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Décisions

CA Versailles, 6e ch., 18 novembre 2014, n° 13/02393

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Abraham (ès qual.), Laurna (Sté)

Défendeur :

Laboratoire de Biologie Végétale Yves Rocher (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bézio

Conseillers :

Mmes Luxardo, Loué Williaume

Avocats :

Mes Bellet, Content

Cons. prud'h. Nanterre, du 8 avr. 2013

8 avril 2013

EXPOSE DU LITIGE

Mme Abraham es qualité de gérante d'une société Laurna en cours d'immatriculation a conclu un contrat de gérance libre le 10 juin 2008 avec la société Laboratoire de Biologie Végétale Yves Rocher, à compter du 1er juillet 2008. Ce contrat a porté sur la gérance d'un fonds de commerce d'un centre de beauté situé à Levallois Perret précédemment exploité en succursale par la société Laboratoire de Biologie Végétale Yves Rocher avec cinq salariés qui ont tous été repris.

Au mois de juillet 2008 Mme Abraham a créée cette société au capital détenu à 99 % par elle et le reste par sa mère et dont le siège social était situé à l'adresse du local de Levallois Perret.

Les horaires d'ouverture du magasin sont restés identiques à eux du temps de l'exploitation en succursale c'est à dire du mardi au samedi de 10 heures à 19 heures.

Bien que le chiffre d'affaires ait augmenté à partir de la mise en gérance, la société enregistrait un résultat déficitaire de 33 887 euro pour l'exercice arrêté au 30 juin 2009 et de 45 825 euro pour celui arrêté au 30 avril 2010.

Sur les mêmes périodes la société Laboratoire de Biologie Végétale Yves Rocher a perçu 203 661 euro et 195 567 euro pour 2010.

Le 20 juillet 2010 Madame Abraham a écrit à la société qu'elle mettait fin au contrat de gérance libre et déclarait de cessation des paiements de la société Laurna. Elle précisait que selon elle la société Laboratoire de Biologie Végétale Yves Rocher portait l'entière responsabilité de cette rupture. La liquidation judiciaire de la société a été prononcée par le Tribunal de commerce de Nanterre par jugement du 29 juillet 2010.

Le 19 juillet 2010 Mme Abraham a saisi le Conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de faire juger qu'elle bénéficie des droits de l'art L. 7321-1 et 2 du Code du travail et qu'elle était sous un lien de subordination et de requalifier le contrat de gérance en contrat de travail et faire condamner la société à lui payer : un rappel d'heures supplémentaires, les indemnités de rupture, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec les intérêts légaux capitalisés, la remise des documents sociaux et une indemnité en application de l' article 700 du Code de procédure civile et le prononcé de l'exécution provisoire.

Par jugement rendu le 8 avril 2013, le Conseil de prud'hommes de Nanterre a jugé que Mme Abraham remplissait bien les conditions pour se voir appliquer les dispositions des articles L. 7321-1 et 2 du Code du travail mais qu'elle ne rapportait pas la preuve que la rupture du contrat s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse c'est à dire était due à un comportement fautif de l'employeur, l'exploitation ayant dû cesser en raison d'un manque chronique de rentabilité et en l'absence de mesures prises par la société pour remédier aux pertes et a jugé que la rupture du contrat à l'initiative de Mme Abraham devait être qualifiée de démission et l'a déboutée de ses demandes y compris au titre des heures supplémentaires.

La cour est régulièrement saisie d'un appel principal formé par Mme Abraham et d'un appel incident de la société Laboratoire de Biologie Végétale Yves Rocher contre cette décision.

