Cass. crim., 17 décembre 2014, n° 13-87.274
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
M. Soulard
Avocat général :
Mme Caby
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, Me Ricard
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l'ordonnance n° 19 du premier président de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 5 septembre 2013, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à effectuer des opérations de visite et saisie de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 16 et 431 du Code de procédure civile, 34 et 36 du Code de procédure pénale et 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a déclaré mal fondé l'appel de la société X dirigé contre la décision d'autorisation de visites domiciliaires ; au visa : "des observations écrites du parquet général qui sollicite la confirmation de la décision querellée" ;
"et aux motifs que l'affaire avait été régulièrement communiquée au ministère public ;
1°) alors que l'ordonnance attaquée ne pouvait se contenter de relever que le parquet général, non représenté à l'audience, avait pris des réquisitions écrites sans constater que lesdites réquisitions avaient été régulièrement mises à la disposition de la société demanderesse afin qu'elle puisse y répondre éventuellement ; qu'en statuant de la sorte le premier président n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la régularité de la procédure d'appel et a violé les textes susvisés ;
2°) alors que les mentions de l'ordonnance ne précisent pas si, en l'absence de réquisitions orales, les réquisitions écrites ont été régulièrement versées au dossier de la procédure et si, dans l'affirmative, les parties ont disposé du temps nécessaire pour organiser leur défense ; qu'en statuant de la sorte le premier président a privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés ;
Attendu que les pièces de procédure mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la société X a pu prendre connaissance, avant l'audience, des conclusions écrites du procureur général ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8, § 1, de la Convention européenne des droits de l'Homme, de l'article 105 du Code civil, des articles L. 450-4 de commerce, 593 du Code de procédure pénale, 493 du Code de procédure civile, défaut de motifs et manque de base légale :
"en ce que l'ordonnance attaquée (2013-19) du 5 septembre 2013 a rejeté le recours de la société X dirigé contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant à procéder à des visites domiciliaires dans les locaux de ladite société ;
"aux motifs que le fait que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention soit pré-rédigée par le requérant et reprenne donc certaines erreurs matérielles de la requête est sans portée sur la validité de l'ordonnance ; qu'en premier lieu le montant du marché de Fréjus n'est pas démontré par l'appelante et au justifie que le chiffre indiqué est bien celui du montant de l'offre du Groupe GPE/ SCEA ; que pour le surplus, il s'agit d'erreurs matérielles de chiffres très évidemment sans incidence sur les éléments d'appréciation soumis au juge et la teneur de sa décision ; que sur la durée d'exécution du marché de la Ville de Gardanne lancé en 2008, la confusion entre les différents lots que tente d'opérer la société appelante n'est pas justifiée et le lot 1 (collecte) est sans équivoque celui dont il fait état sans erreur sur sa durée d'exécution ; que concernant les prétendues autres erreurs relevées par l'appelante dans la décision du juge des libertés et de la détention, l'effet dévolutif de l'appel qui conduit à réexaminer la requête et les conditions de fond pour son appréciation lui enlève toute portée ; qu'il ne s'en induit donc pas que l'ordonnance du 23 mai 2012 doit être annulée, les indices pouvant ou non constituer les présomptions requises étant réexaminés dans le cadre de l'appel ; qu'ainsi, les quelques erreurs de la requête reprises dans l'ordonnance ne peuvent pas conduire à rendre pertinents les moyens d'appel que la pièce prétendument non communiquée d'analyse des offres de Veolia, ISS et Silim par la ville de Gardanne est sans portée puisque cette pièce est dans le débat contradictoire devant la cour d'appel ; qu'il en est de même pour l'erreur dans l'estimation du marché établie par la responsable de la commande publique à Gardanne et sur la retranscription de l'estimation du marché de la ville d'Hyères ; qu'il ne peut en être tiré aucune conséquence en termes de constat concret de faits qualifiés de présomptions puisque ce ne sont pas de ces quelques montants énoncés pour information, que sont tirés les indices mais du