CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 décembre 2014, n° 12/17353
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pier's (Sté), Conforama France (Sté)
Défendeur :
But International (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mme Luc, Mme Nicoletis
Avocats :
Mes Vignes, de Balmann, Meynard, Beaugendre
Rappel des faits et de la procédure
La société par actions simplifiée Titouan a racheté au cours des années 2008 et 2009 les parts sociales des sociétés l'EURL Mission, Pier S, Meubles 2000, Société d'Equipement Bisontine "SODEB", Rego Distribution, Etablissements Poirel, exploitant des fonds de commerce sous l'enseigne But, les franchises concernées et les murs des fonds de commerce. L'investissement global était de 18,5 millions d'euro.
Par lettre du 7 avril 2010 à effet du 20 avril 2011, la société But International (But) a fait connaître à la société Titouan qu'elle ne renouvellerait pas la franchise d'EURL Mission (magasin de Saint-Genis-Pouilly) laquelle n'avait été conclue que pour une durée de 3 ans et venait à échéance en avril 2011. Les franchises afférentes aux autres magasins n'étaient pas modifiées.
La société Titouan a contesté ce non-renouvellement. Estimant que cette résiliation a compromis la pérennité de son investissement, elle a reproché à la société But d'avoir, alors qu'elle savait que les capitaux nécessaires au financement des immobilisations requis pour cet investissement ne pouvaient s'amortir sur trois ans, résilié la franchise conclue avec la société Mission.
A l'été 2010, des pourparlers ont été engagés entre les parties pour la cession, à la société But, des sociétés et des magasins attachés détenus par la société Titouan. Le 20 octobre 2010, la société But faisait parvenir à la société Titouan une proposition d'acquisition et subordonnait son engagement définitif à la réalisation d'un audit comptable. La date butoir de validité de l'offre était reportée plusieurs fois et les parties s'imputent réciproquement une absence de diligence.
Le premier juin 2011, la société Titouan vendait ses participations à la société Conforama, concurrente de la société But.
Le 31 juillet 2011, les enseignes But étaient remplacées par des enseignes Conforama. Soutenant que le non-renouvellement de la franchise de l'EURL Mission et les divers comportements fautifs et déloyaux de la société But International étaient à l'origine de la rupture globale du partenariat avec les différentes sociétés d'exploitation du Groupe Titouan, la société Titouan ainsi que les sociétés du groupe prenaient l'initiative d'assigner la société But devant le tribunal de commerce.
Pour sa part, la société But estimait que la société Titouan n'avait pas conduit loyalement les pourparlers de cession et qu'une collusion s'était établie entre les sociétés du groupe Titouan et la société Conforama.
C'est dans ces conditions que la société Titouan, l'EURL Mission, la société Pier's, la société Meubles 2000, la Société d'Equipement Bisontine "Sodeb", la société Rego distribution et la société Etablissements Poirel ont assigné la société But International le 18 juillet 2011 devant le Tribunal de commerce de Paris.
Par un jugement en date du 20 juillet 2012, le Tribunal de commerce de Paris a :
- joint les instances inscrites au registre général sous les numéros 2011053627 et 2012002268, et n'a pas joint l'instance n°2011047911
- débouté la société Titouan de ses demandes,
- condamné respectivement les sociétés Pier's, Rego distribution, Etablissements Poirel à payer à la société But les sommes suivantes :
Pier's : 970 956 euro (581 016 euro + 389 940 euro)
Rego Distribution : 266 844 euro
Etablissements Poirel : 112 752 euro
Pour rupture abusive à la date du 31 juillet 2011 des contrats de franchise les liant à la société But,
- condamné les sociétés Mission, rego Distribution, Pier's et Etablissements Poirel à verser à la société But les sommes correspondantes à des marchandises non encore payées :
EURL Mission : 1 693,00 euro
Rego : 151 259,87 euro
Poirel : 15 195,49 euro
Pier's : 109 647,09 euro
Après déduction des ristournes et RFA 2011 correspondantes, qui seront communiquées par le commissaire aux comptes de la société But,
- condamné la société Rego Distribution à verser à la société But la somme de 10 000 euro pour préjudice d'image,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- condamné solidairement les sociétés Titouan, Rego Distribution, Pier's à payer à la société But international la somme de 30 000 euro au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- Lesdits dépens dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de : 245,42 euro TTC.