Mme Abraham, par écritures visées par le greffier et soutenues oralement, complétées par ses déclarations à l'audience demande à la cour de :

- infirmer le jugement sauf en ce qu'il a jugé qu'elle remplissait les conditions prévues aux articles L. 7321 1 et - 2 du Code du travail,

- juger que la rupture du contrat doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse et qu'elle bénéficie de toutes les dispositions du Code du travail y compris celles de l'article L. 7321-3 du Code du travail,

- fixer la rémunération de référence à 2 687 euro mensuels,

- condamner la société Laboratoire de Biologie Végétale Yves Rocher à lui verser les sommes suivantes :

Heures supplémentaires : 21 164 euro,

Indemnité de préavis : 8 061 euro et congés payés sur préavis : 806 euro

Indemnité conventionnelle de licenciement : 1 343,50 euro

Dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 64 488 euro

Avec les intérêts légaux capitalisés

- et à lui remettre les bulletins de salaires correspondant à la période de préavis, un certificat de travail et l'attestation Pole Emploi,

- lui allouer 6 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

En réponse aux questions préjudicielles soulevées par l'appelante incidente, elle en demande le rejet.

La société Laboratoire de Biologie Végétale Yves Rocher, par écritures visées par le greffier et soutenues oralement, demande à la cour de :

- à titre préliminaire : saisir la Cour de Justice de l'Union Européenne conformément à l'article 267 du Traité relatif au Fonctionnement de l'Union Européenne des questions préjudicielles suivantes :

Le droit de l'union européenne et, plus particulièrement, les articles 101 du TFUE, ainsi que le règlement n° 330-2010 de la Commission du 20 avril 2010 dont l'article 4 a) interdit les accords qui restreignent la capacité de l'acheteur de déterminer son prix de vente " sans préjudice de la possibilité pour le fournisseur d'imposer un prix de vente maximal ou de recommander un prix de vente, à condition que ces derniers n'équivalent pas à un prix de vente fixe ou minimal sous l'effet de pressions exercées ou d'initiatives par l'une des parties " doit-il être interprété en ce sens que le simple fait, pour le distributeur, d'appliquer les prix de revente maxima ou recommandés par son fournisseur, suffit pour conclure que lesdits prix sont imposés par ce dernier lorsque :

- le distributeur bénéficie, en vertu du contrat qui le lie à son fournisseur, de la liberté de fixer le prix de revente des produits contractuels,

- et que les circonstances de l'espèce n'apportent pas la preuve de l'existence d'une contrainte exercée par le fournisseur dans la fixation du prix de revente par son distributeur '

Les principes généraux du droit européen que sont les principes d'effet utile, de primauté, d'effet direct, d'effectivité, de confiance légitime et de sécurité juridique doivent-ils être interprétés en ce sens que le fournisseur qui a mis en place, dans le cadre de son réseau de distribution, des pratiques de prix formellement validées par :

- la Commission européenne aux termes d'une exemption individuelle rendue en décembre 1986 sur le fondement de l'ancien article 85 §3 du Traité CE,

- le Conseil de la concurrence (devenu Autorité de la concurrence) dans une décision du 6 juillet 1999,

- les dispositions du règlement d'exemption collective de la Commission

européenne n° 330-2010 en date du 20 avril 2010 applicables aux contrats de distribution et de franchise, peut puiser dans les principes précités, la sécurité juridique suffisante pour lui permettre de poursuivre la politique commerciale mise en œuvre dans le cadre de son réseau de distribution sans devoir craindre une quelconque requalification des contrats le liant à ses distributeurs indépendants en contrats de travail, alors que le contrat-type et son application sur l'ensemble des territoires de l'Union européenne sur lesquels le fournisseur est actif n'ont pas varié en matière de prix qu'il s'agisse de prix maxima ou recommandés

- et surseoir à statuer jusqu'à la décision de la Cour de Justice de l'Union Européenne,

- à titre principal juger que Mme Abraham ne remplit pas les conditions pour bénéficier du statut de gérant de succursale prévu aux articles L. 7321-1 et suivants du Code du travail et confirmer le jugement pour le surplus,

- la débouter de toutes ses demandes,

- lui allouer 8 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience du 9 septembre 2014, ainsi qu'aux explications orales complémentaires rappelées ci-dessus.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les questions préjudicielles

La société Yves Rocher a soulevé en appel, deux questions préjudicielles qui se rapportent à la méthode des prix employées par elle. L'examen de ces questions aboutit nécessairement à se prononcer sur les pratiques de la société dans la détermination des prix et aussi à examiner quelles ont été ou non en réalité les marges de manœuvre de la gérante libre en l'espèce s'agissant de ces prix et de leur utilisation.

