CA Versailles, 14e ch., 4 décembre 2014, n° 14-04610
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Diagnostica Stago (SAS)
Défendeur :
Bio Service Antilles (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sommer
Conseillers :
Mmes Catry, Grison-Pascail
Avocats :
Mes Debray, Bricogne, Ricard, Boubée
FAITS ET PROCÉDURE
La société Diagnostica Stago (la société Stago) produit des matériels d'analyse et de réactifs, produits biologiques et chimiques.
La société Bio Service Antilles (la société BSA) a distribué les produits de la société Stago pendant plusieurs années aux Antilles, selon un contrat de distribution exclusive conclu en 2002.
Les relations commerciales entre les deux sociétés ont cessé en 2013.
Sur requête de la société BSA, présentée sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, le président du Tribunal de commerce de Nanterre a, par une ordonnance du 5 mars 2014, autorisé cette société à pratiquer diverses mesures, en commettant un huissier de justice aux fins notamment de se rendre dans les locaux de la société Stago à Asnières sur Seine (92600) et dans ceux de deux autres sociétés à Le Lamentin (97232) avec lesquelles la société Stago a traité, de se faire remettre, prendre copie et séquestrer des documents, contrats, échanges de correspondance et fichiers informatiques permettant notamment d'établir des faits de restriction aux règles de concurrence et de concurrence déloyale.
Le 8 avril 2014, Me Nunes, huissier de justice à Rueil Malmaison, assisté d'un expert informatique et Me Desneuf, huissier de justice à Fort-de-France, assisté lui aussi d'un expert informatique, ont procédé aux opérations décrites dans l'ordonnance et ont appréhendé un nombre important de copies de documents.
La société Stago a demandé la rétractation de l'ordonnance.
Par ordonnance du 4 juin 2014, le président du tribunal de commerce a débouté la société
Stago de sa demande de rétractation et a débouté la société BSA de sa demande reconventionnelle tendant à déterminer en présence de l'huissier de justice les pièces pouvant être communiquées.
Le 17 juin 2014, la société Stago a relevé appel de l'ordonnance.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions, reçues au greffe le 25 septembre 2014, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Stago conclut :
- à l'infirmation de l'ordonnance
- à la rétractation de l'ordonnance rendue sur requête le 5 mars 2014
- à la restitution de tous les documents saisis
- à ce qu'il soit fait interdiction à la société BSA de se prévaloir des pièces appréhendées sous astreinte de 100 000 euro par infraction constatée
- au débouté des demandes de la société BSA
- à la condamnation de la société BSA au paiement de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient essentiellement que $
- le président du tribunal de commerce n'était pas compétent au regard des fondements juridiques invoqués par la société
- l'ordonnance sur requête est nulle pour avoir été rendue en considération de pièces confidentielles, à savoir un échange entre avocats
- l'ordonnance sur requête est nulle pour être signée par un autre magistrat que celui qui "en a délibéré", dont le nom figure dans l'entête de l'ordonnance
- l'exécution de l'ordonnance n'a pas été précédée de l'indication des voies de recours mais a été précédée de l'indication d'une voie de recours inexacte
- l'ordonnance a été rendue sur des motifs de droit erronés, la société BSA ayant trompé le magistrat dans sa requête
- les mesures ordonnées s'analysent par leur généralité en une véritable perquisition et excèdent ce qui peut être ordonné sur requête
- la demande reconventionnelle formée en appel par la société ESA tendant à la déconfidentialisation de pièces est irrecevable
Aux termes de ses dernières conclusions, reçues au greffe le 4 septembre 2014, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société BSA conclut :
A titre principal
- à la confirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté les demandes de rétractation et de restitution des documents appréhendés
A titre subsidiaire:
- à la modification de l'ordonnance du 5 mars 2014 en ne rétractant que sur les seuls points de la mission relative aux pratiques anticoncurrentielles et restrictives de concurrence suspectées
En toute hypothèse,
- à l'infirmation de l'ordonnance du 4juin 2014 en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande reconventionnelle
- à la convocation des parties en audience de cabinet, afin d'examiner en présence de l'huissier de justice commis et le cas échéant de l'expert informatique l'ayant assisté, les pièces séquestrées et déterminer lesquelles d'entre elles pourront être communiquées à la société BSA
- à la condamnation de la société Stago au paiement de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle expose essentiellement que :
- la compétence spéciale attribuée à certains tribunaux ne s'applique pas en matière de référé probatoire, dont l'action est fondée sur l'article 145 Code de procédure civile et non sur les dispositions de fond déclenchant la compétence de ces juridictions spécialisées
- que c'est par erreur qu'un échange entre avocats a été produit au juge de la requête, cette dernière n'y faisant pas référence
- que l'ordonnance a été régulièrement signée conformément aux exigences jurisprudentielles
- que l'ordonnance n'était pas caduque quand elle a été exécutée
- qu'aucune irrégularité tenant à l'indication des voies de recours ne peut être retenue
- que, s'agissant des motifs de la requête, il est prématuré de débattre du fond de l'éventuel litige à intervenir et que la société BSA justifiait bien d'un motif légitime
- que les mesures ordonnées étaient légalement admissibles et que l'huissier de justice pouvait se voir confier une mission avec l'assistance d'un tiers indéterminé, en l'espèce un expert informatique
- que la demande reconventionnelle est fondée, conforme à l'ordonnance et permettra d'apprécier l'opportunité d'engager des actions contre la société Stago.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Aux termes de l'article 145 du Code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
Conformément à l'article 493, le juge peut être saisi sur requête, dans tous les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.