La société Conforama France "venant aux droits de la société Pier's ayant fait l'objet d'une transmission universelle du patrimoine au profit de la société par actions simplifiée Titouan elle-même ayant fait l'objet d'une transmission universelle du patrimoine au profit de Conforama France" a interjeté appel de cette décision le 27 septembre 2012. L'appel est général.
Par conclusions du 14 octobre 2014 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et moyens, la société Conforama venant aux droits de la société Pier's (Conforama ès-qualités) demande à la cour de :
- Dire et juger que l'appel incident formé par la société But International suivant conclusions d'intimée régularisées le 25 février 2013 fixe les limites du litige dont la cour d'appel est saisie ;
- Constater que "s'agissant du préjudice économique allégué" la société International a sollicité, dans ces conclusions du 25 février 2013, de voir "confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Pier'S, devenue Conforama France, pour rupture du contrat relatif au magasin de Meaux à (lui) payer la somme de 581 016 euro (et) condamner la société Conforama France, venant aux droits de la société Pier'S, à (lui) payer la somme de 714 890 euro au titre de la rupture du contrat relatif au magasin de Chelles" ;
- Constater que la société But International admettait alors "pour le magasin de Meaux" que "le jugement attaqué a fait une exacte application de (l'article 4.10 du contrat)" et "pour le magasin de Chelles" qu'il convenait de revaloriser le préjudice "par application combinée des stipulations des articles 4.5 et 4.10 du contrat" ;
- Constater que "pour élever encore ses prétentions" la société But International voudrait désormais voir juger qu'il conviendrait de "fixer les dommages-intérêts pour résiliation judiciaire aux torts du franchisé par application de l'article 1149 du Code civil, sans se référer à la clause de dédit de l'article 4.10 du contrat litigieux, inapplicable au cas d'espèce"
- Dire et juger que la société But International ne saurait ainsi modifier à sa guise le quantum de ses prétentions, sous couvert d'un revirement de son argumentation ;
- Déclarer dès lors la société But International irrecevable aujourd'hui à prétendre voir "statuer à nouveau" et voir "condamner la société Conforama France venant aux droits de la société Piers's à payer à la société But International la somme de 2 082 856 euro (')";
- Constater par ailleurs "s'agissant du préjudice moral allégué" que la société But Iterrnational a sollicité, dans ces conclusions du 25 février 2013, de voir "condamner la société Conforama France, venant aux droits de la société Pier's à (lui) payer la somme de 200 000 euro pour l'attitude déloyale du franchisé causale d'un préjudice d'image du franchiseur, de trouble commercial et de déstabilisation de réseau" ;
- Déclarer dès lors la société But International irrecevable aujourd'hui à prétendre voir " condamner la société Conforama France à (lui) payer la somme 500 000 euro de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral d'atteinte à l'image et de déstabilisation du réseau But " ;
- Dire et juger par ailleurs la société But International irrecevable en ses demandes dirigés contre la société Conforama France, recherchée sur la base d'une "tierce complicité" qui était imputée "en première instance" à la société Conforama Développement à l'encontre de laquelle nul appel n'a été interjeté et qui n'est pas dans la cause ;
- Constater que la société Conforama France n'est présente devant la cour que comme ayant cause (et venant aux droits) de la société Pier'S, ex société franchisée But ;
- Dire et juger que nulle demande ne saurait être aujourd'hui formulée par la société But International à l'encontre la société Conforama France, à titre personnel ;
- Débouter en tout état de cause la société But International de son appel incident ;
- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Pier'S à payer à la société But International la somme de 970 956 euro à titre d'indemnité de résiliation des contrats portant sur les magasins de Chelles et de Meaux ;
- Limiter le montant de cette indemnité à la somme de 116 982 euro ;
- Subsidiairement, limiter le montant de cette indemnité à la somme de 318 120 euro ;
- Plus subsidiairement, fixer le montant de cette indemnité à une somme sensiblement inférieure à celle de 970 956 euro retenue par le tribunal ;
- Dire et juger en tout état de cause qu'il est dû restitution à la société Pier'S des "marges de référencement et des revenus de crédit et d'assurance liés à l'usage par la clientèle de la carte But" indûment retenus au préjudice des sociétés franchisées, outre les RFA et les RFCG ;
- Dire et juger que lesdites sommes doivent venir en compensation des indemnités auxquelles la société But International pourrait prétendre ;
- Avant-dire-droit sur ce point, enjoindre à la société But International d'avoir à préciser le montant des "marges de référencement et des revenus de crédit et d'assurance liés à l'usage par la clientèle de la carte But" qu'elle a perçus pour le compte de la société Pier'S sur les cinq années précédant la cessation des relations contractuelles, outre les RFA et les RFCG devant revenir à la société Pier'S ;
- Enjoindre à la société But International d'avoir à justifier "sur les 5 années écoulées avant la cessation des relations contractuelles" du réemploi des cotisations de publicité nationale au profit du réseau ;
- Désigner en tant que de besoin un expert à l'effet de se voir remettre par la société But l'ensemble des justificatifs et le détail des diverses marges, RFA et RFCG perçues sur les cinq années précédant la cessation des relations contractuelles pour le compte de la société Pier's et établir un décompte permettant de calculer la somme devant revenir à cette dernière ;
- Condamner la société But International à payer à la société Conforama France venant aux droits de la société Pier'S la somme de 30 000 euro au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société But International aux dépens.