comportement des sociétés visées dans leur approche des marchés ; que ces erreurs ne constituent pas des éléments déterminants de la vérification opérée par le juge à l'examen des pièces jointes à la requête ; que l'adoption par le juge des motifs du requérant avec la reprises des quelques erreurs visées mais sans portée sur la décision ne permet pas de conclure à l'absence d'examen concret et effectif de la requête par le juge des libertés et de la détention ni à une violation par le juge des articles 6, § 1, et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, aucune partialité de sa part ne pouvant être suspectée ; que malgré ce, les motifs et le dispositif de l'ordonnance sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée sans méconnaître la portée de sa décision ; que l'appropriation par le juge des motifs conformes à la requête conduit à retenir que ceux-ci sont réputés avoir été établis par lui et les quelques reprises d'erreurs de la requête ci-avant rappelées ne sont pas déterminantes d'une absence ou même d'une insuffisance de contrôle d'autant qu'elles ne modifient en rien l'appréciation de la réalité d'indices permettant de présumer l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée ;
1°) alors que la reproduction à l'identique de multiples erreurs dans l'ordonnance rendue sur requête par le juge des libertés et de la détention constitue la preuve directement contraire à la présomption selon laquelle les motifs et le dispositif d'une décision judiciaire sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et qui l'a signée ; qu'il en est plus particulièrement ainsi lorsque la loi donne expressément mission au juge saisi de "vérifier" qu'une demande d'autorisation exorbitante du droit commun est fondée ainsi que l'exige l'article L. 450-4 du Code de commerce, de sorte que viole ce texte ainsi que les articles 1349, 1353 et 1315 du Code civil le premier président qui fait jouer la présomption susvisée ;
2°) alors que le juge doit, en toute circonstance, donner l'image de l'impartialité en vertu de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme et que la répétition, dans une ordonnance pré-rédigée par l'Administration et délivrée de façon non contradictoire, des mêmes erreurs que celles qui figuraient dans la requête justifie un doute légitime sur les conditions dans lesquelles le juge a rempli son office ; qu'en refusant d'annuler, dans ces conditions, l'ordonnance du 23 mai 2012, le premier président a violé ensemble le texte susvisé et l'article 493 du Code de procédure civile ;
3°) alors qu'il importe peu que les erreurs aient été secondaires et puissent être redressées en cause d'appel, dès lors que, s'agissant d'une autorisation exécutoire ayant immédiatement permis une atteinte au domicile, la régularité de celle-ci devait être appréciée au moment où elle a été utilisée, de sorte qu'en statuant comme il l'a fait, sans rechercher si les enquêteurs disposaient d'un titre valablement délivré lors des perquisitions litigieuses, le premier président a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme et de l'article L. 450-4 du Code de commerce ;
Attendu que, par application de l'article 561 du Code de procédure civile, le premier président qui annule l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant des opérations de visite et saisie doit se prononcer lui-même sur le bien-fondé de la requête de l'Administration ;
Qu'il s'ensuit que le moyen, qui fait grief à l'ordonnance attaquée de ne pas avoir annulé la décision du premier juge, alors qu'au surplus la reproduction, dans cette décision, de la requête de l'Administration, est sans effet sur sa validité, est inopérant ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce et 593 du Code de procédure pénale, 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, insuffisance de motifs et défaut de base légale :
"en ce que le premier président a rejeté le recours dirigé par la société X contre l'autorisation de perquisition délivrée aux enquêteurs le 23 mai 2012 ;
