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Décisions

CE, 6e et 1re sous-sect. réunies, 17 décembre 2014, n° 374525

CONSEIL D'ÉTAT

Décision

PARTIES

Demandeur :

Allocab (SAS), Voxtur (Sté), Transcovo (Sté), Snapcar (Sté), Union Nationale des industries du taxi

Défendeur :

Ministre de l'intérieur

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Rapporteur :

M. De Froment

Rapporteur public :

M. De Lesquen

Avocats :

SCP Spinosi Sureau, SCP Piwnica Molinié

CE n° 374525

17 décembre 2014

Le Conseil : - Vu 1°, sous le n° 374525, la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 10 janvier et 10 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Allocab, dont le siège est 9, rue François Villon à Paris (75015), représentée par son président directeur général en exercice ; la société Allocab demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2013-1251 du 27 décembre 2013 relatif à la réservation préalable des voitures de tourisme avec chauffeur ; 2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; Vu 2°, sous le n° 374553, la requête, enregistrée le 10 janvier 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la société Voxtur, dont le siège social est 114, rue Cardinet à Paris (75017), représentée par son président, la société Transcovo, dont le siège social est 12, rue Vivienne à Paris (75002), représentée par son président et la société Snapcar, dont le siège social est à La Boursidière au Plessis-Robinson (92350), représentée par son président ; la société Voxtur et autres demandent au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ; 2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros à chacune des trois requérantes au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; Vu les autres pièces des dossiers ; Vu la Constitution ; Vu le Code du tourisme ; Vu le Code des transports ; Vu la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 ; Vu le Code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de M. Jean-Baptiste de Froment, maître des requêtes, - les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ; La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la société Allocab et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Union nationale des industries du taxi ;

1. Considérant que les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le même décret ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ; Sur l'intervention du Groupement des transporteurs de personnes en voitures avec chauffeur :

2. Considérant que cette association justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret contesté ; que son intervention en demande est, par suite, recevable ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation du décret du 27 décembre 2013 :

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3121-1 du Code des transports, dans sa rédaction alors en vigueur : "Les taxis sont des véhicules automobiles comportant, outre le siège du conducteur, huit places assises au maximum, munis d'équipements spéciaux et dont le propriétaire ou l'exploitant est titulaire d'une autorisation de stationnement sur la voie publique, en attente de la clientèle, afin d'effectuer, à la demande de celle-ci et à titre onéreux, le transport particulier des personnes et de leurs bagages" ; que l'article L. 3121-11 du même Code dispose : "En attente de clientèle, les taxis sont tenus de stationner dans leur commune de rattachement ou dans une commune faisant partie d'un service commun de taxis comprenant leur commune de rattachement. Ils peuvent également stationner dans les communes où ils ont fait l'objet d'une réservation préalable dont les conducteurs doivent apporter la preuve en cas de contrôle" ; qu'aux termes de l'article L. 231-1 du Code du tourisme, dans sa rédaction issue de la loi du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des activités touristiques : "Le présent chapitre s'applique aux entreprises qui mettent à la disposition de leur clientèle des voitures de tourisme avec chauffeur, suivant des conditions fixées à l'avance entre les parties" ; que l'article L. 231-3 du même Code dispose : "Les voitures de tourisme avec chauffeur ne peuvent ni stationner sur la voie publique si elles n'ont pas fait l'objet d'une location préalable, ni être louées à la place" ; que l'article L. 231-4 de ce Code, dans sa rédaction alors en vigueur, renvoie à un décret le soin de fixer les conditions d'application des dispositions relatives à l'exploitation des voitures de tourisme avec chauffeur (VTC) ;

4. Considérant que, pour l'application de ces dispositions, le décret du 27 décembre 2013 attaqué a remplacé dans ce Code l'article D. 231-1-1 par un article R. 231-1-1, dont le I dispose que : "La réservation préalable d'une voiture de tourisme avec chauffeur, prévue à l'article L. 231-3, est caractérisée par le respect d'un délai minimal de quinze minutes entre la réservation du véhicule et la prise en charge effective du client" ; que les alinéas suivants précisent les cas dans lesquels ce délai n'est pas applicable ; que le II du même article définit les modalités suivant lesquelles est assurée la justification de la réservation prévue au I ;

5. Considérant qu'il résulte des dispositions citées au point 3 que le législateur a entendu distinguer, d'une part, l'activité consistant à stationner et à circuler sur la voie publique en quête de clients en vue de leur transport et, d'autre part, l'activité de transport individuel de personnes suivant des conditions fixées à l'avance entre les parties ; que, poursuivant des objectifs d'ordre public, notamment de police de la circulation et du stationnement sur la voie publique, le législateur a réservé la première activité aux taxis qui l'exercent dans un cadre réglementé particulier ; que la seconde activité peut être exercée non seulement par les taxis mais également par d'autres professions, notamment celle de voitures de tourisme avec chauffeur (VTC), sans autres limitations que celles découlant des règles propres qui leur sont applicables et du respect de l'exigence d'une location préalable ; que si le dernier alinéa de l'article L. 231-4 du Code du tourisme a confié à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les conditions d'application de ses articles L. 231-1 et suivants, aucune disposition n'a autorisé le pouvoir réglementaire à fixer des conditions nouvelles restreignant l'activité des VTC en subordonnant la prise en charge de leurs clients à un délai de réservation préalable de 15 minutes ; que, par suite, les sociétés requérantes sont fondées à soutenir que les dispositions du I de l'article R. 231-1-1 du Code du tourisme issues du décret du 27 décembre 2013 attaqué ont méconnu les articles L. 231-1 à L. 231-4 du Code du tourisme ; que l'illégalité dont elles se trouvent entachées doit entraîner l'annulation de l'ensemble des dispositions du décret, qui forment un tout indivisible ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative :

6. Considérant qu'il y a lieu, sur le fondement de ces dispositions, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros à la société Allocab, ainsi que le versement de 1 000 euros chacune aux sociétés Voxtur, Transcovo et Snapcar ;

DECIDE :

Article 1er : L'intervention du Groupement des transporteurs de personnes en voitures avec chauffeur est admise.

Article 2 : Le décret n° 2013-1251 du 27 décembre 2013 relatif à la réservation préalable des voitures de tourisme avec chauffeur est annulé.

Article 3 : L'Etat versera, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative, une somme de 3 000 euros à la société Allocab et une somme de 1 000 euros chacune aux sociétés Voxtur, Transcovo et Snapcar.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Allocab, à la société Voxtur, à la société Transcovo, à la société Snapcar, au Groupement des transporteurs de personnes en voitures avec chauffeur, au Premier ministre et au ministre de l'intérieur.