La société conteste avoir pratiqué des prix imposés vis à vis des gérants et expose qu'il s'est agi de prix maxima dans le cadre des campagnes promotionnelles et seulement de prix conseillés c'est à dire indicatifs pour les produits hors promotion.

Madame Abraham considère au contraire que les prix auxquels elle vendait les produits étaient imposés par la société Yves Rocher.

Les documents versés aux débats par l'appelante principale ne font pas seulement état de prix conseillés mais aussi de consignes par courriers électroniques notamment d'étiquettes dans un colis ou de réception d'un ilôt pour la vente d'un produit avec une étique comportant un prix de promotion. Sur le site internet de la société figuraient des prix y compris promotionnels sans indication qu'il s'agissait d'un prix conseillé ou maximum. Il est ainsi démontré que la gérante ne disposait d'aucune autonomie dans la détermination des prix qui étaient fixés par voie publicitaire ou par ses instructions par la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher.

En outre, c'est la société Yves Rocher qui définissait les taux de remise lors de ses campagnes promotionnelles et qui les annonçait notamment sur son site internet à destination de la clientèle qui pouvait la réclamer dans les centres de beauté. Dès lors et contrairement à ce que soutient la société, la gérante n'avait aucune autonomie dans la détermination de ces promotions.

Il est constant que la société exigeait une redevance déterminée proportionnellement à un montant de chiffre d'affaires, mais aussi que les prix de vente des produits fournis aux gérants étaient déterminés unilatéralement par la société Yves Rocher.

Comme l'a indiqué l'expert-comptable de la société Laurna, Madame Abraham ne disposait pas de l'autonomie pour négocier les prix des produits fournis ni pour accroître sa marge en termes de prix de vente dès lors qu'elle ne pouvait pas pratiquer de prix plus élevés que ceux conseillés. Elle justifie d'ailleurs que plus de 100 instituts Yves Rocher en France affichaient tous les mêmes prix correspondant à ceux du catalogue de la société ou figurant sur son site internet.

Les attestations de gérantes versées aux débats par l'intimée sont ainsi contredites par les propres documents publicitaires ou les instructions émanant de la société Yves Rocher.

La société fait état d'un système informatique permettant aux gérantes de modifier le prix, intitulé "terminal centre de beauté" (TCB) et de la décision du Conseil de la Concurrence qui a relevé qu'un franchisé pouvait ainsi procéder à une tarification différente de celle du prix conseillé correspondant au tarif préenregistré ainsi que d'un listing d'opérations en ce sens. Toutefois Mme Abraham établit au travers des instructions reçues que l'emploi de ce procédé prix de vente forcé (PVF) en caisse l'était seulement à la demande de la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher pour rectifier une erreur de paramétrage.

Il est donc établi qu'en l'espèce Madame Abraham a exercé une activité en pratiquant non pas des prix de revente maxima ou recommandés par son fournisseur mais les prix imposés par l'entreprise Yves Rocher. Il n'est donc pas démontré que la gérante disposait de la liberté de pratiquer les prix qu'elle entendait. En conséquence les demandes de questions préjudicielles sont sans objet et seront rejetées.

Sur l'application ou non des dispositions des articles L. 7321-1 et L. 7312-2 du Code du travail

Ces articles énoncent que les règles du Code du travail s'appliquent aux gérants de succursales dans la mesure de ce qui est prévu au présent titre.

Est gérant de succursale selon l'article L. 7321-2- notamment toute personne : (...)

2° Dont la profession consiste essentiellement a) à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entrepris aux conditions et prix imposés par cette entreprise.

Indépendamment des relations contractuelles qui ont été conclues entre la société Laboratoire de Biologie Végétale Yves Rocher et la SARL Laurna, il convient, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, d'examiner si les conditions d'application des articles L. 7321-1 et L. 7321-2 du Code du travail sont ou ne sont pas réunies à l'égard de Mme Abraham, personne juridique distincte de la société gérante libre.