"aux motifs, d'une part, que la société appelante s'explique au fond sur les déroulements des marchés et entend démontrer que les seules constatations ne constituent pas des présomptions de pratiques anticoncurrentielles ; que c'est pertinemment que le premier juge a retenu des éléments de fait concrets dont disposait l'Administration, à savoir l'analyse des douze marchés cités ; que la Direccte a caractérisé sans être contredite que la société X dépend du groupe Veolia propreté tandis que Silim et Bronzo sont des filiales du groupe veolia eaux et Sea du groupe Veolia environnement ; qu'il résulte des documents et de l'analyse produits qu'X n'a candidaté que sur 2 des 12 marchés étudiés mais il apparaît qu'elle ne doit pour autant pas être exclue de la présomption de pratique illicite concertée, compte tenu de la nature de son intervention dans les marchés pour lesquelles elle a candidaté ; qu'en premier lieu, la Direccte établit que la société X a retiré un dossier sur 5 marchés pour lesquels elle n'a pas candidaté... c'est donc exactement que l'Administration a retenu que ces différents cas ne doivent pas être pris en considération isolément mais que les présomptions d'ententes apparaissent lors de la mise en perspective de l'ensemble de ces agissements ou abstentions et au regard aussi des réponses ou non réponse des autres sociétés visées ce qui constitue un faisceau d'indices de pratiques anticoncurrentielles, même s'il apparaît que la société X s'est largement abstenue ; qu'ainsi le juge a recueilli puis précisément décrit, analysé et confronté des éléments concordants d'information permettant de conclure à l'existence de faits et/ou d'abstention coordonnés entre les entreprises et utiles à caractériser les présomptions de pratiques anticoncurrentielles nécessaires à l'autorisation de visites domiciliaires ;
"alors que s'il est loisible à toute entreprise de retirer un dossier, aucun texte n'oblige chaque société d'un même groupe à poursuivre la procédure et à formuler des offres sur des marchés ou d'autres entreprises du groupe sont intervenues ; que la société X avait ainsi fait valoir qu'elle n'avait pas répondu à certains marchés du fait de la présence d'autres entreprises du groupe et de la répartition géographique existant au sein de celui-ci ; qu'en persistant néanmoins à qualifier de présomption au sens de l'article L. 450-4 du Code de commerce les retraits de candidature de la société demanderesse, le premier président a entaché son ordonnance d'une insuffisance caractérisée de motifs ;
"aux motifs d'autre part que, pour la Cump Est et Ouest, déchets ménagers recyclables : dans ce marché des indices constituant des présomptions d'ententes prohibées sont caractérisés parce qu'une seule société du groupe Veolia a candidaté à savoir la société sortante et que l'offre démesurée de la deuxième candidate après relance a entraîné la nécessité de reconduire le sortant, l'insuffisance manifeste de concurrence est donc apparue ; que les motifs avancés par X relative à la difficulté de desserte des communes concernées ne sont pas probants d'autant que la société déclare opérer seulement dans les Bouches du Rhone et le Var ;
1°) alors que le fait de ne pas soumissionner à un marché ne saurait constituer, en soi, une présomption ; que, de surcroît, la société X avait exposé dans une lettre d'excuse adressée à la collectivité locale qu'elle n'était pas en mesure d'établir une offre satisfaisante compte tenu de la surcharge du bureau d'étude et de son implantation défavorable ; qu'en écartant ces justifications techniques et en ne s'expliquant aucunement sur le niveau final du marché attribué, comme il y était invité, le premier président n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 450-4 du Code de commerce ;
2°) alors que le premier président ne pouvait se fonder sur une offre "démesurée" sans répondre au chef péremptoire des écritures d'appel selon lesquelles la prétendue "démesure" invoquée de l'offre émise par un tiers n'avait joué aucun rôle, l'attributaire du marché litigieux ayant proposé un prix inférieur à 2,2 % à l'estimation administrative et ayant obtenu la note maximale au regard du critère technique ;
"aux motifs, de troisième part, que pour la Cump, collecte des résidus urbains, les observations sont similaires, puisque seules trois sociétés ont répondu, que les prestataires sortants appartiennent au groupe Veolia et que leurs offres n'étaient cependant pas conformes aux critères techniques ; alors que le premier président laisse dépourvu de toute réponse le moyen faisant valoir que la prétendue non-conformité de certaines offres était imputable à l'Administration du fait des obscurités du règlement et du fait du pouvoir adjudicateur qui n'avait pas permis de régulariser les offres ;
"aux motifs, de quatrième part, que pour les marchés de la communauté d'agglomération de Frejus Saint-Raphael et de la communauté des communes de Fayence, la société X a retiré des dossiers mais n'a pas candidaté alors qu'elle est notoirement active dans le secteur de sorte qu'une seule candidature a été reçue de la part du sortant ; qu'X évoque aussi sa candidature parallèle dans la région d'Embrun (Hautes-Alpes) pour expliquer qu'elle n'a pas candidaté ce qui est en contradiction avec ses remarques sur son champ d'activité prétendument limité dans deux départements ;
