrat de franchise signé le 16 mars 2004 précisait en son article 17.2 : " ... Le présent accord fera ensuite l'objet d'un renouvellement pour une période de cinq ans... sous réserve du consentement exprès des parties sur ses modalités et conditions, au moins trois (3) mois avant l'expiration de la période initiale ...", que ce contrat avait effet le premier septembre 2004 et expirait le 31 août 2009,
Considérant que par courrier du 5 mai 2009, la société Carlyssim déclarait vouloir mettre fin aux relations des parties par le non-renouvellement de ce contrat ;
Considérant que la société Carlyssim n'avait pas qualité pour prendre la décision de mettre fin au contrat signé par la société Carly's et la société McGregor,
Considérant que les conditions de renouvellement du contrat telles qu'elles sont stipulées par l'article 17 rappelé ci-dessus n'étaient pourtant pas réunies ; qu'en effet, une manifestation de volonté expresse des parties sur les conditions de renouvellement était nécessaire, qui n'a pas eu lieu ; que si la société McGregor soutient avec raison que la société Carly's n'entreprenant aucune démarche, les parties ne pouvaient s'entendre sur le renouvellement du contrat et qu'elle a ainsi perdu la chance de souscrire un nouvel accord, il apparaît que les circonstances de la cause, la mauvaise exécution du contrat de franchise, la substitution voulue par la société Carly's, excluaient à l'évidence toute possibilité de renouvellement du contrat ; que la société Carly's avait manifesté de façon non équivoque sa volonté de ne pas poursuivre ce contrat de sorte que la chance pour la société McGregor de voir renouveler le contrat est nulle ;
Considérant que le contrat de franchise avait une durée déterminée et qu'il pouvait ne pas être reconduit ; que dès lors, la société McGregor ne peut demander de dommages-intérêts pour réparer le préjudice que lui cause la perte du point de vente de Versailles,
Considérant que la demande de dommages-intérêts de la société McGregor pour résiliation abusive sera rejetée,
Sur la procédure abusive :
Considérant que l'accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d'intenter une action en justice est susceptible de constituer un abus ;
Considérant, en l'espèce, que la société McGregor a eu partiellement gain de cause ce qui exclut alors tout abus du droit d'agir de sa part ; que la demande de la société Carly's sera rejetée et le jugement entrepris confirmé sur ce point ;
Sur les délais de paiement :
Considérant que la société Carly's demande l'octroi de délais de paiement, précisant avoir exécuté la décision assortie de l'exécution provisoire et se trouver dans une situation financière critique,
Considérant qu'il n'y a pas lieu en l'espèce d'accorder des délais de paiement à l'appelante,
Par ces motifs : LA COUR, confirme le jugement, Condamne la société Carly's à payer à la société McGregor la somme de 3 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles, Condamne la société Carly's aux dépens.