Mme Abraham, revendique auprès de la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher le statut conféré par les dispositions sus rappelées. Il lui appartient donc d'établir le lien exclusif ou quasi exclusif avec une entreprise et l'exercice à titre principal de l'activité, la fourniture ou l'agrément d'un local par l'entreprise, l'exploitation dans des conditions et prix imposés par l'entreprise, ces conditions devant être cumulativement remplies.

Pour déterminer si le gérant doit ou non bénéficier des dispositions du Code du travail, le juge n'a pas à rechercher si l'intéressé exerce ou non ses fonctions dans un rapport de subordination juridique avec la société mais seulement si les conditions énoncées par l'article susvisé sont en fait réunies. Le bénéfice de l'article L. 732-1 et suivant du Code du travail, qui ne s'applique pas une personne morale, peut être étendu aux gérants de cette personne lorsque l'activité professionnelle est en fait exercée personnellement par le ou les gérants de la personne morale.

Mme Abraham a constitué en juillet 2008 une société Laurna dont l'objet social est limité à l'exploitation en gérance d'un centre de beauté Yves Rocher. Elle a conclu concomitamment en qualité de gérante de cette société en cours d'immatriculation, un contrat de location gérance. Ce contrat précise notamment qu'il a un caractère "intuitu personae" et '"intuitu firmae résultant de la sélection des candidates à la gérance de la part d'YVES ROCHER" et que toute cession entraînera la caducité du contrat (article 7 du contrat de gérance). Il est prévu aussi que toute modification de la structure de la société gérante devra être approuvée préalablement par la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher s'agissant notamment d'un changement de dirigeants sociaux ou d'une modification du capital social, à défaut de quoi la caducité du contrat sera aussi encourue.

Si la gérance a bien été confiée à la société Laurna, le contrat n'en a pas moins été conclu en considération de la personne de sa gérante.

Nonobstant que le contrat ait été conclu entre la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher et la société Laurna, les dispositions sus rappelées s'attachent aux seules conditions réelles d'exploitation et non à la nature des liens juridiques. Dès lors, et peu importe le montage juridique et le caractère éventuellement fictif de la société Laurna, les premiers juges doivent être approuvés en ce qu'ils ont jugé que Madame Abraham est recevable à invoquer les droits qu'elle peut tenir à titre individuel du Code du travail du seul fait de l'exploitation par elle à titre personnel de cet institut de beauté Yves Rocher.

- A propos des activités exercées, l'appelante principale soutient que c'est la vente de produits de beauté fournis par Yves Rocher y compris à travers les soins qui a été l'activité essentielle. De son côté la société Yves Rocher répond que c'est l'activité de soins qui a été essentielle, le centre de beauté Yves Rocher étant un institut de beauté.

Il est démontré comme l'ont relevé les conseillers prud'hommes, que le chiffre d'affaires de vente des produits est supérieur à celui provenant des soins et que la marge brute de la vente de ces produits dépasse celle des soins. En outre comme le prévoyait le contrat de gérance, à l'article 5, les soins esthétiques ne pouvaient être effectués qu'avec des produits expressément autorisés par Yves Rocher. De plus ce contrat énonce expressément ces deux activités notamment en son article 11 en interdisant d'exercer dans les locaux d'autre commerce que celui de la vente des produits de beauté Yves Rocher et la pratique du concept de soins Yves Rocher. C'est pourquoi les soins ne peuvent être considérés comme une activité complémentaire ou accessoire. Et l'activité principale est en tout état de cause déterminée par rapport au chiffre d'affaires contrairement à ce que soutient la société.

En outre, la société Yves Rocher n'est pas fondée à soutenir que l'activité essentielle de Madame Abraham n'était pas la vente de ces produits de beauté en citant les fonctions de gestion et de management qui portaient aussi bien sur la vente que sur les soins. En effet toutes ses tâches étaient étroitement liées à la vente de ces produits.