"alors qu'il résulte ni des écritures de la demanderesse ni de la lettre d'excuse adressée à la collectivité locale que la société X ait évoqué une candidature parallèle dans les Hautes-Alpes de sorte que la motivation de l'ordonnance, qui de surcroît, ne prend pas en compte le prix très compétitif auquel a été passé le marché, est totalement inopérante et ne répond pas aux exigences de l'article 593 du Code de procédure pénale susvisé ;
"aux motifs, de cinquième part, que concernant le marché du Syvedom de Haute-Provence, l'analyse des deux seules offres d'un montant si élevé que le marché a été déclaré infructueux justifiant sa relance en procédure négociée est aussi douteuse et met en évidence un déficit de compétitivité puisque sur les deux lots chacun des deux candidats s'est révélé moins disant sur un lot ;
1°) alors qu'un doute sur l'analyse d'un marché ne suffit pas à caractériser une présomption d'entente au sens de l'article L. 450-4 du Code de commerce ; qu'en statuant de la sorte, le premier président a violé ce texte ;
2°) alors que le premier président laisse entière la question de savoir si l'Administration pouvait fonder une présomption sur la comparaison de l'ancien et du nouveau marché dont le périmètre était différent ainsi que la condition d'exploitation et viole, de la sorte, l'article 593 du Code de procédure pénale ;
"aux motifs, de sixième part, que le comportement de X dans le cadre du marché de la ville d'Hyeres est aussi douteux puisque dans le cadre de la procédure le dialogue compétitif trois entreprises ont soumissionné mais il est apparu que Sita Sud a refusé tout effort financier en cours de négociation, qu'au contraire X est devenue très largement la moins disante passé de + 26 % par rapport à l'estimation à + 7,63 euros tandis que Pizzorno s'est maintenu à un niveau très élevé avec un surcoût qui paraissait sans commune mesure avec la qualité de l'offre ; que le premier juge a donc pu relever pertinemment qu'une offre de couverture n'était pas à exclure dans le cadre d'une pratique concertée ;
"alors que la circonstance qu'une offre de couverture ne soit "pas exclue" correspond à l'usage d'un motif hypothétique impropre à justifier une atteinte au domicile protégé par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;
"aux motifs, de septième part, que s'agissant des deux marchés pour lesquels X a candidaté en premier lieu, à savoir la ville de Gardanne, il est apparu que cette société prestataire sortante était seule candidate initialement avec une offre très largement supérieure à l'estimation et que suite à la déclaration d'infructuosité et à la relance deux des sociétés filiales de Veolia paraissent s'être volontairement effacées de la négociation (Silim et X) : qu'il est observé que le tableau de l'analyse des offres par la responsable des marchés de la ville était jointe à la requête présentée au premier juge et que si elle n'a été remise tardivement à l'appelante, après l'appel, le débat contradictoire devant la cour a néanmoins eu lieu avec la prise en compte de ladite pièce ;
1°) alors que la DIRECCTE ayant fondé sa demande d'autorisation sur une divergence des offres par rapport à "l'état estimatif" établi par la collectivité, l'absence ou l'inexistence de cette pièce dans les documents remis aux candidats, avait nécessairement un rôle déterminant pour apprécier la pertinence des présomptions alléguées au moment où le juge autorisait la visite domiciliaire ; qu'il importe peu, dès lors, qu'un document correspondant à cette estimation ait pu être produit en cause d'appel, ce qui ne prouve nullement que les entreprises en aient eu connaissance au moment de chiffrer leurs offres, de sorte que le premier président, qui s'est déterminé par les motifs entièrement inopérants, n'a pas légalement justifié sa décision ;
2°) alors que le premier président, faute d'examiner les caractéristiques d'un "marché à bons de commande", comme il y était invité, ne caractérise aucunement la prétendue anormalité de la divergence entre l'offre d'X et l'estimation litigieuse ;
Attendu que les énonciations de l'ordonnance attaquée mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que le premier président a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont il était saisi et caractérisé, s'étant référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'Administration, l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles justifiant la mesure autorisée ; d'où il suit que le moyen ne saurait être admis,
Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme,
Rejette le pourvoi.