CA Douai, 1re ch. sect. 1, 10 juin 2013, n° 12-05590
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bourry
Défendeur :
Laguerre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Merfeld
Conseillers :
Mmes Doat, Metteau
Avocats :
Mes Laurent, Meignie, Levasseur
Le 25 juin 2010 Monsieur Martial Bourry et Mademoiselle Linda Laguerre ont échangé leurs véhicules automobiles respectifs. Monsieur Bourry est ainsi devenu propriétaire du véhicule Ford Probe Diesel qui appartenait à Mademoiselle Laguerre, laquelle est devenue propriétaire du véhicule Ford Escort de Monsieur Bourry.
Le lendemain, Monsieur Bourry a contacté téléphoniquement Mademoiselle Laguerre pour lui indiquer qu'il était tombé en panne sur le chemin du retour et lui réclamer la somme de 550 euros, coût auquel il estimait les réparations.
Mademoiselle Laguerre n'ayant pas donné suite à cette demande, Monsieur Bourry l'a fait assigner par acte d'huissier du 24 janvier 2012 devant le Tribunal d'instance de Cambrai pour la voir condamner à lui verser, sur le fondement de l'article 1641 du Code civil, les sommes de 2 207,73 euros au titre de la réparation du véhicule, 169,50 euros au titre des frais de remorquage et 2 000 euros à titre de dommages-intérêts, se prévalant d'un rapport d'expertise de Monsieur Coincenot, expert commis par son assureur protection juridique.
Le tribunal l'a débouté de sa demande par jugement du 10 mai 2012 dont il a relevé appel le 27 juillet 2012.
Il demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de condamner Mademoiselle Laguerre à lui verser les sommes demandées dans l'acte introductif d'instance ainsi qu'une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il conteste la motivation du tribunal qui a jugé que les conditions de l'article 1641 du Code civil relatives à la garantie des vices cachés de la chose vendue n'étaient pas remplies car la réparation du vice permettra au véhicule de circuler à nouveau et fait valoir qu'une telle motivation ajoute à la loi puisqu'elle conduit à considérer que la garantie n'est accordée que si le véhicule est irréparable.
Il expose qu'après avoir pris possession du véhicule, sur le chemin du retour, il a constaté une importante perte de puissance du moteur suivie d'une brusque montée de la jauge de température moteur au combiné de bord, que le véhicule a dû être rapatrié sur plateau jusqu'à son domicile, que son assureur a organisé une expertise amiable, que l'expert a conclu que le véhicule présentait une détérioration avancée du joint de culasse, non décelable lors de la vente. Il affirme que contrairement à ce que soutient Mademoiselle Laguerre il n'est pas un professionnel de la mécanique automobile bien qu'il soit chauffeur routier et amateur de rallyes.
Il soutient que la détérioration du joint de culasse rend le véhicule impropre à son usage dans la mesure où depuis la panne le véhicule ne peut plus circuler. Il déclare que le coût du changement du joint de culasse, de la pose et de la dépose de la culasse et de la courroie de distribution s'élève à une somme de 2 207,73 euros et qu'en raison de l'immobilisation du véhicule il a dû faire l'acquisition d'une voiture de remplacement pour un prix de 1 500 euros.
Il considère que le rapport d'expertise est opposable à Mademoiselle Laguerre puisque l'expert l'a convoquée à ses opérations même si elle a choisi de ne pas se présenter.
Mademoiselle Laguerre a conclu à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et à la condamnation de Monsieur Bourry à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient que l'expertise n'est pas contradictoire car elle n'a pas assisté aux opérations qui se déroulaient à 500 km de son domicile et que les conclusions de l'expert qui n'a procédé à aucun démontage, ne reflètent pas la réalité des faits.
Elle déclare que le véhicule est ancien, qu'il ne roulait qu'en ville et qu'une conduite sportive a pu être à l'origine de la panne.
Elle affirme que Monsieur Bourry est un spécialiste avisé puisqu'il se vante sur son site internet d'effectuer des rallyes et de réparer des véhicules anciens tant sur le plan mécanique que sur le plan de la carrosserie. Elle considère que le vice n'était pas caché pour Monsieur Bourry et ne rendait pas le véhicule impropre à son usage, le coût du changement d'un joint de culasse ne s'élevant qu'à une somme de l'ordre de 400 euros.