Par conclusions du 13 octobre 2014 auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des faits et moyens, la société But International demande à la cour de :
- Constater que la société But International a, dans le délai de l'article 909 du Code de procédure civile, formé appel incident du jugement du tribunal de commerce de Paris du 20 juillet 2012 par conclusions du 25 février 2013 ;
- Constater que la société Conforama France, après dépôt de premières conclusions dans le délai de l'article 908 du Code de procédure civile, a déposé de nouvelles écritures le 25 avril 2013 qui s'appuient sur une pièce nouvelle numérotée 74, par remploi de la pièce n°53 de première instance de la société But International que celle-ci n'avait pas produite en cause d'appel ; que s'appuyant sur cette pièce nouvelle, l'appelante a formé une demande indemnitaire nouvelle de paiement de remises de fin d'année au titre des marges de référencement, de crédit et d'assurance réalisées par le franchiseur But ;
- Constater que, par écritures du 10 septembre 2014, la société But International a répliqué à ces éléments nouveaux par modification du quantum de ses demandes indemnitaires et invocation de nouveaux moyens pour défendre le principe de réparation intégrale de son préjudice ;
- Constater que, par écritures du 3 octobre 2014, la société Conforama France a répliqué au fond et a soulevé une nouvelle demande tendant à la justification du remploi par le franchiseur But des cotisations de publicité nationale versées par le franchisé Pier'S au cours des 5 années antérieures à la rupture de la relation ;
- Constater que, par écritures récapitulatives du 13 octobre 2014, la société But International a répliqué aux dernières écritures de l'appelante ;
- Dire et juger, conformément à l'avis de la Cour de cassation du 21 janvier 2013 et à la jurisprudence, que les parties peuvent, jusqu'à la clôture de l'instruction, invoquer de nouveaux moyens, a fortiori pour répliquer à une pièce ou demande nouvelle de l'autre partie ;
- Dire et juger recevables les conclusions d'intimée du 10 septembre 2014 et celles récapitulatives du 13 octobre 2014 ;
- Débouter la société Conforama France de l'intégralité de ses demandes, spécialement ses demandes de paiement de remises de fin d'année au titre des marges de référencement, de crédit et d'assurance réalisées par le franchiseur But, et sa demande de justification du remploi des cotisations publicitaires, irrecevables en tant que demandes nouvelles au sens de l'article 564 du Code de procédure civile ;
Au surplus, les dire infondées ;
- Constater que la société Pier'S devenue Conforama France a assigné la société But International le 18 juillet 2011 pour tenter de lui imputer une rupture de relation commerciale établie, sans invoquer la faculté de dédit moyennant versement d'une indemnité stipulée à l'article 4.10 du contrat de franchise ;
- Confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire des contrats de franchise aux torts de la société Pier'S devenue Conforama France, avec effet au 31 juillet 2011;
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Pier'S devenue Conforama
France à payer à la société But International, au titre des marchandises impayées, la somme de 109 647,09 euro, de laquelle il convient de déduire les RFA 2011 ;
Donner acte du montant justifié de ces RFA 2011 de 44 167,29 euro ;
Fixer le montant définitif de la condamnation de la société Conforama France à ce titre à la somme de 65 479,80 euro ;
Statuer à nouveau sur les autres préjudices, comme suit :
1/ Sur la réparation du gain manqué infligé à la société But International par la rupture fautive et prématurée des contrats :
A titre principal :
Fixer les dommages-intérêts pour résiliation judiciaire aux torts du franchisé par application de l'article 1149 du Code civil, sans se référer à la clause de dédit de l'article 4.10 du contrat litigieux, inapplicable au cas d'espèce ;
Condamner la société Conforama France venant aux droits de la société Pier'S à payer à la société But International la somme de 2 082 856 euro, avec intérêts au taux légal depuis le 31 juillet 2011 ;
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour dirait que les dommages-intérêts doivent être fixés par référence à l'article 4.10 du contrat de franchise :
- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Pier'S, devenue Conforama France, à payer à la société But International la somme de 581 016 euro pour réparer les conséquences dommageables de la rupture du contrat relatif au magasin de Meaux ; y ajouter la production d'intérêts au taux légal depuis le 31 juillet 2011 ;