- Il est également établi que l'activité était exercée dans un local fourni par la société Yves Rocher et dont elle était locataire.

- S'agissant des conditions d'exploitation, le contrat de gérance mentionne que le fonds de commerce selon l'article 1 fait partie du "réseau des Centres de beauté Yves rocher" et qu'à ce titre le locataire gérant devra appliquer "l'ensemble des normes relatives à l'identité propre et à l'uniformité du réseau, suivra ses évolutions et mettra en œuvre les modifications correspondantes des conditions d'activité du centre de beauté".

L'article 6 du contrat de la location gérance comporte à propos des marchandises "l'engagement de s'approvisionner exclusivement auprès de la société", l'obligation de "ne pas vendre des produits qui n'auraient pas été approuvés expressément par Yves Rocher SA sans avoir informé préalablement et par écrit la société de son intention de le faire, et donnant à celle-ci la possibilité de déterminer si les caractéristiques et les qualités de ces produits sont comparables à ceux qu'elle a antérieurement approuvés et s'ils sont compatibles avec l'image de marque des instituts de beauté Yves Rocher".

A propos des soins esthétiques, délivrés en institut, selon l'article 5, "seuls les produits expressément autorisés par la société et les traitements et méthodes de soins spécifiques mis au point et régulièrement améliorés par la société pour son réseau, pourront être utilisés et effectués", la gérante s'engageant "à ne pas pratiquer dans son institut Yves Rocher des soins qui n'auraient pas été préalablement approuvés par écrit par" la société.

Contrairement à ce que soutient cette dernière, il existait une obligation de fourniture exclusive auprès d'elle aux termes des conventions conclues entre les parties. Enfin la résiliation de ces conventions pouvait intervenir pour non-respect de l'une quelconque des obligations précitées.

Mme Abraham établit, par la production des documents contractuels et des multiples écrits de la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher, avoir été tenue d'appliquer et de respecter, dans le moindre détail, l'ensemble des procédures mises au point par cette dernière, concernant tant la décoration de l'institut, son éclairage intérieur et extérieur, le mobilier, l'agencement, l'aménagement et l'équipement des cabines de soins, la présentation des produits, les techniques de la vente et de conseils, les méthodes de soins, la nature et la qualité des services, la comptabilité, les assurances, les catalogues, documents publicitaires et échantillons à remettre à la clientèle . Ces documents lui ont été adressés comme à l'ensemble des responsables des instituts au travers de catalogues, de lettres circulaires ou de courriers électroniques. Il existe d'ailleurs un manuel des procédures. L'article 5.2.3.1 du contrat énonce que la gérante libre doit exploiter son institut en conformité avec les procédures mises au point par la société et qu'elle doit utiliser un système informatique imposé par la société. L'article 14 du contrat prévoit qu'en cas de résiliation ou à l'expiration du contrat elle doit restituer toutes les instructions écrites remises pour exploiter l'institut de beauté Yves Rocher.

La société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher a donc défini de façon très régulière les modalités d'exploitation au sein du magasin et lui a imposé de respecter les campagnes engagées par elle, lui adressant de nombreuses instructions et directives en ce sens intitulées "scénarios" et "promotions". Il était prévu également de lui soumettre les états financiers annuels trois mois après la clôture des comptes, de faciliter tout contrôle, notamment pour vérifier la conformité du fonds à l'image de marque et aux normes Yves Rocher. La société Yves Rocher était en effet selon le contrat autorisée à visiter les lieux où était exploité le fonds de commerce toutes les fois qu'elle l'entendait.

Il résulte de l'ensemble des documents, que Madame Abraham n'a disposé d'aucune autonomie, l'exploitation du fonds se faisant selon les prescriptions imposées par la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher, laquelle s'est inscrite dans un objectif d'uniformisation des conditions d'exploitation au sein de son réseau comme prévu au contrat.

S'agissant des prix comme il a été indiqué au paragraphe relatif aux questions préjudicielles et ainsi que les premiers juges l'avaient relevé ceux-ci ont été imposés à la gérante qui ne disposait d'aucune liberté pour les déterminer.

