CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 27 février 2014, n° 14-00838
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bourgogne Hélicoptères (SARL), Deslorieux (ès qual.)
Défendeur :
ERDF (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Charlon
Conseillers :
Mmes Louys, Graff-Daudret
Avocats :
Mes Regnier, Trecourt, Champloix
ELEMENTS DU LITIGE:
Depuis l'année 2005 la société à responsabilité limitée Bourgogne Hélicoptères a accompli, pour le compte de la société anonyme Electricité Réseau Distribution France (ERDF), la surveillance par hélicoptères de lignes électriques de 20 000 volts, et en dernier lieu les parties étaient liées par trois marchés qui venaient à échéance le 31 octobre 2013.
Par courrier du 9 octobre 2013, ERDF a notifié à Bourgogne Hélicoptères "la résiliation sans délais" de leurs relations contractuelles en expliquant avoir reçu du préfet de l'Aube un courrier faisant état d'une violation par cette société de la réglementation aérienne.
Les 25 et 28 octobre 2013 Bourgogne Hélicoptères a assigné ERDF et la SCP Jean-Jacques Deslorieux, en sa qualité de mandataire au redressement judiciaire de la demanderesse, devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris, notamment pour obtenir la condamnation sous astreinte de ERDF à poursuivre l'exécution des marchés de travaux qui les liaient et d'enjoindre celle-ci de consulter Bourgogne Hélicoptères lors du renouvellement de ces marchés.
Par ordonnance du 19 novembre 2013 le juge des référés a :
débouté ERDF de son exception d'incompétence,
débouté Bourgogne Hélicoptères de ses demandes,
déclaré la décision opposable à la SCP Jean-Jacques Deslorieux, ès qualités,
condamné Bourgogne Hélicoptères aux dépens.
Bourgogne Hélicoptères a interjeté appel de cette décision et a assigné ERDF et la SCP Jean-Jacques Deslorieux pour obtenir, sur le fondement des articles 872 et 873 du Code de procédure civile et 442-6 du Code de commerce :
- la condamnation d'ERDF à poursuivre l'exécution des marchés de travaux qui étaient en cours lors de la rupture des relations contractuelles entre les parties, et ce sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision de la cour, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la contestation au fond entre les parties,
- une injonction à ERDF d'avoir à consulter Bourgogne Hélicoptères lors du renouvellement de ces marchés, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt,
- en tout état de cause, de déclarer l'arrêt commun à la SCP Jean-Jacques Deslorieux et de condamner ERDF aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
ERDF a conclu le 13 février 2014 à l'incompétence de la juridiction judiciaire au profit du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise et, subsidiairement, elle demande le rejet des prétentions de Bourgogne Hélicoptères et la confirmation de la décision entreprise, enfin ERDF sollicite l'allocation de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SCP Jean-Jacques Deslorieux n'a pas constitué avocat.
Sur quoi LA COUR ;
Sur l'exception d'incompétence soulevée par ERDF
Considérant que depuis la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, la société Electricité Réseau Distribution de France (ERDF) est le gestionnaire du réseau public de transport d'électricité et se trouve régie, sauf dispositions législatives contraires, par les lois applicables aux sociétés anonymes ;
Qu'il s'agit donc d'une entreprise privée qui, bien qu'elle soit concessionnaire de service public, se livre librement à des opérations commerciales pour son propre compte et non pas pour le compte d'une personne publique ;
Que dès lors le présent litige relatif à l'activité d'entretien et de maintenance du réseau de distribution d'électricité de ERDF ressortit à la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire, et ce même si des dispositions contractuelles liant les parties contiennent des clauses exorbitantes du droit commun, ce critère n'étant opérant que dans la mesure où l'un des cocontractants est une personne publique ;
Qu'il importe peu que les interventions de Bourgogne Hélicoptères s'effectuent sur des ouvrages publics, puisque la présente action trouve sa source dans un contrat de droit privé ;
Considérant qu'en conséquence le juge judiciaire est bien compétent pour statuer sur le mérite des prétentions des parties ;