- Condamner la société Conforama France à payer à la société But International la somme de 714 890 euro au titre de la rupture du contrat relatif au magasin de Chelles, avec intérêts au taux légal depuis le 31 juillet 2011 ; Plus subsidiairement, confirmer la condamnation à la somme de 389 940 euro et y ajouter la condamnation aux intérêts au taux légal depuis le 31 juillet 2011 ;
2/ Sur la réparation du préjudice moral d'atteinte à l'image et de déstabilisation du réseau But :
- dire et juger qu'en passant sous le contrôle de Conforama, la société Pier'S a manqué à l'exécution loyale et à l'obligation de fidélité inhérentes à tout contrat de franchise et stipulée à l'article 2.33 du contrat litigieux ; que le franchisé a ajouté à cette faute en s'abstenant de notifier, dans le délai de 15 jours exigé par le contrat, la cession de contrôle survenue le 1 er juin 2011 et le changement subséquent de dirigeant, avant de violer la clause d'enseigne par notification au franchiseur du 26 juillet 2011 ; que ce départ brutal du franchisé du réseau But pour rejoindre le concurrent Conforama a causé un préjudice d'image au franchiseur But et a contribué à déstabiliser le réseau des franchisés en place ;
- dire et juger établie la tierce complicité de Conforama qui, par actes positifs antérieurs à la rupture des contrats de franchise, a aidé le franchisé Pier'S à violer ses obligations contractuelles ;
- condamner la société Conforama France à payer à la société But International la somme de 500 000 euro de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral d'atteinte à l'image et de déstabilisation du réseau But ;
3/ Au titre des frais irrépétibles et des dépens d'appel :
- condamner la société Conforama France à payer à la société But International la somme de 50 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en appel, ainsi qu'aux entiers dépens y compris le coût des timbres fiscaux, qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
SUR CE,
I. Sur ce qui a été jugé par le premier juge et n'est pas remis en cause par les parties :
Considérant que dans ses motifs, le premier juge indiquait que les contrats de franchise des sociétés Pier's, Rego, Poirel, Meubles 2000, Sodeb et de l'Eurl Mission avaient été rompus aux torts de ces sociétés, qu'il a prononcé des condamnations contre les sociétés Rego, Poirel, Eurl Mission qui ne sont pas critiquées en appel, qu'il a débouté la société But International de certaines de ses demandes, notamment une demande de dommages-intérêts formée contre la société Conforama Développement en ce qu'elle aurait eu un comportement contraire aux règles d'une loyale et saine concurrence en pratiquant un débauchage conscient et organisé de franchisés, le tribunal estimant que le comportement délictuel de la société Conforama ès-qualités n'était pas démontré,
II. Sur la recevabilité des demandes de la société But International formées dans ses dernières conclusions :
Considérant que ce ne sont pas les conclusions de la société But International dont l'irrecevabilité est demandée par la société Conforama ès-qualités mais certaines des demandes de la société But International,
Considérant que la société But International a été assignée par la société Titouan et les sociétés du groupe Titouan et se trouve intimée en cause d'appel, qu'elle a formé appel incident selon les termes et délais du décret "Magendie",
Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu, la société But International peut non seulement faire valoir des moyens nouveaux pour sa défense jusqu'à l'ordonnance de clôture mais également, ayant formé appel incident, augmenter le quantum des dommages intérêts qu'elle demande ; qu'elle ne fait que répliquer aux prétentions que l'appelante a modifiées au cours de la procédure d'appel, tout particulièrement celles qui concernent la compensation qui serait justifiée par les sommes qui lui sont demandées et les remises de fin d'année au titre de marges de référencement, de crédit et d'assurance réalisées par le franchiseur qu'elle est susceptible de percevoir, ainsi que la demande relative au justificatif du remploi des cotisations de publicité ; que les demandes de la société But sont recevables, qu'il s'agisse des demandes de confirmation ou de celles tendant à voir condamner la société Conforama ès-qualités à lui payer diverses sommes au titre du gain manqué, au titre du préjudice moral d'atteinte à l'image et de déstabilisation du réseau But par la société Pier's aux droitsde laquelle elle se trouve,