SUR CE :
Attendu qu'il résulte du renvoi opéré par l'article 1707 du Code civil relatif à l'échange que les règles des articles 1641 et suivants du même Code sur la garantie des vices cachés de la chose vendue sont applicables à l'échange ; que l'article 1641 dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus ;
Attendu qu'il incombe donc à Monsieur Bourry d'apporter la preuve :
- d'un défaut inhérent au véhicule Ford Probe qu'il a reçu de Mademoiselle Laguerre en échange de son véhicule Ford Escort,
- de l'antériorité de ce défaut par rapport à la vente,
- de son caractère caché,
- de l'impropriété du véhicule à son usage ou tout au moins d'une atteinte grave portée à cet usage ;
Attendu qu'il n'est pas contesté que le véhicule est tombé en panne le 25 juin 2010, lendemain de l'échange ;
Attendu qu'à l'appui de sa demande Monsieur Bourry a produit un rapport d'expertise établi le 26 novembre 2010 par Monsieur Coincenot, mandaté par sa compagnie d'assurance, dont il résulte que la panne est due à la rupture du joint de culasse qui était dégradé avant la vente, que le véhicule âgé de 16 ans et totalisant 177 166 Km était principalement utilisé pour de faibles trajets sollicitant peu la mécanique et qu'après prise de possession du véhicule par Monsieur Bourry, lors du trajet autoroutier pour retour à son domicile, le joint de culasse n'a pas supporté la contrainte et a cédé ;
que l'expert ajoute que ce vice n'était pas décelable par l'acquéreur sans investigation approfondie, qu'il affecte l'usage du véhicule qui n'est plus roulant et que Monsieur Bourry n'aurait pas acheté le véhicule ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il en avait eu connaissance ;
Attendu que les opérations d'expertise ont été réalisées le 3 novembre 2010 à la Mothe Saint Heray (Deux sèvres) ; que Mademoiselle Laguerre, domiciliée à Estourmel dans le Nord, convoquée par lettre recommandée, ne s'y est pas présentée ;
Attendu que si le juge ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire des parties, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l'une des parties,
que Monsieur Bourry ne fonde pas ses prétentions sur une pièce autre que le rapport d'expertise extrajudiciaire réalisé à sa demande, ce qui est insuffisant pour constituer la preuve dont il a la charge en application de l'article 9 du Code de procédure civile et notamment de la condition relative à l'impropriété du véhicule à son usage ;
qu'à ce sujet l'expert commis par l'assureur de Monsieur Bourry exprime d'ailleurs lui-même une réserve en précisant que compte tenu de l'âge du véhicule et du kilométrage déjà parcouru "la détérioration du joint de culasse ne peut être considérée comme une usure prématurée ; cela signifie qu'un acheteur potentiel pouvait s'attendre à faire des frais sur le véhicule";
Attendu que le coût du changement d'un joint de culasse s'établit effectivement à une somme de l'ordre de 400 euros ainsi que l'indique Mademoiselle Laguerre ; que le devis produit par Monsieur Bourry pour un montant de 2 207,73 euros ne peut être retenu car il prend en compte d'autres prestations et notamment le changement de la courroie de distribution ; qu'après la panne du véhicule Monsieur Bourry ne demandait d'ailleurs à Mademoiselle Laguerre qu'une somme de 550 euros,
que la dégradation du joint de culasse ne rend pas le véhicule impropre à sa destination puisque ce véhicule pourra être normalement utilisé après le remplacement de cette pièce ; qu'elle ne compromet pas non plus l'usage que l'on peut attendre d'un véhicule d'occasion, mis en circulation le 7 avril 1994, c'est-à-dire 16 ans avant l'échange et totalisant 176 832 km à la date de cet échange ; que ce désordre est dû à un phénomène normal d'usure auquel le co-contractant devait s'attendre et auquel il peut être remédié sans frais excessifs (environ 400 euros) ;
que ce désordre ne constitue donc pas un vice susceptible d'ouvrir droit à la garantie des vices cachés ; qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement qui a rejeté cette demande ;
Attendu que Mademoiselle Laguerre, bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale devant la cour, ne justifie pas avoir supporté la charge de quelconques frais irrépétibles ; qu'il y a lieu de la débouter de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile présentée en cause d'appel ;
Par ces motifs : LA COUR statuant contradictoirement, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Condamne Monsieur Martial Bourry aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle, Déboute Mademoiselle Laguerre de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.