Ainsi et par des motifs que la cour adopte les premiers juges ont fait une exacte application de la règle de droit en jugeant que Madame Abraham remplissait les conditions prévues aux articles L. 7321 -1 et 2 du Code du travail.

Les conditions de l'article L. 7321-2 du Code du travail étant réunies Mme Abraham à vocation à bénéficier des dispositions du Code du travail.

Sur l'application ou non des dispositions de l'article L. 7321-3 du Code du travail et sur les demandes

Mme Abraham en demande le bénéfice et dès lors l'application de toutes les dispositions du Code du travail, soutenant que la société Yves Rocher imposait les conditions d'exploitation de l'institut ainsi que les règles inhérentes à l'hygiène et à la sécurité et qu'elle-même n'avait aucune autonomie y compris au sujet de la rémunération des salariées et des horaires d'ouverture du magasin. La société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher répond que Mme Abraham ne se voyait pas imposer les conditions de travail de sécurité et de santé.

L'article L. 7321-3 du Code du travail énonce que le chef d'entreprise qui fournit les marchandises (...) n'est responsable de l'application aux gérants salariés de succursales des dispositions du Livre 1er de la troisième partie relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés et de celles de la quatrième partie relatives à la santé et à la sécurité au travail que s'il a fixé les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord.

Or en l'espèce, Mme Abraham ne démontre pas qu'elle était placée sous le contrôle direct et permanent de la société caractérisant un lien de subordination qui est distinct d'une dépendance économique. C'est pourquoi elle ne peut se voir appliquer les dispositions de l'article L. 7321-3 précité.

S'agissant en effet du salaire de référence revendiqué, l'appelante qui sollicite un montant de 2687 euro mensuel, établit qu'elle peut en cela se référer au salaire d'une directrice d'un institut de beauté Yves Rocher de Versailles. En effet si la société dénie l'absence de situation comparable en communiquant un tableau qui tient compte de la rémunération des directrices en fonction du chiffre d'affaires des établissements ce document n'est accompagné d'aucun justificatif tel que des bulletins de salaire. Au surplus Mme Abraham ne peut se voir reconnaitre un statut d'employé alors qu'elle encadrait du personnel et qu'elle exerçait comme elle le revendique au demeurant des responsabilités.

A propos de sa demande au titre des heures supplémentaires, elle ne peut pas pour la soutenir faire état des seuls horaires d'ouverture du magasin ni d'une obligation de le diriger personnellement. En effet cette obligation n'implique pas nécessairement une présence constante mais concerne davantage l'interdiction de déléguer de façon générale et permanente la gérance. Les seules attestations des anciennes salariées placées à l'époque où elle situe sa demande sous son autorité sont insuffisantes à faire cette preuve. En outre le fait qu'elle employait cinq salariées lui permettait nécessairement une souplesse dans l'organisation de son travail. Enfin les attestations de gérantes de centres de beauté Yves Rocher ne concernent pas la situation de Madame Abraham. La seule attestation d'expert-comptable communiquée par l'appelante concerne la situation financière de la société dont elle était gérante et n'a pas trait aux heures qu'elle devait réaliser au titre de la comptabilité contrairement à ce qu'elle expose. C'est pourquoi la demande au titre des heures supplémentaires sera rejetée.