Considérant que la société Conforama conteste que la société But puisse prétendre obtenir sa condamnation en qualité de tiers complice de la violation par la société Pier's de ses obligations, au motif qu'elle se trouve intervenir dans cette procédure aux droits de la société Pier's et non à titre personnel ; qu'il apparaît certes que la société But avait dans la procédure de première instance, demandé la condamnation de la société Conforama Développement à lui verser des dommages-intérêts pour avoir eu "un comportement contraire aux règles d'une loyale et saine concurrence" dont elle a été déboutée, qu'elle n'a pas interjeté appel incident sur ce point et que la société Conforama Développement n'est pas à la cause actuellement ; que toutefois, si avec juste raison, la société But peut soutenir que la société Conforama est "une et indivisible", cela ne l'autorise pas à former contre celle-ci une demande nouvelle sur le fondement de sa complicité en tant que tiers au contrat de franchise qu'elle n'avait pas faite en première instance contre cette partie ; que pour ces motifs, cette demande sera considérée comme irrecevable et la cour ne répondra pas aux développements que la société But fait sur ce point,
III. Sur le bien-fondé des demandes de la société But International contre la société Conforama ès-qualités :
Considérant que si l'appel est général, il apparaît que seules les dispositions du jugement concernant la société Pier's exploitant les magasins de Chelles et de Meaux sont en cause, exception toutefois faite de la condamnation de la société Pier's à payer la somme de 109 647,09 euro au titre de marchandises impayées déduction faite des ristournes et remises de fin d'année 2011 que l'appelant et l'intimé appelant incident ne discutent pas, la cour constatant que l'intimé chiffre les remises de fin d'année à la somme de 44 167,29 euro sans être critiqué par l'appelant sur ce point,
Considérant pour le surplus :
A. Sur le gain manqué infligé par la rupture fautive et prématurée des contrats de franchises concernant les magasins de Chelles et de Meaux :
Considérant que la société But conteste l'application par le tribunal de l'article 4.10 du contrat estimant qu'en cas de résiliation judiciaire, ce texte n'a pas vocation à être appliqué, d'autant plus que le franchisé a renoncé à le mettre en œuvre en prenant l'initiative du contentieux présent ; que le tribunal ne pouvait appliquer cette clause qui est une clause de dédit, et non une clause pénale, sauf à limiter la responsabilité de la société Conforama ès-qualités en une telle hypothèse alors que le préjudice dont elle est à l'origine doit être intégralement réparé,
Considérant qu'elle expose pour le calcul du gain manqué que les éléments pris en compte ne peuvent être critiqués alors que vérifiés par le commissaire aux comptes, ils sont certifiés, que les éléments du préjudice subi dès la cession intervenue le premier juin 2011 et jusqu'au terme de la reconduction de trois ans sont le gain manqué constitué par les redevances de franchise, les marges de référencement, les revenus du crédit et d'assurance inhérents à la carte But ; que subsidiairement, le quantum des dommages-intérêts concernant la franchise du magasin de Meaux doit être repris, alors qu'il doit être à nouveau calculé pour ce qui concerne la franchise du magasin de Chelles, compte tenu d'un préavis minimal outre des redevances dues jusqu'à l'achèvement de la période triennale de reconduction,
Considérant que la société Conforama ès-qualités reproche à la société But d'avoir modifié le fondement de ses demandes pour la fixation des dommages-intérêts qu'elle estimait lui être dus, qu'elle s'est tout d'abord référée dans ses premières conclusions aux dispositions de l'article 4-5 et 4-10 du contrat, puis, a soutenu que ces dispositions n'avaient pas lieu d'être appliquées ; qu'elle remarque que les sommes demandées ne sont pas justifiées par les pièces versées ; qu'elle remarque que, pour ce qui concerne les contrats de franchise des sociétés Poirel et Régo, la société But n'a pas interjeté appel de la décision alors que les indemnités allouées ne tenaient pas compte du manque à gagner concernant les marges de référencement et revenus des crédits et assurances liés à la carte But et que les indemnisations des préjudices liés aux ruptures des contrats de franchise Pier's ne doivent pas comprendre ces marges arrières comme l'a justement indiqué le tribunal de commerce, et que si la société But International a perçu et conservé celles-ci, elle doit alors les restituer aux franchisés,