Considérant que sur la compétence territoriale, les demandes de Bourgogne Hélicoptères reposent sur les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce selon lesquelles la responsabilité de tout producteur, commerçant ou industriel est engagée lorsqu'est rompue brutalement de son fait une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ;
Que l'article D. 442-3 du même Code précise que pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 qui prévoit que la juridiction commerciale compétente est le Tribunal de commerce de Paris pour les tribunaux situés dans le ressort de la Cour d'appel de Versailles ;
Qu'il en résulte que, nonobstant le fait que le siège social de ERDF soit situé dans les Hauts-de-Seine, le Tribunal de commerce de Paris était territorialement compétent ;
Considérant qu'en définitive l'ordonnance du 19 novembre 2013 doit être confirmé[e] en ce qu'[elle] déboute ERDF de son exception d'incompétence ;
Sur la demande de poursuite de l'exécution du contrat
Considérant que les contrats rompus par ERDF avaient chacun une durée déterminée de trente-six mois à compter du 30 avril 2012 et arrivaient donc à échéance le 31 octobre 2013 ;
Que cependant Bourgogne Hélicoptères produit aux débats des factures relatives à des prestations pour les montants importants, effectuées chaque année entre 2005 à 2013 pour le compte de ERDF ;
Qu'ainsi, en raison de la durée et de la stabilité des rapports contractuels entre Bourgogne Hélicoptères et ERDF, ces deux sociétés ont eu une relation commerciale établie, au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;
Considérant que ce texte ménage néanmoins la faculté de rompre sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ;
Considérant que dans son courrier du 9 octobre 2013 ERDF invoque des renseignements donnés par la préfecture de l'Aube le 16 septembre 2013 selon lesquels Bourgogne Hélicoptères avait survolé le centre de détention de Villenauxe-la-Grande et que pour sa part la gérante de Bourgogne Hélicoptères a reçu du préfet du département de l'Aube un courrier daté du 19 septembre 2013, lui adressant un avertissement d'avoir à respecter la réglementation du Code de l'aviation civile et du Code aérien, à la suite d'infractions qu'aurait commises cette société lors du survol du département à basse altitude ;
Que les reproches concernant le défaut d'autorisation administrative de vols à basse altitude n'avaient pas lieu d'être, puisque Bourgogne Hélicoptères justifie avoir obtenu le 5 juillet 2013 une autorisation de vols rasants sur tout le territoire national pour une durée d'un an, ce qui la dispensait d'aviser au cas par cas les autorités régionales ou locales de police ou de gendarmerie ;
Qu'il n'en reste pas moins que le préfet de l'Aube se fonde aussi sur un signalement, par le centre opérationnel de gestion du groupement départemental de gendarmerie, d'un survol à basse altitude du centre de détention de Villenauxe-la-Grande effectué le 4 septembre 2013 par Bourgogne Hélicoptères ;
Qu'aucun autre élément des débats ne permet de mettre en doute la véracité de ce fait précis rapporté par le représentant de l'Etat dans le département, et que la crainte de nouvelles infractions aux règles de sécurité aérienne, qui sont susceptibles de mettre en péril la réalisation des missions de surveillance des lignes gérées par ERDF, a eu pour conséquence de saper la confiance qu'avait celle-ci à l'égard de Bourgogne Hélicoptères, rendant impossible la poursuite de leurs relations et justifiant une rupture sans préavis, de sorte que le caractère illicite des agissements de ERDF n'est pas établi et que les mesures sollicitées par l'appelante se heurtent à une contestation sérieuse ;
Qu'il s'ensuit que les conditions d'application des articles 872 et 873 du Code de procédure civile ne sont pas réunies, ce qui impose de confirmer sur ce point la décision du juge des référés du Tribunal de commerce de Paris et de débouter Bourgogne Hélicoptères de ses demandes formées en cause d'appel ;
Par ces motifs, Confirme l'ordonnance rendue le 19 novembre 2013 par le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris ; Y ajoutant, Déboute Bourgogne Hélicoptères de ses demandes ; Vu les articles 696 et 700 du Code de procédure civile : Condamne la société Bourgogne Hélicoptères aux dépens ; La Condamne à payer à la société Electricité Réseau Distribution France la somme de 1 500 euros en remboursement de ses frais irrépétibles.