CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 décembre 2014, n° 12-17620
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Guisnel Distribution (SAS)
Défendeur :
Transports Expind (Sté), SCP Belat et Desprat (ès qual.), Selarl MJ Synergie (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Boccon Gibod, Moitrier, Régnier, Catin
À compter du mois de décembre 2003, la société Transports Expind, qui exerçait une activité de transport routier, a été régulièrement affrétée pour la livraison de marchandises par la société Guisnel Distribution, société de transports qui a notamment pour objet social le transport de meubles et le déménagement.
Entre le 15 janvier et le 15 juin 2009, la société Guisnel a cessé de confier du fret à la société Transports Expind.
Par courrier du 11 juin 2009, le conseil de la société Transports Expind a adressé à la société Guisnel Distribution un courrier de mise en demeure faisant état d'une rupture brutale et abusive des relations commerciales au sens des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce.
Les relations commerciales ont repris entre les parties du 15 juin 2009 au 19 juillet 2010.
Par courrier du 19 juillet 2010, la société Guisnel Distribution a rompu ses relations commerciales avec la société Transports Expind.
Par courrier du 22 juillet 2010, la société Transports Expind a contesté les reproches formulés à son encontre et demandé la reprise des relations contractuelles.
La société Transports Expind a fait l'objet d'une liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Bourg en Bresse en date du 8 octobre 2010, la SCP J.C. Belat & F.C. Desprat, étant désigné ès-qualités de liquidateur judiciaire.
Par acte du 4 mars 2011, la SCP Belat & Desprat, ès- qualités de liquidateur judiciaire, a saisi le Tribunal de commerce de Lyon aux fins de condamnation de la société Guisnel
Distribution au paiement d'une somme de 72 000 à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture des relations contractuelles, sur le fondement des articles L. 442-6 du Code de commerce et 1134 du Code civil, outre le paiement d'une somme de 2 500 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement du 11 septembre 2012, le tribunal de commerce a :
- constaté la rupture abusive et brutale aux torts exclusifs de la société Guisnel Distribution ;
- fixé le montant du préjudice consécutif à 36 000 , outre intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2010 ;
- condamné la société Guisnel Distribution à verser à la société JC Belat et FC Desprat, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Transports Expind, la somme de 36 000 , outre intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2010 ;
- ordonné la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l'article 1154 du Code civil ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
- condamné la société Guisnel Distribution à verser à la société JC Belat et FC Desprat, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Transports Expind, la somme de 1 000 en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs autres demandes ;
- condamné la société Guisnel Distribution aux entiers dépens de l'instance.
Le 2 octobre 2012 la société Guisnel Distribution a interjeté appel de ce jugement.
Vu les dernières conclusions, notifiées et déposées le 29 juillet 2014, par lesquelles la société Guisnel Distribution demande à la cour de :
- réformer le jugement,
- débouter la société MJ Synergie, venant aux droits de la SCP Belat et Desprat ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Transports Expind, de toutes ses demandes ;
- condamner la société MJ Synergie, venant aux droits de SCP Belat & Desprat, au paiement d'une somme de 3 500 sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions, notifiées et déposées le 9 octobre 2014, par lesquelles la société MJ Synergie, venant aux droit de la société JC Belat et FC Desprat, ès qualités de liquidateur
judiciaire de la société Transports Expind, demande à la cour de :
Au visa des articles 1134 du Code civil et L. 442-6 du Code de commerce,
- confirmer le jugement sauf en ce qu'il a alloué une somme de 36 000 à titre de dommages et intérêts à la selarl MJ Synergie, venant aux droits de la SCP JC Belat et FC Desprat, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Transports Expind,
Et statuant à nouveau,
- condamner la société Guisnel Distribution à payer à la selarl MJ Synergie, venant aux droits de la SCP JC Belat et FC Desprat, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Transports Expind, la somme de 72 000 à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale et sans respect d'un préavis des relations contractuelles,
outre intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 22 juillet 2010,
- ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du Code civil,
- condamner la société Guisnel Distribution en cause d'appel au paiement de la somme de 3 500 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de la SCP Régnier Bequet Moisan, avocat sur son affirmation de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
CELA ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR,
I. Sur la rupture des relations commerciales :
Considérant que la société Guisnel Distribution expose que la société Transports Expind n'assurait pas une vérification minutieuse des colis, ne mentionnait pas les colis manquants, ni les défauts constatés sur les meubles, ne s'assurait pas de la faisabilité du montage, ne prenait aucun soin du matériel fourni par la société Guisnel, était à l'origine de dégradations, de retards de livraison et refusait des prises en charge du fait du dépassement du poids de charge ;
Considérant que la société Guisnel Distribution verse aux débats des photocopies de nombreux documents émanant d'elle-même, sur la période 2008 à 2010, notamment des courriers adressés par elle à la société Transports Expind, des attestations de ses propres salariés, des lettres de voiture, des documents d'informations de livraison, qui font état de difficultés survenues lors de livraisons effectuées par la société Transports Expind, concernant essentiellement des marchandise refusées par le destinataire ou en mauvais état ;