Considérant enfin que Conforama ès-qualités estime que seules sont dues les redevances de participation que les sociétés auraient dû verser jusqu'au terme de leur contrat de franchise, que toutefois, elle fait état de la détérioration des relations contractuelles provoquée par l'attitude de But et de ce que la société But reconnaissait cette détérioration, pour soutenir que les contrats n' auraient pas été renouvelés et poursuivis pendant 45 mois pour le contrat de franchise sur le magasin de Chelles et de 32 mois sur celui du magasin de Meaux et qu'il s'agit plus d' "une perte de chance que d'un manque à gagner" ; qu'elle fait valoir au surplus que le juge doit "vérifier le lien de causalité entre la faute commise par une partie et le préjudice subi par l'autre" et qu'il peut "modifier le montant de l'indemnité ... stipulée lorsqu'elle est manifestement excessive ou dérisoire",
Considérant que la cession a eu lieu le premier juin 2011 et que l'assignation a été délivrée par la société Titouan et les sociétés du groupe Titouan le 18 juillet 2011, que le tribunal a considéré abusive la rupture, à la date du 31 juillet 2011, par la société Pier's des deux contrats de franchise, qu'ainsi, les stipulations de l'article 4.10 des contrats de franchise des magasins Chelles et Meaux qui concernent la rupture anticipée que peut faire l'adhérent ( le franchisé) du contrat de franchise et ses conséquences financières n'ont pas vocation à s'appliquer, s'agissant ici de la rupture abusive, c'est à dire sans le respect des formes prévues par le contrat,
Considérant que bien avant la cession faite au profit de la société Conforama, les relations entretenues par les parties étaient devenues très difficiles ; que la société But avait ainsi reproché par exemple dans un courrier de septembre 2010 à Monsieur Fontaine, jadis Président de But et depuis Directeur du développement et des relations institutionnelles chez Conforama de se livrer à des débauchages massifs usant de règles contraires à celles d'une "saine et loyale concurrence" ; qu'elle avait engagé une procédure contre les sociétés Conforama France et Conforama Développement ainsi que contre les sociétés Comadis et Mobi Azur qui exploitaient des franchises But à Cosne sur Loire et Nice et dont le président était également le directeur délégué "finances" auprès de la société Conforama, en estimant notamment qu'une collusion frauduleuse existait entre ces sociétés et les sociétés Conforama ; que de même, les deux enseignes se livraient, selon la presse spécialisée, une véritable "guerre" sur les points de vente depuis plusieurs mois,
Considérant que la cession des sociétés exploitant des franchises "But" à un tiers concurrent de surcroît n'a jamais été envisagée dans les dispositions du contrat qui ne contient ni pacte de préférence ni clause de non-réaffiliation post-contractuelle ni clause d'agrément préalable ; qu'en l'espèce, il était possible, selon l'article 2.20 du contrat, pour le franchiseur régulièrement informé de la cession de l'entreprise adhérente à un tiers d'agréer "a postériori" le cessionnaire ou de procéder à la rupture du contrat (cette dernière alternative étant, en l'espèce, certaine) ; que la société But pouvait faire application des dispositions modifiées du contrat par avenant du 17 janvier 2001 (Titre IV du contrat (article 4.3)) c'est-à-dire soumettre le cessionnaire à une période d'essai (ce qui n'était pas envisageable selon les propres écritures de la société But) dénoncée à tout moment avec un préavis de trois mois ; que la société Pier's pouvait encore respecter les dispositions des articles 4.5 et 4.10, c'est-à-dire dénoncer volontairement le contrat dans les formes et respecter alors la clause de dédit de l'article 4.10 ; qu'aucun de ces textes n'a été utilisé,
Considérant que les circonstances de l'espèce rendaient totalement improbable la poursuite des contrats sinon pour le temps de les dénoncer régulièrement de sorte que la société But ne peut se prévaloir que d'une faible perte de chance de gains ; qu'il convient de fixer celle-ci à la somme de 82 000 euro pour le contrat de franchise du magasin de Meaux et de 80 000 euro pour le contrat de franchise du magasin de Chelles ; que ces sommes produiront intérêts à compter de la date de rupture des contrats, soit le 31 juillet 2011,