Madame Abraham verse en effet aux débats un écrit de l'expert-comptable de la société Laurna dont il résulte que cette dernière a été confrontée à la nécessité d'accroitre son chiffre d'affaires mais que la politique économique de la société Yves Rocher qui a imposé les prix d'achats des fournitures et de ventes des produits et interdisait la vente d'autres produits que ceux de son réseau l'a placée dans l'impossibilité de procéder à cette augmentation. De même il est établi que le montant des prélèvements opérés par Yves Rocher qui ont été de plus de 200 000 euro la première année et de plus de 195 000 euro la deuxième année d'exercice n'a pas permis non plus de réduire les charges de structure. Il est démontré à travers cette attestation que les conditions d'exploitation de l'activité économique par Madame Abraham lui ont été imposées par la société Yves Rocher car elle n'avait aucune liberté dans le choix de son approvisionnement en fournitures et les prix aussi bien d'achat que de revente lui étaient aussi intégralement imposés. Dans ces conditions elle rapporte la preuve que c'est ce mode de gestion imputable à la société Yves Rocher qui est la cause déterminante de la prise d'acte de rupture du contrat qu'elle a mise en œuvre le 20 juillet 2010 et qui a constitué un manquement suffisamment grave de la part de la société Yves Rocher et que cette prise d'acte a produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement qui a dit que cette prise d'acte avait produit les effets d'une démission sera par conséquent réformé. C'est pourquoi Mme Abraham peut prétendre à l'indemnité conventionnelle de licenciement prévue par la convention collective de la parfumerie qui s'élève à la somme de 1343,50 euro et à l'indemnité compensatrice de préavis de 8 061 euro outre l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis de 806 euro.

La rupture ayant produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse elle doit donner lieu à une indemnité de nature de celle prévue à l'article L. 1235-3 du Code du travail compte tenu de l'ancienneté de Madame Abraham et de la taille de la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher qui emploie habituellement plus de dix salariés.

Les relations contractuelles ont duré un tout petit plus deux ans. Mme Abraham était agée de 42 ans au moment de la rupture. Elle a retrouvé une activité professionnelle en contrat à durée indéterminée à partir du mois d'avril 2012 et avait auparavant exercé des emplois à durée déterminée mais sans justifier de ses difficultés et de l'impossibilité de retrouver plut tôt après la rupture une activité professionnelle rémunérée stable et régulière. C'est pourquoi la cour juge que Madame Abraham ne justifie pas d'un préjudice au-delà de l'indemnisation égale aux salaires des six derniers mois qui s'élève à la somme de 16 122 euro qui lui sera allouée à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les intérêts au taux légal sont dus sur l'indemnité conventionnelle de licenciement à compter de la date où la demande a été portée à la connaissance de l'intimée et du prononcé du présent arrêt pour l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La capitalisation des intérêts doit être ordonnée conformément à l'article 1154 du Code civil.

La présente décision permettant à Madame Abraham de bénéficier des dispositions du Code du travail en faveur des salariés la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher devra lui remettre des bulletins de salaire correspondant à la période de préavis, soit les trois derniers mois ainsi qu'un certificat de travail et une attestation destinée à Pole Emploi.

Tenue aux dépens de première instance et d'appel, la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher versera à Mme Abraham la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile. La société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher est déboutée de sa demande à ce titre.

Par ces motifs LA COUR, Statuant contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe, Rejette les questions préjudicielles et dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer, Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a jugé que Madame Abraham remplissait les conditions prévues aux articles L. 7321 -1 et 2 du Code du travail et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre des heures supplémentaires ; Statuant à nouveau, Juge que la rémunération de référence s'élève à 2 687 euro mensuels, Condamne la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher à verser à Mme Abraham les sommes suivantes à titre d'indemnité compensatrice de préavis : 8 061 euro (huit mille soixante et un euro) ; à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 806 euro (huit cent six euro) ; à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement : 1 343,50 euro (mille trois cent quarante-trois euro et cinquante centimes) ; à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 16 122 euro (seize mille cent vingt-deux euro) ; Dit que les intérêts au taux légal sont dus sur les indemnités de rupture à compter de la date où la demande a été portée à la connaissance de la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher et du jour du prononcé du présent arrêt pour l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière conformément à l'article 1154 du Code civil, Déboute Mme Abraham du surplus de ses demandes, Ordonne à la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher de remettre à Mme Abraham des bulletins de salaire correspondant à la période de préavis, soit les trois derniers mois ainsi qu'un certificat de travail et une attestation destinée à Pole Emploi, Condamne la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher aux dépens de première instance et d'appel et à verser à Mme Abraham la somme de 3 000 euro (trois mille euros) en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la société Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher de sa demande en application de l'article 700 du Code de procédure civile.