Considérant que, cependant, pour la grande majorité de ces difficultés, l'appelante ne produit aucun document objectif établissant que les désordres mentionnés sont imputables à l'intimée ; qu'il apparaît à la lecture des pièces produites que pour l'essentiel les réclamations formulées ne peuvent être imputées à la société Transports Expind, mais proviennent, par exemple, d'un défaut d'emballage ou de fabrication des biens livrés, de défauts d'aspect des meubles livrés, de pièces manquantes à l'intérieur des colis ;
Considérant que les quelques griefs qui pourraient être reprochés à l'intimée, au vu des pièces émanant de l'appelante elle-même, ne sont pas, que ce soit en nombre, eu égard notamment aux 36 livraisons mensuelles effectuées par l'intimée, comme en gravité, suffisants, pour justifier une rupture immédiate des relations commerciales ; que les pièces produites par la société Guisnel Distribution ne démontrent ni l'importance, ni le caractère récurrent des manquements qu'elle reproche à la société Transports Expind ; que le jugement doit être confirmé de ce chef ;
II. Sur le préjudice :
Considérant que la société Guisnel Distribution expose, d'une part, qu'en l'absence de contrat écrit régularisé entre les parties et à défaut de préavis conventionnel, il convient de se référer aux usages de la profession et aux dispositions du décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003, qui porte approbation du contrat type applicable au transport public routier de marchandises exécuté par des sous-traitants, qui prévoit que le contrat de sous-traitance peut être résilié par l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception, moyennant un préavis d'un mois, quand le temps déjà écoulé depuis le début de l'exécution du contrat n'est pas supérieur à six mois, ce préavis est porté à deux mois quand ce temps est supérieur à six mois et inférieur à un an, et à trois mois quand la durée de la relation est de un an et plus ; qu'en l'espèce le préavis applicable ne peut être supérieur à deux mois, dès lors que les relations commerciales se sont poursuivies pendant moins d'un an (entre le 21 juillet 2009 et le 19 juillet 2010) ;
Considérant que l'appelante soutient, d'autre part, que la société Transports Expind ne peut justifier ses prétentions sur la base d'une attestation de son expert-comptable faisant état du chiffre d'affaires réalisé entre le mois de février et le mois de décembre 2008, sans tenir compte du chiffre d'affaires réalisé pour la période antérieure à la rupture du contrat ; qu'en outre, l'attestation en cause porte une appréciation fantaisiste qui ne correspond pas à la réalité des relations contractuelles qui existaient entre les parties ; que la marge de 64,4 % retenue par l'expert-comptable ne tient pas compte des coûts d'activité et de structure ;
Considérant que la société MJ Synergie, ès-qualités, sollicite la condamnation de la société Guisnel Distribution au paiement d'une indemnité correspondant à la perte de 6 mois de marge brute, évaluée par l'expert-comptable de la société Transports Expind, sur le chiffre d'affaires réalisé entre février et décembre 2008, à la somme de 12 000 par mois, soit 72 000 sur 6 mois ;
Considérant que l'intimée fait valoir que, au regard de l'ancienneté des relations commerciales (7 années), du volume que représentait le fret confié par la société Guisnel Distribution dans le chiffre d'affaires de la société Transports Expind (40 %) et du comportement déloyal de la société Guisnel Distribution qui, par deux fois, a rompu brutalement les relations, un préavis d'un minimum de 6 mois aurait dû être respecté ; que le délai de prévenance devant être respecté ne doit pas être apprécié au regard du seul contrat-type qui ne fixe qu'une durée minimum ; que le chiffre d'affaires réalisé les mois précédant juillet 2010 ne sont pas représentatifs de la relation commerciale entre les sociétés Transports Expind et Guisnel Distribution ; qu'en effet, à compter de la reprise des relations en juillet 2009, l'appelant a confié à son sous-traitant un volume deux fois moins important que précédemment ;
Considérant que lorsque, faute de dispositions contractuelles, les rapports du sous-traitant et de l'opérateur de transport sont régis par le contrat-type applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, qui prévoit la durée des préavis de rupture, institué par la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 dite Loti, les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, qui instaurent une responsabilité de nature délictuelle, ne s'appliquent pas ;
Considérant que conformément à l'article 12.2 de l'annexe I du décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 portant approbation du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, la durée du préavis de rupture doit être fixée à 3 mois ;
Considérant qu'en cas d'insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire ; que la société Transports Expind justifie de sa perte de marge brute sur l'année 2008, mais reconnaît dans ses écritures que pour les années 2009 et 2010, le chiffre d'affaires, et en conséquence sa marge brute, ont été deux fois moins important qu'en 2008 ;
qu'en considération de la marge brute réalisée par l'intimée sur les années 2008 à 2010, il convient de fixer l'indemnité qui lui est due à la somme de 25 000 ;
Par ces motifs : Confirme le jugement sauf en ses dispositions ayant fixé le montant du préjudice de la société Transports Expind à la somme de 36 000 , outre intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2010, et condamné la société Guisnel Distribution à verser à la société JC Belat et FC Desprat, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Transports Expind, la somme de 36 000 , outre intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2010 ; Et statuant à nouveau, dans cette limite : Condamne la SAS Guisnel Distribution à payer à la selarl MJ Synergie, venant aux droits de la SCP JC Belat et FC Desprat, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Transports Expind, la somme de 25 000 à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la société Transports Expind du fait de la rupture brutale des relations contractuelles, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 22 juillet 2010 ; Condamne la SAS Guisnel Distribution à verser à la selarl MJ Synergie, venant aux droits de la SCP JC Belat et FC Desprat, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Transports Expind, la somme de 2 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SAS Guisnel Distribution aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.