B. Sur le préjudice moral :
Considérant que la société But invoque le comportement déloyal du franchisé Pier's, la tierce complicité de Conforama qui l'a activement débauché, l'atteinte à l'image But et la déstabilisation de son réseau résultant des manœuvres déloyales du franchisé et son complice, qu'elle rappelle la déloyauté de la société Pier's, sa violation des stipulations des articles 2.20 et 2. 33 du contrat ; qu'elle rappelle la tierce complicité de la société Conforama qui a en toute connaissance de cause aidé la société Pier's à enfreindre ses obligations, consentant d'ailleurs à supporter une partie des risques alors encourus en cas de contentieux avec But liés à la rupture des contrats de franchise ; que les atteintes à son image et à sa réputation, sa déstabilisation justifient l'allocation de dommages-intérêts,
Considérant que la société Conforama soutient que la société But est à l'origine de la situation dont elle se plaint, expliquant que le contrat But n'interdit pas la "circulation" du contrat de franchise, ne prévoit aucune clause soumettant la cession des contrats de franchise à l'agrément préalable et exprès du franchiseur ; qu'elle rappelle les dispositions du contrat insérées dans l'article 2.33 et ajoute que le principe de liberté du commerce et de l'industrie lui permettait d'acquérir les sociétés du groupe Titouan ; que s'il est prévu dans le contrat 'But' que l'adhérent s'engage à ne pas créer ou gérer un groupement concurrent partiellement ou totalement, elle estime que cette interdiction n'a pas été enfreinte en l'espèce ; que la société Pier's a agi sans violer les dispositions du contrat et qu'elle n'a elle-même pas débauché le franchisé en lui "ouvrant la porte de son réseau",
Considérant que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie s'oppose à ce que soit reprochée la cession des parts de la société Pier's qui exploitait deux magasins sous enseigne But à un société concurrente, la société Conforama ; qu'il n' y a dans le contrat aucune obligation de "fidélité" à la charge du franchisé ; que par ailleurs, le contrat de franchise n'interdisait pas au franchisé de ne pas exploiter de magasin sous enseigne concurrente, l'article 2.33 prohibant la création ou la gestion d'un groupement concurrent, ce qui n'est pas le fait de l'espèce ; que le contrat de franchise ne prévoyait pas non plus un agrément préalable de la personne du nouveau franchisé,
Considérant toutefois que le contrat rappelait en son article 2.20 l'importance attachée à la personne de l'adhérent et à ses représentant légaux ; qu'il précisait que la cession ou le changement de représentant légal serait notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception dans les quinze jours de l'événement afin que le prestataire procède s'il le souhaite à la rupture du contrat ; que cette information n'a pas été portée régulièrement à la connaissance de la société But qui a pu constater le changement des enseignes à la fin du mois de juillet 2011 ; qu'il y a ici à l'évidence, une violation des dispositions contractuelles,
Considérant au surplus que le changement d'enseignes a été réalisé dans des circonstances qui rapportent l'absence de loyauté et de bonne foi contractuelle de la société Pier's ; qu'en effet, il apparaît que la société Pier's était dirigée depuis plusieurs mois par Pascale Rus, laquelle était également la directrice des ressources humaines de la société Conforama depuis 2008 ; qu'il en résultait, pour la société Pier's, une exécution impossible -sans contrarier des intérêts de la société But- de ses obligations contractuelles vis-à-vis de l'intimée, permettant notamment à la société Pier's de livrer le savoir-faire de la société But, de livrer des informations stratégiques la concernant à la société Conforama ;
Considérant que par ces diverses fautes, le réseau But a été déstabilisé et que son image a été dépréciée tant à l'égard du public des professionnels et des consommateurs que de ses autres franchisés, comme la société But en justifie, rapportant aux débats les craintes manifestées par ses franchisés, les interrogations du public et de la presse,
Considérant que le préjudice sera réparé par l'allocation d'une somme de 400 000 euro,
IV. Sur les demandes de la société Conforama ès-qualités :