Il résulte de la combinaison des articles 875 et 145 du Code de procédure civile que le président du tribunal de commerce peut ordonner sur requête des mesures d'instruction sur le fondement de l'article 145 dans les limites de la compétence du tribunal.
Les règles spéciales de compétence instituées en matière de concurrence par les articles
R. 420-3 et R. 420-4 du Code de commerce, qui attribuent compétence à certains tribunaux pour statuer en matière de pratiques anticoncurrentielles, en application de l'article L. 420-7, qui renvoie aux articles L. 420-l à L. 420-5 et par les articles D. 442-3 et D. 442-4, qui attribuent de la même façon compétence à certains tribunaux pour statuer en matière de pratiques restrictives de concurrence, en application de l'article L. 442-6, dérogent aux règles de compétences matérielle et territoriale de droit commun applicables aux ordonnances sur requête.
Elles entraînent la compétence du président du Tribunal de commerce de Paris dès que les dispositions des articles L. 420-7 ou L. 442-6 du Code de commerce sont invoquées au soutien de la requête.
Au cas présent, le litige pour la solution et dans la perspective duquel étaient requises les mesures d'instruction tend notamment à faire constater des pratiques anticoncurrentielles ou restrictives de concurrence, fondées sur des manquements aux articles L. 420-2 et L. 442-6.1 du Code de commerce ou des agissements déloyaux visant à évincer la société BSA des marchés locaux au profit des sociétés Biorel et Diatec,
Le contentieux en vue duquel la mesure d'instruction est demandé et opposant en l'espèce les sociétés présente un caractère mixte.
Pour autant, les mesures sollicitées lient de façon indissociable des actes de concurrence déloyale à des agissements invoqués au titre de pratiques anticoncurrentielles et restrictives de concurrence visées aux articles L. 420-2 et L. 442-5 et L. 442-6 1 du Code de commerce, de sorte que le juge compétent pour connaître de l'affaire au fond est, en application des textes précités, le Tribunal de commerce de Paris et non celui de Nanterre.
En conséquence, le président du Tribunal de commerce de Nanterre n'était pas compétent pour ordonner les mesures sollicitées, dès lors que la juridiction qu'il préside n'était pas compétente pour connaître de l'éventuelle instance au fond.
L'ordonnance déférée sera par suite infirmée et l'ordonnance sur requête, prise par un juge incompétent, sera rétractée.
La restitution de tous les documents et de toutes les pièces appréhendés sera ordonnée en conséquence de la rétractation de l'ordonnance.
Il n'y a pas lieu de faire interdiction à la société BSA d'utiliser des pièces et documents qu'aucune décision ne l'a autorisée à avoir en sa possession.
L'équité commande d'allouer à la société Stago la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs LA COUR, Statuant contradictoirement et en dernier ressort, Infirme l'ordonnance déférée, Rétracte l'ordonnance sur requête du 5 mars 2014, Ordonne la restitution des documents saisis, Dit n'y avoir lieu à faire interdiction à la société Bio Services Antilles de se prévaloir des pièces saisies, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Bio Services Antilles à payer à la société Diagnostica Stago la somme de 4 000 euro (quatre mille euro) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Bio Services Antilles aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.