Considérant que la société But fait tout d'abord valoir que les demandes de la société Conforama relatives aux remises de fin d'année au titre de marges de référencement, de crédit et d'assurance réalisées par le franchiseur ainsi que sa demande de justification du remploi des cotisations publicitaires sont irrecevables en tant que nouvelles en appel, que si elles étaient recevables, elles seraient mal fondées,
Considérant que la société Conforama fait valoir que le franchiseur aurait du lui rétrocéder des marges arrières, soit les marges de référencement et les revenus du crédit et d'assurance liés à l'usage par la clientèle de But de la carte But ; que la société Conforama peut en application des dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile faire une telle demande pour s'opposer à celles de la société But et lui opposer ainsi la compensation,
Considérant que la rémunération perçue par la société But auprès des fournisseurs référencés est précisée dans l'article 3.7, alinéa 2 du contrat dans sa rédaction issue de l'avenant du 17 janvier 1991, que ce texte ne prévoit pas qu'une telle rémunération soit reversée sous quelque forme que ce soit par la société But à ses franchisés ; que ce même texte précise en un alinéa 3 que lorsqu'il perçoit des "ristournes globales hors factures encaissées" par lui pour le compte de ses adhérents, le franchiseur s'engage à les reverser à ses adhérents dans un certain délai et sous certaines conditions de respect par l'adhérent de ses obligations vis-à-vis du fournisseur ; que la société Conforama ne justifie pas au regard de la rédaction de ces textes qu'elle aurait droit à des restitutions de "marges de référencement", créances distinctes des ristournes globales hors factures encaissées qu'elle ne se plaint pas de ne pas avoir perçues,
Considérant que pour ce qui concerne les "revenus liés au crédit et à l'assurance", le protocole commercial signé le 26 décembre 2001 par la société Fidem et la société But prévoit qu'une commission globale d'apport définie selon des conditions précises est versée directement par Fidem aux sociétés affiliées (franchisées) ; que si la société Pier's estime ne pas avoir perçu de telles commissions, il lui appartient de faire valoir ses droits auprès de qui de droit, faute de démontrer que la société But aurait perçu ces commissions pour son propre compte,
Considérant que la société Conforama demande également que But International justifie sur ces cinq dernières années du remploi qu'elle a fait des cotisations de publicité nationale au profit du réseau ; que cette demande est, en application de l'article 564 du Code de procédure civile, en ce qu'elle a pour effet de s'opposer aux demandes de la société But, recevable ; que néanmoins, cette demande ne repose sur aucun élément concret ; que le commissaire aux comptes de la société But expose que "les informations recensées et la méthodologie appliquée démontrent que les dépenses de communication réalisées sur la période concernée sont égales ou supérieures aux recettes collectées par la facturation contractuelle réalisée sur la base des chiffres d'affaires des magasins adhérents au contrat de franchise" sur la période du premier février 2005 au 30 juin 2011 ; qu' il apparaît ainsi que cette demande n'est pas fondée et que la mesure d'injonction sollicitée n'est pas justifiée,
Considérant ainsi que les demandes de Conforama sont recevables mais non fondées ; que la société Conforama sera déboutée sur ces points,
Par ces motifs LA COUR, Infirmant le jugement sur les réparations allouées à la suite de la rupture fautive des contrats de franchise par la société Pier's, Condamne la société Conforama venant aux droits de la société Pier's à payer à la société But International les sommes de 82 000 et 80 000 euro à titre de dommages-intérêts outre les intérêts à compter du 31 juillet 2011 pour perte de chance de gains manqués, Condamne la société Conforama venant aux droits de la société Pier's à payer à la société But International la somme de 400 000 euro à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, Déboute la société Conforama venant aux droits de la société Pier's de ses demandes reconventionnelles, Confirme le jugement pour le surplus, Condamne la société Conforama venant aux droits de la société Pier's à payer à la société But International la somme de 30 000 euro à titre d'indemnité pour frais irrépétibles, Condamne la société Conforama venant aux droits de la société Pier's aux entiers dépens qui seront recouvrés, pour ceux d'appel, avec le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.